Philippines : des organisations indigènes affrontent les entreprises d’huile de palme à Palawan

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Dans le sud-est asiatique, peu d’endroits sont capables de surpasser Palawan, aux Philippines. En 1990, l’UNESCO a déclaré l’ensemble de la province « Réserve de l’Homme et de la Biosphère ».

Aujourd’hui, les peuples autochtones et les agriculteurs des basses terres ne sont plus seulement confrontés à l’exploitation minière de nickel : ils doivent aussi faire face aux menaces que représentent les projets d’huile de palme. La plus grande partie de ces opérations est réalisée par la Palawan Palm & Vegetable Oil Mills Inc (PPVOMI) et par l’entreprise Agumil Philippines Inc., du même groupe. Près de 15 000 hectares de terres sont actuellement transformées en plantations de palmiers à huile. Agumil Philippines Inc. est 75 % philippine et 25 % malaisienne. Quant à PPVOMI, elle est 60 % singapourienne et 40 % philippine. Ces entreprises ont commencé à opérer officiellement en janvier 2006.

D’après le gouvernement de la province, les monocultures de palmiers à huile vont éradiquer la pauvreté et réduire les dépenses dues à l’importation des huiles comestibles. Mais du point de vue des autochtones, l’expansion des plantations de palmiers à huile est une tragédie parce qu’elle détruit leurs terres ancestrales et leurs produits forestiers, avec comme conséquence un appauvrissement sans précédent.

Dernièrement, des natifs de Palawan ont décidé de prendre le sujet en main et d’établir des liens de solidarité avec les communautés affectées à Mindanao. Une réunion importante entre les communautés concernées d’Higaonon et de Palawan a eu lieu à Malaybalay (province de Bukidnon, Mindanao) les 21 et 22 juin dernier. Elle a été coordonnée par le réseau national ALDAW (Ancestral Land/Domain Watch) et par le centre Father Vincent Cullen Tulugan Learning and Development Center (FVCTLDC). La réunion a abouti à une résolution conjointe de Palawan et Mindanao contre le développement du palmier à huile.

La dite « Résolution de Malaybalay » a réuni plus de 100 000 signatures, recueillies grâce à l’aide de l’ONG Rainforest Rescue (dont le siège est en Allemagne), et été présentée aux autorités gouvernementales. Suite à cela, une réunion a été organisée entre les acteurs le 7 août à Palawan, dans le cabinet du gouverneur. Ont participé à la réunion tous les organismes environnementaux impliqués au niveau de la province, ainsi que des ONG et des délégations des peuples indigènes et des agriculteurs.

En fin de réunion, un des modérateurs a demandé sans détour si les participants étaient favorables à un moratoire sur l’expansion du palmier à huile ; la plupart ont dit OUI. Les seuls à voir dit non sont, sans surprise, les entreprises d’huiles de palmier et les représentants du Conseil pour le Développement Durable de Palawan, qui s’est rangée l’an dernier du côté des grandes entreprises, y compris des entreprises minières.

Une autre réunion sur le palmier à huile a eu lieu le 28 août dans le cabinet du gouverneur entre des agences gouvernementales, les représentants d’organisation de peuples indigènes (Aldaw et Natripal/Tribus Unies de Palawan incluses) et des ONG locales.

Aldaw et Natripal ont présenté leurs conclusions et montré que le développement du palmier à huile à Palawan s’est fait sans contrôle de la part des autorités compétentes. Et en l’absence de cartes, le gouvernement est incapable de déterminer systématiquement la propriété, l’élévation, la classification des terres, etc., des zones où sont plantés les palmiers à huile.

Aldaw a également mis l’accent sur la nécessité de constituer avec les personnes intéressées une équipe de surveillance des plantations de palmiers à huile à Palawan. Mais après plus de 7 années de fonctionnement, les organisations indigènes et les ONG n’ont aucune information sur la composition de cette équipe et sur les résultats (s’il y en a) des inspections réalisées dans chaque commune concernée par les plantations de palmiers à huile. Les membres de la société civile n’ont pas reçu davantage d’informations sur les résultats (s’il y en a) des activités de suivi réalisées par l’équipe sur l’impact de l’usine de traitement de l’huile de palme sur l’air et sur l’eau, ainsi que sur la gestion et l’élimination des résidus des plantations industrielles par la PPVOMI-Agumil.

En ce qui concerne plus spécifiquement les conséquences du développement du palmier à huile sur la biodiversité, Aldaw a aussi indiqué que Palawan possède l’une des dernières zones jouxtant une forêt aux Philippines. Les plantations de palmiers à huile brisent la contiguïté entre des écosystèmes différents et reliés entre eux, comme la forêt montagneuse, la forêt de plaine, les arbustes et pâturages, les zones humides, etc., ce qui a un impact sur les espèces animales qui se déplacent et prospèrent dans différentes niches écologiques, ainsi que sur l’intégrité de chaque niche spécifique.

L’autre point mis en avant est lié aux procédures qui ont conduit à l’émission de Certificats d’Autorisation Environnementale par le Département de l’Environnement et des Ressources Naturelles (DENR) pour Agumil et PPVOMI. Aldaw a précisé que les Certificats de Conformité Environnementale sont des documents qui prouvent que le responsable d’un projet a respecté les normes environnementales et qui stipule les conditions à remplir. Au lieu de cela, les certificats ont été émis par le DENR sans que les bonnes procédures aient été observées et sans aucun rapport technique d’Agumil et de PPMOVI attestant du respect des normes environnementales. Plus important encore, Aldaw a fait savoir qu’Agumil et PPMOVI n’avaient jamais reçu de la part du DENR « une autorisation pour couper les arbres ». Par conséquent, ils ont violé le Code Forestier révisé P.D. 705 de 1987 et la législation environnementale en vigueur.

Aldaw s’est appuyé sur certaines données concrètes pour remettre en cause l’affirmation d’Agumil selon laquelle le développement du palmier à huile contribue à éradiquer la pauvreté. Les terres de la commune de Sofriono Española sont celles qui ont le plus de plantations de palmiers à huile (plus de 45 %), et la plus grosse partie de sa production est destinée à l’usine de l’huile de palme. Et pourtant, il s’agit d’une commune de 4e classe. D’après les données d’une recherche de 2008 par le Système de Surveillance Communautaire (CBMS), Español a le plus faible Indice de Développement Humain de Palawan. C’est aussi l’une des 100 communes les plus pauvres du pays. Un compte rendu de Social Watch de 2007 cite un taux de pauvreté de 58 % à Española pour l’année 2006. Selon le responsable de l’action nutritionnelle de la province, Sofronio Española a aussi l’un des plus grands taux de malnutrition (22,98 %).

Au cours de la réunion, le Cabinet des Ressources Environnementales et Naturelles de Province (PENRO) a officiellement pris position contre Agumil. Leonard Caluya, du PENRO, a dit aux représentants d’Agumil : « Nous allons calculer les dommages provoqués par votre entreprise sur la forêt et cela va faire partie du procès en justice contre vous. Vous connaissez notre politique et ses limitations. Nous [du DENR] ne vous avons jamais donné l’autorisation de couper des arbres ». Il a par ailleurs rappelé à l’entreprise qu’il existe un moratoire national sur la coupe d’arbres dans la forêt résiduelle et dans les zones ligneuses, et que son cabinet (PENRO/DENR) « va continuer à remplir son mandat avec le soutien des ONG partenaires ». Caluya pense que le DENR va certainement demander à Agumil d’éliminer les plantations illégales de palmiers à huile en zone forestière et de les remplacer par des espèces d’arbres originaires du pays.

Grâce à la pression continue de l’Aldaw sur les autorités du gouvernement de province, différentes agence se mobilisent déjà pour réaliser leurs propres évaluations de terrain sur l’impact du développement du palmier à huile.

À la fin de la réunion, les représentants des autochtones et des ONG ont fait des déclarations intenses et firmes. Datu Sangkula, du programme Non-Timber Forest Exchange, a montré du doigt Agumil et prévenu que « la main longue de la loi va les atteindre administrativement et judiciairement ». Il a aussi ajouté que « les violations de la loi sur les Droits des Peuples Indigènes sont passibles de condamnation pénale, et que l’entreprise sera poursuivie en justice pour cela »

Les représentants des ONG et des peuples indigènes ont confirmé l’exigence d’un moratoire sur l’expansion des plantations de palmiers à huile, au moins jusqu’à ce qu’il y ait des données scientifiques fiables sur les bénéfices réels de telles plantations face aux coûts involontaires de l’augmentation du dioxyde de carbone (à partir des zones déboisées), de la perte de l’accès traditionnel à la terre et aux ressources, de la réduction de la productivité de la terre, de la perte des moyens de subsistance traditionnels, etc.

Enfin, Aldaw a fortement insisté sur le besoin urgent de revoir sérieusement la situation des plantations de palmiers à huile déjà existantes, de faire des propositions pour évaluer leur situation écologique actuelle ainsi que la superposition entre ces zones et celles qui sont encore conservées et gérées par les peuples indigènes, et de revoir les catégories de terre du Réseau Environnemental Zone Critique (ECAN) dans le cadre de la loi SEP. Sans cette révision, la durabilité environnementale et écologique de la province, sa productivité agricole et la sécurité alimentaire des personnes risquent d’être sérieusement compromises.

Ancestral Lan/Domain Watch (Aldaw), Courriel : aldaw.indigenousnetwork@gamil.com,http://facebook.com/Aldaw.network.palawan.indigenous.advocay