Biomasse et Bioénergie

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La biomasse est la source d’énergie la plus ancienne que les humains aient utilisée. Elle abonde dans presque toute la planète et, à l’heure actuelle, plus de deux milliards de personnes en dépendent pour la cuisine, le chauffage et l’éclairage, surtout dans les pays du Sud. L’énergie produite par la combustion de la biomasse s’appelle bioénergie.

Traditionnellement, la bioénergie a été obtenue surtout à partir de biomasse solide, comme le bois mais, grâce au développement technologique, on l’obtient aussi des copeaux (chips) et des granulés (pellets) de bois, de liquides comme l’éthanol (que l’on obtient de la canne à sucre, du maïs ou du blé) et le biodiesel (fait avec des plantes oléagineuses comme le palmier à huile, le jatropha, le tournesol ou le soja), et de gaz comme le biogaz.

À partir de la révolution industrielle, les combustibles fossiles – pétrole, charbon minéral et gaz naturel – sont devenus la principale source d’énergie dans les pays du Nord, puis dans l’économie mondialisée.

Cependant, ces dernières années des craintes sont apparues quant à la continuité d’un accès facile au pétrole. D’autre part, la forte consommation d’énergie d’origine fossile est la cause principale du réchauffement planétaire et du changement climatique qui en découle, qui est en rapport direct avec la libération dans la biosphère de nouveaux volumes de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre, due aux systèmes actuels de production et de consommation.

Les gouvernements et les entreprises des principales économies du monde se sont associés, censément pour faire face au changement climatique ; dans ce but, ils proposent des énergies alternatives qui, d’après eux, réduisent les émissions de dioxyde de carbone.

Énergie renouvelable vs énergie fossile

Qu’est-ce que l’énergie renouvelable ?

Le Conseil mondial de l’énergie la définit comme celle qui est « disponible à partir de processus permanents et naturels de transformation de l’énergie, économiquement exploitables dans les conditions actuelles ou dans un proche avenir ». Selon cette définition, l’énergie renouvelable a des formes diverses : bioénergie, énergie éolienne, énergie hydroélectrique, énergie géothermique et énergie marémotrice.

Les investissements dans des énergies renouvelables ont plus que doublé au cours des cinq dernières années. Ils ont représenté en 2011 plus de 260 000 millions de dollars, dont 187 000 millions pour la production d’électricité. Or, cette définition si large soulève de graves inquiétudes, car elle inclut des types d’énergie non durables qui produisent de fortes émissions de carbone, comme les grands barrages, les agrocarburants et la biomasse industrielle. La terre et les écosystèmes que l’on détruit pour les produire ne sont pas « renouvelables ».

Que sont les énergies fossiles ?

Les énergies fossiles sont produites à partir de sources telles que le pétrole, le charbon minéral et le gaz naturel. Ces trois éléments sont en fait de la biomasse produite et accumulée au cours de processus très lents qui ont requis des millions d’années. Ils se trouvent dans la Terre de façon très concentrée et proviennent de déchets organiques de plantes et d’animaux morts qui se sont déposés au fond des mers, des lacs et des marais. Par définition il ne s’agit pas de sources renouvelables d’énergie, parce qu’il n’est pas possible de reconstituer ces réserves à la vitesse et à l’échelle où elles sont consommées. Les combustibles fossiles que l’on brûle en un an équivalent à la matière végétale et animale concentrée pendant 400 ans.

Pour l’instant, le soutien des énergies dites renouvelables, comme la bioénergie (à base de biomasse), l’énergie éolienne ou l’énergie solaire, provient surtout des pays du Nord et dépend du financement et des politiques de l’Union européenne et des États-Unis.

Le Brésil d’abord et les États-Unis ensuite ont été les premiers pays à promouvoir l’utilisation des dénommés « biocarburants » à une échelle jamais vue auparavant, en adoptant dans les années 1970 un programme concernant l’éthanol. Au cours de la dernière décennie d’autres pays ont rejoint cette tendance, provoquant un boom sur les combustibles de ce genre.

En 2000, la production mondiale de « biocarburants » a été de 16 000 millions de litres, et en 2010 elle a atteint 100 000 millions.

Des mouvements paysans comme La Vía Campesina considèrent que les combustibles de ce type, fabriqués à partir de plantations industrielles, représentent une menace pour les populations paysannes et pour la souveraineté alimentaire. Ils ont donc décidé d’éliminer le préfixe « bio », qui signifie vie, et de les appeler agrocarburants, pour montrer qu’il s’agit d’une affaire où dominent de grandes entreprises et qui provoque une concentration de terre de plus en plus poussée, en plus d’avoir d’autres répercussions sociales et environnementales graves.

Les agrocarburants de première et de deuxième génération

De première génération :
* l'éthanol (conventionnel), obtenu de produits agricoles tels que la canne à sucre, le maïs ou le blé, par fermentation de la biomasse hydrolysée.
* le biodiesel, obtenu par transestérification d'huiles végétales (de palmier, de jatropha, de tournesol, de soja) extraites par pressage à froid.

De deuxième génération :
* l'éthanol cellulosique, obtenu de la cellulose extraite, par exemple, des arbres, de la paille ou de l'herbe, par hydrolyse aux enzymes génétiquement modifiées.
* les biocarburants synthétiques, obtenus de la cellulose extraite de la biomasse des arbres, de la paille ou de l'herbe, par transformation thermochimique (pyrolyse ou carbonisation et synthèse).

Pour le moment, les agrocarburants de deuxième génération en sont à l’étape de recherche et de développement ; ils ne sont pas commercialisés parce que leur bilan énergétique est extrêmement pauvre, c’est-à-dire que leur production consomme plus d’énergie que celle qu’ils génèrent quand on les brûle.

La bioénergie rapporte gros

Il est important de signaler que la consommation d’énergie est très inégale dans le monde et qu’elle est très mal distribuée. Aux États-Unis, chaque personne consomme onze fois plus d’énergie qu’en Afrique et, dans l’UE, cinq fois plus. Tandis que les pays du Nord disposent en excès d’énergie surtout d’origine fossile, la grande majorité des habitants des pays du Sud n’en ont pas assez pour répondre à leurs besoins élémentaires. Environ 1 300 millions de personnes qui habitent surtout dans les pays du Sud n’ont pas accès à l’électricité.

Or, plutôt que de diminuer leur consommation, les gouvernements et les grandes entreprises privées du Nord prévoient de compléter les combustibles fossiles avec d’autres sources d’énergie ; ils misent sur les énergies renouvelables et, en particulier sur la bioénergie, pour plusieurs raisons. La promotion de la bioénergie permet de stimuler des secteurs importants de l’économie, comme les secteurs forestier, agricole et énergétique. Elle encourage, par exemple, les plantations pour l’obtention de matière première, ou la création de l’infrastructure et de la technologie nécessaires pour récolter, transporter et stocker la biomasse et la transformer en bioénergie.

En outre, elle favorise la création de nouvelles alliances puissantes, par exemple entre les agro-industries et les entreprises biotechnologiques, car il est possible, par des processus chimiques et biotechnologiques, transformer la biomasse en produits industriels comme les bioplastiques ou les biofertilisants. De même, les entreprises énergétiques et les entreprises forestières ont intérêt à s’associer pour obtenir de la bioénergie à partir du bois, et les agro-industries et les raffineries d’huile en font de même pour produire des agrocarburants.

Mais, surtout, la promotion de la bioénergie pousse les grandes entreprises à accélérer et à étendre leur accaparement de terres et de ressources, afin d’obtenir de nouvelles matières premières comme l’éthanol de canne à sucre ou les pellets de bois.

D’autre part, la bioénergie est un des piliers de « l’économie verte » ou « bio-économie », que le grand capital présente comme la promesse d’un monde durable mais qui n’est qu’une nouvelle stratégie pour continuer de s’enrichir au prix de la destruction de la nature.

La création d’un marché mondial de la bioénergie est sans doute très attrayante pour les investisseurs et les transnationales qui y voient de bonnes possibilités d’affaires en ce moment de crise économique et financière mondiale, surtout dans les pays du Nord, mais, comme on verra plus loin, il ne s’agit pas d’une solution véritable de la crise énergétique ni de la crise climatique.

La génération d’énergie à partir de biomasse de bois

La plupart de la biomasse utilisée pour la génération de chaleur et d’électricité est du bois ; viennent ensuite les déchets agricoles (par exemple, les déchets de palmier à huile et de canne à sucre, et la paille) et, à un degré bien moindre, les « repousses de cycle court », c’est-à dire des plantations à croissance rapide, comme celles de saules ou de miscanthus. Certains pays appellent même « biomasse » les ordures que l’on brûle.

Au début, l’énergie de biomasse de bois a été présentée comme une manière de mettre à profit les déchets de bois, par exemple la sciure. Une partie de ce bois provient des forêts, et surtout des « forêts secondaires » (celles qui ont subi d’importantes modifications), par exemple en Europe, mais, de plus en plus, on utilise des arbres entiers et des plantations d’arbres en régime de monoculture sont faites à cette fin.

La biomasse de bois est devenue un nouveau marché pour de nouveaux types de produits industriels, comme les chips et les pellets, qui sont utilisés pour générer aussi bien de l’électricité que de la chaleur pour l’industrie et pour les foyers.

L’augmentation de l’utilisation du bois pour la production de bioénergie se voit dans la fabrication mondiale de pellets : entre 2006 et 2011, elle est passée de 6-7 à 14,3 millions de tonnes (mt). La capacité de production installée la plus forte est en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) ; viennent ensuite l’Allemagne, la Russie et la Suède. Le sud des États-Unis est à l’heure actuelle le plus grand producteur mondial de pellets. Aujourd’hui, les principaux consommateurs sont la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark.

L’encouragement au moyen de subsides, d’arguments trompeurs et de la création de besoins

Comme nous l’avons dit, l’encouragement de l’utilisation de bioénergie est en train de se faire au moyen de subsides et, dans certains cas, en fixant des objectifs obligatoires, comme il arrive en Europe et en Amérique du Nord. Les États membres de l’Union européenne subventionnent les énergies renouvelables pour qu’elles atteignent 20 % en 2020 ; les Pays-Bas ont annoncé des normes concernant la co-combustion ; les États-Unis accordent des incitations fiscales et 30 États du pays ont inclus la biomasse dans les Renewable Portfolio Standards (ensemble de normes concernant les énergies renouvelables).

Aussi bien les objectifs que les subsides de l’UE concernant l’énergie « verte » donnent un coup d’épaule décisif à la grande industrie agricole et forestière et à la génération de bioénergie, car ils augmentent la fiabilité et la stabilité du marché. Et le soutien ne manque pas : la production de biomasse et de biocarburants reçoit en moyenne 75 % des subsides accordés aux énergies renouvelables, et les 25 % restants se répartissent entre les autres énergies renouvelables. Cela provoque un déséquilibre : deux tiers de l’énergie dite « renouvelable » de l’UE proviennent de la biomasse et un tiers seulement des autres sources (solaire, éolienne, hydraulique, etc.).

Le gouvernement britannique a prévu des subsides généreux pour le secteur de l’électricité à base de biomasse. Ces mesures sont le principal moteur de l’investissement dans le secteur. Pour réaliser les projets ambitieux annoncés par l’industrie, il faudra prévoir des subsides pour au moins 43 000 millions de livres par an.

La bioénergie de biomasse de bois est présentée par les entreprises et les gouvernements qui encouragent son utilisation comme une manière de mettre à profit les déchets de bois et des déchets forestiers ; parmi ses avantages, ils mentionnent que l’émission de CO2 et de méthane qui résulte de la décomposition de la biomasse serait évitée, ainsi que les incendies de forêt. Or, cet argument est faux, car le fait d’enlever les déchets forestiers perturbe le cycle des nutriments du sol, en épuise le carbone, provoque l’érosion et la compaction qui empêche le sol de retenir l’eau, limite la capacité de régénération de la forêt et détruit la diversité biologique. En outre, les méthodes de coupe et d’extraction sont de plus en plus agressives ; elles éliminent l’arbre complètement, les souches comprises, aussi bien dans les plantations forestières que dans les forêts.

D’autre part, les déchets de bois ne sont plus suffisants pour répondre à la demande de bioénergie et on commence à utiliser à cette fin de plus en plus d’arbres entiers, au bois de bonne qualité, ce qui augmente la pression sur les forêts et encourage le développement des plantations industrielles d’arbres.

Un autre argument utilisé pour promouvoir l’utilisation de bois est que, les arbres n’étant pas des produits alimentaires, le dilemme « remplir l’assiette ou le réservoir de carburant » ne se poserait pas. En fait, les plantations d’eucalyptus ou de jatropha déplacent la production de vivres, tout comme les plantations de blé ou de maïs pour la production d’éthanol.

La définition des plantations industrielles d’arbres que donne l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) contribue, elle aussi, à l’expansion des plantations d’arbres en général, dans la mesure où elle les considère comme des « forêts ».

Les plantations industrielles d'arbres ne sont pas des forêts

En gros, la FAO considère comme une forêt n'importe quelle surface contenant une quantité déterminée d'arbres. Cette conception a beaucoup à voir avec les rapports étroits de cet organisme avec l'industrie du bois, en particulier avec l'industrie de production de pâte et de papier.

Cette légitimation des plantations industrielles aide les entreprises à convaincre les autorités et le public non seulement qu'elles ne portent pas atteinte à l'environnement mais qu'elles sont aussi bénéfiques que les forêts. En plus, le fait de planter des « forêts » est certainement très utile pour attirer des investisseurs intéressés dans des projets de bioénergie.

Les rapports de consultants et d’institutions qui font état de l’existence d’une « nécessité » ou d’une « demande » déterminées stimulent eux aussi la production de bioénergie de bois. Par exemple, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), financée par les gouvernements des économies les plus consommatrices d’énergie et très influencées par les entreprises énergétiques, signale dans sa « feuille de route » qu’il faudra produire de l’énergie de biomasse jusqu’à atteindre 7,5 % de la demande mondiale d’électricité en 2050. L’AIE suggère qu’en 2050 il faudra entre 5 et 7 milliards de tonnes de biomasse sèche (bois) pour produire de l’électricité, et entre 3 et 4 milliards de tonnes supplémentaires pour produire des biocarburants. D’après l’agence, les recherches indiquent que, pour atteindre ces objectifs, en plus des déchets de bois et des déchets forestiers il faudra faire à cette fin « des cultures énergétiques ». Il s’agit surtout de plantations d’arbres, mais on encourage aussi l’utilisation d’espèces d’herbes envahissantes comme le panic érigé (Panicum virgatum) et le miscanthus.

Ces études sont utilisées par l’industrie pour faire pression sur les gouvernements, afin d’obtenir des incitations et des subsides qu’elle considère comme nécessaires pour atteindre les objectifs fixés. Bien entendu, les subsides poussent les entreprises concernées à développer leurs (nouvelles) affaires, mais ils fonctionnent aussi comme condition nécessaire à l’investissement.

La politique agricole commune et l’aide aux « cultures énergétiques »

L’adoption de la Politique agricole commune (PAC) des pays européens mit fin à l’agriculture traditionnelle en Europe. En ce moment, l’un des objectifs les plus ambitieux de l’Union européenne en matière d’énergies renouvelables est le développement des cultures énergétiques en tant qu’alternative à l’abandon de l’agriculture vivrière. La PAC encourage l’afforestation, la conversion de terres agricoles en plantations et la transformation et la commercialisation de produits forestiers. Elle prévoit aussi la possibilité de subventions à l’afforestation de terres agricoles et la compensation des pertes.

En 2005, la production de biomasse à des fins énergétiques avait occupé 3,6 millions d’hectares de sol agricole dans l’UE. D’après les projections, en 2030 il y aurait 19 millions d’hectares de terres agricoles affectés exclusivement à la production bioénergétique, ce qui aura des répercussions sur la biodiversité mais aussi sur la production d’aliments et sur la souveraineté alimentaire en général, puisque les importations d’aliments et de matières premières devront augmenter.

Un crabe sous le rocher : les plantations industrielles

L’élargissement des plantations agricoles pour la production d’agrocarburants a été fortement critiqué en raison de ses effets négatifs sur l’environnement et la société. Les critiques proviennent non seulement des mouvements écologistes et sociaux qui dénoncent ses répercussions sur la souveraineté alimentaire de pays et de continents, mais même d’autorités telles que l’ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, celui-ci ayant déclaré en 2007 que l’abandon des cultures alimentaires au profit des agrocarburants était « un crime contre l’humanité ».

La monoculture du palmier à huile, utilisé pour produire du biodiesel, a été durement critiquée en tant que cause directe de la déforestation, surtout en Indonésie et en Malaisie, les principaux pays producteurs. Ces critiques ont porté la Commission européenne à publier, en octobre 2012, une proposition pour limiter la conversion de terres en cultures destinées à la production d’agrocarburants. Connie Hedegaard, membre de la Commission pour l’action sur le climat, a déclaré : « Pour que les biocarburants contribuent à la lutte contre les changements climatiques, nous devons utiliser des biocarburants vraiment durables. Nous devons investir dans des biocarburants qui permettent une réelle réduction des émissions et qui n’entrent pas en concurrence avec la production alimentaire ».

Pourtant, la proposition ne limite pas réellement l’expansion des cultures pour biocarburants : même si on obtient des biocarburants « vraiment durables », ils auront toujours besoin de terres fertiles et d’eau, à une échelle telle qu’ils auront des répercussions sur la souveraineté alimentaire.

A cours des 30 ou 40 dernières années, les plantations industrielles d’arbres se sont multipliées dans les pays du Sud, tout simplement parce que les entreprises, et surtout celles qui produisent de la pâte à papier, y trouvent des terres et de la main-d’œuvre bon marché, des normes environnementales moins rigides et une productivité à l’hectare souvent élevée. Des pays comme le Brésil, le Chili, l’Uruguay et l’Indonésie peuvent produire 20-44 m3/ha/an de bois dur d’eucalyptus, contre les 4-6 m3/ha/an que produisent les plantations des pays du Nord qui industrialisent le bois, comme la Suède et la Finlande. Cependant, pour les communautés locales les plantations industrielles d’arbres de n’importe quel type, ainsi que d’autres cultures à grande échelle, entraînent généralement des pertes incalculables et des conflits violents.

Les plantations d’arbres provoquent le déplacement des populations locales de leurs territoires, souvent de façon violente, ou l’occupation partielle ou totale des terres que les communautés traditionnelles utilisent pour survivre.

La perte du territoire et son occupation par des plantations industrielles d’arbres ont de nombreuses répercussions qui, à leur tour, ont des conséquences négatives pour la vie et les moyens d’existence de la population. La substitution des écosystèmes de la zone entraîne la diminution de la biodiversité, le manque de terre pour l’agriculture, des difficultés pour obtenir de l’eau, la pollution des ressources hydriques, la destruction de sites sacrés, la perte des connaissances traditionnelles. Les promoteurs des plantations d’arbres ont beau affirmer qu’elles se font sur des « terres dégradées » : ces terres finissent par se trouver dans les zones où les communautés pratiquent l’agriculture, ou par être des champs laissés en jachère. Même des étendues de forêt qui ont été dégradées par l’exploitation forestière industrielle sont maintenant des zones que les communautés ont restaurées et où la forêt secondaire réhabilitée leur offre de nombreux bénéfices, sous la forme de médicaments, de protéines, de fruits, de lieux de retraite spirituelle, etc. En même temps, les promesses de création d’emplois et d’amélioration du niveau de vie de la population ne se matérialisent jamais.

D’autre part, les plantations énergétiques sont une source de conflits et de problèmes additionnels en raison de l’accaparement de terres qu’elles comportent et qui met en danger l’utilisation et le contrôle du territoire par des populations locales d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie. À ce propos, un rapport du parlement de l’Union européenne publié en 2012 disait : « La demande croissante d’énergie de biomasse de bois fera probablement monter le prix mondial du bois, ce qui augmentera les pressions sur les forêts et sur d’autres écosystèmes et déclenchera des conflits concernant l’utilisation des sols. D’autres risques plus spécifiques sont la déforestation, lorsque les forêts naturelles sont remplacées par des plantations en régime de monoculture, et les impacts à long terme sur la sécurité alimentaire et énergétique locale ».

Au Brésil, la plantation d’arbres spécifiquement destinés à la production de pellets et de chips de bois, avec des cycles de rotation de 2-3 ans et plantés de façon plus dense, en est encore à l’étape initiale ; il est donc difficile d’évaluer les effets particuliers des plantations de ce type par rapport à ceux des plantations d’eucalyptus « conventionnelles », aux cycles de rotation de 6-7 ans. Néanmoins, il faut s’attendre à ce que les cycles plus courts feront augmenter la consommation des nutriments du sol et des ressources hydriques disponibles. De même, on peut supposer que les cycles de rotation plus courts (2-3 ans) feront augmenter l’utilisation de produits toxiques pour éviter la concurrence d’autres végétaux, et que les problèmes qui en découlent augmenteront également.

L’utilisation d’arbres génétiquement modifiés

Un autre aspect préoccupant de ce nouveau type de plantations est l’utilisation d’arbres génétiquement modifiés. L’entreprise FuturaGene vient d’annoncer qu’elle a déjà modifié des eucalyptus pour qu’ils croissent 40 % plus vite (5 mètres par an), et pour qu’ils aient 20-30 % de plus de biomasse que les autres. FuturaGene a fait des plantations expérimentales au Brésil, en Chine et en Israël, et l’obtention de l’autorisation pour faire des plantations commerciales au Brésil en est aux dernières étapes.

La manipulation génétique est utilisée aussi pour obtenir des arbres résistants au produit toxique le plus fréquemment appliqué aux plantations d’eucalyptus : le glyphosate.

Des plantations d’arbres dans le sud pour la production de bioénergie

À l’heure actuelle, les plantations industrielles d’arbres occupent environ 60 millions d’hectares dans les pays du Sud. En Asie, en Afrique et en Amérique latine des plans et des projets pour la création de plantations de ce genre, axées sur la production de bioénergie pour l’exportation, commencent à voir le jour en réponse à la demande croissante du Nord.

Les projections concernant la demande de biomasse pour la production de bioénergie indiquent qu’elle montera en flèche en raison des objectifs fixés et des appuis accordés, de sorte que l’UE devra importer la matière première nécessaire pour y répondre. L’ANFTA (Asociación Nacional de Fabricantes de Tableros) a calculé en 2010 que, pour atteindre en 2020 les objectifs des différents États membres en matière de biomasse, il faudra brûler chaque année 700 millions de mètres cubes de bois. Or, l’Europe ne disposerait que de 800 millions de mètres cubes de bois (forestier et recyclé) par an, dont la plupart (500 millions de mètres cubes) sont déjà affectés à d’autres usages, comme la construction, la fabrication de meubles ou la production de pâte à papier. Le total serait donc de 1 200 millions de mètres cubes par an. Selon d’autres estimations, qui coïncident avec celles de la FAO, en 2020 l’Union européenne manquera de 400 millions de mètres cubes de bois.

Une autre analyse des données et des tendances faite par FERN et rédigée par James Hewitt en 2011 conclut que, d’ici 2020, il y aura dans l’Union européenne une augmentation de la consommation de biomasse de bois de 100 à 200 millions de mètres cubes, et que la plupart des États membres n’ont pas la possibilité de répondre à cette augmentation avec leurs propres ressources. Cependant, ces chiffres pourraient être gravement sous-estimés, vu la tendance actuelle à transformer les centrales électriques au charbon pour qu’elles fonctionnent à la biomasse, et l’adoption de la cogénération par de nombreuses compagnies énergétiques.

La demande de pellets de l’UE dépasse considérablement l’offre intérieure depuis 2008 ; en 2011, plus de trois millions de tonnes ont été importées. Les analyses prévoient que les pellets seront utilisés surtout pour la cogénération d’électricité dans de grandes centrales, et aussi dans les foyers.

Dans la même étude on prévoit que, d’ici 2020, la monoculture d’arbres à croissance rapide se développera considérablement dans le Sud pour l’exportation vers l’Union européenne. Suivant l’un des scénarios prévus, le Sud pourrait produire près de 15 millions de tonnes de pellets, surtout au Brésil, en Uruguay, au Mozambique et en Afrique occidentale. Cette production pourrait être en fait beaucoup plus élevée, si l’on tient compte des annonces récemment faites par des entreprises énergétiques européennes sur leurs projets d’utilisation de pellets de bois. Pour produire quinze millions de tonnes de pellets il faudrait une superficie de plantations d’au moins 450 000 hectares d’arbres à rotation courte (2-3 ans), comme l’eucalyptus au Brésil où le rendement est plus élevé que dans d’autres pays.

Asie

Au Cambodge, en 2008, le géant sud-coréen de l’électricité Kenertec a reçu du Conseil pour le développement du Cambodge 60 000 hectares de terre en concession, c’est-à-dire une superficie six fois plus grande que celle autorisée par la législation cambodgienne. L’entreprise a l’intention de construire un complexe pour le traitement de bois d’hévéa, de jatropha et de manioc. Le WRM a été informé par des personnes du pays que la concession accordée à Kenertec pour son projet de biomasse se situe dans les forêts de Prey Long, une des dernières forêts contiguës aux terres indigènes. Cette région est habitée par près de 350 000 personnes, dont la plupart sont des descendants du peuple indigène Kuy.

Aux Philippines, dans les alentours de la ville de Butuan, l’entreprise japonaise EJ Business Partners Co. Ltd. est en train de développer un projet de plantation d’arbres pour la génération d’énergie dans une centrale électrique de 10 MW. Elle aspire à commencer à fonctionner en 2017.

L’Indonésie a plusieurs projets de plantations d’arbres, qui s’ajoutent aux territoires déjà occupés par des plantations pour la production d’énergie. En 2009, 200 000 hectares situés dans la région de Kalimantan Central ont été cédés en concession pour l’établissement de plantations produisant du bois énergie pendant une période de 99 ans. Sur ce total, 180 000 hectares seraient cédés au secteur privé. D’après les renseignements obtenus de sources locales, cette étendue a été accordée à l’entreprise coréenne Korindo, qui a fait des plantations industrielles d’arbres à Kotawaringin Barat et à Lamandau, au Kalimantan central, pour approvisionner son usine de pâte à papier située à Kerawant (Java occidental).

En 2011, il a été annoncé que deux entreprises sud-coréennes prévoyaient de « développer l’industrie des pellets de bois au Sulawesi occidental afin de produire de l’énergie à base de biomasse. Le ministère des Forêts a autorisé les entreprises PT Bara Indoco et PT Bio Energy Indoco à « ouvrir » une surface de forêt de 200 000 hectares dans l’État de Sulawesi pour appuyer le développement de l’industrie des pellets de bois.

La PT Solar Park Energy, une autre entreprise sud-coréenne, a fait des investissements similaires à Wonosobo (Java centrale) ; en association avec l’entreprise publique Perhutani, elle a installé une fabrique de pellets d’une capacité de production de 200 000 tonnes par an.

Finalement, dans la région de Papouasie occidentale, deux projets de plantations de bois énergie sont en cours. Le premier est celui de l’entreprise britannique Carbon Positive, qui est en train de planter 160 000 hectares. Le deuxième est celui de l’entreprise indonésienne Medco qui, avec des investissements de l’entreprise coréenne LG International, prétend établir rien moins qu’un million d’hectares de plantations d’arbres à bois pour pellets.

Amérique du sud

En Amérique du Sud, le Brésil semble être un des pays qui offriront le plus de bois pour la production d’énergie dans le Nord. Ce pays possède, depuis les années 1970, plus d’un million d’hectares de plantations d’eucalyptus concentrés dans l’État de Minas Gerais et utilisés pour la génération d’énergie. Une fois coupé, l’eucalyptus est transformé en charbon végétal ; celui-ci alimente près de 200 usines sidérurgiques.

En ce moment on trouve déjà au Brésil des plantations spécialement conçues pour répondre à la demande croissante d’énergie de l’Europe. En 2005, on a commencé à faire des essais avec des eucalyptus plantés à plus forte densité pour en vérifier le rendement en biomasse à l’hectare. En 2007, dans l’État de São Paulo, un projet pilote de plantations à plus forte densité a été mis en œuvre pour approvisionner en énergie une usine de production d’alcool. En 2009, dans l’État de Tocantins, l’entreprise GMR Florestal a mis en place sa première plantation pilote d’eucalyptus clonés, pour produire 33 MW d’électricité. Aujourd’hui, la même entreprise prévoit d’élargir jusqu’à 350 000 hectares ses plantations dans la région. En 2009 également, mais dans l’État de São Paulo, le Groupe Bertim a fait lui aussi des expériences pilotes avec des plantations d’eucalyptus clonés.

Des techniciens uruguayens, chiliens, mexicains, nicaraguayens et guatémaltèques ont visité la région, ce qui montre que les industries forestières de ces pays sont intéressées à développer des cultures de ce genre.

Une des dernières nouvelles est que Suzano Papel e Celulose prévoit de faire de grandes plantations d’eucalyptus pour produire de la biomasse de bois dans le Nord-est du Brésil. Suzano est le deuxième producteur de pâte à papier du monde et possède cinq usines au Brésil. À l’heure actuelle, elle contrôle 722 000 hectares avec 324 000 hectares de plantations d’eucalyptus dans les États de Bahía, São Paulo, Espírito Santo, Minas Gerais, Tocantins et Maranhão.

En 2010, le Groupe Suzano a créé l’entreprise Suzano Energia Renovável. L’investissement prévu s’élève à 1 300 millions de dollars et le projet inclut cinq unités de production de pellets de bois d’une capacité totale de cinq millions de tonnes par an. La première étape consiste à acheter des terres et à construire trois unités de production de pellets d’un million de tonnes chacune, qui commenceraient à fonctionner en 2013. L’entreprise espère obtenir 500 000 millions de dollars de recettes nettes en 2014, et elle a déjà passé des contrats de vente pour 2,7 millions de tonnes. En août 2010, Suzano et l’entreprise britannique MGT Power Ltd. ont signé une lettre d’intention dans ce sens.

En 2009, des plantations d’essai d’eucalyptus et d’acacias ont été faites au Piauí et au Maranhão. Le directeur de l’entreprise, André Dorf, a déclaré en 2010 : « Nous avons déjà fait la prospection des terres et le processus d’acquisition se poursuivra cette année » ; il a affirmé aussi que le Nord-est « [...] bénéficie de notre préférence à cause de la proximité de ports importants qui facilitent le transport de la production, puisque notre objectif est d’approvisionner le continent européen ». Aux dernières nouvelles, Suzano aurait choisi la région de Baixo Parnaíba, au Maranhão, pour faire ses plantations et installer les unités de production de pellets. Selon André Dorf, il faut près de 30 000 hectares pour produire un million de tonnes de pellets de bois. Du moment que Suzano entend produire cinq millions de tonnes par an, elle aura besoin de 150 000 hectares.

L’acquisition de terres pour la plantation d’eucalyptus provoque déjà des problèmes dans le Nord-est du Brésil. Les communautés quilombolas, par exemple, continuent à lutter pour la reconnaissance de leurs droits sur leurs territoires traditionnels. Inaldo Serejo, coordinateur de la Commission pastorale de la terre (CPT) de Maranhão, affirme dans une interview : « on assiste à une expansion [des plantations] au Maranhão ; par exemple, des entreprises comme Suzano Papel e Celulose ont acheté des étendues immenses, occupées aujourd’hui par des communautés traditionnelles, pour planter des eucalyptus ». On peut donc supposer que les problèmes augmenteront avec l’expansion des nouvelles plantations pour la production de biomasse.

L’Uruguay et l’Argentine, où les effets des plantations industrielles d’arbres se sont déjà fait sentir également, semblent être aussi des fournisseurs potentiels de bois pour la production d’énergie, ce qui implique que les plantations s’y développeront encore davantage.

Au Guyana, l’entreprise Clenergen des États-Unis, qui aspire à être le premier producteur et distributeur mondial de matière première de biomasse pour la production d’électricité, aurait loué 2 000 hectares pour des plantations de bois énergie qu’elle exporterait aux États-Unis et au Royaume-Uni, et elle aurait l’option de louer 58 000 hectares supplémentaires. Elle a aussi des projets à Madagascar, en Tanzanie et au Mozambique, pour exporter des copeaux en Afrique du Sud et en Inde, et d’autres encore aux Philippines et au Ghana.

Afrique

En Afrique, plusieurs entreprises ont investi il y a quelques années dans des plantations d’arbres pour la production d’énergie. Green Resources est une compagnie privée norvégienne qui, depuis 1995, a des activités au Mozambique, en Tanzanie, en Ouganda et au Soudan du Sud. Sur les 300 000 hectares qu’elle possède dans les pays mentionnés, 22 000 hectares sont déjà plantés. Sa stratégie consiste à produire du bois pour les usages traditionnels mais aussi pour le nouveau secteur de la bioénergie. Au Mozambique et en Tanzanie elle prévoit de créer deux plantations à grande échelle.

Au Mozambique, les plantations d’arbres à bois ont déjà provoqué de nombreux conflits. Une des zones où elles se sont le plus étendues et où les conflits ont été les plus graves est la province de Nyassa, la plus grande du pays, qui dispose de terres plates et fertiles. Les entreprises qui font de grandes plantations industrielles de pins et d’eucalyptus ont commencé à s’installer au Nyassa en 2005. Il s’agit d’une région relativement peu peuplée (un million de personnes), mais 70-80 % de sa population vivent à la campagne. Déjà en 2007, lorsque les entreprises ont commencé à planter des arbres, la principale organisation paysanne du Mozambique, l’Union nationale de paysans (UNAC) a commencé mettre en question le fait que les entreprises plantent des eucalyptus sur des terres qui appartiennent à des communautés paysannes, réduisant ainsi l’accès des familles paysannes aux terres cultivables et mettant en danger la sécurité et la souveraineté alimentaires des familles et de la région.

En Tanzanie, l’entreprise Green Resources a des plantations d’arbres dans trois zones de la région montagneuse du sud. Au total, elle a reçu en concession plus de 100 000 hectares. Des conflits ont déjà éclaté avec les communautés locales, comme en témoigne un rapport produit par Timberwatch en février 2011.

En République du Congo, entre 1991 et 2001, Shell Renewables, une division de Shell Oil International, avait fait dans le pays une plantation d’eucalyptus clonés à croissance rapide afin de disposer d’une source de biomasse de grande productivité pour la génération future d’énergie. Plus tard, Shell a vendu ses plantations. MagForestry, division forestière de MagIndustries, une entreprise canadienne qui participe à des projets industriels et énergétiques en Afrique centrale (surtout en République du Congo et en République démocratique du Congo) a pris le contrôle de l’ancienne plantation d’eucalyptus de Shell en achetant la totalité des actions d’Eucalyptus Fibre Congo S.A. (EFC), l’entreprise propriétaire de la plantation industrielle.

Le gouvernement a accordé la concession à MagForestry jusqu’à l’an 2075. À l’heure actuelle, près de 70 % de la superficie sont plantés d’eucalyptus clonés à croissance rapide. L’entreprise a commencé à reboiser les 20 000 hectares qui ne sont pas encore plantés.

En 2006, MagForestry a entrepris la construction d’une usine de copeaux de bois dans la ville portuaire de Pointe-Noire. La biomasse produite est vendue sur les marchés européen et nord-africain, transportée à travers l’Atlantique. L’usine, qui a représenté un investissement de 36,7 millions de dollars, est en fonctionnement depuis 2008. Sa capacité de production actuelle est de 500 000 tonnes par an, mais elle devrait atteindre 1,5 million de tonnes en 2018.

Pourtant, ces plans sont à présent en suspens. En 2011, la concession forestière a commencé à être envahie et les arbres abattus. Sur les auteurs et leurs motivations il existe plusieurs versions. Un article parle de « la dévastation du massif forestier par les populations ». À ce moment-là, 7 750 hectares de la plantation avaient déjà été coupés et la perte économique était de 22 000 millions de FCFA (quelque 42 millions de dollars). L’abattage a continué en 2012 ; un autre article de presse signale que « plusieurs propriétaires terriens se partagent la plus grosse part de cette affaire, avec l’appui de réseaux impliquant des militaires, des policiers, des magistrats et des hauts fonctionnaires ».

Le Liberia est un des pays les plus pauvres du monde. Les plantations industrielles d’hévéas (Hevea brasiliensis) s’y étendent sur près de 260 000 hectares. La multinationale Bridgestone-Firestone (Japon-États-Unis) gère dans ce pays la plus grande plantation d’hévéas du monde. Des ONG locales, comme SAMFU, et des rapports de l’ONU font état de conditions de travail et de circonstances sociales catastrophiques dans les plantations, et surtout dans celles de Bridgestone-Firestone. Des abus, le travail des enfants, la violence et le non-respect généralisé des lois y ont été dénoncés.

L’entreprise Buchanan Renewables Fuel (BR), qui appartient à une société d’investissement suisse, Pamoja Capital, produit des chips de bois d’hévéa et les exporte en Europe. Elle a commencé à produire des chips à partir de l’abattage qu’elle réalisait dans les propriétés des paysans. Beaucoup d’entre eux avaient planté des hévéas pour marquer les limites de leur terre, une pratique courante dans ce pays où les droits territoriaux des communautés rurales ne sont pas encore entièrement reconnus.

L’abattage de ces arbres a provoqué de nombreux problèmes et le mécontentement de la population. L’affaire était basée sur des accords verbaux peu clairs ; les critères quant aux espèces et aux volumes de bois extraits étaient arbitraires, des cultures voisines étaient détruites et le paiement n’était pas toujours effectué. Buchanan Renewables a donc entrepris l’abattage mécanisé des plantations industrielles d’hévéas de Bridgestone-Firestone, près de Kakata.

Buchanan Renewables s’était engagée à mettre en place une entreprise destinée à approvisionner le Liberia en énergie avant d’exporter les chips, mais ce projet n’a pas encore été mis en œuvre.

Au Liberia, les sources d’énergie des habitants sont le bois et le charbon végétal. D’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 99 % des habitants utilisent du bois pour cuisiner. Les forêts tropicales, les mangroves et les vieux hévéas en sont la principale source. L’approvisionnement dépend surtout de milliers de bûcherons informels et de petits commerçants.

Le ministère de l’Énergie du Liberia écrivait en 2007, dans son Plan d’action sur les énergies renouvelables, que « la pénurie de bois de feu est en train de devenir un problème grave dans la plupart du pays, et surtout dans le comté de Montserrado, autour de la capitale, Monrovia ». Néanmoins, depuis 2009 Buchanan Renewables exporte des copeaux de bois d’hévéa en Europe, tandis que le peuple libérien manque toujours d’électricité et a du mal à produire de l’énergie.

Au Ghana, il a été annoncé que l’entreprise nord-américaine Clenergen – la même qu’on trouve au Guyana – a reçu une concession de 5 000 hectares pour une période de 49 ans. Elle entend faire des plantations de bambous qui seront ensuite transformés en copeaux et utilisés pour la production d’énergie.

Au Ghana également, l’entreprise danoise Verdo Group a passé un accord avec l’entreprise britannique Africa Renewables Ltd (AfriRen) pour que celle-ci lui fournisse pendant cinq ans 826 700 tonnes de copeaux fabriqués avec du bois d’hévéa.

Une fausse solution de la crise énergétique et du changement climatique

La bioénergie, avec sa demande à grande échelle de bois, de produits agricoles et d’autres types de biomasse végétale, est en train d’avoir des effets graves et irréversibles sur la biodiversité et, en particulier, sur celle des forêts. Sous la poussée des investissements étrangers, de grandes étendues de terres des pays du Sud sont affectées à la production des matières premières nécessaires pour la produire.

Or, il est peu probable que la bioénergie réussisse à remplacer une part significative des combustibles que les pays du Nord consomment en excès, ni à approvisionner les grands marchés mondialisés. Le premier problème qui se pose est que, si la biomasse était utilisée pour remplacer les combustibles fossiles, il faudrait des étendues de terre immenses. À l’heure actuelle, le charbon, le pétrole et le gaz fournissent une énergie qui équivaut à celle de la phytomasse de plus de 1 250 millions d’hectares ; en outre, les combustibles fossiles occupent aujourd’hui à peine trois millions d’hectares (où ont lieu l’extraction, le traitement et le transport de ces combustibles, en plus de la génération et la transmission d’électricité d’origine thermique).

Hartmut Michel, directeur de l’Institut Max Planck d’Allemagne et Prix Nobel pour ses recherches sur la photosynthèse des plantes, explique la raison principale : quand il s’agit de transformer l’énergie de la radiation solaire en biomasse, les plantes sont très peu efficaces par rapport aux combustibles fossiles et surtout au pétrole. Les plantes ne captent qu’environ 0,5 % de l’énergie solaire pour former la biomasse. Et pour cultiver, récolter et transformer la biomasse il faut beaucoup d’énergie fossile, qu’il faut encore déduire de ce pourcentage.

Pour générer 1 MW d’électricité par an il faut à peu près 13 000 tonnes de bois. Au Brésil, par exemple, où le taux de productivité de bois à l’hectare dans les plantations d’eucalyptus est le plus élevé du monde (44 m3/ha/an), il faudrait disposer de 14 700 hectares. En Suède, où la productivité en bois est de 6 m3ha/an, il faudrait 108 000 hectares. Si l’on considère la consommation totale d’électricité du Royaume-Uni en 2010 (1 636 TWh), pour satisfaire cette demande avec des pellets de bois il faudrait près de 55 millions d’hectares des plantations les plus « productives », c’est-à-dire des plantations d’eucalyptus du Brésil.

Dans le rapport « Bioénergie : opportunités et limites », une vingtaine de scientifiques de renom qui ont étudié pendant presque deux ans les possibilités que les bioénergies offrent à l’Allemagne sont arrivés à des conclusions dévastatrices, et leur message est clair : les bioénergies ne peuvent ni actuellement ni dans le futur être une source durable d’énergie pour l’Allemagne ». En juillet 2012, ces scientifiques ont demandé au gouvernement allemand et à l’Union européenne de réviser leur politique bioénergétique.

Pour justifier leur conclusion, ils affirment que la bioénergie implique l’utilisation d’énormes surfaces, l’augmentation de l’émission de gaz à effet de serre, l’appauvrissement des sols et de l’eau en nutriments, et qu’elles entrent en concurrence avec la production alimentaire. D’autre part, ils montrent que l’Allemagne, pays pionnier en initiatives environnementales, passe pour écologiste aux dépens des autres, puisqu’elle importe de plus de plus de matières premières : le biodiesel de soja d’Argentine, l’éthanol de canne à sucre du Brésil, et un volume toujours plus grand de pellets de bois d’Amérique du Nord.

Pour promouvoir la bioénergie, on affirme que la combustion de la biomasse libère la même quantité de CO2 que les arbres ont fixée, c’est-à-dire que cette combustion est « neutre en carbone » ou, du moins, qu’elle libère moins de carbone. Or ce présupposé, basé sur des calculs partiels et incomplets, est faux.

Tout le cycle de production de la bioénergie demande de grandes quantités de ressources telles que l’eau, les fertilisants et les pesticides, ces derniers pour combattre les ravageurs des plantations en régime de monoculture. De même, beaucoup d’énergie d’origine fossile est utilisée pour la récolte, le transport, le stockage et la transformation industrielle de la biomasse en chips, pellets, biocarburant ou biogaz.

Pour déterminer l’incidence véritable des agrocarburants sur le climat, il faut calculer l’utilisation et les émissions de tous ces processus, ainsi que leurs effets directs et indirects, y compris le changement d’affectation des sols. Les plantations pour la production d’agrocarburants se font dans des zones boisées et dans d’autres écosystèmes comme les prairies qui, des milliers d’années durant, ont stocké du carbone. Quand on les détruit, d’énormes quantités de dioxyde de carbone retournent dans l’atmosphère.

C’est pourquoi l’économie de CO2 est infime et souvent négative. EurActive (EU news & policy debates) a eu accès au rapport d’une étude commandée par l’UE qui conclut que les agrocarburants sont loin d’être neutres en carbone et qu’ils peuvent même libérer davantage de CO2 que la combustion d’énergies fossiles. Par exemple, l’utilisation du palmier africain pour la production d’agrocarburant provoque 25 % plus d’émissions de CO2 que l’utilisation de diesel d’origine fossile, et pour produire 1 MWh à partir de la combustion de biomasse de bois on libère 50 % plus de CO2 qu’à partir de la combustion de charbon minéral.

Non à cette bioénergie, oui au changement nécessaire !

La prolifération des plantations industrielles d’arbres pour la production d’énergie dans les pays du Sud tend à faire augmenter les injustices sociales, climatiques et environnementales. L’insistance sur la bioénergie à partir de plantations industrielles à grande échelle retarde encore davantage l’adoption, absolument nécessaire, de mesures structurelles susceptibles de combattre les crises sociale, énergétique et climatique.

Aussi bien les plantations d’arbres pour l’obtention de biomasse que la production d’agrocarburants ne font que consolider un modèle de monoculture industrielle axée sur l’exportation, dans des territoires qui pourraient servir à assurer les moyens d’existence des communautés locales.

Il existe d’autres options que la substitution des combustibles fossiles par des bioénergies agro-industrielles non durables. Le présent rapport vise à encourager le changement nécessaire des systèmes de production et de consommation excessive d’énergie, fortement dépendants des combustibles fossiles et, de plus en plus, de la biomasse.

Tant que les gouvernements n’auront pas pris les mesures nécessaires pour freiner l’avance des plantations énergétiques, dans le Sud mais aussi dans le Nord, la société civile et les mouvements sociaux devront travailler ensemble pour combattre cette nouvelle tendance et lutter pour que les territoires puissent répondre aux demandes des populations locales, contribuer à la souveraineté alimentaire et, surtout, à l’avènement d’un monde plus juste.