Honduras : une délégation internationale témoigne sur des problèmes graves constatés à Olancho

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En juillet 2003, des menaces proférées contre des membres du Mouvement environnementaliste de Olancho (MAO), ainsi que des manœuvres d'intimidation, ont été dénoncées devant l'opinion publique hondurienne et internationale. Mais le tragique dénouement a été l'assassinat de Carlos Arturo Reyes, membre de la communauté El Rosario, municipalité de Salamá, Olancho, le 18 juillet 2003 (voir bulletin du WRM Nº 72.)

Les représentants du MAO et ceux des organismes locaux défenseurs des droits de l'homme, ainsi qu'un groupe de citoyens canadiens, étasuniens, français, italiens et mexicains présents au Honduras, ont constitué une délégation internationale qui a visité plusieurs communautés de quatre municipalités du département de Olancho (Gualaco, San Esteban, Catacamas et Salamá) afin de recueillir les témoignages des victimes ainsi que des informations concernant la violence sévissant ici aussi bien que dans d'autres zones du pays.

Plusieurs problèmes liés entre eux ont été identifiés concernant:

* un conflit agraire à l'origine de l'expulsion forcée de 23 familles,
* le développement d'un projet hydroélectrique qui ne recueille pas un large consensus parmi la population de la commune,
* la coupe et le commerce illégal de bois ainsi que les actions des institutions en ce qui concerne la protection de l'environnement,
* les ravages causés par les exploitations minières à ciel ouvert, pratique qui est en augmentation d'après les témoins,
* la violence, les manœuvres d'intimidation et les menaces proférées contre certaines personnes, souvent celles qui ont joué un rôle central lors d'un mouvement social ou qui ont manifesté civilement et pacifiquement contre certaines décisions politiques ou contre certaines actions menées par des groupes puissants.

Les témoins interviewés ont dénoncé non seulement les ravages causés par la coupe et la commercialisation illégale de bois mais aussi la manière dont sont conçus les plans d'aménagement et autorisés par les institutions concernées, notamment par la Corporation hondurienne de développement forestier (Codehfor). Un des aspects les plus conflictuels concerne le fonctionnement de la Codehfor, car elle est responsable, d'une part, du contrôle de la commercialisation (à travers l'octroi de plans d'aménagement et de licences d'exploitation de la forêt) et, d'autre part, d'assurer l'utilisation durable des ressources. La compatibilité de ces deux fonctions a été mise en cause par les environnementalistes qui soulignent le fait que de nombreux directeurs de la Codehfor sont directement impliqués dans la vente de bois ou l'ont été par le passé.

De son côté, le procureur pour l'environnement et les ressources naturelles, même si ses dénonciations ne concernent que des personnes isolées impliquées dans le trafic de bois, reconnaît quelque part que le pouvoir exécutif (Codehfor dépend du pouvoir exécutif tandis que le procureur de l'environnement dépend du pouvoir législatif) n'a pas fait preuve d'une volonté politique suffisante lors de la mise en place des mesures visant à combattre le trafic illégal de bois ainsi que la corruption associée à cette activité.

Dans ce sens, les mesures purement coercitives proposées par les institutions responsables de ce contrôle sont négativement perçues par les acteurs de la société civile concernés par la défense de la forêt. D'après ceux-ci, la dénommée militarisation, non seulement elle ne réussit pas à stopper la coupe de la forêt, mais en plus, elle sert à légitimer l'exécution de plans d'aménagement conçus en fonction des intérêts des grandes sociétés d'exploitation forestière. Par ailleurs, de nombreuses personnes interviewées ont dénoncé le fait que, suite à cet état de choses, on a même essayé de criminaliser des actions pacifiques. Elles ont signalé également que pratiquement aucun des assassinats concernant des membres du MAO n'a fait l'objet d'une enquête approfondie afin de mettre en lumière toutes les circonstances liées à ceux-ci.

Mais, au-delà des conflits entre les environnementalistes et les exploitants forestiers étroitement liés à l'exploitation de la forêt, un problème d'une importance majeure se profile à l'horizon : celui de l'eau. Tous les exemples décrits par la délégation montrent qu'il existe un lien entre la coupe de la forêt et la pénurie d'eau. A San Pedro de Catacamas, par exemple, suite à la disparition des puits, la population a adopté le blocage systématique des fardiers (camions transportant le bois de grume) dans leur commune. Ceci révèle l'intérêt des habitants à gérer leurs propres ressources, aspiration qui ne paraît pas être prise en compte par les institutions concernées.

La pénurie d'eau représente un risque de sécurité alimentaire pour la population, laquelle, ses efforts de cultiver des aliments ayant échoué, émigre vers les aires nationales protégées, plus fertiles et mieux irriguées (notamment la réserve de la biosphère de Río Plátano). Et c'est alors que les forces policières entrent en action, conformément à la loi environnementale, et expulsent les arrivants, délogés d'autres zones. C'est ainsi que, si tous les facteurs intervenants ne sont pas pris en compte, les victimes de la dégradation environnementale se transforment en coupables de celle-ci.

Il est à signaler également que, dans le cadre du Couloir biologique méso-américain, il est prévu d'unir la réserve de la biosphère de Río Plátano à la réserve de la biosphère de Bosawas (Nicaragua) dans une zone transfrontalière. La population paysanne de la réserve de Bosawas a aussi été expulsée à cause de la pénurie de terres et a dû partir à la recherche d'autres terrains cultivables. Les 100 premières familles expulsées en mai dernier ont été abandonnées à leur sort sur des terres appartenant à une coopérative agraire située en bordure de la réserve. Le prolongement de cette situation précaire, ainsi que la perspective de la mise en exécution de la deuxième phase de l'expulsion : 500 familles de plus, risque d'entraîner un conflit de grandes proportions. D'après les informations fournies par le directeur du projet Bosawas, du ministère des Ressources naturelles (Marena) du Nicaragua, un des facteurs déterminants de l'expulsion a été la proposition faite par la Banque mondiale de financer un projet d'eau potable (et par la suite d'un projet de génération d'énergie électrique) qui se servirait des ressources hydriques de la réserve de Bosawas.

Par ailleurs, l'essor des concessions minières en tant qu'effet "collatéral" des politiques d'exploitation des forêts ne manque pas de surprendre. L'exploitation du bois ne représente qu'une première étape pour les habitants : l'exploitation minière prendra le relais lorsque la forêt aura été épuisée. Dans les deux cas, la déprédation qui s'ensuit nuit à l'approvisionnement d'eau des populations touchées (pénurie causée par la coupe de la forêt et contamination par du cyanure dans le cas des exploitations minières).

Quelques 160 familles habitent à San Pedro de Catacamas et leurs activités principales sont l'agriculture et l'élevage. Un des habitants rapporte que les exploitants forestiers ont extrait du bois de la forêt des années durant et ont amené les grumes ailleurs pour être traitées. Sansoni, Landizabal et Menselaya sont les sociétés citées par les habitants de San Pedro de Catacamas qui seraient impliquées dans le pillage et le traitement ultérieur de la ressource. Suite à ses actions, cette communauté a réussi à arrêter complètement la coupe de bois dans sa commune.

Nonobstant, les habitants de San Pedro de Catacamas subissent les effets de l'exploitation réalisée par le passé dont la sécheresse est la conséquence la plus grave. Les 300 puits de la communauté se sont asséchés. Pendant l'hiver, ils arrivent à se débrouiller avec l'eau des pluies mais en été, la pénurie d'eau les oblige à marcher de longues heures afin de s'approvisionner en eau à usage familial.

C'est pour cette raison qu'aujourd'hui, les habitants de plusieurs communautés de la commune voisine de Gualaco ont fermement réagi contre la construction du barrage hydroélectrique "Río Babilonia". Celui-ci fait partie du projet régional Plan Puebla Panamá (voir Bulletin du WRM Nº 73) et a été accordé en concession pendant 30 ans à la société hydroélectrique Energisa dans laquelle des personnalités du Parlement National ont apparemment des intérêts directs. D'après Rafael Ulloa, ancien maire de Gualaco, la concession de l'eau du fleuve Babilonia "laisse 11 communautés sans accès à celle-ci". Et il rajoute : "une fois le barrage construit – le décret est très clair à ce sujet – l'eau est destiné à la génération d'énergie, ce sont eux les propriétaires de l'eau et la communauté, qui ne tire aucun profit de ce projet, n'a aucun droit de se plaindre".

Andrés Tamayo, le curé de Salamá, qui a déjà été menacé de mort, a expliqué que 40% environ du budget national des candidats des partis National et Libéral du Honduras provient de la vente de bois. Il doute donc que l'un d'entre eux ou que la Cohdefor soient prêts à mettre en cause les événements de Olancho. Et quant à la responsabilité des gouvernements étrangers et des entreprises transnationales concernant la situation à Olancho, le Père Tamayo a exprimé ce qui suit : "Si les pays riches du monde étaient vraiment intéressés par la 'réduction de la pauvreté', n'y aurait-il pas déjà des signes avant-coureurs de cette réduction, considérant tout ce qui a été investi en ce sens au cours des 60 dernières années? Ou cet investissement, ne serait-il pas destiné précisément à entretenir ce système injuste exactement tel qu'il est?

Résumé de l'article : "Informe de la visita realizada por una delegación internacional al departamento de Olancho – Honduras del 25 al 27 de julio de 2003", envoyé par Helena Roux, adresse électronique : lisatrenza@free.fr