Laos : un consortium vietnamien projette de construire six barrages au Laos

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En juillet dernier, la société Vietnam Laos Investment and Development Company a passé un accord de 232 millions de dollars avec le gouvernement du Laos pour construire et exploiter le barrage Sekaman 3, de 210 MW. Ce mois-ci, le gouvernement du Laos a annoncé qu’il avait approuvé les plans du consortium pour la construction de cinq autres barrages : Se Kong 4 (310 MW), Se Kong 5 (200 MW), Se Pian-Se Nam Noi (340 MW), Sekaman 1 (300 MW) et Sekaman 4 (55 MW).

Le consortium est constitué par six entreprises d’électricité et de construction dirigées par l’État vietnamien, dont Electricity of Vietnam et Song Da Construction Corporation. L’année dernière, Hanoï avait signé un accord avec le gouvernement du Laos pour importer 1 000 MW par an entre 2006 et 2010.

Les barrages sont tous prévus pour le bassin du fleuve Se Kong. Le Se Kong coule du Sud du Laos au Cambodge, et c’est un des affluents principaux du Mékong.

En 1998, la société conseil britannique Halcrow avait complété une étude de 2,5 millions de dollars sur les emplacements potentiels pour des barrages dans les bassins de trois fleuves, y compris le Se Kong. Or, l’aspect le plus scandaleux de cette étude d’Halcrow est peut-être son manque d’information sur les fleuves concernés, leurs pêcheries, leurs bassins hydriques et les habitants de leurs rives.

Halcrow a noté que « la base de données sur l’hydrologie doit être améliorée », qu’il faut « faire l’estimation d’une quantité considérable de données manquantes », que « l’information sur les pêcheries est très sporadique » et que « la situation actuelle des bassins concernés par le projet est inconnue ». A propos des impacts sur l’environnement et la société, Halcrow conclut que « la qualité de la documentation disponible est variable et généralement insuffisante pour appuyer la présente étude ».

Pourtant, il n’y a pas de doute que ces barrages auraient des effets dévastateurs.

Le réservoir de 190 kilomètres carrés prévu derrière le barrage Sekaman 1 inclut une partie de l’aire nationale de conservation de la biodiversité Dong Ampham. Il a été rapporté que, confronté aux estimations que l’abattage dans l’aire du réservoir allait fournir moins de bois que prévu au départ, un employé d’Austral Lao Power (ALP, qui était à l’époque l’entreprise de construction prévue) aurait affirmé : « dans ce cas-là, nous allons continuer à couper jusqu’à la frontière du Vietnam ». Par la suite, ALP a été retirée du projet, après l’arrestation, en 2001, de son directeur Peter Martin, accusé de devoir 240 000 dollars en salaires à ses employés laotiens.

D’après Halcrow, le barrage Sekaman 1 pourrait tarder sept ans à se remplir, ce qui causerait des « dégâts permanents » à l’environnement en aval. Les pêcheries disparaîtraient, tout comme les moyens de subsistance des communautés qui en sont tributaires. Le changement du débit du fleuve menacerait les zones humides de la plaine du Se Kong. D’ailleurs, le seul autre exemple de zone de ce genre dans la région du Mékong est déjà menacé par un autre projet hydroélectrique, le barrage Nam Theun 2.

Depuis plusieurs années, les autorités locales du Sud du Laos expulsent les gens de leurs foyers en prévision de la construction des barrages. Ces projets de barrages ont servi de prétexte à l’expulsion des habitants des hauts bassins, censément dans le but d’arrêter l’agriculture itinérante. Dans une communauté montagnarde qui a été déplacée du site destiné au barrage Se Kong, un tiers de la population est morte de malaria au cours de l’année suivant la réinstallation.

La construction du barrage Se Pian-Se Nam Noi est au point mort depuis la crise de l’économie asiatique de 1997. En plus, le constructeur du barrage, l’entreprise Dong Ah Construction Industries de Corée du Sud, a fait faillite en 2000. Néanmoins, le projet a été utilisé comme excuse pour chasser le peuple autochtone Nya Heun du site de la retenue et des forêts environnantes.

En 1995, la société conseil suisse Electrowatt (aujourd’hui appartenant à 100% à la société finnoise Jaakko Poyry) avait effectué une évaluation d’impact environnemental du projet. Electrowatt avait commandé à une ONG nord-américaine, Wildlife Conservation Society (WCS) l’étude de la faune, la flore et les pêcheries dans la zone du projet. Dans son rapport, WCS recommandait de ne pas endiguer le fleuve Se Pian en raison des dommages que cela causerait aux forêts et aux populations de poissons. De telles recommandations ont été exclues du rapport final d’Electrowatt, et aucune des études de suivi conseillées par WCS n’a été effectuée.

En 2001, un consultant d’Electrowatt s’est rendu dans le site de réinstallation des Nya Heun expulsés de la zone du barrage Se Pian-Se Nam Noi. Dans son rapport, il a signalé que les conditions étaient « loin d’être satisfaisantes », et qu’il fallait des « améliorations urgentes ». Les résidents avaient reçu des terres de mauvaise qualité, et des pâturages insuffisants. Beaucoup de foyers manquaient de nourriture. Les maisons où ils avaient été installés n’avaient pas de cuisine ni de toilettes. La qualité de l’eau était « plutôt mauvaise », et sa quantité « insuffisante » pour les besoins des gens. Il n’y avait pas assez de salles de classe ni d’instituteurs. La malaria était « un problème très grave ». Aucun des habitants ne disposait d’électricité.

Pris séparément, chacun de ces barrages a des conséquences suffisamment mauvaises pour les gens et les forêts du Laos et du Cambodge. Pris ensemble, ils constituent un désastre environnemental et social.

Chris Lang, adresse électronique : chrislang@t-online.de