Les femmes d'Afrique australe s'organisent contre la violence de l'extractivisme

Pour beaucoup de pays du Sud riches en ressources, l'exploitation et l'extraction à grande échelle des ressources naturelles, et les projets de méga-infrastructures qui les accompagnent, représentent la voie que les gouvernements adoptent pour accueillir des investissements étrangers et accéder à des aides financières. La Vision du régime minier de l'Afrique (1) adoptée par les ministres africains en charge de l'exploitation des ressources minérales dans l'ensemble du continent, ainsi que le cadre politique qui l'accompagne, Les ressources minérales et le développement de l'Afrique (2011) (2) fournissent à eux deux la « stratégie [la plus] détaillée pour l'industrialisation de l'Afrique au XXIe siècle ».

Cependant, sous le vernis de ce paradigme de développement à la mode, la vie et les moyens de subsistance des communautés rurales et paysannes ainsi que de l'environnement sont menacés par les effets dévastateurs de l'industrie minière et des autres industries extractives. Les femmes et les filles, en particulier, sont les premières à faire les frais de ces impacts. C'est le cas des femmes de la province de Tete au Mozambique, dont les communautés sont confrontées à la pénurie d'eau et à la pollution, comme de la communauté Marange au Zimbabwe, où la vie quotidienne des femmes est hantée par une violence militarisée et souvent sexualisée.

« La lutte des femmes pour l'eau » – Tete, Mozambique

La province de Tete est située dans l'extrême nord du Mozambique et elle est bordée par le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe. Durant l'ère précoloniale, la ville de Tete, la capitale actuelle de la province, était un important centre de négoce en Afrique australe. C'est actuellement le centre de l'industrie minière mozambicaine, l'exploitation du charbon occupant une place prédominante. À ce jour, le gouvernement mozambicain a attribué des concessions et des licences pour l'exploitation du charbon qui couvrent 60 % de la province de Tete (3).

Un site minier, Kassoca, est exploité et détenu par Jindal, une société qui fait partie du conglomérat multinational indien Jindal Steel and Power Limited. Ce site raconte l'histoire d'une communauté fortement militarisée qui se bat pour avoir accès à l'eau. Selon le coordinateur de projet de l'ONG de justice environnementale locale Justiça Ambiental (JA), le gouvernement n'a pas fait grand chose pour étudier les effets de l'exploitation minière sur la communauté. La mine de Kassoca, qui a été mise en exploitation en 2013, a entraîné le déplacement de plus de 500 familles. À ce jour, 289 familles attendent toujours d'être relogées.

La vie quotidienne de ces 289 familles n'est pas facile. « Ici, il n'y a pas d'eau », dit un militant local en montrant du doigt un barrage. Bien que la mine affirme que l'eau du barrage est impropre à la consommation, les femmes sont obligées d'utiliser cette eau parce qu'elles n'ont pas d'autre choix. Elles doivent, cependant, le faire en secret car « nous aurons affaire avec [les gens de la mine] s'ils nous attrapent ». La communauté, avec Justiça Ambiental à ses côtés, doit faire face à de graves menaces et intimidations pour avoir dénoncé la compagnie minière. Néanmoins, les gens de la communauté ont fait des efforts pour contester devant les tribunaux mozambicains les violations de leur droit à l'eau et s'attaquer à la pollution provenant des mines.

La mine de charbon de Moatzi se trouve dans une autre zone de la province de Tete. Cette mine, qui est en exploitation depuis 2011, appartenait auparavant à Rio Tinto et est maintenant la propriété de la société brésilienne Vale. La communauté affectée, dont l'existence et la survie-même dépendent largement de l'agriculture de subsistance, a été déplacée dans la région de Mualadzi et elle a du mal à produire son alimentation dans cette zone où les ressources sont très peu abondantes.

Une militante locale, Dona Maria (ce n'est pas son vrai nom), travaille aux côtés de Justiça Ambiental pour attirer l'attention sur le sort de sa communauté. Comme dans le cas de la mine de Kassoca, le manque d'accès à l'eau potable représente un grave problème pour les habitants de Mualadzi : « Les exploitants précédents (Rio Tinto) ont fait 10 forages, mais seulement 6 fonctionnent actuellement. » Beaucoup de femmes sont rassemblées autour de l'eau, ainsi que divers animaux. « Vous voyez ? », dit une femme, « Nous utilisons l'eau avec les animaux. »

La communauté a mis en place des petits projets générateurs de revenus et a choisi quatre familles pour vendre des articles de base sur un petit marché, dans le but de développer les projets afin que d'autres familles puissent en bénéficier.

Dona Maria explique qu'il y a eu un nombre inhabituel d'avortements spontanés et d'enfants morts-nés depuis qu'ils ont déménagé à Mualadzi. « Nous essayons d'enquêter sur cette situaiton, nous voulons être sûrs. » Beaucoup des jeunes femmes qui viennent chercher de l'eau sont en âge d'aller à l'école. La route qui relie l'école secondaire de la communauté et la zone résidentielle est longue et dangereuse. « Certaines filles ont été attaquées et violées. Maintenant elles ont peur. » La communauté a un secteur de cimetière attribué, mais Dona Maria explique : « Nos malades retournent dans notre pays et y meurent. Ils ne veulent pas être enterrés ici. »

À quelques kilomètres se trouvent des maisons construites par la compagnie minière Vale, qui sont destinées à installer d'autres familles qui seront déplacées. Ce ne sont que des « coquilles vides peintes ». Aucune des maisons ne dispose d'eau courante et le robinet installé pour les familles est souvent coupé par les constructeurs des logements parce qu'ils n'ont pas été payés par la compagnie minière. Dans une province, où la température moyenne dépasse 40 °C, la vie quotidienne des femmes devient beaucoup plus difficile sans accès à l'eau potable.

Avec le soutien de Justiça Ambiental, ces communautés ont déposé des demandes officielles auprès de la société minière Vale et du gouvernement mozambicain, afin de résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées. Cependant, cela n'a débouché sur aucune mesure. Une manifestation pacifique a donc été organisée, et la route et la ligne chemin de fer ont été bloquées. La communauté a dû faire face à une violente répression du gouvernement mozambicain qui a entraîné l'hospitalisation de six manifestants et l'emprisonnement de nombreux autres. Une militarisation croissante s'est développée dans ces communautés, avec des barrages de police pour contrôler les déplacements des gens entrant et sortant de la zone.

Les communautés continuent de chercher des moyens de sensibiliser et de mobiliser. En 2016, elles ont envoyé une délégation au Tribunal permanent des peuples (4), une instance et un instrument qui apporte une reconnaissance, une visibilité et un moyen d'expression à des populations exposées à des violations de leurs droits fondamentaux.

« Quand les diamants ont été découverts » – Chiadzwa, Zimbabwe

« Ils nous ont chassés de nos terres et nous ont privés de notre liberté de mouvement », explique la militante zimbabwéenne Gladys Mavhusa. « Quand notre terre est devenue une zone d'accès restreint [à cause de l'exploitation minière de diamants], une barrière routière a été installée à l'entrée de notre ville. Les transports en commun s'arrêtaient et les « fonctionnaires » effectuaient des fouilles corporelles. Les femmes étaient fouillées partout, dans la bouche, les oreilles et même les parties intimes. Parfois, ces agents ne changeaient pas leurs gants et utilisaient le même sur beaucoup de femmes au point que certaines d'entre nous ont commencé à développer des infections. Les femmes ont commencé à avoir des problèmes gynécologiques, des fibromes ou des kystes. Comme nous n'avions plus de terres à cultiver et donc, plus d'argent, nous ne pouvions pas aller nous faire soigner. »

Les champs de diamants de Marange ont été découverts à l'est de la capitale, Harare, en 2006 et, depuis lors, des communautés comme Chiadzwa ont subi de graves violations des droits humains, des violences et de la répression, un accaparement des terres et des expulsions. Actuellement, dans la région de Chiadzwa, les droits miniers sont détenus par la Zimbabwe Consolidated Diamond Company (ZCDC) (5), un regroupement de participations publiques et privées soutenu par l'armée et les forces de sécurité.

Gladys Mavhusa brosse un tableau saisissant de la vie avant et après l'arrivée de la ruée minière à Marange :

« Je suis née à Chiadzwa. Pendant mon enfance, ma vie était très agréable, j'avais une vie relativement libre. Je suis née dans une famille riche, je me suis mariée à un homme d'une famille qui l'était également parce que nous étions agriculteurs. Nous avions du bétail, des chèvres, des poulets, tout. Le problème est apparu quand on a découvert des diamants. La première chose qu'on nous a dite, c'est que nous n'étions plus libres de nos mouvements. La terre sur laquelle nous avions vécu toute notre vie, les champs que nous avions cultivés et dont nous avions besoin, on nous prenait tout. Les forêts où nous avions l'habitude de célébrer et de prier nos dieux pour la pluie nous ont été retirées. Les mines ont pris le contrôle des tombes de nos ancêtres, des tombes de nos chefs – des lieux sacrés qui avaient une grande valeur pour nous tous quand j'étais enfant. »

Ce sont les femmes de Marange qui sont les premières à souffrir de l'impact des activités minières, notamment la perte de moyens de subsistance. Avant que les compagnies minières n'occupent leurs terres, les femmes gagnaient leur vie grâce à des activités comme l'agriculture et la vannerie. Ce n'est plus possible pour la grande majorité d'entre elles. Les femmes subissent également des viols et d'autres formes de violence sexuelle. (6) C'est une attaque à « tous les niveaux ... Si nos maris voient que nous avons été violées, ils en rejettent la faute sur nous et prétendent que nous l'avons bien cherché. Si nos enfants sont violés ou se livrent à la prostitution, les hommes nous le reprochent également et disent : « C'est ton enfant. » Cette situation a provoqué énormément de conflits dans nos familles et nos communautés. Nos maris ne peuvent pas comprendre que nous ne pouvons pas nous occuper de nos familles et faire face à tous ces problèmes en même temps ; ils disent que nous sommes paresseuses. »

Le Chiadzwa Community Development Trust (CCDT) (7) a été créé en 2005 afin de promouvoir la responsabilisation et la transparence dans l'extraction des diamants. Ce fonds a commencé à travailler avec les femmes qui voulaient se mobiliser pour mettre à la violation de leur intégrité physique et de leurs droits et à l'accaparement de leurs terres et de leurs moyens de subsistance. D'abord, les femmes ont commencé à s'organiser pour refuser leur expulsion ; elles ont dit à leur député local qu'elles n'accepteraient pas réinstallées ailleurs, en particulier sur des terres qu'elles ne pourraient pas cultiver pour subvenir aux besoins de leurs familles. Au début, ils ont dû faire face à des réactions immédiates : intimidations et menaces de la part de « responsables » locaux. Craignant d'autres représailles, certains membres de la communauté ont choisi de déménager, mais à la fin, ils n'ont pas obtenu de maison pour se réinstaller.

Le CCDT continue de travailler avec les femmes et les familles qui sont restées. Beaucoup de ces femmes ont perdu leurs maris à la suite de meurtres ou de disparitions. Lorsque cela est possible, le CCDT apporte une aide dans le cadre des litiges avec le soutien d'alliés comme l'Association des avocats du Zimbabwe pour les droits de l'homme (ZLHR). Dans d'autres situations, le CCDT fournit un soutien psychosocial post-traumatique indispensable aux veuves et à leurs familles par le biais d'organisations comme la Counselling Services Unit (CSU).

Pour renforcer l'organisation et la construction du mouvement des femmes, le CCDT organise des formations communautaires pour permettre aux femmes de connaître leurs droits économiques, sociaux et culturels. Grâce à ces activités de sensibilisation, le CCDT espère que les femmes pourront collectivement élaborer une analyse et se mobiliser ensemble.

« ... Je veux un monde dans lequel ... »

Les contextes peuvent être différents mais les luttes sont les mêmes, qu'il s'agisse de se battre pour de l'eau potable, de faire face aux menaces d'intimidation et de répression des forces de sécurité des sociétés minières ou d'autres puissants acteurs ou de lutter pour protéger sa vie et ses moyens de subsistance. L'Alliance africaine genre et extractivisme (African Women Unite Against Destructive Resource Extraction -WoMin) travaille avec les femmes de ces communautés et beaucoup d'autres dans toute la région afin de soutenir la construction de leur mouvement et leurs initiatives de résistance, tout en imaginant un monde dans lequel, comme le dit Gladys Mavhusa, « les femmes et les communautés prennent en main leur destin. Et je crois que nous devons construire ensemble cette autonomisation, de façon à ce que chaque femme puisse se défendre elle-même et avec les autres. »

Nicky Le Roux et Maggie Mapondera,
WoMin, http://www.womin.org.za/

* WoMin est une alliance d'organisations qui couvre l'ensemble du continent africain et travaille aux côtés de mouvements nationaux et régionaux et d'organisations populaires de femmes, de communautés et de paysans touchés par les impacts de l'extraction minière, et leurs partenaires solidaires, pour rendre visible les impacts de l'extractivisme sur les femmes paysannes et de la classe ouvrière. Avec des partenaires intervenant du niveau local jusqu'au niveau international, WoMin travaille à s'opposer aux impacts destructeurs de l'extractivisme tels que l'accaparement des terres et le déplacement des communautés, la pollution et l'érosion et la violence contre les femmes et, tout particulièrement, à promouvoir une alternative centrée sur les femmes et un développement juste.
(1) Vision du régime minier de l'Afrique, 2009, Union africaine Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA),
http://www.africaminingvision.org/amv_resources/AMV/Africa_Mining_Vision_English.pdf
(2) Vision du régime minier de l'Afrique, rapports et documents, http://www.africaminingvision.org/reports.html
(3) Justiça Ambiental, World Bank Development Policy Finance in Mozambique, January 2017, https://issuu.com/justicaambiental/docs/mozambique-dpf-formatted-1.11.17-1
(4) Tribunal permanent des peuples (Permanent Peoples' Tribunal), http://permanentpeoplestribunal.org/?lang=en
(5) New diamond merger commences work, posts profit, June 2016, http://nehandaradio.com/2016/06/23/new-diamond-merger-commences-work-posts-profit/
(6) Marange rape victims suffer in silence, 2015, https://www.thestandard.co.zw/2015/03/22/marange-rape-victims-suffer-in-silence/
(7) The Chiadzwa Community Development Trust, http://www.ccmt.org.zw/index.php/manicaland/88-chiadzwa-community-development-trust