Conférences sur le climat et agendas politiques

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Amazonia. Photo: Flickr/O.Bozkurt

Le secteur des énergies fossiles et ses alliés politiques et économiques ont échoué (une fois de plus) dans leur offensive de lobbying visant à ce que les gouvernements adoptent des règles pour le commerce du carbone lors des dernières négociations climatiques de l’ONU en novembre 2022 – et ce malgré leur nombre toujours croissant de lobbyistes présents aux sommets sur le climat.

Mais pourquoi ces acteurs sont-ils si désireux de faire du commerce du carbone une politique climatique ? Parce qu’il permet au secteur des énergies fossiles, et à tous les secteurs qui en dépendent, de continuer à se développer et peut-être même d’en tirer profit. Les « marchés du carbone » sont au cœur de nombreux concepts qui sont promus, notamment les compensations carbone, le « zéro émission nette », les produits « neutres en carbone », les « solutions fondées sur la nature », la REDD+, le « zéro déforestation nette ».

Même si le rôle réel des marchés du carbone dans l’Accord de Paris des Nations Unies continue d’être contesté et débattu lors des sommets des Nations Unies sur le climat, certains gouvernements vont de l’avant malgré tout en établissant des mécanismes de marché carbone nationaux ou infranationaux, des accords bilatéraux ou des partenariats public-privé pour mettre en place de nouvelles initiatives de marché carbone. Toutes ces initiatives d’une manière ou d’une autre, alimentent une demande en faveur d’une augmentation des d’échanges de carbone et ouvrent la voie à une dépendance encore plus forte vis-à-vis de mécanismes de marché du carbone qui seraient la seule voie possible.

Le gouvernement suisse, par exemple, a conclu des traités bilatéraux avec le Pérou, le Ghana, le Sénégal, la Géorgie, le Vanuatu, la Dominique, la Thaïlande, l’Ukraine, le Maroc, le Chili et l’Uruguay, afin d’atteindre son objectif « zéro émission nette » d’ici 2050. Ces accords définissent une base juridique pour les contrats commerciaux qui garantissent le transfert de crédits de réduction d’émissions (bon marché), laissant potentiellement ces pays du Sud financer des réductions d’émissions plus coûteuses pour atteindre leurs propres objectifs. (1) Un cabinet de conseil spécialisé dans le carbone a expliqué en quoi ces accords sont « d’importants laboratoires pour l’avenir des mécanismes de marché ».(2)

De plus, l’envoyé spécial américain pour le climat, John Kerry, a lancé lors de la conférence des Nations Unies sur le climat un plan de compensation volontaire du carbone, avec le soutien du Earth Fund de Jeff Bezos (du géant de la distribution Amazon), de Microsoft, de PepsiCo et de la Bank of America. (3)

Les sociétés de combustibles fossiles et d’autres entreprises polluantes continuent également de signer des accords avec les gouvernements des pays du Sud pour l’achat de grandes quantités de crédits carbone. En novembre 2022, le président du Guyana, Irfaan Ali, a annoncé que la compagnie pétrolière américaine Hess Corporation achèterait 2,5 millions de crédits carbone chaque année entre 2016 et 2030. Hess Guyana Exploration détient une participation de 30 % dans le bloc d’exploration pétrolière et gazière de Stabroek au large du Guyana. Les crédits carbone sont générés à partir de projets REDD dans les forêts du Guyana. (4) Toutes les grandes compagnies pétrolières achètent des crédits carbone.

Les points d’accord (et de désaccord) des gouvernements lors des sommets climatiques de l’ONU ne sont pas vraiment pertinents dans le monde réel de l’expansion du marché du carbone. Les entreprises, les gouvernements, les ONG de conservation, les sociétés de conseil, les courtiers, les banques et de nombreux autres acteurs intéressés travaillent d’arrache-pied pour faire des mécanismes de marché carbone « la seule voie possible ».

C’est encore pire si l’on considère que les crédits carbone, tout en intensifiant la crise climatique, servent de façade à l’expansion d’un accaparement violent et raciste des terres et des forêts des peuples autochtones et des communautés paysannes.

Un article de ce Bulletin, portant sur quatre projets REDD dans la municipalité de Portel au Brésil, montre comment les droits communautaires, dans certains cas même à l’insu de la communauté, sont bafoués et comment l’autodétermination des communautés est mise en péril par ces projets.

Un autre article rapporte un débat organisé par le WRM pour réfléchir avec neuf alliés de différentes régions aux nombreux et divers niveaux d’impacts néfastes que le mécanisme REDD a causés au cours des 15 dernières années.

Se concentrant sur la région amazonienne en particulier, un autre article explique comment les « solutions » proposées – notamment les mécanismes carbone, les énergies renouvelables, les agrocarburants, etc. – sont devenues de nouvelles causes sous-jacentes de la déforestation. Ces projets « verts » se développent parallèlement à d’autres projets classiques et destructeurs.

Les plantations industrielles en monoculture figurent parmi ces projets destructeurs. Ce Bulletin comprend deux contributions mettant en lumière les histoires et les résistances des femmes face aux plantations de palmiers à huile sur leurs territoires : l’une est un podcast racontant l’histoire des femmes en Sierra Leone confrontées aux plantations de la société Socfin ; et la seconde est un entretien avec une femme de La Red de Mujeres de La Costa en Rebeldía du Chiapas, au Mexique, qui souligne comment elles s’opposent à cette monoculture facilitée par les contrats que les hommes signent avec les entreprises.

Un autre article s’intéresse aux projets actuels du gouvernement indonésien de construire une nouvelle capitale, avec l’argument d’en faire une ville « verte » et « intelligente », qui aiderait l’Indonésie à atteindre ses objectifs « zéro émission nette ». L’article établit des parallèles avec l’époque où les dirigeants brésiliens ont décidé de construire une nouvelle capitale il y a environ 60 ans au milieu du pays.  

Alors que les peuples autochtones, les communautés paysannes et autres, en particulier dans les pays du Sud, sont confrontés directement aux lourds impacts de la crise climatique, les conférences et les accords de l’ONU ont été, depuis le début, noyés par les pressions exercées pour maintenir le fonctionnement de l’économie capitaliste.

Tournons nos yeux et nos efforts vers le renforcement de notre solidarité et l’élaboration de stratégies s’appuyant sur des alliances horizontales entre les mouvements populaires. (5) C’est là que doivent avoir lieu les discussions, avec ceux qui défendent vraiment la vie.

 

(1) Confédération suisse, Accords bilatéraux concernant les réductions d’émissions et le stockage du CO2 à l’étranger.
(2) Argus, Swiss article 6 agreements 'set poor precedent', November 2021.
(3) Reuters, U.S. climate envoy Kerry launches carbon offset plan, November 2022.
(4) REDD-Monitor, Guyana is to sell US$750 million carbon offsets to Hess Corporation, a US-based oil corporation that is extracting oil in Guyana. The saga of false solutions to the climate crisis continues, December 2022.
(5) Note d’information du WRM, Une réflexion critique sur la participation aux processus internationaux d’élaboration des politiques forestières, 2022