Indonésie: les forêts sont plus que de la terre

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En Indonésie, le déboisement représente plus que la perte d’étendues boisées, c’est une question bien plus grave. Tout un système de vie qui a évolué jusqu’à atteindre une richesse extraordinaire de biodiversité est menacé de destruction.

Pour les communautés traditionnelles, préserver les forêts n’implique pas seulement de conserver leurs droits sur la terre et le territoire mais, surtout, de protéger leur civilisation dont dépend l’essence de leur culture. La culture des communautés implique des processus d’adaptation intergénérationnels qui équilibrent la vie et la durabilité des cycles naturels.

Quand le ministère des Forêt fit un inventaire des terres indonésiennes et déclara que les forêts appartenaient à l’État, les aspects culturels et sociaux ne furent pas pris en compte. Ainsi, la présence d’êtres humains qui coexistaient avec les systèmes de vie des forêts fut exclue de la formulation et la mise en œuvre des politiques à ce sujet.

Par suite de cette classification, près de 33 000 communautés vivent aujourd’hui dans des zones de ‘forêt d’État’. Les grandes entreprises en profitent pour accuser les communautés de perturber et de détruire les forêts, et cela est devenu un argument légitime pour expulser les habitants des forêts de leurs espaces de vie.

Les conflits avec les communautés forestières sont simplifiés en parlant des nécessités économiques et en réduisant des systèmes de vie complexes à de simples ‘terres’. Cette simplification oriente toute ‘résolution’ vers la compensation et la médiation.

En fait, les ‘résolutions’ de ce type ne tiennent aucun compte du droit de ces communautés à la mémoire intergénérationnelle et à la dépendance culturelle des forêts. En outre, les médias affaiblissent la position des communautés en les considérant comme équivalentes à des entreprises pendant le processus de médiation. Or, la reconnaissance de la présence d’une entreprise sur le territoire d’une communauté confirme que l’entreprise et l’État ont violé les lois coutumières.

Quand un système écologique est détruit, ce sont les communautés qui doivent faire un énorme effort pour s’adapter aux changements de l’environnement et en subir les conséquences.

Pour cet article, j’ai pris l’exemple d’une espèce qui est très attachée à la culture des communautés indigènes d’Indonésie. Cet exemple illustre que la dévastation de divers écosystèmes forestiers riches en biodiversité contribue énormément à la perte et la destruction de la vie des communautés.

Le buffle est une espèce qui dépend de trois facteurs écologiques fondamentaux: une grande étendue pour se promener, des herbes variées pour se nourrir et rendre son corps résistant, et de l’eau propre sans aucun produit chimique. Au cours des 10 dernières années, le nombre des buffles a chuté d’un million de têtes à cause de l’expansion du palmier à huile, de l’exploitation de bois et des plantations industrielles d’arbres.

Sans que le gouvernement indonésien s’en aperçoive même pas, l’expansion des plantations industrielles sur les terres communautaires a provoqué une diminution considérable de la population de buffles, un produit local qui, sur le plan économique, représentait 15 milliards de roupies (près de 1,5 milliard USD), susceptibles de financer l’éducation et les frais de santé d’un million d’enfants. La disparition des buffles a éliminé également une source importante de nourriture et elle a eu des effets collatéraux négatifs sur les systèmes agricoles traditionnels.

Il est très important de reconnaître et de protéger les systèmes communautaires d’aménagement forestier. Non seulement ils permettent la permanence des communautés dans leurs territoires mais ils évitent aussi que les gens et l’État paient les frais en cas de catastrophe écologique.

En Indonésie, les décisions concernant les forêts sont encore prises au niveau d’institutions puissantes. Les questions de la propriété des territoires ou des facteurs déterminants du déboisement, comme le système de production et de consommation, ne sont pas mentionnées du tout par le gouvernement. Elles sont exclues exprès des débats, pour que l’État et les grandes entreprises puissent éluder l’énorme responsabilité des crimes qu’ils ont commis.

À présent, la vie des membres des communautés devient de plus en plus difficile. L’État les oblige à vivre dans un système économique où l’argent qu’ils gagnent ne suffit pas à couvrir leurs besoins, surtout après la disparition des divers systèmes de vie qu’ils avaient à leur disposition dans la nature. L’État indonésien a lui aussi de frais importants concernant les dégâts et les processus de restauration des forêts et de leurs fonctions, comme les sommes qu’il faut dépenser chaque année pour faire face aux incendies de forêt et aux inondations.

Tandis que les communautés doivent payer les conséquences des crimes écologiques et s’adapter sans cesse à des conditions environnementales toujours plus mauvaises, vingt-sept États et trente-quatre entreprises impliquées dans le processus de déboisement mondial ont signé la Déclaration de New York sur le sauvetage des forêts du monde, lors du Sommet du climat organisé par les Nations unies en septembre 2014. Cette déclaration prévoit de ‘restaurer les forêts’ sur 150 millions d’hectares d’ici à 2020, et sur 200 millions d’hectares pour 2030. L’engagement part du fait que 1,6 milliard d’habitants du monde dépendent des forêts, et que le déboisement atteint 14 millions d’hectares par an.

Or, il est peu probable que la promesse de réduire le déboisement et d’inciter à la ‘restauration des forêts’ devienne une réalité. Cette promesse des gouvernements et d’une série de sociétés d’affaires du secteur de la monoculture n’est qu’une stratégie pour dissimuler leurs vrais crimes. Par exemple, en Indonésie, un groupe d’hommes d’affaires s’est engagé par écrit à diminuer le taux de déboisement. Pourtant, ils ont aussi conclu un marché avec le gouvernement, suivant lequel, sur les 14 millions d’hectares de forêt qui sont menacés de déboisement, 1,1 million d’hectares seront affectés à la plantation de palmiers à huile d’ici à 2015, et 5,9 millions d’hectares à des plantations industrielles d’arbres.

La déclaration de New York sur les forêts, en plus de dérober au regard du public les auteurs de la destruction des forêts indonésiennes, parvient à encourager la prochaine étape de l’exploitation des ressources naturelles. Ayant survécu impunément à la destruction environnementale provoquée par l’extraction d’huile de palme et de pâte à papier, les grandes entreprises se tournent maintenant vers les affaires relatives au changement climatique. Les concessions qui permettent de gagner de l’argent grâce à la conservation de la biodiversité et au carbone ont déjà atteint 397 878 hectares en 2014, et l’objectif est de les porter à 2,6 millions d’hectares.

Si le gouvernement avait voulu profiter du sommet pour s’attaquer vraiment au déboisement, il n’aurait pas autorisé des entreprises comme APP, GAP et WILMAR à y participer. Depuis 2013, leurs concessions sont à l’origine du brouillard causé par les incendies de forêt. En plus, notre organisation a découvert une tentative de dissimuler l’extraction illégale de bois que pratiquait un sous-traitant d’une filiale de WILMAR.

Zenzi Suhadi, zenzi.walhi@gmail.com

WALHI, http://www.walhi.or.id/en/#