Le nouveau “Plan directeur forestier” de Thaïlande: la même stratégie de toujours, mais en habits neufs

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Le 31 juillet 2014, le «Plan directeur forestier» (FMP d’après l’anglais) a été publié par le Commandement des opérations de sécurité intérieure et le Ministère des Ressources naturelles et de l’environnement de Thaïlande. Il n’y a eu aucune consultation du public ou de la société civile avant la formulation de ce plan; aucune sorte de consultation publique ni de referendum n’a eu lieu non plus après qu’il a été rédigé.

Le Plan forestier a pour but de «résoudre les problèmes de la destruction des forêts, de l’entrée non autorisée dans des terres publiques et de la gestion durable des ressources naturelles». L’objectif global du plan est «d’accroître le couvert forestier» de Thaïlande, le faisant passer en 10 ans de 33 % (17,1 millions d’hectares) à 40 % du territoire (20,5 millions d’hectares).

Les trois objectifs déclarés du FMP sont:

  1. Enrayer la dégradation des forêts et récupérer les terres boisées illégalement utilisées, dans un délai d’un an.
  2. Établir des systèmes de gestion des forêts efficaces et durables dans un délai de deux ans.
  3. Recréer des forêts en bon état au cours des années 2 à 10.

Le plan d’action désigne des ‘zones en crise’ où, selon le Ministère royal des Forêts (MRF) il existe de nombreux cas d’invasion et d’extraction illégale de bois. La plupart de ces ‘zones en crise’ se trouvant dans le nord de la Thaïlande, les membres des communautés tributaires des forêts craignent que l’on prenne bientôt des mesures contre eux. Un autre aspect inquiétant du FMP, surtout pour les communautés forestières du  nord du pays, est que les fonctionnaires du MRF se servent de cartes de surveillance aérienne anciennes pour déterminer si une communauté a envahi des «terres de l’État».

En outre, le plan d’action du FMP affirme que le MRF devra mieux s’équiper (en personnel, véhicules, armes, radios, GPS, etc.) pour que le plan puisse être mis en œuvre avec succès.

Expulsions, arrestations, détentions, amendes

Depuis le lancement du FMP, des soldats de l’armée thaïlandaise et des fonctionnaires du MRF font des incursions fréquentes dans les villages et arrêtent des habitants, se déplaçant tout de suite après vers d’autres cibles pour éviter la confrontation avec la population. La Fédération des paysans du Nord (NPF), un réseau de communautés de petits agriculteurs de neuf provinces de la région, a remarqué que le MRF s’est attaqué d’abord aux communautés indigènes (les habitants des villages de Lisu, Lahu et Karen ont été les premiers à subir des arrestations et à recevoir des avis d’expulsion). Au cours des descentes passées des militaires et du MRF, des communautés entières ont été expulsées mais, à présent, les cibles sont certains membres des communautés, ce qui a provoqué la discorde et la désunion dans les villages.

D’après le Commandement des opérations de sécurité intérieure, depuis la prise de pouvoir du Conseil national pour la paix et l’ordre (NCPO) en mai 2014, 501 personnes ont été arrêtées et poursuivies en justice pour invasion de forêts et de terres publiques, et 55 000 hectares ont été confisqués dans 68 provinces. Dans le nord, plus de 200 procès ont été intentés contre des membres des communautés forestières, presque toujours pour possession de bois illégal. Nombre d’entre eux n’en comprennent pas les raisons, puisqu’ils pensent qu’ils ont toujours respecté la loi.

Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes

Le FMP est la dernière en date de la longue liste de tentatives du MRF et de l’armée d’expulser les habitants des forêts. Par exemple, au début des années 1990 et cette fois aussi après un coup d’État militaire, l’armée et le MRF ont collaboré entre eux pour mettre en œuvre le programme «Kho Cho Ko» (1) dans le nord du pays. Le projet visait à ‘réinstaller’ les habitants des forêts et des bassins ‘protégés’, et ceux des forêts soi-disant dégradées. Au total, il était prévu de ‘réinstaller’ près de 6 millions de personnes appartenant à 9 700 villages forestiers, en leur faisant quitter 1 253 zones boisées réparties sur toute la Thaïlande. Leurs maisons ont été démolies et ils ont été expulses de force, dans le but de ‘reboiser’ les forêts dégradées avec des arbres à croissance rapide, comme l’eucalyptus, plantés en régime de monoculture. Les protestations massives des communautés concernées, soutenues par des informations exactes sur les effets négatifs du programme, ont finalement obligé le gouvernement à renoncer au programme «Ko Cho Ko» en 1992.

L’actualité

Le 9 novembre, l’organisation NPF avait prévu la «Marche pour la justice foncière» pour demander que le Plan directeur forestier soit suspendu jusqu’à la réalisation d’une révision et d’une consultation publique, et pour obtenir du soutien pour la campagne «Quatre lois pour les pauvres» (2). Or, dès que le premier groupe de paysans a parcouru à peine cinq mètres à partir du lieu de départ, l’armée a mis fin à la marche. Deux participants (Prapart Pintobtang, maître de conférences en science politique de l’université de Chulalongkorn, et Pisist Taja, membre du groupe forestier de Phrae) ont été arrêtés et retenus dans un camion de la police pendant 30 minutes avant d’être libérés. Après des heures de pourparlers entre l’armée thaïlandaise et la NPF, il a été convenu que la marche serait remise à plus tard et qu’il y aurait en échange une réunion de négociation entre un membre-clé du gouvernement (Panadda Diskul, membre du cabinet du Premier ministre) et des représentants de la NPF; cette réunion devait avoir lieu le 13 novembre dans la mairie de Chiang Mai.

Le 13 novembre, les représentants des paysans ont rencontré M. Panadda Diskul et lui ont expliqué leurs doléances et les dangers auxquels ils devaient faire face à cause du FMP. M. Panadda Diskul a accepté de faire les arrangements nécessaires pour libérer les 19 villageois Karen qui étaient encore détenus dans la province de Mae Hongson, et de présenter les problèmes soulevés par les paysans aux organismes et bureaux pertinents de Bangkok. Il a été convenu aussi que le ministre des Ressources naturelles et de l’Environnement, Gen Dapong Ratanasuwan, viendrait à Chiang Mai le 17 novembre pour discuter du FMP.

Avant la réalisation des activités et des réunions qui ont eu lieu à Chiang Mai en novembre, l’armée thaïlandaise avait rendu visite aux membres de la NPF et les avait prévenus qu’ils ne devaient pas porter des drapeaux ni des tee-shirts de campagne, chanter des slogans, ou même lever quatre doigts en signe de soutien des «Quatre lois pour les pauvres» au cours des réunions prévues. Le 13 novembre, pendant que les rencontres avaient lieu à l’intérieur de la mairie de Chiang Mai, les militaires marchaient entre les villageois qui attendaient dehors et leur ordonnaient de s’asseoir séparés en groupes de moins de cinq personnes.

Considérations finales

À la NPF, nous sommes d’accord avec le MRF que les forêts thaïlandaises sont en train de diminuer et doivent être protégées. Cependant, les personnes et les groupes responsables de la dégradation permanente des forêts du pays ne sont pas les villageois ni les petits agriculteurs: ce sont les spéculateurs fonciers et les propriétaires des plantations et des lieux de vacances. Tout plan de l’État de restaurer et conserver les forêts devrait les cibler. Au lieu des programmes répressifs de ‘gestion forestière’, qui portent atteinte aux véritables protecteurs des forêts, nous recommandons l’adoption des «Quatre lois pour les pauvres», qui visent à soutenir la gestion communautaire des terres et des ressources naturelles, celle-ci étant la méthode la plus juste et durable pour préserver les précieuses forêts et l’environnement de la Thaïlande.

NPF Thaïlande

Adresse électronique: npf_thai@yahoo.com 

(1) «Kho Cho Ko» est l’acronyme thaïlandais de «Programme d’allocation de terres agricoles pour les pauvres qui habitent des zones forestières protégées dégradées».

(2) Pour davantage d’information sur cette campagne voir http://www.landjustice4thai.org/4laws.php.