Les plantations industrielles de teck en Équateur dévastent les sols fertiles et les sources d’eau

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Le teck est un arbre originaire du sud-est asiatique qui joua un rôle important au moment de la colonisation de la région. Les exploitants forestiers britanniques emportèrent la plupart du bois de teck du nord de la Thaïlande pendant les 19e et 20e siècles. Leur exploitation de ce bois fut également violente en Birmanie, et l’État birman continua sur la même voie à l’époque postcoloniale. (1) Dans ce pays, le bois de teck était au centre d’un système colonial d’emploi pour des activités d’agrosylviculture et de plantation qui fut appliqué pendant la deuxième moitié du 19e siècle et dénommé taungya. Ce système permettait aux Karen et à d’autres peuples indigènes de faire des cultures parmi les jeunes tecks qui avaient été plantés dans les terres défrichées, à condition qu’ils entretiennent les arbres et qu’ils quittent ces terres au bout de quelques années. Le taungya s’étendit ensuite à d’autres pays. En Indonésie, où le teck n’est pas indigène, les plantations furent établies il y a plus de 200 ans. (2) Le bois de cet arbre est très demandé pour la fabrication de mobilier de plein air et de bateaux luxueux, à cause de sa résistance naturelle aux agressions climatiques.

En Thaïlande, la politique actuelle concernant le teck est complexe et corrompue. Depuis l’interdiction de la coupe de cet arbre en 1989, l’approvisionnement des scieries du pays est censé provenir de la confiscation de bois illégal et de la coupe dans les endroits prévus pour les retenues des barrages hydroélectriques. Mais en fait, ce bois est mélangé à des importations illicites de la région du fleuve Salween en Birmanie et de plantations gérées par l’entreprise paraétatique Organisation de l’Industrie forestière ou par d’autres entreprises provinciales. Le conseil de gestion forestière FSC (Forest Stewardship Council) encourage ce type de pillage et de corruption dans l’industrie du bois de teck par le biais de ses programmes de certification du teck thaïlandais.

La surexploitation de ces forêts indigènes qui n’existent qu’en Inde, au Laos, au Myanmar et en Thaïlande, et la hausse de la demande mondiale de bois de teck ont fait  chercher d’autres pays pour faire des plantations industrielles de cette essence. À l’heure actuelle, on plante des tecks dans 36 pays tropicaux et la superficie plantée est en augmentation au Benin, au Ghana, au Nigeria et en Tanzanie en Afrique ; au Costa Rica, en El Salvador, au Guatemala, au Nicaragua et au Panama en Amérique centrale ; en Équateur et au Brésil en Amérique du Sud, et en Inde, en Indonésie, au Myanmar et au Laos en Asie. (3) Quant aux pays acheteurs de teck, les principaux sont la Chine (42 %), l’Inde (37 %), le Japon (5 %) et la France (4 %). (4)

L’expansion des plantations de teck en Équateur

L’Équateur figure parmi les dix pays les plus riches en biodiversité du monde ; c’est aussi l’un des pays d’Amérique latine où le taux de déboisement est le plus élevé par rapport à l’étendue de son territoire. D’après le ministère de l’Environnement, la cause principale de ce déboisement serait l’expansion de la frontière agricole. Or, des études récentes indiquent que les cultures des petits exploitants (qui sont ceux qui nourrissent le pays) n’ont pas augmenté, alors que la culture industrielle de palmiers africains, de canne à sucre, d’eucalyptus, de pins et de tecks s’est développée rapidement ; c’est donc cette culture industrielle qui a provoqué la disparition des forêts que nous venons de mentionner. En 2014, l’Équateur a exporté 190 000 mètres cubes de bois de teck, ce qui représente des dégâts écologiques considérables. Le gouvernement équatorien est le responsable de la promotion et de l’expansion de cette industrie dans le pays, au détriment de la diversité agrobiologique et des écosystèmes indigènes, comme la forêt sèche des provinces de Guayas et Manabí.

Les plantations de teck équatoriennes ne sont pas destinées à la consommation intérieure. Tout le bois de teck est exporté. Les exportations vers l’Inde représentent 95 % de la production du pays, c’est-à-dire entre 150 000 et 160 000 tonnes par an, soit près de 30 millions USD de bénéfice pour l’industrie. Les bénéfices économiques pour les endroits où le bois est produit sont très faibles, car les plantations créent très peu d’emplois et les producteurs ne font aucun investissement d’ordre social ; en revanche, ces plantations provoquent une pénurie d’eau et la perte de la souveraineté alimentaire.

En 2015, le ministère de l’Agriculture de l’Équateur (MAGAP) a signalé qu’il était prévu que les plantations de teck atteignent 100 000 hectares en 2017. En 2016, les exportations de bois de teck ont augmenté de 52 % en tonnes et de 30 % en valeur au cours du premier semestre (5) par rapport à 2015, année où elles avaient également augmenté. À l’heure actuelle, d’après les chiffres officiels l’Équateur a près de 50 000 hectares de plantations de teck ; pourtant, d’après l’Association équatorienne de producteurs et de marchands de teck et de bois tropicaux (Asoteca), la superficie plantée atteindrait 200 000 hectares. La différence entre les données du MAGAP et celles de l’Asoteca est due au fait que toute l’information n’est pas enregistrée et qu’elle n’est pas actualisée. Plus de 90 % des plantations sont dans les provinces de Guayas, Manabí, Esmeraldas et Los Ríos. À long terme les producteurs et les entrepreneurs forestiers prévoient d’avoir près d’un million d’hectares de plantations de teck entre 2032 et 2042. (7) Les données officielles quant au nombre d’hectares plantés ne sont pas claires, et les effets sur l’environnement le sont encore moins parce que l’État n’assure aucun contrôle de ces plantations.

Le Programme d’incitations pour le reboisement à des fins commerciales du MAGAP se décrit lui-même comme « un transfert économique non remboursable que l’État remet [...] à des personnes physiques ou juridiques, à des communes, des associations et des coopératives de production pour financer ou rembourser une partie des frais d’établissement et d’entretien de la plantation forestière ». « Le programme remettra à des personnes physiques et juridiques [entreprises privées] des incitations d’ordre économique ne dépassant pas 75 % des frais d’établissement et 75 % des frais d’entretien de la plantation pendant les quatre premières années ». (8)

Le MAGAP a affirmé que de 2011 à 2016 plus de 53 millions USD ont été investis dans l’établissement de 52 395 hectares de plantations forestières grâce à ce programme. (9) Sur ce total, presque 20 000 hectares correspondent à des plantations de teck ; cette essence est celle qui a connu le plus fort développement et la plupart des ressources économiques allouées ont été reçues par des entreprises privées.

Des effets dévastateurs

Dans la province de Guayas, où se trouve le plus grand nombre de plantations industrielles de teck du pays, surtout dans le canton de Balzar, le paysage est désolant.

Dans une plantation industrielle de teck il n’y a pas d’animaux. Les paysans de la région sont témoins qu’il n’y a même pas d’oiseaux : « aucun oiseau ne vient nicher ici ». Les tecks n’ont pas d’échanges positifs avec l’environnement : comme ce sont des arbres à croissance rapide, ils consomment de grands volumes d’eau et de nutriments et, en plus, ils ont besoin de produits toxiques.

En Inde, le gouvernement demande que les grumes et les blocs de ce bois soient traités sur place (là où ils sont produits) au bromure de méthyle, dont l’emploi est interdit en Équateur en raison de sa très forte toxicité. À la place, l’Équateur a proposé d’utiliser du phosphure d’aluminium, un pesticide très dangereux car, au contact avec l’eau, il libère un gaz fortement toxique dénommé phosphine. Ce pesticide est responsable d’un taux élevé de maladies mortelles pour les populations et les espaces affectés. Son emploi pour satisfaire aux exigences de l’industrie implique donc un énorme risque pour les travailleurs, les populations voisines et l’environnement.

En Équateur, au moment de la quatrième extraction et de la coupe finale à 20 ans, les racines de l’arbre restent vivantes, comme celles de l’eucalyptus, de sorte que l’arbre produit des rejetons ; ceux-ci sont tous coupés sauf un. Ce rejeton continue de croître et au bout de 8 ans seulement il atteint la hauteur et le diamètre d’un arbre de 20 ans. Pendant ces 8 ans il absorbe autant de minéraux et d’eau qu’un arbre de 20 ans, de sorte que chaque nouveau cycle de croissance accélère l’érosion du sol et l’assèchement des fleuves. D’après les témoignages recueillis sur place, l’arbre pourrait ainsi repousser un nombre illimité de fois.

Les entreprises surveillent la croissance de la plantation pendant les trois premières années, jusqu’à ce que le fût atteigne cinq mètres de haut ; 60 % de la valeur du bois sont là.

Il faut quatre personnes par hectare pour faire la plantation initiale. Ensuite on embauche trois personnes pour le travail intensif qui est nécessaire les trois premières années. À partir de la quatrième année, une personne suffit en général pour s’occuper des centaines d’hectares de tecks. Habituellement, le travailleur s’installe dans la plantation avec sa famille, au milieu d’un désert vert, sans possibilité de vie sociale ou d’échanges avec le village ou la communauté. « J’ai ici des plantations commencées en 2001 et je ne garde que le chef d’exploitation, ce sont des plantations de quatorze ans qui n’ont pas besoin d’entretien ».

En 2016, l’organisation équatorienne Acción Ecológica, accompagnée du Mouvement mondial pour les forêts et de l’organisation chilienne Mapuexpress, a parcouru la zone de Balzar (province de Guayas). Les visiteurs ont trouvé avec surprise que la plupart des arbres des plantations de teck semblaient avoir été brûlés, comme si un incendie les avait effleurés jusqu’à 80 centimètres du sol. Le sol aussi était noirci et au lieu de feuilles tombées il n’y avait que des cendres.

Les paysans brûlent les plantations de teck au moins une fois par an, parce qu’ils croient que cela améliore la couleur du bois de cœur qui est la seule partie précieuse de l’arbre. Plus il est jaune, plus il est cher. « On le brûle pour qu’il soit plus dur, ...plus coloré, parce que s’il est blanc ils ne l’achètent plus. Si l’intérieur est bien blanc on n’achète plus le bois. Ils n’achètent que ce qui est coloré. C’est pour cela qu’on y met le feu chaque année, pour qu’il prenne de la couleur. » En plus, cela nettoie le sol en brûlant les feuilles qui tombent et donc les frais diminuent parce qu’il  n’est pas nécessaire d’embaucher du personnel pour le faire. Cependant, les incendies provoquent une plus forte incidence des maladies respiratoires pendant la « saison de brûlage », à cause des particules et de la fumée qui diminuent la qualité de l’air.

D’autre part, les gens de la région affirment que deux ans après l’établissement des plantations le niveau de l’eau a baissé dans les rivières et les puits, que les sols sont très érodés et que la récupération est très longue : « Avant, quand il n’y avait pas de tecks, il y avait toujours de l’eau. Maintenant que les tecks sont là il n’y a plus d’eau ».

« Quand on enlève les arbres le sol n’a plus de protection, il n’a plus de minéraux. Et il faut sortir toutes les racines, et les racines du teck descendent beaucoup, elles sont profondes. Six mètres de profondeur. La première racine est celle qui descend le plus. Après avoir sorti l’arbre il est dur de réhabiliter le sol. Il faut semer du ‘sicapé’, une petite plante qu’il faut arroser. Cela reconstitue le sol. C’est une fève, mais elle n’est pas comestible. Une légumineuse. Pour le bétail oui, elle est comestible. »

D’après les gens du coin, les feuilles de teck ne se décomposeraient pas une fois tombées et elles empêcheraient la croissance d’autres plantes ; ce serait la raison pour laquelle il n’y a pas de cultures alimentaires dans les environs et encore moins à l’intérieur de la plantation. Le sol est poussiéreux et d’une couleur jaune pâle. « Tout est dévasté, il n’y a plus rien à manger, plus d’endroit où semer une petite tomate. » « [Le teck] est déprédateur, il détruit tout ce qu’il y a par terre. Il rend le sol stérile. Et en plus, s’il y a un teck et une autre plante à côté, de maïs par exemple, cette plante ne produit rien. [Cet arbre] ne sert même pas de nid aux oiseaux. »

Au Balzar, les paysans qui ont des plantations de tecks les ont non pas parce qu’ils l’ont voulu mais plutôt parce qu’ils n’ont pas pu l’éviter. En effet, cet arbre se reproduit très vite de façon spontanée. Les paysans disent que les graines germent très vite et que même les arbres qui ont été coupés produisent de nouveaux arbres. Ils ont dû se résigner à ce que les tecks envahissent leurs champs un peu plus chaque année. Les acheteurs paient moins cher ces arbres devenus sauvages, parce que le bois a des nœuds, le tronc n’est pas droit et le centre n’a pas la couleur jaune qu’ils recherchent. « Mon père a pris des graines du premier arbre qu’ils ont apporté ici. Avant il n’y avait pas de tecks, mais ils ont commencé à tout envahir. Lui n’a pas continué de les semer, mais ils ont tout envahi. »

Pendant le parcours de Balzar nous avons visité la plus grande entreprise de teck de la zone. Le propriétaire nous a dit que le plus important pour faire une plantation était d’obtenir les meilleures terres possibles, les plus productives, avec des conditions spécifiques concernant les minéraux et l’eau. Or, selon le décret interministériel signé en 2012 par le ministère de l’Environnement et le ministère de l’Agriculture, pour l’établissement d’une plantation forestière il faut utiliser des terres dégradées ou en voie de désertification. Mais en fait, les terres qu’on achète ou qu’on emploie pour ces plantations ne sont pas des terres dégradées que l’on veut rendre fertiles.

Quelques réflexions

En Équateur le teck est une espèce exotique qui peut être considérée comme envahissante du fait qu’elle n’a pas d’ennemis biologiques ni d’espèces concurrentes. Ainsi, elle ne cesse d’occuper de plus en plus de terres et de consommer l’eau disponible.  Cet arbre doit donc être considéré comme une menace pour les écosystèmes du pays.

Les plantations industrielles de tecks avancent à un rythme alarmant dans le monde, souvent financées par les gouvernements des pays producteurs, au détriment des petits paysans, des habitants des forêts et des forêts elles mêmes qui, du moins en Équateur, sont en train de disparaître au profit de cette espèce.

En occupant les meilleurs sols agricoles, les plantations de tecks provoquent leur érosion et la pénurie d’eau, et elles conspirent contre la vie paysanne traditionnelle. Pendant ce temps, les politiques qui visent à affermir la souveraineté alimentaire et à conserver et réhabiliter les forêts sont faibles ou presque inexistantes. Ne faudrait-il pas cesser d’appuyer les grandes industries forestières et commencer à aider les petits agriculteurs, les populations rurales et les peuples des forêts ?

Nathalia Bonilla, foresta [at] accionecologica.org

Acción Ecológica, Équateur, http://www.accionecologica.org/                          

* Les témoignages ont été recueillis en novembre 2016 au cours d’entretiens personnels avec des membres de la Fédération des centres agricoles de Guayas (FECAOL).

(1) Raymond L. Bryant, "Consumiendo la teca birmana: anatomía de un recurso de lujo violento", 2009.

(2) Nancy Peluso, Rich Forests, Poor People, 1992.

(3) http://www.fao.org/news/story/es/item/130596/icode/

(4) Trade Map en PROECUADOR, MERCOSUL, 2013

(5) Journal EL COMERCIO, consulté le 20/7/2017, http://www.elcomercio.com/actualidad/exportaciones-madera-crecimiento-teca-ecuador.html.

(6) Périodique El Universo, consulté le 20/7/2017, http://www.eluniverso.com/noticias/2015/05/13/nota/4867046/ecuador-pasa-primer-lugar-ventas-teca-india.

(7) Périodique El Universo, consulté le 20/7/2017, http://www.eluniverso.com/noticias/2015/05/13/nota/4867046/ecuador-pasa-primer-lugar-ventas-teca-india.

(8) MAGAP, 2016,  p. 6.

(9) MAGAP, 2016, Programa de Incentivos para la Reforestación con Fines Comerciales. ¡El incentivo es Efectivo! http://ecuadorforestal.org/wp-content/uploads/2014/06/SPF-FOLLETO-PIF-2014-050614.pdf ; et MAE, mars 2014, Plan de Restauración Forestal, http://sociobosque.ambiente.gob.ec/files/images/articulos/archivos/amrPlanRF.pdf.