Ouganda: les plantations comme puits de carbone profitent aux investisseurs et certificateurs étrangers, mais les communautés perdent leurs moyens d’existence

La plantation commerciale d’arbres située dans le district de Kiboga, le ‘couloir de bétail’ de la région occidentale d’Ouganda, porte le nom de «Réserve de forêt de Kikonda» et couvre 12 182 hectares qui appartiennent à l’Autorité forestière nationale du pays (NFA). Cependant, la terre est gérée par la société privée allemande Global-Woods AG. Le projet de plantation a démarré en 2002, grâce à une concession pour la ‘culture d’arbres’ octroyée par la NFA. Chaque année, près d’un million d’arbres sont plantés sur une superficie de 1 000 hectares, dans le but de piéger du dioxyde de carbone de l’atmosphère et de le ‘stocker’, mais aussi de produire des grumes de sciage et du bois énergie (1).

 Le contrat permet à Global-Woods de planter et de ‘récolter’ des arbres –bien que la zone soit, officiellement, une ‘réserve naturelle’ – en échange d’un paiement unique de 410 USD et d’une redevance annuelle d’environ 4,10 USD pour chaque hectare planté. Rien n’est payé pour les zones où l’entreprise n’a pas planté d’arbres. Quand le gouvernement ougandais a compris que les investisseurs tiraient profit du système, il a essayé de négocier des conditions plus favorables pour la Réserve de Kikonda avec l’Institut für Entwicklung und Umwelt (IEU), une société allemande dirigée par un ancien membre écologiste du Parlement européen, l’entreprise s’y est opposée, en disant: «Notre avion pour l’Allemagne part cette nuit; il faudra signer maintenant ou jamais» (2).

 Depuis le début de la mise en œuvre du projet, Global-Woods a eu des conflits permanents avec les communautés locales, auxquelles on a interdit de couper des arbres, de pratiquer l’agriculture ou de faire paître des animaux dans la zone. La loi ougandaise interdit de récolter du bois pour faire du charbon et de faire paître du bétail dans les ‘réserves’, mais cette loi n’était pas appliquée avant le projet. Ces restrictions ont provoqué également des contradictions dans la gestion; tandis qu’à certaines époques le pâturage était autorisé moyennant le paiement d’un tarif, à d’autres moments on y appliquait des amendes d’environ 400 USD. Les éleveurs ont perdu l’accès à des ‘digues de vallée’ spécialement construites pour eux en 1992, en collaboration avec Irish Aid. Après 2009, une évaluation intérieure a indiqué qu’il fallait changer de stratégie, et l’entreprise a construit deux digues pour l’accès du bétail à l’extérieur de la réserve (3).

 Cette plantation d’arbres est certifiée par la méthode CarbonFix, un système de certification des projets de compensation d’émissions. CarbonFix vient d’être achetée par la société Gold Standard, qui certifie des projets de vente de crédits carbone (4). Dans leur rapport, les certificateurs confirment que le projet est censé stocker 888,033 tonnes d’équivalent CO2 pendant la période de 50 ans sur lesquelles portent les calculs (bien que le bail de Global-Woods soit de 49 seulement, et que la plantation n’ait pas commencé immédiatement); le volume ‘piégé’ se traduit par des crédits carbone que le propriétaire du projet peut vendre. Le projet a été certifié également suivant la norme CCB (Climate, Community and Biodiversity Standard), un autre système qui a déterminé des critères pour évaluer les projets de vente de compensations de carbone, surtout par rapport à leurs impacts écologiques et sociaux. Une troisième équipe de consultants a certifié la gestion des plantations d’arbres en appliquant les normes du Forest Stewardship Council (FSC). Il faut donc se demander comment un projet truffé de conflits et de contradictions a pu être soutenu par tant de systèmes de certification.

 La norme CCB exige que le projet rapporte des bénéfices nets aux communautés, et le document descriptif du projet (DDP) doit présenter «une estimation crédible» des avantages nets pour le bien-être des communautés qui découleront des activités du projet. Le DDP concernant Kikonda affirme que les communautés voisines de la plantation auront des possibilités d’emploi et pourront planter des arbres sur des terres privées par l’intermédiaire d’une organisation qui s’est formée autour du projet. Pourtant, seuls les propriétaires de terres peuvent profiter des activités de plantation d’arbres; or, un rapport de Global-Woods révèle que seulement 4 % des familles des alentours du projet ont des titres de propriété de la terre qu’elles cultivent. Il était prévu aussi que les membres de la communauté puissent profiter aussi directement des paiements pour le carbone forestier des arbres plantés dans une zone tampon entourant le projet, mais cette initiative a déjà échoué et elle a été annulée.

 Le DDP affirme aussi que, du moment que le projet se contente d’appliquer la loi, il ne peut pas être tenu pour responsable des conséquences. Le pâturage, la fabrication de charbon et la récolte de bois de feu étant interdites dans la réserve de Kikonda par les normes de la NFA, les membres des communautés «devront mettre fin à leurs activités illégales dans la réserve et chercher du travail ailleurs». L’entreprise affirme qu’on a accordé suffisamment de temps aux personnes touchées pour qu’elles «se décident à accepter les emplois proposés par le projet ou à trouver d’autres manières de gagner de l’argent». D’autres «ont encore la possibilité de maintenir leur mode de vie en travaillant à d’autres endroits du pays». En outre, le DDP de 2008 dit que les gardes de sécurité employés par la direction du projet «patrouillent constamment la zone de la réserve pour empêcher toute activité illégale. Ces patrouilles rappellent tout le temps aux gens de la zone que la réserve ne peut être utilisée que pour planter des arbres. Du moment que le gouvernement n’a pas le personnel nécessaire pour arrêter les coupables sur le terrain, ces gardes de sécurité s’en chargent et les conduisent s’il le faut au poste de police». (5)

 Les communautés environnantes se plaignent de nombreux conflits avec le projet: amendes, arrestations arbitraires et confiscation du bétail qui entre dans la réserve, refus d’accès aux réservoirs d’eau qui avaient été construits pour la population, corruption généralisées des gardes forestiers, etc. En 2011 seulement – 9 ans après le début du projet – Global-Woods a effectué ce qu’elle appelle une «étude socio-économique de base». Le rapport confirme de nombreux problèmes que les communautés avaient dénoncés, et révèle aussi des lacunes considérables dans les connaissances sur les communautés de la zone qu’avaient les promoteurs du projet. Le rapport d’enquête le plus récent dit: «À l’origine, on avait supposé qu’il y avait 20 communautés, et l’intention était de les inclure toutes. Pendant l’enquête, nous avons appris qu’il y en avait davantage, et nous avons enregistré au total 44 communautés». Cela veut dire que Global-Woods ne connaissait pas du tout la zone des environs, et que les inspecteurs de plusieurs systèmes de certification avaient certifié le projet en dépit d’erreurs aussi fondamentales dans la documentation correspondante.

 Le rapport de validation du projet de CCB montre bien que les inspecteurs avaient remarqué beaucoup d’erreurs du projet concernant les effets négatifs sur les communautés, les bases de référence et la supervision. Néanmoins, au lieu d’exiger que ces problèmes soient résolus, on a demandé au projet de prendre certaines mesures... à un stade ultérieur. Les inspecteurs lui ont même délivré un certificat de niveau ‘Silver’, en se fondant en partie sur le fait que le projet respectait les critères concernant les «meilleures pratiques quant à la participation communautaire».

 De même, les projets certifiés par CCB doivent avoir «des effets positifs nets sur la biodiversité à l’intérieur des limites de la zone du projet et pour la durée de ce dernier», par rapport à la situation de départ. Ils ne doivent pas avoir d’effets négatifs sur les espèces de la Liste rouge de l’UICN, où figurent les espèces en danger, ni sur celles d’une liste nationale reconnue. Or, le projet de Kikonda implique de remplacer par de grandes plantations industrielles d’arbres les forêts dégradées, les prairies et les fourrés qui s’y trouvent. Sans aucun doute, cela aura de graves effets sur l’environnement et provoquera directement la diminution de la biodiversité de la zone.

 Le projet propose de compenser ces effets négatifs en conservant et en augmentant la biodiversité dans une ‘zone de conservation’ plus petite à l’intérieur de ses limites. Ainsi, le projet de compensation de carbone renfermerait également un projet de ‘compensation de biodiversité’. Or, en regardant la carte on se rend compte que la ‘zone de conservation’ n’a pas été définie à partir de considérations concernant la biodiversité: il s’agit d’une ravine marécageuse où coule une rivière. La zone réservée n’est donc pas appropriée pour la plantation de pins et, en outre, les normes de la NFA interdisent de planter dans au moins une partie des zones de ce type.

 Ainsi, les membres de la communauté voient disparaître leurs moyens d’existence, et reçoivent en échange de vagues promesses d’emploi (mal payé) dans les plantations que l’on crée sur les terres dont ils avaient l’usage selon la loi coutumière. Tandis que la population locale est criminalisée ou directement expulsée, les entreprises étrangères, les certificateurs et les investisseurs, grâce aux concessions et à une législation favorable au capital privé, peuvent vendre du bois et des crédits carbone à leur propre profit.

L’information utilisée dans cette article est tirée du rapport 2013 de la Société suédoise pour la conservation de la nature (SSNC), “REDD Plus or REDD ‘Light’? Biodiversity, communities and forest carbon certification”, http://www.redd-monitor.org/wp-content/uploads/2013/02/REDD-plus-or-REDD-light130121.pdf, et de "Tree Trouble", rapport compilé par Friends of the Earth, WRM et FERN, http://www.sinkswatch.org/sites/fern.org/files/pubs/reports/treetr.pdf.

(1) http://www.uganda.global-woods.com/3.html.

(2) http://www.blackherbals.com/climate_justice_now.htm

(3) Nel, A, Forthcoming thesis, Sequestering market environmentalism: A geography of carbon forestry and unevenness in Uganda, université d’Otago, Nouvelle-Zélande.

(4) http://www.carbonfix.info/.

(5) https://s3.amazonaws.com/CCBA/Projects/Kikonda_Forest_Reserve_Reforestation_Project/CCBS_KFR.pdf.