Cet éditorial vise à lancer une alerte à propos des stratégies incontestées des entreprises qui dominent les processus internationaux liés aux forêts, alors qu’ils semblent entrer dans de nouvelles phases. Les décisions prises ont des impacts très réels sur les communautés forestières ; il est donc primordial de rester vigilant.
Cette année 2020 démarre avec ses propres défis pour les forêts et les peuples des forêts, alors que les processus internationaux liés aux forêts semblent entrer dans de nouvelles phases. Cependant, le plus grand défi auquel nous sommes confrontés reste le même : malgré l’accumulation des preuves d’une destruction et d’une déforestation croissantes au cours des 20 dernières années, d’une dépossession et d’une violence toujours plus importante envers les populations forestières, les négociations internationales sur les forêts se retrouvent prises au piège de l’accaparement et des profits des entreprises, de la clôture des terres et de campagnes de « greenwashing » dominées par des initiatives volontaires.
Cet éditorial vise à lancer une alerte maximale à propos des stratégies incontestées des entreprises qui dominent les processus internationaux de prise de décision. Les décisions prises ont fréquemment des impacts très réels sur la vie des populations et des communautés forestières ; il est donc primordial que les citoyens et les populations forestières et leurs alliés restent vigilants face à tous les risques possibles.
Cette année, l’Accord de Paris des Nations Unies sur le climat de 2016 sera suivi d’une réévaluation des objectifs nationaux fixés pour chaque pays. L’Accord de Paris fait des forêts (et des arbres) l’une des principales « solutions » pour éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère, et favorise ainsi les plantations industrielles d’arbres dans le monde entier. (1) Cependant, aucun accord n’a été trouvé sur les questions clés liées aux marchés du carbone et aux mécanismes de compensation lors des négociations climatiques de l’ONU en novembre 2019. Malgré cela, diverses initiatives volontaires et des millions de dollars sont désormais consacrés au développement de programmes de compensation forestière (2) et des plantations à grande échelle (3) en tant que « solutions » viables à la crise climatique. Sans surprise, les stratégies visant à laisser les combustibles fossiles dans le sol (4) ne sont pas discutées, malgré le fait que l’extraction et la combustion des combustibles fossiles ont été identifiées comme la principale cause de la crise climatique qui frappe la planète.
Au cours des négociations sur le climat de 2019, les secteurs des combustibles fossiles et de la conservation ont gagné du terrain en élaborant un nouveau terme pour la compensation : les solutions fondées sur la nature (5) (ou solutions climatiques naturelles), qui ont été présentées comme la solution à la crise climatique. REDD+ (6), la politique forestière très médiatisée qui est en place depuis 15 ans, a été remplacée par des discours portant sur des solutions basées sur la nature (SFN), qui visent à accroître le « stockage » du carbone dans le monde naturel. Dans le même temps, les discussions sur la déforestation ont laissé la place à la « restauration ». Encore une fois, il ne s’agit pas de s’attaquer aux véritables causes de la crise climatique. Nous sommes confrontés à un scénario plein d’opportunités pour le secteur des entreprises, car la responsabilité de la crise climatique n’est pas attribuée aux entreprises responsables de la déforestation à grande échelle, de la dégradation des forêts et de la pollution climatique, mais aux pratiques agricoles paysannes et autochtones.
Un autre processus international a été mis en place cette année : le Cadre mondial post-2020 pour la biodiversité lors de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB). La CBD est censée chercher à protéger la biodiversité, mais elle a au contraire également favorisé de fausses solutions néfastes, telles que les compensations de la biodiversité. (7) Ce mécanisme a reçu le soutien de nombreuses ONG conservationnistes, de sociétés industrielles polluantes, des Nations Unies et de la Banque mondiale, et est principalement utilisé par l’industrie minière. Pourquoi ? Parce qu’il permet essentiellement aux industries extractives et autres de s’implanter dans des zones forestières où ces activités d’extraction étaient auparavant interdites, dès lors que ces entreprises « protègent » ou « recréent » une autre zone qui est « équivalente » en termes de biodiversité.
L’industrie de la conservation et les entreprises qui sont leurs alliées cherchent à « verdir » des opérations destructrices et font maintenant pression pour une expansion massive des aires protégées à travers le monde. Selon l’UICN, elles ont fixé un objectif de 30 % de la superficie mondiale Le modèle de conservation traditionnel (8) fait l’hypothèse que la « nature » doit être séparée de l’activité humaine. Par conséquent, une augmentation des aires protégées signifie également plus d’expulsions, de violence et de discrimination contre les véritables protecteurs des forêts : les communautés autochtones et tributaires des forêts. Cela pourrait également se traduire par une augmentation du nombre de zones disponibles pour compenser les pratiques commerciales des entreprises.
Enfin, il est également important pour les forêts et les populations forestières de mentionner les projets du Programme de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA), qui devrait démarrer en 2021. L’industrie aéronautique se classe parmi les secteurs les plus polluants du monde. Le principal objectif de ce programme est de permettre aux émissions croissantes de l’industrie aéronautique de continuer à augmenter en prétendant que les compagnies aériennes « compenseront » ces émissions. Les décisions concernant les types de compensations qui seront inclus dans CORSIA seront examinées cette année. Dès le 7 janvier 2020, le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) de la Banque mondiale a demandé à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) d’accepter les crédits compensatoires REDD+ du FCPF. (9)
Aucun de ces accords et négociations n’est destiné à résoudre une quelconque crise. On ne touche pas aux véritables causes de la crise climatique tandis que les fausses solutions qui renforcent la pression foncière et la clôture des terres au profit des intérêts des entreprises, ainsi que les injustices historiques, la déforestation, la pollution, la violence, la discrimination, etc., continuent d’être promues, financées et facilitées.
Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. La résistance est fertile. Un récent projet de recherche commandé par l’Alliance informelle contre les plantations de palmiers à huile en Afrique occidentale et centrale (10), montre qu’il y a eu une baisse significative du nombre et de la superficie totale des transactions foncières pour les plantations industrielles de palmiers à huile au cours des 5 dernières années, qui est passée de 4,7 à 2,7 millions d’hectares. Cela tient en grande partie à la résistance croissante à cette industrie destructrice et violente.
Le WRM réaffirme une fois de plus sa solidarité avec les populations forestières qui continuent lutter pour défendre leurs territoires contre les véritables causes des crises climatiques et forestières.
(1) https://wrm.org.uy/fr/les-
(2) https://wrm.org.uy/fr/les-
(3) https://wrm.org.uy/fr/les-
(4) https://wrm.org.uy/fr/les-
(5) https://wrm.org.uy/fr/les-
(6) https://wrm.org.uy/fr/index-
(7) https://wrm.org.uy/fr/?s=
(8) https://wrm.org.uy/fr/
(9) https://redd-monitor.org/2020/
(10) https://www.grain.org/fr/