Des leaders indigènes Tupinikim au Brésil rapportent l'expérience de leur peuple dans la lutte contre l'une des plus grandes entreprises de plantation d'eucalyptus et de production de cellulose au monde: Aracruz Celulose – l'actuelle Suzano Papel e Celulose. Ils racontent les enseignements tirés d'une lutte au cours de laquelle les peuples indigènes ont récupéré 18.070 hectares de terres.
Il s'agit du premier article d'une série sur l'expérience des communautés qui ont repris leurs territoires, envahis par des monocultures d'arbres. Dans cet article, deux dirigeants indigènes Tupinikim du Brésil décrivent l'expérience de leur peuple dans la lutte pour la terre contre l'une des plus grandes entreprises de plantation d'eucalyptus et de production de cellulose au monde: Aracruz Celulose – l'actuelle Suzano Papel e Celulose. Ils parlent des principaux enseignements qu´ils en ont tiré, des défis et des difficultés.
En 1500, lorsque a débuté l'invasion du Brésil par les colons portugais, les Tupinikim habitaient une superficie qui s´étendait sur de milliers de kilomètres des côtes brésiliennes, du nord-est jusqu´au sud du pays. Après des siècles de combats, de génocides et de massacres, ils n´occupaient, dans les années 1960, qu`un petit territoire de l'actuelle municipalité d'Aracruz, au nord de l'État d'Espirito Santo, où ils étaient répartis dans 40 villages d'une région de la Forêt Atlantique. C'est à cette époque de recherche de la Terre sans Mal, qu´un groupe d'indigènes de la tribu Guarani les a rejoints.
En 1967, en pleine dictature militaire, qu´Aracruz Celulose envahit ce territoire et détruisit presque tous les villages indigènes, y compris le village de Macacos, où serait, plus tard, construit le complexe des 3 usines cellulose d'Aracruz. Les Tupinikim et les Guaranis sont restés confinés dans 3 villages seulement. Outre qu´ils ont perdu leur territoire, Aracruz a abattu une grande part de la forêt pour planter la monoculture d'eucalyptus.
Ce qui aurait pu paraitre un coup mortel a été, en fait, le point de départ d'une lutte qui a duré plus de 40 ans, durant laquelle, en 3 étapes, les indigènes ont récupéré 18.070 hectares de terres. Le gouvernement fédéral a reconnu et a démarqué 4.492 hectares en 1981, 2.568 hectares en 1998 et, enfin, 11.000 hectares en 2007 en tant que Terres Indigènes Tupinikim-Guarani.
Pour que cela se produise, les peuples indigènes ont dû faire pression sur le gouvernement afin de garantir le droit des Tupinikim-Guarani aux terres traditionnellement occupées par eux, comme il est stipulé dans la Constitution brésilienne. Pour cela, en 1980, 1998 et 2005, les Tupinikim et les Guaranis ont utilisé la tactique qu'ils appellent «auto-démarcation». Sur la base de l'identification des terres préalablement effectuée par un groupe technique désigné par le gouvernement fédéral et en collaboration avec les communautés, les peuples indigènes ont abattu les eucalyptus d'Aracruz afin de délimiter eux-mêmes leur territoire.
Malgré les actions violentes de la police et d'Aracruz qui ont détruit les villages que les indigènes avaient reconstruits dans la zone récupérée et réoccupée; malgré une campagne raciste promue par Aracruz - alléguant que les Tupinikims n'étaient pas des indigènes - les Tupinikims et les Guaranis sont restés inébranlables et ont continué à se battre jusqu'à ce que le ministre de la Justice signe, en 2007, l'ordonnance de démarcation reconnaissant officiellement leurs terres.
Mais le combat n'est pas encore terminé. Le gouvernement anti-indigène de Jair Bolsonaro, conjointement avec d'autres forces anti-indigènes, cherche maintenant à adopter le soi-disant «jalon temporel», qui suggère qu'il n'est possible de démarquer des terres indigènes que là où les peuples indigènes étaient présents en 1988. Cela pourrait entraîner l'annulation de la propriété de la plupart des terres tupinikim et guarani dans l´État de Espirito Santo.
Le WRM parle au sujet de ces 40 ans de lutte pour la terre Tupinikim-Guarani avec Deusdeia Tupinikim, femme leader du village de Pau Brasil, et Paulo Henrique, leader Tupinikim du village de Caieiras Velhas et coordinateur de l'organisation indigène APOINME qui lutte pour les droits des peuples indigènes du Nord-Est du Brésil, des États de Minas Gerais et d'Espirito Santo.
WRM : Dans cette lutte de 40 ans, vous avez eu trois moments de lutte dans lesquels vous avez fait l'auto-démarcation du territoire. Comment ce combat a-t-il débuté et qu'est-ce que l'auto-démarcation ?
Paulo: Tout d'abord, j´aimerais pouvoir remercier de m'avoir donné l`occasion de vous parler et de pouvoir ainsi transmettre un peu de notre expérience aux autres communautés qui font face à ce défi de récupérer leur territoire. Ici au Brésil, la lutte pour la terre est toujours un goulot d'étranglement et un défi pour de nombreux peuples, des communautés et des mouvements sociaux. Nous avons pu le faire, même en sachant que ces 18.070 hectares de terres ne représentent pas le territoire intégral, mais c'est ce qui était revendiqué à l'époque par les leaders auprès de la FUNAI [agence gouvernementale pour les affaires indigènes], et il a été considéré comme le minimum suffisant pour la reproduction physique et culturelle des peuples indigènes ici dans la région. Lors du premier combat, j'étais encore un enfant, lors du deuxième j'ai participé un peu et j'ai participé plus intensément au troisième.
Afin de lancer un combat pour la terre, l'essentiel est de savoir ce que vous voulez et d'avoir des preuves concrètes en guise d´appui afin que vous puissiez entrer dans un combat comme celui-ci bien étayés. Nous avions des documents historiques prouvant notre occupation traditionnelle du territoire, y compris un document de 1610 qui montre que la Couronne Portugaise avait fait don d'une concession de terres aux Tupinikim, sur les terres occupées, plus tard, par Aracruz Florestal.
Nous avons fait l'auto-démarcation à trois reprises, en 1980, 1998 et 2005. Cela signifie que nous avons, nous-mêmes, délimité notre territoire. À chaque fois que nous avons fait cela, nous savions que nous devions le faire, adopter le combat, parce que le gouvernement avait paralysé et classé notre procès. Nous devions forcer le gouvernement pour qu'il reprenne le procès, qu´il reconnaisse et délimite notre territoire. Nous avons fait l´auto-démarcation avec la participation de toutes les communautés.
Deusdeia : Nous sommes entrés dans le combat pour la terre car, pour nous, la question de l'eau était très importante : les restingas (1), les sources, les points d'eau. Nous avons également commencé à identifier, mettre de côté certaines terres afin que la nature puisse avoir la liberté de renaitre. Nous avions aussi besoin de plus d'espace car aujourd'hui, seulement dans le village de Pau Brasil, nous avons plus de 200 familles vivant ici. Notre plus grand rêve était donc d'avoir cet espace pour que nos enfants et petits-enfants puissent construire leur maison, avoir la liberté de sortir, la liberté de pêcher, la liberté de planter et de prendre soin de l'environnement car Aracruz avait planté jusque-là des eucalyptus même dans les grottes, sur les berges et même dans le lit des ruisseaux et les rivières. À la suite de notre lutte, l’eau coule de nouveau dans plusieurs ruisseaux là où il n´y a plus de plantations d´eucalyptus.
WRM : Quelles ont été les principales leçons que vous avez tirées de ce long combat ?
Paulo: La première leçon que je retiens est que rien n'est impossible. Nous avons lutté contre une entreprise multinationale. Nous avons été très critiqués, nous avons subi des représailles de la part du gouvernement, nous avons subi des persécutions, des préjugés et de la discrimination, mais nous n'avons pas courbé l´échine.
La deuxième leçon est l'union des peuples qui ne pourra être atteinte que si l´on met de côté les différences qui existent entre certains, en s'unissant et combattant un ennemi plus grand qui à l´époque était Aracruz Celulose. Il n'y avait personne qui soit plus grand ou plus petit, nous étions tous dans le même bateau. Si quelqu´un se faisait tirer dessus, tout le monde prendrait la balle, si l´un pouvait manger, tout le monde mangerait. Cette égalité a été très importante.
La troisième leçon est l'importance d'avoir un seul objectif. Notre objectif était la reconquête du territoire et à aucun moment nous ne nous sommes écartés de cet objectif. Nous pouvions élaborer différents plans pour atteindre notre objectif, mais l'objectif était clair et unique.
Deusdeia : Ce combat a été une excellente expérience d'apprentissage et, au fil des ans, nous avons grandi, nous avons vu comment nous pouvions améliorer le combat. A chaque combat, les caciques, ensemble avec les communautés, avaient une meilleure compréhension des lois, de la façon de se regrouper et d`élaborer des stratégies. L'une des choses qui m'a frappée, ce sont les combats de 1998 et 2005 parce que c'est à ce moment-là que nous, les femmes, nous étions bien impliquées.
WRM : Quels ont été les écueils, pour les femmes indigènes, à entrer dans cette lutte? Comment avez-vous eu le courage d'être là-bas, dans l'occupation, avec les hommes ?
Deusdeia : Je me souviens bien quand nous nous sommes réunis [le 1er jour de l'auto-démarcation, en 2005, lorsque la police était en train d´arriver], lorsque les caciques et les leaders, pour lesquels j'ai beaucoup de respect, ont dit que quiconque voudrait rentrer chez soi, qu’il le fasse, mais qu´eux, ils allaient rester jusqu'à la fin. Nous étions nombreux. Comment nous avons fait pour décider de ne pas laisser les caciques seuls, je ne saurais pas dire. Je pense que c´est notre Dieu Tupã, qui nous a beaucoup encouragés à avoir du courage et rester auprès de nos leaders. Et lorsque tu es sûr que ça [la terre] est à toi, tu te lances sans crainte de commettre des erreurs. C'est à ce moment-là que nous, les femmes, avions dit que nous étions venues ici et que nous ne partirions d'ici qu´en compagnie de tous, une fois que la terre serait reconquise.
Je me souviens que lorsque nous avons occupé l'usine d'Aracruz, nous, les femmes et les enfants, étions restés devant. Ils ont dit qu’ils n'avaient rien fait aux hommes à cause de la présence de femmes et des enfants et cela nous a renforcés en tant que femmes. Dans toutes les actions que nous avons faites, nous étions là, avec notre arc et nos flèches, avec nos coiffes, et lorsque nous nous sommes mises devant eux, nous avons vu que les policiers ne combattaient pas. Cependant, lorsqu`ils sont arrivés à Olho d'Agua avec le tracteur pour détruire le village et la salle de prière, nous n'étions pas présentes là-bas, à ce moment-là.
Encore aujourd'hui, lors des rencontres au sein des communautés, nous avons notre mot à dire, et nous parlons. Et cela a renforcé et encouragé les femmes. Cette situation d´un autre temps, lorsque les femmes restaient en retrait, aujourd'hui cela ne se reproduit plus. Aujourd'hui, nous sommes côte à côte ici dans la lutte. Et si je dois me battre de nouveau, je serai certainement là si je le peux. Ces jeunes qui se sont rendus à Brasilia, pour lutter contre le «jalon temporel», m´envoyaient des messages, à moi: «regarde femme, tu es une guerrière, nous sommes ici parce que nous avons été inspirés par toi ». C'est pour moi un honneur de savoir qu'à travers notre combat, non seulement le mien mais le combat de nombreuses femmes, dont certaines sont déjà parties, d'autres continuent de lutter, les jeunes d'aujourd'hui s'inspirent.
WRM : Quels ont été les principaux défis, les difficultés que vous avez rencontrées dans ce combat ?
Paulo: Le principal défi pour commencer le dernier combat de 2005 était de nous mettre en tête que le territoire était plus important qu´un accord qui avait été signé en 1998 avec Aracruz Celulose. Les leaders et les communautés étaient attachés à cet Accord, qui démarquait une partie de notre territoire, transférait de l'argent et quelques autres bénéfices aux communautés et, en échange, cédait une grande partie de nos terres à Aracruz. C'était un énorme défi et je l'ai ressenti très directement car j'étais l'un des rares à remettre en question cet accord. Mais, nous avons réalisé un travail de sensibilisation dans les communautés, en parlant aux gens, jusqu'à ce que nous ayons eu un leadership auprès de toutes les communautés qui a compris que nous luttions en faveur de notre territoire.
Un autre défi lié à cet accord était de renoncer aux choses que nous avions obtenues en 1998 : des inscriptions à l´université, des projets agricoles, des transferts d'argent distribués aux familles de la vente d'eucalyptus, à Aracruz Celulose, planté sur des terres indigènes; de se détacher donc de tout ça pour ensuite aller se battre pour le territoire. On nous a beaucoup critiqués en disant qu'on mettait tout à terre, qu'il ne resterait plus rien, mais nous sommes restés sur nos positions et nous avons pu démontrer que le territoire était extrêmement important.
Un défi encore plus grand en a résulté qui était celui de rassembler toutes les communautés pour pouvoir nous battre. Nous avons tenu une assemblée générale et c´est surtout le discours des anciens qui a été extrêmement déterminant car ils ont réussi à expliquer aux gens l'importance de la lutte pour la terre et nous avons ensuite réussi à nous rassembler et à convaincre toutes les autres communautés à se joindre à nous dans cette lutte.
Bien sûr, nous avons eu beaucoup d'autres défis. Je me souviens qu'au milieu de la lutte, des gens disaient: « Pourquoi sommes-nous ici, luttant pour ces terres. Laissons ces terres à Aracruz et continuons à gagner de l'argent avec l'eucalyptus ». Ils disaient cela et essayaient de convaincre les autres pour qu'ils abandonnent. Nous avons donc dû faire un travail constant de sensibilisation auprès de la communauté, pour que nous soyons tous ensemble, avec les leaders, dans la lutte.
Un autre défi a eu lieu en janvier 2006 lorsque la police a envahi notre territoire (reconquis) et démantelé notre village Olho d'Água que nous avions reconstruit. Je me souviens que j'étais le premier à arriver là-bas, j´ai essayé de convaincre le commandant de police qui était devant moi pour l’en dissuader et en essayant de faire la médiation, mais, finalement, cela a conduit à toute la violence qui s´est produite là-bas. Mais nous sommes des Indiens, nous sommes têtus, et nous sommes allés là-bas et avons reconstruit encore une fois Olho d'Água et le village est là, Dieu merci.
WRM : C´est à l´occasion de cette dernière démarcation que vous avez non seulement démarqué le territoire, mais que vous avez décidé de l'occuper, en reconstruisant certains des anciens villages détruits comme Olho d'Agua. Pourquoi pensiez-vous qu'il était important d'occuper le territoire ?
Deusdeia : D'après les témoignages de nos aînés, il y avait une quarantaine de villages indigènes avant l'arrivée de l'entreprise. Lorsque nous avons commencé le combat, nous sommes sortis avec les plus âgés, tel M. Antonino de mon village. Il nous a emmenés là où il avait habité, dans le village de Cantagalo. À l'époque où il habitait là-bas, il y avait une grande rivière, et c´est pour ça que nous y avons trouvé une énorme quantité de coquilles d'huîtres. Cette coquille était comme notre identité qui était là-bas, prouvant que cet endroit avait été jadis la demeure du peuple indigène. Aujourd'hui, il n'y a plus d'eucalyptus là-bas, heureusement.
Lorsque nous avons décidé de prendre possession de ce territoire, c'était au monde de voir ces villages disparus, de voir tout ce grand territoire qui appartient aux peuples indigènes et, lorsque ces villages ont été sauvés, par exemple, dans le cas d'Olho d'Água, il y a une histoire. Je parle d'Olho d'Água comme d'un fils qui demande de l'aide. Car lorsque l'eucalyptus y a été planté, ce point d'eau ne s'est jamais tari, il était toujours vivant, mais demandant de l'aide. Même avec la plantation d'eucalyptus, cette eau n'est pas restée silencieuse. Le sauvetage de ce village était comme un rêve.
Paulo: Même méconnaissables aux yeux de certains, aux yeux des indigènes plus âgés ces anciens villages ne l'étaient évidemment pas, ils avaient une relation intime avec cet espace. Il était donc important de les reconstruire afin de relancer l'occupation du territoire. En d'autres termes, il n'est pas seulement important de démarquer. Nous avons décidé d´occuper afin de montrer que nous étions là non seulement à lutter pour la terre, mais à lutter pour nos espaces sacrés, ceux où vivaient nos ancêtres. Un troisième point est que les trois villages que nous avons reconstruits, Areal, Olho d'Água et Córrego d'Ouro, étaient des points stratégiques dans le territoire repris pour assurer la surveillance et le contrôle de notre espace, afin que nous puissions savoir qui entrait et qui sortait de notre territoire.
WRM : Y a-t-il eu un processus d´apprentissage tout au long de cette lutte de 40 ans ?
Paulo: Oui, et je tiens à souligner qu'il y a eu, d'une démarcation à l'autre, des processus de cooptation de leaders qui ont été aux avant-postes de la lutte, surtout dans la période de 1998 à 2005, celle que j'ai le plus suivie. Parce que je pense que nous étions en mesure, à ce moment-là, en 1998, d´achever la démarcation du territoire. Mais malheureusement, lors de l'auto-démarcation, les leaders ont subi des pressions et ont été emmenés à Brasilia, ils ont été cooptés et ont préféré accepter un Accord échangeant des terres contre de l'argent puis d'arrêter le combat. Mais en 2005, nous avons décidé de reprendre le combat car nous avons compris que la terre était plus importante que l'argent. C'est pourquoi je parle de l'importance de l'objectif qui doit être commun à tous. Ainsi, nous avons beaucoup appris, la lutte pour la terre a été comme une école qui nous a permis de mener d'autres luttes aussi. D´ailleurs, notre combat n'est pas terminé, il continuera car de nouvelles menaces pèsent sur notre territoire.
WRM : Comment la lutte pour la terre a-t-elle à voir avec la lutte pour sauver et renforcer l'identité culturelle des Tupinikim ?
Paulo: La lutte pour la terre fait partie de cette lutte pour sauver notre culture. D'abord, parce que c'est une terre traditionnelle Tupinikim, mais surtout, je voulais dire que la démarcation du territoire indigène devrait être considérée par nos peuples comme la lutte principale et par nos gouvernants comme la principale politique publique pour les peuples indigènes. Et ceci parce que le territoire est le début de tout. Si je n'ai pas de territoire assuré, je n'ai pas d'éducation, de santé de qualité, je n'ai pas d'environnement qui garantit ma survie, mon gagne-pain, je n'aurai pas d'espace pour exercer mes pratiques traditionnelles. Alors quand nous démarquons, occupons et reconstruisons les villages pour que nous puissions réaliser nos pratiques, nos rituels et nos cérémonies, c'est parce que notre territoire indigène nous le permet. Nous devons avoir cette relation avec la terre, avec les éléments de la nature.
Deusdeia : Lorsque nous avons commencé cette lutte pour reconquérir le territoire, un désir a également commencé émerger en nous en vue d'avoir une éducation indigène, avec nos éducateurs et de récupérer notre langue. Nous avons connu un enseignant de São Paulo, Navarro, qui a fait ce travail de sauvetage des langues avec différents peuples, nous avons connu un indien du peuple Potiguara qui a récupéré une langue qui ressemble à la nôtre et qui est aujourd´hui déjà la langue maternelle de ce peuple. Nous avons pu amener ces personnes ici et prendre des cours avec elles. Nous avons profité des connaissances des plus âgés parce qu'ils possédaient un vocabulaire encore fluide. Nous avons commencé à faire des recherches sur la langue et ma grand-mère a dit, à l'époque, qu'elle n'allait pas nous dire à quoi ressemblait notre langue parce qu'elle ne voulait pas qu´il nous arrive ce qu´elle a elle-même vécu. Elle a épousé une personne non indigène et a été beaucoup battue pour qu'elle parle « correctement ». C'était du machisme de vouloir faire taire les femmes pour qu´elles ne parlent pas leur langue. Mais nous avons réussi à prendre note de ses paroles qui voltigeaient. Puis vint la nécessité d´insérer le résultat du sauvetage de notre langue dans la salle de classe pour en faire profiter les enfants et les enseignants indigènes. Tout cela a été un grand pas en avant et cela s'est produit en même temps que la lutte pour la terre.
WRM : Lors du dernier combat en 2005-2007, Aracruz a lancé une campagne raciste en disant que vous n'étiez pas Tupinikim, suggérant que vous n'étiez pas indigènes. Quel en a été l'impact sur vous et pour le combat?
Deusdeia: Aracruz a tout essayé pour montrer au gouvernement et au monde, que nous n'étions pas d'ici, et également que nous n'étions pas indigènes. Mais cela ne nous a pas intimidés car nous étions sûrs d'être originaires de ce territoire. Notre certitude nous vient des récits des anciens. Nous avons été très fermes dans nos récits, nous avons vraiment interrogés nos anciens et avons continué le combat. En 2006, par exemple, nous avons mené une action et une occupation des usines de l'entreprise. Il n´y avait rien là-dedans qui puisse nous atteindre, bien au contraire. Nous nous sommes assis là avec des enfants, avec des femmes et même des personnes âgées s´étaient assis là également. Et lorsque l´on est sortis, ou même quand on allait à un affrontement, on était sûrs de ne pas mourir, mais d'aller à la conquête. Et plus Aracruz apportait ces déclarations à elle, plus nous étions sûrs, avec nos pieds bien ancrés sur terre, que cette Terre Mère, elle était bien là pour nous nourrir et que les enfants de nos enfants seraient enterrés ici dans cette terre.
Paulo: Je me souviens qu'une fois, étant allé dans la ville d'Aracruz pour faire mes courses au supermarché, j'ai mon corps peint et aussi celui de ma fille, c'était en fait quelque temps après le combat, mais juste pour que vous puissiez voir comment cela se reflétait encore dans l’attitude des gens ici dans la municipalité. Je faisais la queue pour acheter de la viande avec d'autres personnes, mais personne ne voulait me servir. J'ai dit: « Juste parce que je suis indien, juste parce que je suis peint, personne ne veut s'occuper de moi ? » J'ai ramassé mes affaires et je suis parti. Beaucoup de choses comme ça se sont produites. Il y avait des enfants qui allaient à l'école à l'extérieur du village, s'ils étaient peints, ils ne rentraient pas, ils étaient renvoyés parce qu'ils étaient indiens. Nous souffrons également de la persécution et de la criminalisation parce que nous combattons pour défendre notre territoire. Une fois, un leader a été poursuivi par un agent de sécurité armé travaillant pour Aracruz. Avec un autre leader, nous sommes allés à sa rencontre et nous avons pris son arme et l'avons remise à la FUNAI, or nous avons été convoqués devant le tribunal, nous avons été poursuivis pour vol de véhicule, formation de gang armé, enlèvement, etc., comme si nous étions des criminels, alors que cet agent de sécurité aurait pu tuer notre leader en plein milieu de la route.
Toutes ces discriminations et persécutions ont continué pendant longtemps même après la fin du combat, parce qu'Aracruz avait répandu des rumeurs comme quoi nous étions ici pour envahir les terres, prendre le contrôle de toute la municipalité, que nous allions même envahir les maisons des gens, c'est ainsi que les gens médisaient de nous et commencèrent à se révolter contre nous. Cela a créé une situation très inquiétante et embarrassante. Nos enfants ont même dit qu'ils ne voulaient plus être indiens, mais nous avons réussi à surmonter cela, à travailler cela entre nous et nous sommes là pour prouver que nous sommes un peuple résistant, que nous ne fuyons pas la lutte. Ils n'ont pas réussi à briser notre résistance car nous étions déterminés pour aller jusqu'au bout de notre objectif.
WRM : Quelle était la relation avec les partisans de la lutte, et pourquoi ces soutiens étaient-ils importants ?
Deusdeia : l'importance de ces soutiens était très grande, car ils croyaient et ils avaient un engagement envers nous. Il s'agissait d'organisations, de mouvements, d'autres communautés, d'enseignants, d'étudiants et aussi de quelques politiciens. Ils ont beaucoup participé à révéler au monde que les indiens ne mentent pas, qu´ils sont d'ici. Ensemble, nous avons créé des dossiers sur nous et sur notre lutte, ces dossiers ont été envoyés à l'intérieur et à l'extérieur du pays, grâce à cela, notre soutien a augmenté. Notre victoire a été également due au soutien à l´extérieur du Brésil, renforçant le désaveu contre Aracruz. Même si Aracruz avait beaucoup d'argent, beaucoup de pouvoir, son argent ne nous a pas fait taire, il ne pouvait pas, non plus, acheter des personnes et des organisations des pays consommateurs de son produit, au contraire, ils nous ont rejoints. Ce fut une très grande victoire pour nous, nous avons affronté l'entreprise en conquérant ses extrémités et lorsqu'elle s'en est aperçue, elle était déjà encerclée par ceux qui nous soutenaient à l'extérieur et par nous grâce à notre mobilisation au sein des communautés. Sans ces soutiens, nous aurions également conquis le territoire, mais je pense que cela aurait pris plus de temps.
Paulo: Les gens qui étaient sensibilisés à notre lutte, à la lutte indigène, ont été déterminants, et également ceux qui, avec nous, ont décidé de rejoindre la lutte et de ne jamais la lâcher. Cela montre l'importance de l'articulation, car pour un grand combat comme le nôtre, nous ne pouvons pas le gagner seuls, nous avons besoin de personnes et d'organisations au Brésil et à l'étranger, qui sont avec nous pour pouvoir réaliser ce que nous voulons.
WRM : Que diriez-vous aux autres communautés qui veulent se battre pour reprendre du territoire. Qu'est-ce qu'il est important de prendre en charge et qu'est-ce qu'il est préférable d'éviter?
Paulo: Outre l'importance de se lancer dans un combat bénéficiant de soutiens, de faire pression, comme nous l'avons fait, en réalisant notre auto-démarcation, il est aussi extrêmement important qu'ils soient organisés. Il ne sert à rien de vouloir se battre quand vous êtes désorganisés, il faut être organisés car si vous entrez désorganisés, vous ne gagnerez pas votre combat.
Une autre chose, s'il s'agit de plusieurs groupes, communautés ou personnes, il faut qu´il y ait un objectif commun car il ne sert à rien d’avoir l'objectif de vouloir conquérir un territoire, comprenant qu'il est important pour ma survie, ma subsistance et mon existence, tandis que d'autres veulent y entrer uniquement en faveur de leurs intérêts individuels, voulant s'enrichir, sachant pertinemment que ces intérêts ne contribuent pas à l'avenir et aux intérêts collectifs des communautés, ceci dit, nous savons, évidemment, que de telles personnes existent parmi nous et sont, même, nombreuses.
Le dernier point important mais pas des moindres est de réfléchir à la stratégie, vous devez avoir une stratégie de combat. Comment allez-vous vous battre sans avoir de stratégie? Lorsque nous sommes entrés dans l'auto-démarcation, nous avions tout planifié et discuté, nous avions une stratégie.
Deusdeia : Je pense que l'une des premières attitudes est l'unité, l’union pour moi est une chose, l'unité, est une autre chose qui se mélange et ne peut pas être séparée. C'est que tous pensent de la même façon, qu´ils aient une stratégie, c'est chercher des appuis qui aident vraiment cette organisation de la communauté pour qu´elle puisse elle-même revendiquer son territoire. C'est grâce à cette unité que nous pouvons nous organiser et aussi sauver et renforcer notre culture, nous avons sauvé une grande partie de notre culture qui avait été perdue comme l'artisanat, nos danses et la langue dont j'ai déjà parlé.
Nous devons également nous unir avec d'autres communautés. Aujourd'hui, à travers tout le Brésil, nous nous unissons pour défendre notre territoire - les peuples indigènes, les communautés quilombolas, les riverains, le MST - contre la discrimination et la persécution envers nos communautés. Nous devons renforcer notre identité comme le MST le fait dans ses implantations, ils prouvent leur identité en plantant des légumes dans leurs potagers qui parviennent à la table de la population et même à celle des dirigeants qui, aujourd'hui, veulent leur retirer ce droit de survie.
Il faut donc s'organiser, s'asseoir et discuter avec tout le monde, avoir une stratégie et faire attention. Par exemple, ne pas laisser des gens du dehors entrer dans la communauté, et prendre n´importe qui, il faut savoir avec qui parler, car c'est aussi comme ça que nous nous sommes organisés. Même pour cela, nous devons avoir une stratégie, nous devons être prudents, mais avec la sagesse et le savoir traditionnel de chaque peuple, nous sommes capables de renforcer encore plus le combat.
WRM : Si le gouvernement Bolsonaro parvient à imposer le « jalon temporel » et que cela pourrait impliquer la perte d'une partie de votre territoire, les Tupinikim et les Guarani vont-ils renoncer à la terre ?
Paulo: Nous ne renoncerons pas à nos terres, nous nous battrons, mourons jusqu'au dernier indigène, car c'est notre terre, notre territoire et nous la défendrons à tout prix, personne ne pourra nous l´enlever.
(1) Note du traducteur: Bande de forêt au bord d´une rivière qui émerge lors des crues