Brésil : derrière l'image verte, la mercantilisation de la forêt et les effets sur les communautés locales dans l'état d'Acre

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L'État d'Acre, dans l'Amazonie brésilienne, s'est rendu mondialement célèbre à la fin des années 1980 par la lutte pour la justice sociale et environnementale de Chico Mendes. Ces dernières années, cet État a de nouveau occupé le premier plan au Brésil et dans le milieu international, mais d'une façon assez différente. Il s'agit de la propagande autour d'un modèle « vert » de développement lancé par un « gouvernement de la forêt » et basé sur la dénommée « gestion durable » de la forêt et sur la vente de services environnementaux. On raconte aujourd'hui une histoire positive et « verte » de cet État-là.

Cependant, quelques renseignements et quelques faits de la réalité d'Acre sur sa politique forestière semblent raconter une histoire différente qui inclut : (1) la poursuite de l'exploitation du bois de la forêt et d'autres activités industrielles ; (2) la « forêt sur pied » dégradée par la coupe sélective de bois nobles, comme une nouvelle source de bénéfices, et aussi « vendue » par le biais des « services environnementaux » comme REDD+ ; (3) de plus grandes difficultés et davantage de restrictions pour les peuples de la forêt, en particulier pour ceux qui luttent pour la liberté et l'autonomie dans la conservation de la forêt dont ils dépendent pour continuer à vivre.

En premier lieu, une donnée importante c'est que, entre 2003 et 2010, selon l'INCRA, l'institut fédéral responsable de la réforme agraire, les petits propriétaires d'Acre ont vu se réduire leur occupation du territoire de 27 % à 17 % des terres enregistrées. En 2003, 19 200 familles occupaient 1 100 000 hectares, et en 2010, 23 500 familles occupaient 1 388 000 hectares de terres. En même temps, la concentration de la terre a augmenté [1]. En 2003, 444 propriétaires contrôlaient 2 800 000 hectares de terres ; en 2010, 583 propriétaires ont occupé 6 200 000 hectares de terres, ce qui équivaut à 78,9 % du total des terres enregistrées. La légalisation des terres illégalement occupées par de grands propriétaires, grâce au programme « Terre Légale », a contribué à ce processus de re-concentration. Une autre donnée importante est l'encouragement à l'exploitation du bois dans les unités de conservation d'utilisation directe, principalement pour extraire du bois pour l'exportation, une activité qui, à Acre, a augmenté lors des dernières années, pour atteindre près de 1 million de m3 en 2010, soit une augmentation de 400% depuis le début du « gouvernement de la forêt ». Pendant ce temps, dans d'autres États de l'Amazonie, l'exploitation du bois s'est réduite de moitié. Aussi bien l'exploitation du bois que l'élevage extensif de bétail, qui a connu lui aussi une croissance colossale – le cheptel qui était de 800 000 têtes en 1998, a dépassé les trois millions de têtes en 2010 – sont des activités indiscutablement destructrices pour la forêt [2]. Pour aggraver encore les choses, un autre projet à grand impact sur le climat, l'exploitation de gaz et de pétrole, fait partie des plans du gouvernement.

En second lieu, l'expansion de l'exploitation du bois, dite « durable », menace directement la survie des populations locales. Un exemple en est la situation vécue par la communauté de São Bernardo. Sur son territoire, couvert de forêt, l'entreprise « Laminadas Triunfo » exécute des « plans de gestion durable » en association avec les exploitations agricoles Ranchão I et II. La base légale pour l'exploitation du bois d'hévéa serait un texte que les familles ont dû signer au Ministère Public d'État et par lequel elles donnent leur aval à la « gestion durable » de l'entreprise. En même temps, on fait pression sur elles pour qu'elles quittent les lieux. Quelques familles finissent par s'en aller, mais d'autres refusent de partir car elles savent que la vie à la ville ne leur offre aucune perspective, signifiant seulement pour elles chômage et misère. Les familles qui résistent dans la région où elles vivent depuis de nombreuses années dénoncent la dégradation des réseaux hydriques (igarapés) de la région, l'éloignement du gibier, la destruction de la forêt et des routes par l'extraction continue de bois que pratique « Laminadas Triunfo », une entreprise qui possède même le label vert du FSC, qu'elle a obtenu dans d'autres régions à « gestion durable ». Alors que les familles ont aujourd'hui habituellement des surfaces de forêt d'un maximum de 800 hectares pour l'exploitation du latex et autres activités, l'entreprise leur offre en échange une surface d'à peine 75 hectares par famille, dans des endroits éloignés et dégradés par l'expansion de l'élevage extensif. Ces familles luttent pour implanter une réserve d'extraction autonome, pour pouvoir conserver la forêt et maintenir et fortifier leur mode de vie, sans dépendre de l'extraction de bois. Le processus de création de la réserve se déroule lentement depuis 2005.

Un autre élément important est l'expérience du gouvernement d'État dans un projet de vente de services environnementaux qui est en train de se mettre en place sous le nom de « Fogo Zero ». En échange de 100 réaux (60 dollars US) par mois, les familles ne peuvent plus maintenant faire du feu, ni même maintenir leur coutume du brûlis contrôlé pour leurs cultures de subsistance qui garantissent leur sécurité alimentaire et sont essentielles pour leur souveraineté alimentaire. Il s'agit là d'une violation grave du droit à l'alimentation de ces populations.

Le « Fogo Zero » semble n'être qu'un premier essai, en ce qui concerne les domaines d'application de la loi 2 308, approuvée en 2010 par l'assemblée législative d'Acre, qui crée le Système Étatique de Primes aux Services Environnementaux, et qui inclut aussi bien le carbone que la dénommée « socio-biodiversité ». Avec comme argument que la protection ne se fait qu'en valorisant la nature, le risque réel de ce type de législation est que le marché national, mais surtout l'international, commence à s'approcher du territoire et à en prendre le contrôle avec l'aval du gouvernement de l'État qui porte la responsabilité de tout le système de régulation, d'enregistrement, de validation, d'arpentage et de contrôle des services prétendument générés, absorbant au passage une partie significative de l'argent qui sera perçu. Il s'agit d'une mercantilisation minutieuse de la nature, qui utilise un langage et des méthodes accessibles seulement à un groupe choisi (ONG environnementalistes internationales « de marché », consultants et entreprises), mais inaccessibles pour la population en général et, en particulier, pour les peuples de la forêt.

Pour discuter de tous ces sujets, on a organisé à Río Branco, la capitale d'Acre, entre le 3 et le 7 octobre 2011, des visites de terrain et une rencontre appelée « Services environnementaux, REDD et Fonds Verts de la BNDES : le salut de l'Amazonie ou un piège du capitalisme vert ? »

La rencontre a produit une lettre (voir ttp://www.wrm.org.uy/temas/REDD/Carta_do_Acre.htm). On y affirme, entre autres choses, que “Les destructeurs seraient maintenant les grands défenseurs de la nature. Et ceux qui, historiquement, ont garanti la conservation naturelle sont, aujourd'hui, présentés comme des prédateurs et donc criminalisés. Ainsi, il n'est pas surprenant que, récemment, l'État ait intensifié la répression, la persécution et même l'expulsion des populations locales de leurs territoires. »

On y affirme aussi que « A São Bernardo, nous avons pu constater qu'on s'occupe des intérêts des entreprises forestières au détriment des intérêts des populations locales et de la conservation de la nature. »

Quant aux programmes comme « Fogo Zero », on affirme que « lesdites populations peuvent même demeurer sur la terre, mais ne peuvent l'utiliser selon leur mode de vie. Leur survie ne serait pas garantie par les cultures de subsistance – devenues une menace pour le bon fonctionnement du climat de la planète – mais par des ‘subventions vertes' qui, outre qu'elles sont insuffisantes, sont payées pour maintenir la civilisation du pétrole. »

Sur la loi des services environnementaux, déjà mentionnée, on affirme qu'« elle produit des ‘actifs environnementaux', comme le marché du carbone », et que « par le biais de cette loi, la beauté naturelle, la pollinisation des insectes, la régulation des pluies, la culture, les valeurs spirituelles, les savoirs traditionnels, l'eau, les plantes et même l'imaginaire populaire, tout devient une marchandise. »

« En rendant possible l'achat du ‘droit de polluer', les mécanismes comme REDD obligent les populations dites ‘traditionnelles' (riverains, indigènes, quilombolas, récolteurs de coco ou de latex, etc.) à renoncer à l'autonomie dans la gestion de leurs territoires. »

La lettre dénonce aussi un accord d'affaires sur le carbone, qui concerne d'une part l'État de Californie aux USA, lequel achèterait des crédits de carbone, et d'autre part ceux de Chiapas au Mexique et d'Acre au Brésil, qui fourniraient les crédits en question… La région d'Amador Hernandez est déjà confrontée à un projet REDD+ dû à cette « société » (voir www.wrm.org.uy/bulletin/165/Mexico.html) : « Conscients des risques que de tels projets comportent, nous refusons l'accord de REDD entre la Californie, le Chiapas et l'Acre, qui a déjà causé de graves problèmes aux communautés indigènes et traditionnelles, comme celles de la région d'Amador Hernandez, dans le Chiapas, au Mexique. » Pendant ce temps, en Californie, des communautés continuent à subir sur leur santé les effets produits pour que les entreprises qui polluent la Californie puissent continuer à le faire grâce à l'achat des crédits de carbone du projet du Mexique et du futur projet d'Acre.

Enfin, les organisations déclarent que « Finalement, nous exprimons ici notre revendication pour que soient considérées les demandes suivantes : réforme agraire, homologation des terres indigènes, investissements en agro-écologie et en économie solidaire, autonomie de gestion des territoires, santé et éducation pour tous, démocratisation des moyens de communication. Pour la défense de l'Amazonie, de la vie, de l'intégrité des peuples et de leurs territoires, et contre REDD et la marchandisation de la nature. Nous sommes en lutte. »

Winnie Overbeek, WRM, winnie@wrm.org.uy

[1] Pour en savoir plus : http://www.mst.org.br/Gerson-Teixeira-agravamento-da-concentracao-das-terras.
[2] Les informations sur l'extraction de bois et l'accroissement du cheptel ont été fournies par le Centre de recherche sur la société et le développement dans l'Amazonie occidentale – UFAC (Université fédérale d'Acre).