La transition énergétique (TE) est un défi important pour l’humanité dans le siècle actuel. Elle est présentée comme LA stratégie face à la crise climatique, le réchauffement global, le déséquilibre planétaire, la disparition des espèces, entre autres. Elle questionne directement les modes de vie, la continuité du rythme de consommation des dérivés de combustibles fossiles et minéraux qui libèrent du CO2 – principalement dans le pays du Nord global et élites du Sud –, et le processus autodestructeur qui en résulte sera irréversible.
La TE n’est pas récente. L’Histoire témoigne du registre des changements que les humains ont adoptés et adaptés pour améliorer leur bien-être : frotter des pierres a produit du feu et on est passé de la consommation d’aliments crus à de délicieux plats. Les avancés dans les systèmes de transport : vapeur, chemin de fer, moteur ou aérien et l’industrialisation ont mené indiscutablement à une forte dépendance aux combustibles fossiles. Durant le XXe siècle, le développement de nouvelles technologies a induit une augmentation progressive de la consommation de minéraux, parmi lesquels, le cuivre.
Pour sa part, le président de Colombie, Gustavo Petro, a œuvré pour que la TE soit assumée comme un devoir de tous les pays au moyen d’appels à la réduction de la consommation de combustibles fossiles et à la diminution d’émission de CO2. Ces postulats dans le pays génèrent des tensions avec les secteurs minier et d’hydrocarbures puisqu’il qu’il sous-entend à plus ou moins long terme l’abandon de ce modèle.
Par ailleurs, il est fréquent que les réflexions concernant la TE, ne mentionnent peu ou pas du tout les nombreuses expériences communautaires qu’impliquent une réelle souveraineté énergétique. Celles-ci contrastent avec des projets en développement à plus grande échelle, que sous-entendent les parcs éoliens et les panneaux solaires, des installations qui exigent de grandes quantités de minéraux tels que du cuivre et des terres rares mais qui, grâce au processus final de production d’énergie ne libère pas de CO2, sont qualifiés de « propres ».
Dans ce contexte, la demande de minéraux s’accentue pour la décarbonation dans le monde et la TE s’avère menaçante pour le Bassin nord occidental d’Amazonie, puisque cette zone est proche d’une aire de dépôts de cuivre du pays. Actuellement, l’entreprise canadienne Libero Copper (connue en Colombie sous le nom de Libero Cobre) possède quatre contrats miniers (image 1, couleur rouge) impliqués dans des processus d’exploration et dont on présume que le destin final serait l’exportation du minéral.
Ces zones concernées par les contrats se situent à une distance de 10 kilomètres du centre urbain de Mocoa, capitale du département de Putumayo. Sa projection d’exploitation est d’approximativement 4 600 millions de livres de cuivre et de 511 millions de livres de molybdène (1). Ces contrats ont été acquis durant la présidence d’Álvaro Uribe (2002-2010), durant la période nommée « jackpot minier », au cours de laquelle s’est vendue de grandes extensions de terres pour l’extractivisme minier-pétrolier du pays.
Mocoa : une ville Andino-amazonienne
Mocoa se situe près de la frontière sud-occidentale du pays et à 630 kilomètres de Bogota. La ville a une population avec approximativement 63 639 habitants qui représente 16,6% du total départemental, ethniquement représentée par des populations indigènes, des afro descendants, des paysans et des colons. Territorialement, on y trouve cinq réserves indigènes : Inga Condagua y Yunguillo, Inga-Camëntsa, La Paila Naya, Inga y koreguaje et La Florida-Nasa, ainsi que les villages Siona, Yanacona, Pastos et cinq Conseils Communautaires d’afro-descendants.
Le territoire est un mélange de cultures. Certaines familles utilisent des graines, des fibres et de l’argile dans la fabrication de produits artisanaux. On y vit également du tourisme, de la production agricole et dans la partie urbaine, de services et du commerce.
Géographiquement, Mocoa se situe dans la confluence entre le Macizo et l’Amazonie. Cette zone est un des territoires les plus importants pour la naissance des sources d’eau du pays. Elle est connue sous le nom d’« Etoile hydrique » (2). Qui plus est, la zone partage avec la commune de San Francisco une partie de la Réserve Forestière Protectrice du Bassin Alta de Río Macao (RFPCARM). Il s’agit d’une réserve éco-stratégique car elle est le couloir qui connecte plusieurs Parcs Nationaux Naturels (PNN) et des Réserves Naturelles qui sont les suivantes : PNN Alto Fragua Indi Wasi, PNN Puracé, PNN Complejo Volcánico Doña Juana – Cascabel, PNN Cueva de los Guacharos, Laguna de la Cocha, Santuario de Flora y Fauna Galeras, Santuario de Flora Isla de la Corota, Reserva Natural Paway Mariposario et le Santuario de Flora Plantas Medicinales Orito Ingi-Ande.
Le territoire est traversé par vingt-et-une sources hydriques, huit fleuves et treize gorges (4), qui forment l’éventail du fleuve Mocoa. Celui-ci alimente à la fois le bassin Alta del Río Caquetá, terre de beaux paysages, constitué par des zones de steppes, de terrasses et de vallées à la richesse sédimentaire notable et à la biodiversité splendide. Ses montagnes servent de refuge à des espèces en voie d’extinction comme l’ours noir à lunettes, le tapir des steppes et le jaguar (4). On trouve également l’espèce Elaeagia pastoensis, un arbre connu populairement sous le nom de « mopa-mopa », duquel s’extrait le « vernis », une matière première qu’utilisent les artisans de Pasto (Nariño). (5) Ces espèces sont considérées comme « vulnérable à l’extinction » en raison de la perte d’habitat et d’autres facteurs.
A cause de sa situation géographique dans la transition andino-amazonienne, Mocoa jouit de conditions atmosphériques spéciales telles qu’un climat chaud-humide avec des précipitations qui dépassent les 4 000 millimètres par an, de hauts versants qui vont de 600 à 3 200 mètres d’altitude et des sols géologiquement jeunes en formation, ce qui fait de cette région une zone d’érosion active.
Le territoire Andino Amazonien sous menace
Depuis plus de quarante ans, des études s’avancent sur le potentiel minéral de Mocoa. Dans les années 70, un accord a été signé entre l’ancien Institut National de Recherche Géologiques-Minières (INGEOMINAS) et les Nations-Unies. Le tableau ci-joint est le résumé du rapport réalisé dans 31 puits perforés sur la rive droite du fleuve Mocoa.
La projection du rapport de INGEOMINAS s’inquiète de la haute fragilité environnementale de Mocoa puisque paradoxalement, ses richesses impliquent également de nombreux risques. L’éventail hydrique, la géo-morphologie jeune du sol ainsi que le fait d’être situé dans une zone de transition de plaques tectoniques – donc traversé par des failles géologiques – en fait une zone particulièrement encline aux impacts du changement climatique.
Le Panel Intergouvernemental sur le Changement Climatique signale régulièrement la dégradation de la planète et alerte sur le fait que les affectations seront plus évidentes dans des territoires de haute fragilité environnementale. C’est ce dont témoigne par exemple la tragédie du 31 mars 2017, lorsqu’à Mocoa, 17 quartiers ont été inondés et cinq furent complètement détruits. L’avalanche a fait plus de 333 morts, 398 personnes gravement blessées et 71 disparus selon les chiffres officiels (6) (bien que la population parle de chiffres plus élevés encore). Pour certaines personnes touchées, on peut même parler de double peine puisqu’une partie de ces populations avaient déjà été victimes du déplacement forcé. Comme dans la plupart des villes du monde, ces populations migrantes vivaient en périphérie des villes et ont donc été particulièrement atteintes.
Un an après la tragédie, au mois d’avril, les présidents des Juntes d’Action Communale (JAC) des chemins de Pueblo Viejo et Montclar furent informés que l’entreprise canadienne B2 Gold réaliserait des travaux d’exploitation et qu’ils avaient besoin de la licence sociale, raison pour laquelle ils les ont sommés de réunir la communauté. Face à cette menace et avec la mémoire vivante du désastre, le 5 mai 2018, la municipalité de Mocoa a réalisé une importante mobilisation en accompagnant les présidents des JAC de la zone pour manifester leur rejet total et leur désaccord face à la prétendue exploitation de nos montagnes. Qui plus est, il faut préciser qu’une partie des contrats miniers se superposent avec les territoires collectifs des Réserves Inga de Condagua et la Réserve Camëntsa de San Francisco.
En guise de réponse politique à cette mobilisation, le Conseil Municipal a approuvé l’Accord 020 de 2018, qui stipulait que « la commune de Mocoa doit assumer en priorité la politique de protection à l’environnement ce qui implique de manière explicite l’interdiction d’activités minières actuelles », des faits « qui, en raison de la magnitude de la tragédie, doit mener à ce que le Gouvernement Municipal prenne des précautions, de prévention, de rigueur subsidiaire et de progressivité ».
Mimétisme entrepreneurial
Comme mentionné plus haut, « le jackpot minier » implique que le sous-sol de ce territoire soit entre les mains d’entreprises canadiennes : Mocoa ventures, B2 Gold ou encore « Projet Mocoa », de Libero Cobre. B2 Gold, qui opérait sous la subsidiaire Mocoa Ventures, n’a pas réussi à obtenir la licence sociale avant la fin du délai d’exploration et a vendu les titres à Libero Copper Corporation, entreprise qui a acquis la participation de 100% du « Projet Mocoa » le 7 mai 2018.
Selon les organisations luttant pour la citoyenneté, l’arrivée de Libero Cobre a représenté une menace plus remarquable encore quant à une possible exploitation. Ses actions ont généré des vulnérabilités et des violations des normes locales, vu qu’elles sont passées outre l’Accord Municipal 020. Elles ont également fracturé le tissu social avec la cooptation de la population de la zone via l’offre d’emplois, l’utilisation d’enfants dans les publicités de l’entreprise entre autres types d’impacts. Ces conséquences ont mené les instituts tels que l’Observatoire de Conflits Environnementaux (OCA), de l’Université Nationale de Colombie et l’Institut Amazonien d’Investigations Scientifiques (SINCHI), à cataloguer ce cas comme un conflit socio-environnemental.
Résistances face à l’activisme
Pour les organisations sociales, l’exploitation génèrera des dommages environnementaux incalculables et la vie sur le territoire s’avèrera impossible. En tant que concitoyen.ne.s, nous nous sommes regroupés dans un Collectif de Gardiens de l’Amazonie Andine, et avec le soutien d’ONGs de Bogota, nous avons mis en place des mobilisations, des audiences publiques, des demandes aux entités de contrôle et à l’autorité environnementale. De la même manière, nous avons réalisé de nombreux événements culturels : la première et seconde édition du Festival de l’Eau, de la Montagne et de la Vie (2022 et 2023).
Pour conclure, il faut souligner que ce cas de prétention d’extractivisme de cuivre dans l’Amazonie colombienne devient chaque jour plus visible, si bien que nous sommes parvenus à le positionner dans l’agenda des Ministères de l’Environnement et du Développement Durable, des Mines et de l’Énergie. Nous attendons qu’un jugement du Conseil d’État mette des limites au désordre minier du pays, en plus de concrétiser ce qui était proposé dans le Plan National de Développement de l’actuel Gouvernement : « Ordonner le territoire autour de l’eau ! » (7).
Constanza del Pilar Carvajal Vargas
Activiste socio environnementale et personnalité académique.
Collectif Hilos de Vida – Gardiens de la zone Andine – Amazonienne
Avec la collaboration de Lucia Barbosa Diaz et William Mauricio Rengifo Velasco.
(1) Michel Rowland, Robert Sim and Bruce Davis in: Libero Copper & Gold Corporation. Vancouver, British Columbia, Canada, January 2022. TechnicalReportMocoaCu-MoDepositColombia150618.pdf Consulté en janvier 2022.
(2) Dans le Macizo naissent les fleuves Magdalena et Cauca, ils traversent le pays du sud au nord jusqu’à l’Océan Atlantique, le fleuve Patía va de l’Occident à l’Océan Pacifique et le Caquetá de l’est amazonien atteint le Brésil jusqu’au fleuve Río Amazonas. Dans les contreforts du Nudo de los Pastos, dans la commune de San Francisco naît le Río Putumayo qui parcourt approximativement 840 kilomètres. Ses eaux sont une division frontalière internationale de notre pays avec l’Équateur et le Pérou et il rentre au Brésil où il apporte son débit dans l’Amazone.
(3) POMCA, Mocoa 2022.
(4) International Union for Conservation of Nature (IUCN).
((5) L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO), a reconnu les « savoirs et techniques associés au Vernis de Mopa-Mopa » comme patrimoine culturel Immatériel de l’Humanité. Le 21 décembre 2020.
(6) Tragédie de Mocoa : pourquoi ils ont condamné la Nation ? Le Tribunal Administratif de Cundinamarca a condamné l’État pour ce qu’il s’est passé en mars 2017. Nouvelle virtuelle du 14 juillet 2022.
(7) National Planning Department. El agua, eje central para hacer de Colombia “una potencia mundial de la vida. March 2023.