Des fonds de 700 milliards de dollars pour la biodiversité : une dangereuse proposition

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COP16. Cali, Colombia. Photo: IISDENB / Mike Muzurakis

Alors que se déroulait à Cali, en Colombie, la 16e Conférence des Parties (COP 16) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), l'organisation équatorienne Acción Ecológica a publié un entretien avec Andre Standing, membre de la Coalition pour des accords de pêche équitables (CAPE). La CAPE est une plateforme d'organisations européennes et africaines de défense des communautés de pêche artisanale africaines.  

A. Standing propose une analyse critique d’une des idées qui ont dominé les réunions de la CDB, selon laquelle pour lutter contre la perte de biodiversité, il est nécessaire d’investir 700 milliards de dollars par an, notamment dans le Sud global. 

La COP16 s'est conclue ce 1er novembre sans accord sur la création d'un fonds mondial pour combler ce déficit. Toutefois, la proposition reste dans les documents qui guident l’agenda de la CDB, à laquelle participent 196 pays. 

Nous partageons ci-dessous l'interview complète, qui a été publiée le 28 octobre 2024.

Parler d’un déficit de 700 milliards de dollars pour financer la biodiversité est une proposition dangereuse pour les populations et la nature

La 16e Conférence des Parties (COP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) (1) se tient à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre 2024. Le document cadre des négociations est le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (GBF), adopté lors de la COP 15 de la CDB en 2022. (2)

Le Cadre mondial pour la biodiversité (GBF) fixe, parmi ses objectifs mondiaux pour 2050, l’objectif de réunir des ressources financières suffisantes pour combler progressivement le déficit annuel de financement de la biodiversité, qui s’élève à 700 milliards de dollars. C’est pourquoi l’un des principaux sujets qui seront débattus à Cali lors de la COP16 concerne les mécanismes financiers nécessaires pour combler cet écart.

Cependant, comme pour la finance climatique, qui affirme qu’au moins 100 milliards de dollars par an seraient nécessaires pour lutter contre le changement climatique, ce chiffre est basé sur des calculs farfelus, clairement destinés à tenter de sauver le capitalisme de sa crise d’accumulation actuelle.

L’un des rapports qui a joué un rôle clé dans la détermination par la CDB de ce chiffre de 700 milliards de dollars lors du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal est le document Financing Nature: Closing the Global Biodiversity Finance Gap  (Financer la nature : combler le déficit de financement de la biodiversité mondiale). (3) Ce n’est pas la première fois que des documents produits par des consultants de renom servent de base à des discussions internationales sur le climat et la biodiversité. C'est la même situation pour les le document de référence, le Rapport Stern sur l’économie du changement climatique (Stern Review: The Economics of Climate Change) (4), commandé par le gouvernement britannique et publié en octobre 2006 (Nicholas Stern était économiste à la Banque mondiale) ; ou encore le rapport intermédiaire sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité (The Economics of Ecosystems and Biodiversity - TEEB) en 2008 (5), commandé par la Commission européenne, avec Pavan Sukhdev à sa tête (alors chef de la division des marchés internationaux de la Deutsche Bank). 

Dans le cas du rapport Financing Nature, il a été produit par trois organisations : l'Institut Paulson, fondé par Henry Paulson, ancien secrétaire au Trésor américain et ancien cadre supérieur de Goldman Sachs ; The Nature Conservancy, la plus grande organisation transnationale de conservation au monde et désormais partenaire du système financier international ; et le Cornell Atkinson Center for Sustainability, un think tank américain créé par David Atkinson, ancien vice-président de JP Morgan, l'un des plus grands conglomérats financiers du monde. Dans l'avant-propos de la publication y apparaissent entre autres les noms de dirigeants du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement (BID), de la Banque centrale européenne, ainsi que celui de Michael Bloomberg, le fondateur de la société d'information financière Bloomberg.

Il n’est pas surprenant que l'élaboration de ces rapports, tel que Financing Nature, soit menée par des banquiers, car ils ne constituent pas des propositions visant à s’attaquer aux causes profondes de la perte de biodiversité ou du changement climatique. Il s’agit plutôt de propositions visant à utiliser le système financier mondial pour favoriser la financiarisation de la nature, tirer profit des crises environnementales et favoriser le secteur privé. 

Dans l’entretien qui suit avec André Standing de la Coalition pour des accords de pêche équitables (CAPE), nous en apprendrons davantage sur le rapport Financing Nature et les dangers de donner un prix à la biodiversité.

Acción Ecológica : Andre, vous venez de publier un long article (6) sur le document Financing Nature: Closing the Global Biodiversity Finance Gap, qui est devenu l’un des rapports les plus cités sur la conservation de la biodiversité. Il est également mentionné dans l’Objectif D du Cadre de Kunming-Montréal pour la biodiversité et a été utilisé pour fixer des objectifs précis de mobilisation des ressources par les Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB). Il est donc avancé à la COP16 qu’il existe un énorme déficit de financement, ou un écart, d’au moins 700 milliards de dollars par an.

Dites-nous, pourquoi parle-t-on tant d’un déficit de financement de la biodiversité, et que veulent-ils dire lorsqu’ils parlent d’un manque dans l’argent qui devrait y être investi ?

Andre Standing : Financing Nature a été un rapport incroyablement influent. De nombreuses organisations acceptent avec une foi aveugle le déficit de financement de 700 milliards de dollars, parmi lesquels, bien sûr, les architectes du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal. Il y a quelque chose de très séduisant à l’idée de considérer la crise de la biodiversité comme un problème dont la résolution nécessite beaucoup d’argent. Il me semble cependant essentiel que les gens comprennent que ce chiffre est absurde et qu’il repose sur des calculs très douteux. Je crois également que l’idée d’un déficit de financement est une manière dangereuse d’aborder les débats sur ce qui est nécessaire pour transformer les sociétés afin d’améliorer la conservation de la nature. Mais c’est une approche qui convient à de nombreuses organisations. 

Les rapports sur les déficits de financement sont devenus un type de publication populaire au cours de la dernière décennie. Ils suivent tous la même formule et montrent systématiquement que l’écart est si grand que le financement public ne peut pas le combler, et que le financement privé doit donc venir à la rescousse. Parmi leurs recommandations figurent toujours des stratégies telles qu’une « combinaison » d’argent public et d’investissement privé. (7) Il est donc important de considérer que ces rapports sur le déficit de financement, y compris Financing Nature, sont motivés par des raisons idéologiques. Personne ne devrait accepter ces chiffres à moins d’être prêt à adhérer à l’idée selon laquelle la sauvegarde de la biodiversité dépend d’un transfert massif de pouvoir vers le secteur financier privé.

Acción Ecológica : Dans votre article, vous expliquez pourquoi le chiffre de 700 milliards n’est pas fiable. Pouvez-vous expliquer quels sont les problèmes avec ce chiffre ?

Andre Standing : Je pense que le problème est que beaucoup de personnes qui utilisent ce chiffre n’ont probablement pas lu le rapport dans son intégralité.

Les rapports sur le déficit de financement commencent par établir une base de référence de ce qui est actuellement dépensé. Ainsi, le document Financing Nature tente de prendre en compte tout l’argent dépensé dans le monde qui aurait un impact positif sur la conservation de la biodiversité. Il me semble étrange d’imaginer que quelqu’un puisse parvenir à faire cela. Néanmoins, ce que les auteurs de ce rapport ont fait, c’est additionner tout l’argent dépensé par les gouvernements pour la biodiversité, avec tout l’argent dépensé par l’aide au développement, ainsi que l’argent dépensé par le biais du financement privé et des programmes basés sur le marché tels que les écolabels, les compensations de biodiversité et les obligations vertes. Le résultat, selon les auteurs, est que le monde dépense environ 140 milliards de dollars par an pour préserver la biodiversité.

Comme je l’explique dans mon article, il existe de nombreux problèmes avec les données utilisées. Une partie du problème tient à ce que cette méthode prend en compte des éléments que nous savons inefficaces. Financing Nature, par exemple, part du principe que lorsque la Banque mondiale annonce avoir dépensé des millions dans un projet visant à réformer la foresterie ou la pêche, cet argent a porté ses fruits. Il fait également l’hypothèse que les milliards dépensés en compensations de biodiversité se sont traduits par un bénéfice net pour la nature. Une grande partie du financement comptabilisé dans ce même rapport provient également de fausses obligations vertes et de la valeur mondiale d'éléments tels que le Forest Stewardship Council (FSC) et « l'huile de palme durable ».

Mais il y a aussi des questions plus fondamentales. Le rapport suppose un lien direct entre l’argent et la conservation de la biodiversité. Plus d’argent équivaut à plus de réussite. Mais comparer les coûts d’une entreprise américaine payant pour une compensation de biodiversité avec ceux d’une organisation communautaire travaillant sur un projet de permaculture dans un pays du Sud n’a aucun sens. Ce qui est également particulièrement problématique avec Financing Nature , c’est qu’il ne prend pas en compte les efforts et les dépenses de millions de membres des populations autochtones, de petits agriculteurs ou de petits pêcheurs qui jouent un rôle de gardiens dans de vastes zones de la planète. Ils ne sont pas du tout inclus, alors que quelques millions de dollars levés dans le cadre d'une obligation verte le sont. De la même manière, la valeur d’un produit portant un écolabel d’entreprise est ajoutée aux dépenses totales en matière de biodiversité, mais qu’un produit obtenu par des petits agriculteurs ou des petits pêcheurs sans label n’est pas comptabilisé, même si nous savons que ce dernier est beaucoup plus respectueux de l’environnement que le premier.

Ainsi, le chiffre de référence des dépenses non seulement est faux, mais il repose sur une perspective erronée. Il n’y a aucune réflexion critique sur les résultats obtenus par l’argent consacré à la sauvegarde de la nature. Une grande partie de cet argent correspond au greenwashing des entreprises, qui a en réalité un impact négatif sur la biodiversité.

Acción Ecológica : Alors, si le rapport Financing Nature a inventé un chiffre pour ce qui est dépensé, comment parvient-il à un chiffre pour ce qui est nécessaire ?

Andre Standing : Eh bien, la réponse courte est qu’ils établissent ce chiffre sur la base de quelques rapports controversés. Il est incroyable que les auteurs du rapport puissent prétendre savoir combien d’argent est nécessaire pour résoudre la crise de la biodiversité.

Bien entendu, le problème du calcul de la somme d’argent nécessaire pour sauver la nature dépend de l’approche adoptée. Un bon exemple est la cible 30×30. Dans Financing Nature, ils s'appuient sur un chiffre produit par un autre rapport qui a estimé combien il coûterait de déclarer 30 % de la planète en tant que réserve naturelle intégrale. Selon ce rapport, les coûts annuels de fonctionnement des aires protégées s’élèveraient à environ 190 milliards de dollars. On pourrait dire beaucoup de choses sur l’exactitude de ce chiffre, mais le plus grave est que l’estimation de 190 milliards de dollars est basée sur un type spécifique de mode de gestion, basé en grande partie sur la répression des infractions et l’écotourisme. Le point de vue sur les coûts serait tout à fait différent si l'on se fondait sur des aires protégées gérées par les communautés locales, où de nombreuses fonctions de gestion sont basées sur le volontariat et l'entraide.

Je m’intéresse particulièrement à la pêche maritime, et Financing Nature part du principe que le monde doit dépenser entre 23 et 47 milliards de dollars pour la gestion des pêches afin de garantir la durabilité de la pêche et la reconstitution des stocks de poissons. Il s’agit d’un chiffre ridicule basé sur un obscur article universitaire rédigé par des biologistes marins américains, qui prévoyait les coûts mondiaux de la gestion de la pêche si tous les pays géraient leur pêche comme le font les États-Unis : au moyen de différents quotas de capture. Quiconque connaît le secteur de la pêche sait que ce modèle est totalement inacceptable pour de nombreux pays du Sud, car il mettrait en péril les moyens de subsistance de millions de personnes. En outre, une quantité considérable d’ouvrages sur la gestion des pêches montrent que les sommes dépensées par les gouvernements pour la gestion ne constituent pas un bon indicateur de la qualité de la gestion des pêches. Les experts sont en désaccord sur les ingrédients du succès, mais beaucoup soulignent l’importance de la gouvernance démocratique, de la capacité à résister au lobbying des entreprises et à la corruption, et des droits fonciers qui favorisent les méthodes de pêche artisanale à faible impact. L’argent, ou son absence, n’est pas le plus gros problème.

Donc, si on se demande comment les auteurs de Financing Nature sont arrivés à une estimation de ce qui doit être dépensé, il est tout à fait clair que ces chiffres proviennent de recherches très douteuses que personne ne devrait prendre au sérieux. 

Acción Ecológica : Votre article décrit Financing Nature comme un fantasme néolibéral. Cela s'explique par la manière dont il est envisagé de combler le déficit de financement. Pouvez-vous expliquer cela ?

Andre Standing : Financing Nature est un long rapport. Il fait plus de 230 pages. Près de la moitié du document est consacrée à décrire la façon de combler le déficit de financement supposé. Ce qui est indiqué dans cette partie du rapport est que le déficit de financement est trop important pour les gouvernements, et que la majeure partie de l’argent nécessaire doit provenir du secteur privé et des entreprises. Une proposition assez détaillée est faite sur quelle devrait être la provenance de l’argent. Il est prévu que les gouvernements augmentent leurs dépenses consacrées à la biodiversité de seulement 50 % et leur aide au développement de seulement 100 %. Cela ne représente que des fractions assez petites de la proposition. En comparaison, des éléments tels que les compensations de biodiversité, les obligations vertes et les écolabels doivent être multipliés par plus de vingt, ce qui signifie qu’ils deviennent le flux de financement dominant pour la conservation de la biodiversité.

Je pense que cette proposition n’est pas surprenante, dans la mesure où Financing Nature a été rédigé par trois organisations américaines étroitement liées au secteur bancaire. Mais il faut reconnaître à quel point cette vision est radicale. Le rapport indique également que pour débloquer ce financement privé, les États et les collectivités doivent se mettre au diapason afin de garantir que les conditions sont favorables aux investisseurs privés. Je pense que nous devons nous demander ce que cela signifie dans la pratique. Cela signifie essentiellement que la gestion des ressources naturelles doit être privatisée et gérée à des fins lucratives, et que les rares fonds publics doivent être utilisés pour des choses telles que des garanties de crédit.

Ce qui ressort clairement de la lecture de Financing Nature , c’est que tout cela n’est qu’un pur fantasme. Ce rapport n’est pas une publication sérieuse sur les solutions à la crise de la biodiversité, mais un outil marketing sophistiqué rédigé par des organisations qui veulent vendre la conservation aux investisseurs. La question que nous devons nous poser, c’est comment ce rapport a pu être pris au sérieux et comment il a été inclus dans le texte du Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal. Malheureusement, de nombreuses organisations opposées au financement privé évoquent également le déficit de financement de 700 milliards de dollars comme s’il était réel.

Acción Ecológica : Nous sommes d’accord pour dire que c’est un problème dont nous sommes témoins lors de nombreuses réunions internationales. Par exemple, en septembre de cette année, un mois avant la COP16, le Sommet sur le financement de la biodiversité, organisé par le gouvernement colombien, s’est tenu en Colombie. (8) Lors de ce sommet, auquel ont participé la Banque mondiale, la BID, des associations bancaires privées, des institutions telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le World Resources Institute (WRI) et de grandes ONG comme le WWF et d'autres, l’objectif de ce financement est apparu clairement. Il servira à faire bénéficier le secteur privé et les banques d’énormes flux d’argent provenant du secteur public ; à créer un endettement dévastateur et dangereux pour les petites et moyennes entreprises colombiennes grâce à l’accès aux crédits verts ou bleus ; à rechercher de nouvelles entreprises présentant moins de risques pour les investisseurs grâce à des garanties et des assurances et, en même temps, à puiser dans des fonds environnementaux philanthropiques, dont on sait qu’ils s’élèvent à des milliards de dollars provenant de donateurs privés. Pour ne citer que quelques-unes des motivations de ceux qui cherchent à tirer profit de la crise de la perte de biodiversité et qui ne semblent pas réellement préoccupés par la lutte contre les causes de cette crise. 

La même logique est désormais appliquée à la COP16. Alors pourquoi l’idée du déficit de financement est-elle si largement soutenue ?

Andre Standing : Je pense que le fait de dénoncer les failles de l’idée d’un déficit de financement de 700 milliards de dollars soulève un certain nombre de questions difficiles. Bien sûr, de nombreuses organisations de conservation sont à la recherche de fonds supplémentaires, et ces chiffres sur l’énorme déficit de financement sont manifestement utiles. Il est également vrai que les pays du Nord ont une dette écologique envers ceux du Sud, et je pense que certaines organisations interprètent à tort ces chiffres comme une sorte d’objectif de réparation de cette dette.

Mais nous devons réfléchir plus sérieusement au rôle de l’argent dans la conservation, et en particulier aux menaces posées par l’évolution vers un modèle de financement de la conservation par le biais de financements privés. La question centrale de Financing Nature est de savoir comment la société gère les ressources partagées. La manière dont l’argent est généré et réparti est d’une importance vitale, mais l’idée selon laquelle des systèmes durables et équitables de gestion des ressources dépendent d’énormes investissements extérieurs semble erronée et en contradiction avec une grande partie de ce que prônent les mouvements sociaux du Sud, comme la revitalisation et la préservation des biens communs et l’évolution vers la souveraineté alimentaire.

Comme vous le dites, la voie du financement privé augmentera les flux d’argent vers les pays du Sud, mais une grande partie de cet argent prendra la forme d’une dette. Cet argent devra être remboursé. Donc, si le déficit de financement est comblé, cela finira par représenter un énorme transfert de richesse du Sud vers le Nord. Cela fera probablement aussi intervenir une poursuite du transfert du contrôle sur l’utilisation des ressources naturelles à des organisations mieux placées pour accéder au capital financier. Je pense qu'il est clair que le déficit de financement de 700 milliards de dollars ne doit pas être associé au remboursement d'une dette écologique.

Si nous dénonçons l’objectif de 700 milliards de dollars comme une absurdité dangereuse, nous ne devons pas pour autant négliger l’existence de véritables besoins de redistribution de l’argent, notamment en soutenant les entités gouvernementales et les organisations de la société civile ou communautaires qui manquent de ressources. Mais la question qui devrait être au centre de la COP16 est de savoir comment cet argent peut être généré de manière durable, équitable et juste tout en complétant un système qui n’est pas lié à une croissance économique sans fin. Malheureusement, grâce à des rapports tels que Financing Nature, il semble que nous allions dans la mauvaise direction.

Acción Ecológica : Comme vous l’expliquez à juste titre, le document Financing Nature a eu un impact profond sur les discussions mondiales sur la conservation de la biodiversité et est utilisé pour l’un des quatre objectifs de l’Accord-cadre Kunming-Montréal sur la CDB. C’est ce que l’on constate dans le cadre des négociations sur la biodiversité de la COP16. À Cali, l’idée selon laquelle donner un prix à la nature peut servir à sauver la planète est en train de prendre racine. 

Il faut se rappeler que la proposition de « combler les déficits de financement » n’est pas apparue à l’origine avec la question du financement climatique ou de la biodiversité. C’est une obsession des capitalistes depuis des siècles. Cette logique a déjà été utilisée, par exemple, pour accélérer l’exportation des marchandises, justifier la nécessité de chemins de fer ou de routes, créer des subventions d’État et surtout, contrôler la résistance de la nature et la résistance des peuples. 

Se concentrer sur l’augmentation du financement consacré au changement climatique ou à la biodiversité revient à détourner l’attention de la nécessité de prendre des mesures concrètes qui s’attaqueraient réellement aux causes profondes de la perte de biodiversité ou du réchauffement climatique : laisser les hydrocarbures dans le sol, produire et transporter moins de produits manufacturés, consommer moins dans le Nord global et respecter les droits collectifs, ceux des peuples et ceux de la nature.

(1) Seizième réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP16)
(2) Décision adoptée par la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, décembre 2022  
(3) Le rapport Financing Nature au complet est disponible ici.
(4) Gouvernement du RU. TEEB.  Résumé en anglais.
(5) L’économie des écosystèmes et de la biodiversité, Communautés européennes, 2008
(6) CAPE, Un déficit de 700 milliards $ US pour le financement de la biodiversité ? Comment cette idée absurde se répercute sur les océans et la pêche artisanale, octobre 2024
(7) Voir CNUCED (2023) « SDG investment is growing, but too slowly: The investment gap is now $4 trillion, up from $2.5 in 2015 », disponible à l’adresse :unctad.org