Le pétrole est le résultat de l'action de millions d'années sur des restes d'animaux et de plantes recouverts d'argile, de terre et de minéraux. Transformé en « combustible fossile » à l'époque moderne, c'est un des piliers de l'économie mondialisée et un produit stratégique pour l'expansion du capitalisme, qu'il accompagne avec ses séquelles tragiques d'inégalité, de guerre et de destruction, pour construire la « civilisation du pétrole ».
Le pétrole est un mélange homogène de composés organiques qui, comme le charbon et le gaz naturel, se forma il y a environ 300 millions d'années, pendant le Carbonifère de la période géologique dénommée Paléozoïque. Transformé en « combustible fossile » à l'époque moderne, le pétrole est le résultat de l'action de millions d'années sur des restes d'animaux et de plantes couverts par de l'argile, de la terre et des minéraux, soumis à de fortes pressions, à des températures élevées et à l'action de bactéries anaérobies, c'est-à-dire qui ne peuvent se développer que dans des milieux dépourvus d'oxygène.
Pour parvenir aux gisements de pétrole du sous-sol terrestre ou marin, et l'extraire, il est nécessaire d'effectuer des forages. Mais auparavant il y a un travail d'exploration (prospection) qui comporte l'utilisation d'instruments de haute précision, l'intervention de géologues, de géophysiciens et d'ingénieurs, la construction de routes et de systèmes de communication, la mobilisation de véhicules et d'hélicoptères, l'installation de campements et de laboratoires. Parmi les diverses méthodes de prospection figure la sismographie : on fait exploser des charges de dynamite dans des puits de peu de profondeur, et on enregistre les ondes reflétées dans les couches profondes avec des sismographes combinés avec des appareils photographiques. Une autre technique est l'exploration en profondeur : après avoir foré des puits profonds on analyse des échantillons du terrain pris à des profondeurs diverses et on étudie leurs caractéristiques.
Pour extraire le pétrole on continue d'utiliser essentiellement la même technique de pompage mise au point en 1859 par Edwin L. Drake, de Pennsylvanie, États-Unis. Il jeta les bases de l'industrie pétrolière et ouvrit la voie à l'ère industrielle. Les gisements de pétrole peuvent se trouver des milliers de mètres au-dessous de la surface (le plus souvent entre 3 000 et 4 000 mètres, mais il existe des puits de 5 000 ou 6 000 mètres de profondeur). Lorsque le forage parvient au gisement, la différence de pression fait sortir le pétrole sous sa forme visqueuse, et il est collecté par l'intermédiaire des tours pétrolières. Telle est la production primaire, qui peut durer des années, mais lorsque la pression diminue on utilise des pompes pour continuer d'extraire le brut. Le liquide obtenu est transporté par des oléoducs ou dans des bateaux pour être ensuite raffiné. [1]
Le désastre environnemental que provoquent aussi bien les puits de pétrole que les cheminées où l'on brûle les gaz générés par l'extraction du cru ou les oléoducs qui le transportent est tristement célèbre. Les communautés nigérianes en sont témoins : elles vivent autour du gaspillage que représente le brûlage du gaz du pétrole que font les entreprises pour des raisons purement économiques. Dans la région du delta du Niger, plus de 2 milliards de pieds cubes de gaz sont brûlés chaque jour. Les flammes géantes injectent dans l'air d'énormes quantités de gaz à effet de serre et de substances toxiques. Nnimmo Bassey, d'Oilwatch, raconte : « Pas un souffle d'air frais aux alentours de ces flammes. Elles causent de l'asthme, des bronchites, des cancers et des maladies du sang. Elles provoquent aussi des pluies acides qui tombent sur le sol, sur la végétation, sur les édifices et sur les gens » [voir le bulletin nº 133 du WRM]. Les oléoducs ont ouvert la forêt aux déprédateurs, tandis que les déversements, la combustion permanente de gaz et les incendies de forêts font partie de la vie quotidienne des communautés auxquelles le pétrole n'a apporté que davantage de misère.
La technologie a permis aussi d'extraire du pétrole du fond des mers ; les puits marins produisent environ 25 % du pétrole extrait dans le monde. Au moyen d'équipements sophistiqués, d'installations sous-marines et de haute mer, grâce à des plateformes pétrolières flottantes ou ancrées au fond, on parvient à des profondeurs de plus de 1 000 mètres. L'exploitation du pétrole au large (off-shore) s'est accompagnée de catastrophes environnementales, dues aux déversements de pétrole et de produits chimiques toxiques dans l'eau et à la libération de gaz nocifs dans l'atmosphère, qui déciment la vie marine environnante et, ce faisant, portent atteinte dans certains cas à la souveraineté alimentaire des populations de pêcheurs.
Une fois raffinés, le pétrole et ses dérivés parcourent un grand réseau de distribution et de commercialisation qui comporte des intermédiaires, des distributeurs en gros et au détail, des entrepôts et des points de vente ; ce transport sur toute la planète comporte aussi des risques. [2]
La carte du pétrole
Bien que la plupart des réserves de pétrole soient petites, une poignée de réserves de grandes dimensions contiennent presque tout le pétrole du monde ; elles se concentrent dans certaines régions (les provinces pétrolières) où se sont formés les bassins de sédimentation où le pétrole et le gaz sont emmagasinés dans des champs et des gisements.
Près de 86 % du pétrole mondial se trouve dans 23 provinces pétrolières. D'après d'autres données, une quinzaine de pays produisent 75 % du pétrole et possèdent 93 % des réserves. Plus de la moitié des réserves de pétrole prouvées sont au Moyen-Orient, où l'Arabie Saoudite possède le plus grand puits du monde, Al-Ghawar. L'Irak, le Koweït et l'Iran ont eux aussi des puits géants.
En Amérique du Nord, les États-Unis ont été le plus grand producteur de pétrole du monde et certains gisements sont en train de diminuer, mais on croit que le pays possède encore d'importantes réserves à découvrir. Le Mexique est un des dix premiers producteurs mondiaux de pétrole, mais son principal gisement est en train de s'épuiser. Le Canada a commencé à exploiter les énormes gisements de sable bitumineux ( tar sands ) de l'Athabasca, dans la province d'Alberta, situés sous 141 000 km 2 de forêts et de tourbières.
Une nouvelle frontière pétrolière : le sable bitumineux Dans le nord de la province d'Alberta, sous une étendue des dimensions de la Floride, se trouvent les sables bitumineux, un mélange de sable, d'argile et d'un brut lourd ou substance goudronnée qu'on appelle bitume. Pour extraire le bitume on élimine toute la végétation du terrain, comme on fait pour n'importe quelle mine à ciel ouvert. C'est ainsi que la production de pétrole à partir du sable bitumineux a dévasté le delta de l'Athabasca, ses forêts intactes et ses fleuves et lacs jamais souillés auparavant, transformant la région en un vaste horizon déboisé, couvert de mines à ciel ouvert et d'eau polluée. Une fois le bitume séparé du sable, il est soumis à des processus de raffinage dans de gigantesques installations fumantes qui polluent l'atmosphère. Les eaux usées sont déversées dans d'énormes étangs de boues toxiques, visibles même de l'espace. Le processus consomme un volume d'eau très considérable : pour chaque baril de pétrole il faut entre 2 et 6 barils d'eau. À l'heure actuelle, l'industrie est autorisée à détourner 652 millions de mètres cubes d'eau douce par an, soit 80 % de la rivière Athabasca. Près de 1,8 million de mètres cubes de cette eau se transforment chaque jour en eaux usées fortement toxiques qui, par filtration, sont en train de polluer l'Athabasca et les nappes phréatiques, arrivant jusqu'aux territoires de peuples indigènes ; ceux-ci ont dénoncé l'apparition de cancers peu fréquents et virulents chez plusieurs membres de la communauté. De même, on a trouvé des malformations et des tumeurs dans du gibier et des poissons. Source : Indigenous Environmental Network, http://www.ienearth.org/what-we-do/tar-sands/ . |
En Amérique du Sud, le Venezuela se distingue comme premier exportateur de pétrole et il possède la plus grande réserve de pétrole après celle de l'Arabie Saoudite. Le Brésil est le deuxième producteur d'Amérique du Sud et la plupart de ses réserves sont dans l'océan Atlantique.
Les réserves de pétrole du Royaume-Uni dans la mer du Nord sont les plus grandes de l'Union européenne ; le pays est un important producteur mais sa production a diminué et il est maintenant un importateur net de pétrole. La Russie a d'importantes réserves, et les meilleures possibilités de trouver de nouveaux gisements.
Dans le sud de l'Australie on a récemment trouvé un gigantesque gisement de pétrole bitumeux qui pourrait mettre ce pays au niveau de l'Arabie Saoudite en matière de production pétrolière.
En Afrique, l'attrait du pétrole bon marché – essentiellement parce qu'on l'extrait sans s'occuper des coûts écologiques et sociaux – et l'intense processus d'investissement de capitaux dans la région, qui suppose l'usurpation de vastes territoires, ont permis aux puits de pétrole d'avancer dans l'est et dans le sud du continent, déstabilisant des gouvernements et divisant les populations. Tandis que la fièvre du gaz et du pétrole attaque les magnats de Tanzanie, du Mozambique, de Madagascar, du Tchad, de Mauritanie, d'Éthiopie, d'Érythrée, de Somalie, etc., les communautés locales ne sont jamais informées de ce qui va leur arriver. C'est ce qui s'est passé dans le cas du Gazoduc d'Afrique occidentale (WAGP), où même les normes environnementales de la Banque mondiale n'ont pas été respectées. Ainsi, les pauvres continuent de subventionner le pétrole au prix de leur qualité de vie et de la dégradation extrême de l'environnement [voir le bulletin nº 133 du WRM].
D'autre part, face à l'épuisement graduel de quelques gisements, les entreprises pétrolières ont mis au point de nouvelles techniques qui leur permettent d'accroître l'exploitation en avançant sur des zones lointaines, auparavant inaccessibles, de la mer (comme dans le cas du gisement de Tupi en eaux profondes au Brésil), sur les régions arctiques et sur les forêts tropicales, modifiant et détruisant des écosystèmes fragiles, augmentant considérablement les émissions de carbone et aggravant ainsi le changement climatique.
La technique non conventionnelle de la fracturation hydraulique ( fracking ), qui consiste à élargir par pression les fractures du substrat rocheux de manière à favoriser l'écoulement vers l'extérieur du pétrole qui s'y trouve piégé, ouvre de nouvelles frontières à l'exploitation pétrolière et aux dangers qu'elle comporte pour l'environnement. Cette technique comporte une énorme consommation d'eau mais, en plus, les nombreux composés chimiques employés pour favoriser la dissolution de la roche finissent par polluer aussi bien le sol que les aquifères souterrains. D'autre part, il s'agit d'une technique « de force brute » suit un processus non linéaire et chaotique qui peut fracturer des nappes d'eau et d'autres puits de pétrole et de gaz.
Le rôle du pétrole
Le pétrole est aujourd'hui un des piliers de l'économie mondialisée et un produit stratégique pour l'expansion du capitalisme. Avec ses innombrables dérivés, résultat des transformations chimiques que permet l'industrie pétrochimique (plastiques, fibres synthétiques, détergents, médicaments, conservateurs d'aliments, caoutchouc synthétique, produits chimiques pour l'agriculture, etc.), le pétrole façonne la civilisation pétrolière et ses séquelles tragiques de guerre et de destruction.
Bien qu'il ait été utilisé depuis l'antiquité par les Sumériens, les Babyloniens, les Égyptiens et, plus récemment, par les indiens américains à des fins diverses (dans la construction, comme médicament, comme combustible pour des lampes, pour la protection des canoës), c'est à la fin du XIX e siècle et au début du XX e , dans le cadre de la révolution industrielle, que son utilisation s'est imposée pour l'élaboration de carburants (essence et substances pétrochimiques), déplaçant le charbon. À cette époque-là est apparue aux États-Unis la Standard Oil de Rockefeller, la plus grande entreprise de raffinage, de vente et de distribution de pétrole du monde ; jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, ce pays a été le principal producteur et consommateur de pétrole.
Le pétrole a joué un rôle décisif dans le déroulement et le dénouement de la Première Guerre mondiale, puisqu'il faisait fonctionner les nouveaux chars d'assaut, les bateaux et les sous-marins, et les premiers avions de guerre utilisés pour la reconnaissance, l'attaque et le bombardement. À l'époque, la production des États-Unis, loin du champ de bataille, est passée de 33 000 tonnes en 1913 à 44 000 tonnes en 1917 et à 62 000 tonnes en 1920. Pendant l'après-guerre l'industrie pétrolière s'est développée, ainsi que celle du gaz naturel, déplaçant définitivement le charbon. [3]
En 1938, la production mondiale de pétrole était de 276 000 tonnes ; elle a atteint les 370 000 tonnes en 1946, du fait de la Deuxième Guerre mondiale. Entre 1950 et 2000, la production mondiale de brut a quintuplé. En 2012, la consommation mondiale a été en moyenne de 89 millions de barils, soit 30 % plus qu'en 1992, et les émissions de carbone correspondantes ont atteint 14 110 millions de tonnes.
Le pétrole, avec tous ses dérivés et applications, a permis au grand capital, grâce aux tracteurs motorisés, aux avions légers, aux scies à chaîne et aux produits agricoles chimiques qu'il alimente, de se lancer dans l'expansion de l'agro-industrie pour la production massive et industrialisée d'aliments et de bois. Ce déploiement d'outils de production a avantagé les grands monopoles pétroliers, à commencer par « les Sept Sœurs » : l'Anglo-Persian Oil Company (devenue BP), la Gulf Oil, la Standard Oil of California (SoCal) et la Texaco (devenues Chevron), la Royal Dutch Shell, la Standard Oil of New Jersey (Esso) et la Standard Oil Company of New York (Socony), devenues Exxon Mobil. Ces entreprises ont dominé l'affaire du pétrole jusqu'au début des années 1960. Une fois créée l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l'influence de ces entreprises a diminué. Plus tard, grâce à une série de fusions, il en resté quatre : Exxon Mobil, Chevron, Royal Dutch Shell et BP, mais leur capital est bien supérieur à celui que possédaient les Sept Sœurs. [4]
L'affaire du pétrole a laissé dans son sillage une déforestation vertigineuse, elle a perturbé et détruit des écosystèmes, démantelé la vie paysanne et la souveraineté alimentaire de nombreuses communautés. Andrés Barreda l'exprime avec clarté : « La période néolibérale est celle qui a brûlé le plus d'énergie dans toute l'histoire de l'humanité. La consommation et le gaspillage d'énergie et de matériaux que font l'industrie, les villes et la campagne capitalistes augmentent de façon démesurée ; cela s'applique tout particulièrement à la consommation d'énergie des réseaux de transport intermodal du monde, qui comptent près d'un milliard de véhicules, et du réseau électro-informatique multimodal des ordinateurs, téléphones portables, etc., qui composent l'automate mondial actuel, constituant ainsi une économie capitaliste voracement dépendante d'une augmentation permanente de la production et de la consommation des trois sources d'énergie fossiles : le pétrole, le gaz et le charbon ».
La malédiction du pétrole
Dans les pays du Sud qui ont longtemps été victimes de la colonisation et encerclés pour les rendre dépendants, le pétrole est souvent une malédiction dont l'expression maximale se trouve dans les pays d'Afrique. Les populations du Koweït, du Nigeria, de l'Angola, de la République du Congo, du Gabon, tous des pays pétroliers de la région, ont été et sont toujours victimes de la « malédiction » du pétrole, qui ne leur a apporté aucune richesse.
Dans le delta du Niger, les cas de cancer, d'infertilité, de leucémie, de bronchite, d'asthme, de mortalité infantile, de malformations des bébés et d'autres problèmes associés à la pollution sont d'une fréquence inusitée. Les communautés doivent constamment faire face aux conséquences des déversements de pétrole, du brûlage de gaz et d'autres menaces qui proviennent des activités d'exploitation. Parmi les entreprises pétrolières qui fonctionnent dans le delta du Niger, Shell a été la plus notoire du fait des violations des droits de l'homme que les communautés ont subies : les forces de sécurité engagées par l'entreprise ont avancé sur elles avec armes et chars d'assaut, tuant des centaines de personnes dont des femmes et des enfants, rasant des villages entiers et mutilant des milliers de personnes, à l'époque où Saro-Wiwa a éveillé la conscience de la nation et de la communauté internationale sur l'injustice environnementale en Ogoniland [voir le bulletin nº 152 du WRM].
Autour de l'industrie pétrolière – et de l'industrie minière – le capitalisme a organisé la production industrielle de la plupart des substances et énergies pernicieuses qui saturent aujourd'hui non seulement les dépotoirs mais aussi les systèmes hydriques, l'atmosphère et, finalement, le climat de la planète.
Les compagnies pétrolières, tout en promettant la responsabilité sociale, des contrôles et des mesures de sécurité appropriées et l'application des meilleures méthodes, agissent en toute impunité ; leurs violations des droits de l'homme et leurs atteintes à l'environnement sont de taille à constituer des crimes contre la nature et contre l'ensemble de l'humanité. Les géants pétroliers ont tant de pouvoir que les États peuvent difficilement les obliger à assumer la responsabilité de leurs actes afin de protéger la population ou la nature. Même lorsqu'il y a une réponse judiciaire, celle-ci ne suffit souvent pas à satisfaire les réclamations des communautés concernées, dont les valeurs, la culture ou les droits coutumiers n'ont pas de place dans les systèmes juridiques. Tel est le cas des sites sacrés, des notions de propriété communautaire de la terre, ou des Droits de la Nature que la constitution équatorienne a incorporés. [5] Pour le peuple U'wa qui habite les forêts de l'est de la Colombie, le pétrole est le sang de la Terre-mère et l'extraire est une profanation : « Nous savons que le riowa[l'homme blanc] a mis un prix à tout ce qui est vivant et même à la pierre ; il commerce avec son propre sang et veut que nous fassions la même chose dans notre territoire sacré avec la ruiria, le sang de la terre, qu'ils appellent pétrole. Tout cela est étranger à nos coutumes ». [6] C'est pourquoi ils ont eu un long conflit avec l'État colombien et l'entreprise états-unienne Occidental Petroleum (OXY) que le gouvernement a autorisée à mettre en œuvre un projet pétrolier au cœur du territoire U'wa ; ils ont subi la répression et la mort.
Les communautés s'opposent à l'extraction pétrolière qui empoisonne leurs terres, leurs eaux et leur atmosphère. Elles ne veulent plus vivre au milieu de déversements de pétrole, de grandes flammes de gaz et des troubles économiques et sociaux que l'industrie laisse sur son passage. Elles ne veulent plus la déforestation que provoque cette industrie. Et elles demandent que le pétrole brut reste enfoui dans la terre à laquelle il appartient. Cette réclamation se répand autour du monde et comprend aussi le gaz et le charbon.
Tout indique que l'humanité se retrouve devant un danger imminent, conséquence directe du modèle dominant de l'actuelle « civilisation du pétrole » dont les modes de production, de commercialisation et de consommation s'imposent aux grandes majorités et ne profitent qu'à une minorité. Le style de vie occidental et urbain dépend d'une forte consommation d'énergie qui comporte une énorme injustice sociale et environnementale. D'après les chiffres d'un rapport récent des Amis de la Terre sur l'énergie [7], 1 300 millions de personnes, soit un cinquième de la population mondiale, n'ont pas accès à l'énergie électrique. La consommation d'énergie par personne aux États-Unis et au Canada est près du double de celle d'Europe ou du Japon, plus de dix fois celle de Chine, presque 20 fois celle de l'Inde et environ 50 fois celle des pays les plus pauvres de l'Afrique subsaharienne.
En Camisea, au Pérou, Pluspetrol met en danger les peuples indigènes en isolement volontaire et prétend être récompensée par un projet REDD+
Depuis 204, un consortium dirigé par l'entreprise pétrolière et gazière d'Argentine Pluspetrol exploite les gisements de gaz de Camisea, au Pérou, à l'intérieur de la Réserve Kugapakori-Nahua-Nanti. L'entreprise prévoit maintenant de perforer de nouveaux puits, de construire une extension de gazoduc de 10,5 km et de faire des essais séismiques sur des centaines de kilomètres carrés, dans le cadre d'une expansion massive de ses activités. Bien que le projet n'ait pas encore été approuvé par le ministère péruvien de l'Énergie et des Mines, le Forest Peoples Programme (FPP) a dénoncé que les photos qui figurent dans un rapport interne d'une agence gouvernementale péruvienne montrent des défrichages illégaux dans la réserve qui est censée protéger les peuples indigènes en isolement volontaire et en situation de contact initial. D'après une évaluation d'impact environnemental (EIE) du projet, Pluspetrol reconnaît que le contact avec les peuples indigènes en isolement volontaire est « probable » pendant les opérations, que ces personnes étant généralement très vulnérables au contact des « morts massives » peuvent avoir lieu, et que l'expansion aura ou pourrait avoir des impacts considérables pour des raisons très diverses (pour en savoir plus sur les peuples en isolement volontaire voir le bulletin nº 194 du WRM). Pour incroyable que cela paraisse, en plus d'accroître ses opérations en Amazonie Pluspetrol veut être « récompensée » par un projet REDD+ qui lui rapporterait des crédits de carbone grâce aux zones boisées de la réserve qui resteraient debout (voir Masking the Destruction: REDD+ in the Peruvian Amazon http://wrm.org.uy/books-and-briefings/masking-the-destruction-redd-in-the-peruvian-amazon/). |
Or, les populations les plus vulnérables – celles, précisément, qui ont le moins accès aux utilisations et applications du pétrole – sont les plus touchées par le changement climatique provoqué par les émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont 57 % correspondent au dioxyde de carbone libéré par l'utilisation de combustibles fossiles.
D'autre part, l'idée a été imposée aux « sociétés du plastique » que le pétrole est une source d'énergie indispensable, centralisée par des multinationales qui la trouvent financièrement lucrative, tout simplement parce qu'elles ne comptabilisent pas les désastres écologiques et sociaux qu'elle provoque.
La transition vers des sociétés justes et saines du point de vue environnemental et social, y compris en matière d'énergie, s'avère de plus en plus urgente, mais il ne suffit pas de changer de sources d'énergie. Si restent en place les puissants intérêts économiques, politiques et financiers qui sous-tendent l'engrenage pétrolier, si l'injustice persiste, si on continue à tout faire à grande échelle, si la capacité est dépassée, n'importe quelle énergie renouvelable peut devenir aussi pernicieuse que le pétrole.
Il faut miser sur des sociétés solidaires qui mettent en marche des mouvements sociaux et sur le pouvoir qu'elles pourront ainsi accumuler pour sortir l'humanité de la voie néfaste qu'elle suit à l'heure actuelle car, autrement, tout le monde sera perdant.
Raquel Núñez, WRM, raquelnu@wrm.org.uy
[1] El petróleo, http://www.elpetroleo.50webs.com/perforacion.htm .
[2] “Sueños de oleoductos y tuberías”, Isaac Osuoka, Oilwatch Africa, dans “Fluye el petróleo, sangra la selva”, Oilwatch, http://www.oilwatch.org/documentos/libros .
[3] “Petróleo, el combustible del capitalismo”, María Ibáñez, http://www.enlucha.org/site/?q=node/831 .
[4] “Manipulaciones y zarandeos de la actual civilización petrolera mundial”, Andrés Barreda, rapport pour Oilwatch, http://www.oilwatch.org/component/content/article/118-varios/documentos/131-manipulaciones-y-zarandeos-de-la-actual-civilizacin-petrolera-mundial#sdfootnote14sym .
[5] “Digging for dirty oil. Reviewing corporate oil liabilities and EJO legal strategies for environmental justice”, EJOLT, October 2013, http://www.ejolt.org/2013/10/digging-for-dirty-oil-reviewing-corporate-oil-liabilities-and-ejo-legal-strategies-for-environmental-justice/ .
[6] “ Carta de los U'wa al mundo”, http://www.asociacion.ciap.org/IMG/pdf/Carta_U_Wa.pdf .
[7] “Good energy, bad energy”, http://www.foei.org/en/good-energy-bad-energy .