Les ravages d’un projet de plantation d’arbres sur des terres communautaires en Ouganda

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Certaines des mères qui ont perdu des enfants en raison de la pénurie de nourriture après les expulsions menées par la New Forests Company. Ph : witnessradio.org

Les plantations à grande échelle de la New Forests Company (NFC), basée au Royaume-Uni, ont été et sont synonymes de violence, d'expulsions forcées et de misère pour des milliers d'habitants de Mubende, en Ouganda. Plus de 15 ans après le début des activités de la société, des communautés sont toujours confrontées aux graves conséquences de ses exactions.

Le cœur des habitants de sept villages du district de Mubende, en Ouganda, où la New Forests Company (NFC) a illégalement expulsé près de mille foyers de leurs terres, est empli de misère.

La New Forests Company (NFC), basée au Royaume-Uni, a été fondée en vue de fournir des « produits ligneux durables » en Afrique de l’Est, à l’époque d’une déforestation galopante. Les plantations de la NFC constituent également un « projet carbone », qui génère des profits supplémentaires pour la compagnie au travers de la vente de « crédits carbone ». Le premier arbre a été planté à Mubende, en Ouganda, en 2004. Depuis lors, la société s'est rapidement développée, avec quatre nouvelles zones de plantation en Ouganda ainsi qu'en Tanzanie et au Rwanda.

Cette expansion s'est toutefois accompagnée d'une peine inimaginable pour des centaines de foyers et de graves violations des droits de l'homme, principalement dans le district de Mubende. Entre 2006 et 2010, plus de dix- mille personnes ont été expulsées de leurs terres dans le district de Mubende, parfois avec violence, pour faire place aux plantations de la NFC.

La NFC et la Banque mondiale, qui soutient la firme, avaient entamé des pourparlers avec les personnes qu’elles expulsaient, mais les ont abandonnées. Selon des documents consultés par la plateforme médiatique ougandaise Witnessradio.org, la NFC avait été entraînée dans un dialogue avec les personnes qu’elle évinçait après qu'un rapport critique ait révélé en 2011 qu’elle ne respectait pas les droits humains de communautés liées à un projet de crédit carbone. (1) Le rapport, publié par l'ONG Oxfam, accusait la NFC et ses agents de sécurité d'avoir violé les droits humains de nombreuses personnes en toute impunité. La Banque mondiale nomma alors un médiateur du Bureau de Conseil en Conformité (Compliance Advisor/Ombudsman, CAO). Le CAO traite les plaintes des communautés affectées par les investissements de la Société financière internationale, la branche privée de la Banque mondiale.

En 2011, la NFC avait attiré les investissements de banques internationales et de fonds de capital-investissement. Parmi ceux-ci, la Banque européenne d'investissement (BEI), l'institution financière de l'UE, avait prêté à la NFC cinq millions d'euros (près de six millions de dollars) pour l'expansion d'une de ses plantations en Ouganda. Le fonds Agri-Vie Agribusiness Fund, un fonds d'investissement privé, axé sur l'alimentation et l'agro-industrie en Afrique subsaharienne, a investi 6,7 millions de dollars dans la NFC. Agri-Vie est lui-même soutenu par des institutions de financement du développement, notamment la branche de la Banque mondiale chargée des prêts au secteur privé, la Société Financière Internationale (SFI). Mais l'investissement le plus important est venu de la banque britannique HSBC : environ dix millions de dollars US, ce qui lui a valu 20 % des parts de la société et l'un des six sièges du conseil d'administration de la NFC. Tous ces investisseurs doivent, en théorie, respecter des normes sociales et environnementales dans la gestion de leurs portefeuilles.

Violences et souffrances durables

Après un dialogue de quinze mois facilité par le CAO, les personnes expulsées se sont vu offrir très peu en comparaison de ce qu'elles possédaient auparavant. Ces maigres compensations n'étaient pas basées sur une évaluation visant à déterminer ce qu’elles avaient perdu en conséquence de leurs violentes expulsions.

Witnessradio.org a découvert qu'au cours du dialogue, la NFC avait forcé les personnes expulsées à créer une coopérative si elles voulaient obtenir quelque paiement de la société. En outre, celles-ci ont été forcées de payer des frais d'inscription pour devenir membre de la coopérative et toucher l’argent que la compagnie proposait de leur reverser. Beaucoup n'avaient pas les moyens de payer ces frais. Les quelques-uns qui ont réussi se sont vu attribuer une acre de terre chacune (moins d'un demi-hectare). Seuls 48 % des dix-mille personnes expulsées ont obtenu cette compensation.

Nos enquêtes indiquent qu'après que le versement de 600 000 000 shillings ougandais (près de 180 000 dollars US) par la NFC sur le compte de la coopérative, en compensation pour 8 958 hectares de terre et les autres dommages subis par les personnes qu’elle avait spoliées, les parties prenantes concernées les abandonnèrent à leur angoisse.

Les plantations de la société ont brisé des vies et causé des dommages irréparables aux communautés touchées.

Selon les personnes expulsées, les plantations de la NFC ont provoqué un grand nombre de décès chez les enfants, à cause de la malnutrition. Au moment des expulsions, tous les enfants ont abandonné l'école et se sont mariés à un âge précoce. En outre, après avoir été privées des moyens de se nourrir, de nombreuses familles ont commencé à vivre dans des camps de réfugiés, tandis que des centaines d’autres se sont séparées. La liste est longue des conséquences dont l’impact se fait encore sentir.

Des témoignages d'expulsions forcées et d'absence d'indemnisation adéquate ternissent les projets de développement social que l'entreprise met en avant chaque fois qu'elle parle de ses réalisations.

Shantel Tumubone, cinquante ans, et sa famille, ont été expulsés il y a dix ans de leur maison ancestrale dans le village de Kyamukasa, dans le sous-comté de Kitumbi, dans le district de Kassanda. En guise de compensation, on leur a promis de quoi trouver d'autres terres où se réinstaller.

Elle s'est installée dans un village voisin, à la recherche de terres, en prévision de l'indemnisation. « J'ai attendu l'argent jusqu'à présent. Mais nous n’avons pas reçu une seule pièce comme compensation, et nous ne savons pas si cela arrivera », explique Tumubone, dont l'espoir s'estompe, à Witnessradio.org.

Après avoir attendu en vain, Tumubone a réussi à obtenir un emploi occasionnel dans une ferme du village de Kabweyakiza, qui se trouve à quelques kilomètres de l'endroit où elle vivait avec sa famille. Ayant tout perdu lors de l'expulsion, Tumubone a ensuite perdu son mari, parce qu'ils ne pouvaient plus payer les factures médicales. Pire encore, elle n'avait pas d’endroit où enterrer son mari. C’est pourquoi un accord a été conclu entre elle et la société qui gère les plantations : en échange de son travail occasionnel dans les plantations pendant huit mois, la société lui donnerait un morceau de terre dans son ancien village, d'une valeur d'un million de shillings ougandais (environ 270 dollars), afin qu'elle puisse enterrer son mari.

Tumubone est une des nombreuses personnes qui ont été jetées dans la pauvreté et privées de terres par la New Forest Company. Ces gens, qui possédaient des terres qu’ils cultivaient pour survivre, ont été transformés en mendiants, tandis que plusieurs autres sont désormais employés par la Compagnie à travailler sur ce qui était autrefois leur propre terre.
Nombre des personnes interrogées par Witnessradio.org ont contesté les prétentions de la compagnie NFC, selon lesquelles elle aurait entrepris des consultations en bonne et due forme et proposé des terres de remplacement en guise de compensations équitables.
« Nous n'avons jamais été consultés et nous n’avons jamais consenti à ce qu’a fait la New Forest Company. Ils ont fait de nous des pauvres, et qui choisirait une telle vie ! Je possédais personnellement quinze acres [six hectares] de terre où je cultivais une variété de plantes », a déclaré l'un des résidents qui est maintenant un travailleur occasionnel dans les plantations de la Compagnie.

Malgré tout, dans son rapport de 2011 aux Nations unies, la New Forest Company affirme que ces gens ont quitté leurs terres volontairement et pacifiquement — ce qui ne correspond pas à la réalité que décrivent les communautés affectées.

FSC : Certifier la dévastation

Ce qui surprend, en outre, c'est que la NFC a réussi à obtenir une certification FSC pour ses plantations, laquelle garantit supposément des pratiques entrepreneuriales « socialement bénéfiques ». La certification FSC est en effet censée garantir des produits provenant de plantations gérées de manière responsable et offrant des avantages environnementaux, sociaux et économiques.

Dans un rapport d'audit réalisé en 2010, le FSC a déclaré, à propos des expulsions, que l'entreprise avait employé des moyens pacifiques et agi de manière responsable.
Étant donné la situation dans les zones où la New Forest Company met en œuvre ses projets de plantation d'arbres, il ne fait aucun doute que l'entreprise se moque éperdument des standards de la société de certification. En conséquence, de nombreuses personnes désormais sans domicile n'ont qu'un bien maigre espoir de retrouver leurs terres et leurs foyers.

Le délégué des foyers déplacés, M. Julius Ndagize, a affirmé que plusieurs réunions avec les dirigeants de la New Forest Company n’avaient pas été fructueuses.

« La compagnie n'a réussi à réinstaller que quelques familles après que nous ayons réussi à obtenir cinq-cents acres [deux-cents hectares] de terres dans le village de Kampindu, où chaque famille a réussi à obtenir une acre de terre, mais les autres sont sans terre », explique Ndagize.

Contextualisation de l'augmentation des investissements massifs

Suite à la flambée des prix des matières premières en 2007-2008, des investisseurs ont exprimé leur intérêt pour cinquante-six millions d'hectares de terres, à destination de l'agriculture et de la production de bois. L'Afrique subsaharienne comptait pour les deux tiers de cette demande. Malgré le faible taux d'investissements agricoles importants enregistré en Afrique et dans certaines régions d'Asie, la taille médiane mondiale des projets, qui est de quarante-mille hectares, implique que ces investissements pourraient avoir des conséquences majeures sur les droits fonciers ruraux et les habitants actuels de ces terres, en particulier les petits exploitants.

Déplorablement, les pays dont le cadre juridique de la reconnaissance des droits fonciers ruraux est faible et dont la réglementation environnementale des activités commerciales est médiocre sont les plus susceptibles d'être ciblés par des investissements à grande échelle.
La constitution ougandaise stipule que « la terre en Ouganda appartient aux citoyens ougandais ». Mais les histoires de non-indemnisation, depuis déjà plus d’une décennie, révèlent un viol flagrant de cette loi et un abus total des droits des citoyens à qui la terre appartient.

Les expulsions forcées constituent également des violations flagrantes des droits de l'homme internationalement reconnus, notamment du droit à un logement décent, à la nourriture, à l'eau, à la santé, à l'éducation, au travail, à la sécurité, à la protection contre les traitements cruels, inhumains et dégradants, et à la liberté de mouvement.
Les conséquences des expulsions forcées vont bien au-delà de pertes matérielles, entraînant des inégalités et des injustices plus profondes, une marginalisation et des conflits sociaux.
Les expulsions se poursuivant sans relâche en Ouganda, il ne fait aucun doute que le fossé qui sépare les riches des pauvres s'élargit à mesure que des droits humains sont bafoués.

L’équipe de Witness Radio, Ouganda
witnessradio.org

(1) WRM Bulletin, Ouganda : l’entreprise New Forests Company. Le FSC légitime l’expulsion de milliers de personnes et la vente de crédits de carbone, 2011, et Oxfam International, The New Forest Company and its Uganda plantations, 2011