L’industrie minière et les femmes indigènes des Philippines

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Il y a environ 110 groupes ethnolinguistiques aux Philippines, et ils représentent presque 15 % de la population. La plupart vivent dans les chaînes de montagnes et dans les régions côtières [1]. Or, les zones des Philippines qui contiennent des minerais se trouvent aussi dans ces montagnes. Neuf millions d’hectares, soit près de 30 % du territoire, contiennent des minéraux et sont exploités par le gouvernement et par des investisseurs miniers.

L’industrie minière n’apporte par an qu’une moyenne de 1,2 % du produit intérieur brut, tandis que les populations subissent une longue liste d’effets indésirables : ressources épuisées, environnement et habitat naturel endommagés, pollution, problèmes de santé, coûts économiques [2].

Les communautés autochtones ont compris il y a longtemps que les mines affecteront leurs moyens d’existence et qu’elles laisseront leurs terres stériles et leurs montagnes dénudées et vouées au désastre. C’est pour cette raison qu’on lutte contre les mines dans cette région.

Indiscutablement, le principal souci des peuples autochtones des Philippines concerne la possession de la terre. Les mines provoquent le déplacement massif des autochtones de leur territoire ancestral. Les agressions du développement [3], comme l’extraction minière, ont mis en danger leur mode de vie traditionnel en envahissant leur domaine : leurs fermes, leurs foyers, leurs forêts et leurs lieux sacrés. En plus, la migration croissante d’habitants d’autres communautés en quête de travail a des effets négatifs sur eux. Le déboisement et l’aplanissement des montagnes pour l’activité minière les rendent vulnérables aux glissements de terrain et à d’autres catastrophes qui touchent les peuples des montagnes et ceux des vallées.

Conséquences pour les femmes

Les femmes et les enfants autochtones sont fortement touchés par les activités minières. En 2009, Emi B. Carreon, membre d’Innabuyog, une alliance régionale d’organisations de femmes indigènes de la région de la Cordillera, a présenté à la Session d’études asiatiques sur les femmes et les mines un rapport sur les différentes conséquences de l’exploitation minière sur les autochtones.

Des désastres occasionnels, comme la rupture des réservoirs de déchets miniers, aggravent la pollution des sols et des fleuves causée par les produits chimiques toxiques et les acides qui s’écoulent des mines ; cette pollution a de graves effets sur la santé des habitants, et en particulier sur celle des femmes. La pollution de l’air, de l’eau et du sol contamine les aliments et l’eau qu’ils consomment, tandis que les mineurs et les communautés qui reçoivent les déchets toxiques des mines souffrent de troubles graves de la santé, comme l’asthme, la tuberculose, des affections de la peau, des maladies gastro-intestinales et même le cancer. Les femmes risquent en plus d’avoir des problèmes de santé associés à la reproduction, comme l’avortement spontané et la malformation du bébé.

En tant que femmes d’intérieur, les femmes sont très touchées par les bouleversements et les désordres sociaux causés par les mines ; le paiement de pots de vin, qui aboutit à  la destruction des valeurs et des coutumes traditionnelles, voire de l’unité familiale, est une méthode utilisée pour affaiblir les communautés minières.

Les femmes ont aussi du mal à apporter des aliments et de l’eau à leur famille, car les forêts ne sont plus leur foyer ; elles devront maintenant s’adapter à l’économie monétaire, à laquelle les peuples autochtones ne sont pas habitués.

Carreon signale aussi que, dans bien des cas, la violence domestique contre les femmes a augmenté, ainsi que l’alcoolisme, la toxicomanie, le jeu, l’inceste, l’échangisme et l’infidélité.

En outre, la militarisation qui frappe les communautés autochtones est particulièrement cruelle pour les femmes : il y aurait eu des exécutions extrajudiciaires, des harcèlements sexuels, des viols et des tortures physiques et psychologiques de femmes [4].

L’activité minière est considérée aussi comme une cause de prostitution. Par exemple, à Zamboanga Sibugay (Zamboanga del Sur), la police a rapporté en 2010 certains cas de travail et de prostitution d’enfants. A.J. Jacinto, de GMANews.tv, a informé que « beaucoup ont été persuadés de se prostituer pour de l’argent – 1 500 pesos philippins pour trois heures de sexe dans les chaumières qui servent de repaire aux mineurs après une rude journée de travail » [5].

Les femmes en première ligne dans la lutte contre les mines

Les femmes autochtones des Philippines ont rejoint des organisations qui les aident dans leur lutte. Elles jouent un rôle capital dans l’éducation et la divulgation d’information et de ressources chez d’autres femmes et d’autres communautés, sur des sujets divers. Elles participent activement aux campagnes et aux mobilisations populaires (chaînes humaines, arrestations massives, manifestations, etc.).

Les femmes et les enfants de Barangay Anislagan, à Placer (Surigao del Norte), l’ont bien montré : la population vit de l’agriculture, du riz et des cocotiers. Les femmes ont compris que les mines vont porter atteinte à leurs moyens d’existence, en polluant leurs réserves d’eau et en éliminant les forêts qui leur restent. Donc, elles ont lutté contre les entreprises minières Anglo-American et Manila Mining, et elles sont à la tête de la campagne pour la souveraineté alimentaire et contre les mines dans les bassins des fleuves.

Guidées par l’organisation populaire Anislagan Bantay Kalikasan Task Force (ABAKATAF), elles ont présenté une pétition et participé à des élections locales qui ont abouti à la décision de ne pas permettre des activités minières à cet endroit (Résolution de Barangay).

Convoquée par le son de la cloche de l’église, la communauté entière, femmes et enfants compris, a organisé des barricades humaines. Cela a poussé Anglo-American à annoncer, en novembre 2008, sa décision de se retirer, en mentionnant l’opposition de la population comme une des raisons principales [6]. La lutte contre la Manila Mining Company, commencée dans les années 1980, continue encore aujourd’hui.

Les communautés indigènes et les organisations qui les soutiennent continuent de lutter pour leur droit à l’autodétermination et pour les droits de l’homme. Elles veulent renforcer leur position pour défendre leur droit aux terres ancestrales et celui de choisir leur mode de développement.

Ces communautés ne vont pas baisser les bras pour voir comment les mineurs s’approprient leur terre. Ce sera un dur combat mais elles savent qu’elles ne renonceront pas à leur terre sans lutter.

Farah Sevilla, adresse électronique : farahsevilla@gmail.com, membre de GenderCC aux Philippines, responsable des activités de recherche et de défense des droits d’Alyansa Tigil Mina (Alliance contre les mines), http://www.alyansatigilmina.net [7].

[1] Informations de Koalisyon ng Katutubong Samahan ng Pilipinas (KASAPI).
[2] Publication d’Alyansa Tigil Mina : A Legacy of Disaster, février 2010.
[3] Les agressions du développement sont définies par le Comité technique sur la promotion et l’action pour le développement égalitaire et inclusif des minorités ethniques, comme des activités comme les industries extractives, l’hydroélectricité, les industries pétrolière, gazière et minière, la concession de terres, les plantations, etc., auxquelles s’ajoute, dans certains pays, la militarisation, et qui aboutissent au déplacement de communautés.
[4] Des cas de viol et de harcèlement ont été rapportés à Abra et à Mindanao.
[5] “Illegal mining breeds child labor, prostitution in Diplahan”, GMA Network,http://www.gmanews.tv/story/186685/regions/illegal-mining-breeds-child-labor-prostitution-in-diplahan.
[6] Rapport du Legal Rights and Natural Resources Center – Kasama sa Kalikasan (LRC-KsK/Amis de la Terre Philippines) et documentaire (
[7] Alyansa Tigil Mina (Alliance contre les mines) regroupe plus de 80 organisations de communautés touchées par les mines et d’organisations populaires de tout le pays. Depuis cinq ans, elle lutte activement contre la politique gouvernementale qui encourage l’industrie minière à grande échelle aux Philippines.