Les Dayak habitaient la forêt de Kalimantan bien avant que l'État indonésien actuel ne soit établi. Leur adat (coutume) avait garanti l'intégrité de la forêt et de l'environnement, jusqu'au moment où l'exploitation commerciale commença à dévaster et à envahir leur territoire coutumier. Depuis, ils ont dénoncé que les projets destructeurs imposés directement ou indirectement par le gouvernement pendant des décennies ont progressivement affaibli et appauvri les Dayak, car des permis et des concessions ont été accordés sans aucun contrôle et souvent illégalement, grâce à la corruption. Le réseau YayasanPetakDanum (YPD) a signalé que, sur les 15,1 millions d'hectares que comprend le Kalimantan central, au moins 83 % (12,5 millions d'hectares) seront transformés ou détruits par des plantations de palmier à huile en régime de monoculture, des plantations industrielles d'arbres pour la production de pâte à papier, ou des concessions minières [1].
La semaine dernière, un groupe de dix anciens des tribus Dayak de cinq villages du Kalimantan central ont présenté leur cas au ministère des Forêts, à la Chambre des députés et à l'Agence nationale du territoire, à Jakarta. Ils ont dénoncé que l'expansion des plantations de palmier à huile, les concessions minières et aussi les projets REDD menacent d'anéantir le style de vie traditionnel des tribus Dayak du Kalimantan [2].
D'autre part, certains projets sont considérés comme des interférences extérieures. « Aucune intervention extérieure n'est nécessaire pour que les tribus protègent leurs forêts », a dit April Perlindungan, de la fondation PetakDanum, qui défend la conservation des forêts par les méthodes indigènes et qui soutient la cause des Dayak. « Ils n'ont pas besoin qu'on leur apprenne à planter des hévéas ou à pêcher en respectant l'environnement, cela fait partie de leur mode de vie. Il suffit de les laisser faire ce qu'ils ont toujours fait ». Il a mentionné le cas d'un travail de réhabilitation forestière entrepris à la suite du Mega Rice Project mis en œuvre au Kalimantan en 1996, où un million d'hectares de forêts de tourbière centenaires furent rasés pour y faire des rizières. « Des gens sont venus pour essayer de boucher les canaux qui avaient été creusés pour drainer les marais de tourbe, mais ils n'y sont jamais parvenus parce qu'ils n'ont jamais demandé l'avis des gens de la zone », a-t-il dit. « Or, de leur propre initiative, les gens du pays ont reboisé la région, ils ont creusé des rigoles pour rediriger l'eau vers les marais, et ils ont construit des étangs de poissons qui servent aussi de réservoirs. Ils ont toujours su comment protéger la forêt. »
Les leaders dayak ont aussi dénoncé de prétendus projets de conservation des forêts, comme le projet REDD+ dénommé Kalimantan Forests and Climate Partnership(KFCP), qui relève du Partenariat Indonésie-Australie pour le carbone forestier (IAFCP) créé en 2008. En février 2011, dans une lettre adressée à la délégation australienne qui visitait le Kalimantan central, le réseau YPD signalait certains problèmes constatés au cours de leur surveillance des activités du KFCP dans les districts de Mantangai et de Timpah. L'YPD a dénoncé que les rapports sur le progrès du projet KFCP n'étaient pas objectifs, car « le personnel du KFCP étant payé au rendement, il a intérêt à fausser les rapports pour qu'ils soient positifs. Nous craignons que l'efficacité du KFCP en tant que projet pilote REDD+ ne soit compromise, faute d'informations précises et fiables dont on puisse tirer des enseignements. Or, tel devrait être le principal objectif d'un projet pilote ».
Ils ont contesté également le rôle des ONG internationales qui participent au projet REDD+, comme Borneo Orang-Utan Survival (BOS), dont l'YPD dit qu'elle « ne respecte absolument pas les droits des Dayak sur les forêts qui restent, et qu'elle les a réclamées comme zone de conservation pour la réhabilitation des orangs-outangs, sans consulter les communautés locales ». La communauté dayak a manifesté qu'elle ne croyait pas « que les ONG aient les compétences ou l'expérience nécessaires pour se charger de la réhabilitation écologique ou de n'importe quelle autre activité du projet dans la région ; d'ailleurs, elles sont payées par le projet ».
Pour l'instant, le projet KFCP n'a donné aucune assurance que les droits fondamentaux des Dayak, y compris celui de gérer les ressources naturelles sur les 120 000 hectares concernés, seront respectés. C'est pourquoi la devise des Dayak est « Sans droits, point de KFCP ».
Dans sa lettre à la délégation australienne, l'YPD précise : « le réseau a aidé les populations de 12 villages du sub-district de Mantangai, au moyen de notre Programme de base communautaire sur l'utilisation des tourbières, qui est fondé sur nos connaissances traditionnelles. Le plan a pour but de réduire la pauvreté et de restaurer les tourbières. Il nous a permis de réunir beaucoup d'information et nous avons beaucoup d'expérience sur la manière d'aménager la tourbière après sa destruction par le projet rizier » de 1996 dont nous avons parlé plus haut.
La lettre se termine par un avertissement : les fonds publics australiens risquent d'être gaspillés dans un projet de réduction des émissions inefficace, et l'Australie risque d'être accusée de provoquer, entre autres maux, « la perte des moyens d'existence de près de 15 000 personnes des 14 villages compris dans le projet KFCP, en les privant de leur droit d'accès aux ressources naturelles des tourbières et des forêts, qui ont toujours été la source de notre subsistance ».
Article fondé sur des informations tirées de : [1] Lettre des leaders communautaires du réseau YayasanPetakDanum (YPD) à la délégation australienne qui a visité le Kalimantan central en février 2011, http://www.redd-monitor.org/wordpress/wp-content/uploads/2011/02/YPD-Letter-to-Australian-Delegation.pdf ; [2] “Indonesia: Plantations, Mining and REDD a Threat to Dayak Indigenous Peoples,” Fidelis E. Satriastanti, 25 octobre 2011, http://www.thejakartaglobe.com/home/plantations-mining-and-redd-a-threat-dayak/473817 .