(Photo : Elaine Gilligan, FoE)
Le 30 janvier, un tribunal néerlandais a déclaré que la société transnationale anglo-néerlandaise Shell était responsable d’avoir pollué le delta du Niger, avec de graves conséquences pour la vie des habitants d’Ikot Ada Udo, un village de l’État d’Akwa Ibom State. Shell devra nettoyer la zone polluée par le pétrole, indemniser les personnes touchées et éviter que de nouvelles fuites de pétrole se produisent. Il s’agit d’un cas unique car, pour la première fois, une multinationale néerlandaise a dû répondre devant une cour néerlandaise des actes d’une de ses filiales.
Les communautés du delta du Niger dépendent essentiellement de l’environnement pour leur subsistance, basée sur l’agriculture et la pêche. Cette décision du tribunal est une victoire d’importance car, d’après Nnimmo Bassey, membre d’Oilwatch et des Amis de la Terre Nigeria, « d’autres communautés vont maintenant réclamer à Shell de payer pour ses atteintes à leur environnement ». Néanmoins, il est important de réfléchir à deux éléments de la décision du tribunal.
Premièrement, dans sa décision en faveur de la population d’Ikot Ada Udo, le tribunal a déclaré que Shell Nigeria, et non la Royal Dutch Shell des Pays-Bas, était responsable. Or, cette dernière est propriétaire à 100 % de Shell Nigeria ; il est donc difficile de croire qu’elle n’intervienne pas dans les décisions prises par sa filiale et, à plus forte raison, qu’elle ne soit pas responsable de ce que fait sa filiale. Les Amis de la Terre Pays-Bas ont affirmé qu’on leur avait refusé l’accès aux documents qui auraient prouvé que la Royal Dutch Shell gère les affaires quotidiennes de Shell Nigeria.
Deuxièmement, le verdict représente une grande déception pour les habitants des villages d’Oruma et de Goi : ils subissent exactement les mêmes conséquences de la destruction environnementale que les habitants d’Ikot Ada Udo, mais la cour n’en a pas rendu Shell responsable. Elle a estimé que l’entreprise avait fait le nécessaire pour l’entretien des oléoducs et qu’elle n’avait pas été négligente ; les déversements seraient le résultat du « sabotage » réalisé par des gens qui volent du pétrole. Les agriculteurs nigérians et les Amis de la Terre Pays-Bas ont annoncé qu’ils allaient faire appel du jugement.
Dans les journaux néerlandais, Shell s’est déclarée « heureuse » que la maison mère n’ait pas été considérée comme responsable dans le premier cas, et que, dans le deuxième, elle ait été acquittée en affirmant qu’il s’agissait de sabotage et non de mauvais entretien.
Nous sommes heureux aussi de la victoire des habitants d’Ikot Ada Udo mais, en même temps, nous sommes profondément tristes et inquiets. Comment la cour néerlandaise, qui est très loin du Nigeria et de la réalité de la destruction dans le delta du Niger, peut-elle affirmer que Shell n’est pas responsable des déversements de pétrole dont elle a été acquittée ? D’après le communiqué de presse des Amis de la Terre International, « les plaignants ont déclaré qu’ils estiment incompréhensible que le tribunal se soit laissé convaincre par les quelques photos floues et les vidéos de mauvaise qualité présentées par Shell ».
Menno Bentveld, un journaliste néerlandais qui a tourné un documentaire sur les déversements de pétrole au Nigeria, a commenté que les habitants qu’il a rencontrés ont reconnu l’existence de sabotages qui causent des déversements de pétrole, mais ces personnes ont dit aussi que les oléoducs appartenaient à Shell et que c’était donc à Shell de les protéger comme il faut. Autrement, « qu’elle ne vienne pas ici pour emporter le pétrole ». Menno s’attaque en outre à l’idée et à la logique sous-jacentes, qui seraient : « Nous pouvons extraire leur pétrole sans problème et, ce faisant, Shell et le monde occidental peuvent gagner des milliards, mais pour ce qui est de protéger les oléoducs et d’éviter les déversements de pétrole, nous n’avons besoin de rien faire ».
Quelle aurait été la réaction aux Pays-Bas, si un tribunal nigérian avait pris une décision semblable concernant les activités d’une compagnie nigériane qui aurait porté de graves atteintes à la population néerlandaise ? Le fait que le sabotage existe dans le delta du Niger suffit-il à affirmer que ces cas particuliers de déversement de pétrole sont dus au sabotage ?
Espérons que beaucoup de communautés suivront les pas de ces agriculteurs nigérians courageux qui ont fait passer Shell en justice dans son propre pays, avec le soutien des Amis de la Terre Pays-Bas et des Amis de la Terre Nigeria. Espérons aussi que le tribunal écoutera leur appel à la justice et contre l’impunité des grandes entreprises !
Source : communiqué de presse des Amis de la Terre International (http://www.foei.org/en/media/archive/2012/dutch-
court-ruling-against-shell-a-partial-victory), et http://www.radio1.nl/items/7
1044-shell-veroordeeld-voor-milieuschade-in-nigeria