Dangereuses pour les communautés et le climat : les « solutions » fondées sur la nature au Gabon

Image
Logginh Gabon NBS
Exploitation forestière dans la zone du Projet Grande Mayumba, au Gabon. Photo : Muyissi.

Cet article fait partie de la publication « 15 ans de REDD:

Un système fondamentalement vicié »

 

Lors de la conférence de l'ONU sur le climat en 2021, le gouvernement gabonais s'est présenté comme un champion de la lutte contre la dégradation du climat. L'extraction des énergies fossiles au Gabon allait-elle prendre fin ? Non. Ce discours n'était rien d'autre que du greenwashing. À la base de ce discours se trouve un accord signé en 2019 avec la Norvège, un pays producteur de combustibles fossiles, et le projet Grande Mayumba. Les communautés craignent que le projet de compensation carbone n'aggravent les difficultés des familles qui ont vu la pêche artisanale le long de la côte fortement restreinte et qui subissent également des destructions non indemnisées de leurs cultures par des éléphants, qui sont poussés à proximité par l'exploitation forestière industrielle et les plantations de palmiers à huile.

Dans les mois qui ont précédé le sommet des Nations Unies sur le climat de novembre 2021 à Glasgow, en Écosse, les médias britanniques ont souligné l'importance des forêts, et des forêts du Gabon en particulier, pour le climat. (1) Ils défendent l'affirmation selon laquelle, pour protéger le climat, des pays comme le Gabon doivent être payés pour conserver leurs forêts et le carbone qui y est stocké. (2) L'ONG britannique Chatham House a même diffusé un podcast d'une heure dans lequel le ministre gabonais des forêts, des océans et du changement climatique, Lee White, a exposé cette argumentation.(3)

L'intérêt soudain des médias britanniques pour les forêts du Gabon est très lié à la question des émissions de carbone. Les gouvernements des pays industrialisés, les entreprises et les grandes ONG de conservation prétendent que les forêts peuvent compenser les dommages (climatiques) causés par destruction des réserves souterraines de carbone occasionnée par l'extraction du charbon, du pétrole et du gaz. Comment ? En protégeant des forêts qui risquaient soi-disant d'être détruites. En empêchant cette destruction prétendument planifiée, on maintient le carbone dans la forêt – et donc hors de l'atmosphère (voir Le carbone est-il le même, quelle que soit son origine ? Carbone fossile, violence et pouvoir). Cette argumentation a du succès auprès des entreprises, car elle leur permet de continuer à tirer profit des combustibles fossiles pourvu qu'elles paient un projet qui prétend protéger les forêts en péril, planter des arbres supplémentaires ou restaurer des tourbières endommagées. Cette idée dangereuse selon laquelle la destruction des stocks de carbone du sous-sol peut être compensée en revendiquant le stockage dans les forêts du carbone aérien a été promue sous le nom de REDD – ou, plus récemment, de « solutions fondées sur la nature » (voir REDD : pas seulement un échec).(4)  

Deux exemples en provenance du Gabon montrent pourquoi les « solutions fondées sur la nature » aboutiront à une aggravation du chaos climatique parce qu'elles ne contribuent pas à l'arrêt de l'extraction du charbon, du pétrole et du gaz. Comme REDD au cours des 15 dernières années, ces prétendues solutions exposeront également les communautés à davantage de conflits et de violences et ne feront rien pour réduire les émissions provenant de l'exploitation forestière industrielle ou de l'agro-industrie.

L'accord Norvège-Gabon : payer pour une réduction de la déforestation pendant que la déforestation augmente

Dans un accord signé en septembre 2019, le gouvernement norvégien s'engage à verser 150 millions de dollars au gouvernement gabonais si ce dernier peut prouver qu'il a réduit la déforestation en deçà d'un niveau convenu.(5) Le raisonnement consiste à dire qu'en évitant la déforestation, une certaine quantité de dioxyde de carbone n'est pas rejetée dans l'atmosphère parce que les arbres qui étaient prétendument sur le point d'être coupés resteront sur pied. Donc, éviter ces émissions aide à réduire les émissions dans l'atmosphère.

Les avantages d'un tel accord pour le gouvernement norvégien sont évidents : pour une petite somme (petite par rapport aux bénéfices tirés de la destruction des réserves souterraines de carbone au large des côtes norvégiennes), le gouvernement norvégien peut se présenter au monde comme un champion de la lutte contre le dérèglement climatique. Pendant ce temps, ce même gouvernement qui exhorte les populations gabonaises à protéger leurs réserves de carbone forestier en surface parce qu'elles sont importantes pour la protection du climat, continue de détruire ses réserves de carbone souterraines pour extraire le pétrole et le gaz et tirer encore plus de profits de la vente de ces combustibles fossiles. (6)

L'accord a également été salué par le ministre gabonais des forêts, des océans et du changement climatique.(7) Ce grand pays producteur de pétrole a ainsi pu utiliser l'accord pour détourner l'attention des dommages climatiques causés par le forage de du pétrole et du gaz en mer, et faire preuve de leadership dans les solutions fondées sur la nature et la protection du carbone stocké dans les forêts du Gabon. L'accord a même permis au gouvernement norvégien de verser les premiers 17 millions de dollars en juin 2021 (8), alors que la déforestation au Gabon – un pays dont 60 % des routes servent à l'exploitation forestière et dont 44 % des forêts ont été cédées à des entreprises en tant que concessions forestières (9) – est en hausse.

Il convient de noter que de telles perversités ne sont pas des exceptions lorsqu'il s'agit de paiements pour des prétendues réductions des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD).(10) Régulièrement, des pays et des entreprises qui figurent parmi les premiers responsables de la dégradation du climat en paient d'autres, qui prétendent avoir réduit les émissions dues à la déforestation, même si la déforestation dans un pays ou dans le cadre d'un projet REDD est en augmentation ; (11) ou bien des paiements sont effectués sur la base d'affirmations selon lesquelles la déforestation de forêts menacées de destruction a été évitée, même si rien n'indique de manière plausible que le risque de déforestation existait. La conséquence : les entreprises et les pays qui sont les principaux responsables de la dégradation du climat, peuvent prétendre que leurs accords commerciaux, leurs produits et leurs services sont en quelque sorte « neutres en carbone » – et continuent à profiter de la combustion des combustibles fossiles et de la déforestation qui leur est toujours associée.

Pour Lee White, l'accord de 150 millions de dollars avec la Norvège n'est qu'un début. Dans le podcast de Chatham House d'octobre 2021, L. White explique aux auditeurs que « chaque année, le Gabon absorbe environ 100 millions de tonnes de dioxyde de carbone, net. Donc, nous compensons toutes nos émissions. Nous ne visons pas à la neutralité carbone, nous sommes neutres en carbone. Nous sommes même bien meilleurs que cela. Nous absorbons environ un quart à un tiers des émissions annuelles du Royaume-Uni dans nos forêts tropicales. » (12)

Il n'y a pas grande différence entre cette argumentation et celle des pays industrialisés et des multinationales, qui affirment qu'elles n'ont pas besoin d'arrêter de brûler du charbon, du pétrole et du gaz chez eux pour prétendre à la « neutralité carbone » ; au lieu de cela, ils peuvent simplement payer un autre pays, par exemple le Gabon, pour protéger le carbone stocké dans ses forêts. Selon ce raisonnement, cela est tout aussi efficace que d'arrêter la destruction des réserves de carbone souterraines restantes ; pas besoin pour les pays industrialisés et les entreprises d'arrêter de les brûler comme combustibles fossiles.

Évidemment, la compensation n'est pas du tout aussi efficace que l'arrêt de la destruction des gisements de carbone souterrains. En fait, la compensation signifie que les communautés dont les terres sont détruites par les mines de charbon et les champs de pétrole continueront d'être exposées à la violence et à la pollution toxique qui sont inextricablement liées à l'extraction des combustibles fossiles. La compensation signifie également que les communautés dont la région est impactée par des raffineries continuent d'être exposées à des effets sanitaires désastreux. Enfin, la compensation se traduit par le fait que davantage de terres, du côté compensation de l'équation, sont contrôlées pour servir les intérêts des entreprises – en tant que réservoirs de carbone, dans ce cas – tandis que les familles paysannes et les populations forestières doivent cesser de produire leur nourriture dans la forêt.

Le projet Grande Mayumba : une menace pour les moyens de subsistance des communautés déguisée en ‘solution fondée sur la nature’

En septembre 2021, le gouvernement du Gabon a présenté une proposition qui permettra aux entreprises de profiter de projets de compensation carbone sur la base du même raisonnement que celui de l'accord entre les gouvernements de Norvège et du Gabon : si le projet démontre que les forêts couraient le risque d'être détruites et que ces forêts sont protégées par le projet, il peut vendre le carbone économisé grâce à cette protection forestière à des entreprises qui souhaitent continuer à brûler des combustibles fossiles, et en même temps faire valoir que les dommages climatiques causés par cette combustion de combustibles fossiles ont été compensés.(13) Il existe déjà un projet de ce type dans la province de la Nyanga dans le sud-ouest du Gabon : le projet de Grande Mayumba.

Le projet Grande Mayumba remonte à 2011, lorsque le gouvernement du Gabon et une société alors appelée SFM Africa Ltd. (14) ont créé la Grande Mayumba Development Company (GMDC) sous la forme d'un partenariat public-privé. Le gouvernement gabonais détient 34 % de la société, tandis que 66 % sont aux mains de SFM Africa Ltd., aujourd'hui connu sous le nom d'African Conservation Development Group (ACDG). (15)

Image
Communities in Nyanga province, Gabon, call for the suspension of the Grande Mayumba NBS project. November 2021.
Des communautés de la province de Nyanga, au Gabon, demandent la suspension du projet SFN de Grande Mayumba. Novembre 2021.

Comme d'autres sociétés créées par l'homme d'affaires sud-africain Alan Bernstein, SFM Africa Ltd. et l'African Conservation Development Group sont enregistrées dans des pays souvent qualifiés de paradis fiscaux. Ce sont des pays très appréciés des fraudeurs fiscaux, entre autres parce que les entreprises qui y sont enregistrées paient très peu d'impôts et doivent divulguer très peu d'informations sur les entreprises et leurs propriétaires. En 1999, Bernstein a enregistré sa société SFM International Ltd. aux Bermudes. L'African Conservation Development Group, qu'il a créé plus tard, est enregistré à Maurice. Selon le portail web d'investigation Ojo Público, SFM International Ltd. faisait partie d'un réseau d'entreprises impliquées dans la vente de crédits de carbone et l'évasion fiscale dans le cadre d'un projet de reboisement dans la province d'Uyacali au Pérou. (16) En 2011, SFM International Ltd. a fait faillite.

Des documents clés portant sur le projet sont tenus secrets

Très peu de documents détaillés sont publiquement accessibles sur la Grande Mayumba Development Company ou le projet de Grande Mayumba. En fait, le seul document public détaillé est un contrat signé le 20 octobre 2011 entre la Grande Mayumba Development Company et sa filiale d'exploitation forestière à 100 %, Nyanga Forestry Operations. Ce contrat fait référence à un autre contrat qui a été signé le 20 avril 2011 et a créé la Grande Mayumba Development Company. Or, ce contrat concernant la Grande Mayumba Development Company ne semble pas avoir été rendu public.   

Des membres de la communauté et des représentants d'organisations de la société civile qui se sont réunis dans la ville de Mayumba en septembre et novembre 2021, se sont alarmés du secret entourant le projet Grande Mayumba. Un communiqué de presse du 5 mars 2021 publié par l'African Conservation Development Group (ACDG) affirme que « le projet a été conçu avec soin au moyen d’un vaste processus de consultation durant un certain nombre d’années ». (17) À l'inverse, les membres de la communauté présents aux réunions ont déclaré qu'ils n'étaient au courant d'aucune consultation, et certainement aucune qui aurait présenté le projet de manière exhaustive. Ils ont déclaré n'avoir jamais vu de carte détaillée de la zone de concession, ne pas savoir qui se cache derrière ACDG ni que la Grande Mayumba Development Company est un partenariat public-privé dont l'État gabonais est actionnaire. Ils ignoraient également que Nyanga Forestry Operations (NFO), la société qu'ils ne connaissaient qu'en tant qu'entreprise d'exploitation forestière peu fiable, est en fait une filiale de la Grande Mayumba Development Company. Comme toute autre entreprise d’exploitation forestière, NFO est légalement tenue de négocier et payer une contribution financière aux communautés impactées par ses activités. L’article 251 du Code forestier du Gabon exige qu’une société forestière accepte cette contribution dans le cadre de la négociations des cahiers de charge (18) avec les communautés touchées par ses activités. NFO doit encore honorer cette obligation légale. Par ailleurs, les représentants des communautés se sont demandé combien d’argent NFO avait déjà versé d’argent au cours des dix dernières années à la Grande Mayumba Development Company pour le bois qu’elle a extrait de la concession forestière située sur leurs terres ancestrales (il faut se souvenir que NFO est une filiale de la Grande Mayumba Development Company). (19)

Lodges de luxe

Dans une interview de 2019, Alan Bernstein mentionne le projet d'un complexe de lodges de luxe dans le parc national de Loango, au nord des concessions du projet Grande Mayumba. (20) Dans son communiqué de presse du 12 janvier 2021, l'ACDG déclare que dans le parc national de Loango, un « lodge est en cours d'aménagement par l'African Conservation Development Group (ACDG) sous concession de l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ». (21) Un rapport sur l'industrie du tourisme au Gabon note également qu'« en février 2013, l'ANPN a signé un accord de concession de tourisme de conservation sous la forme d'un PPP (partenariat privé-public) avec Sustainable Forestry Management (SFM) Safari Gabon, une filiale de la société mauricienne de conservation et de développement des paysages SFM Africa. L'accord verra la création d'un circuit de lodges de safari de luxe et durables, en commençant par deux lodges dans les parcs nationaux de Loanga et Pongara, qui viseront à attirer 2000 visiteurs par an. » (22)

Les parcs nationaux de Loango et Pongara sont situés nettement à l'extérieur de la vaste zone de concession du projet Grande Mayumba. Un article du 2 mars 2021 établissant un lien entre la construction du lodge et le fonds d'investissement du gouvernement gabonais FGIS, ainsi qu'avec sa filiale Luxury Green Resorts, ne mentionne ni ACDG ni le projet de Grande Mayumba. (23) Mais le commentaire d'Alan Bernstein dans l'interview de 2019 mentionne des lodges dans le parc national de Loango. Il est difficile de savoir exactement comment la construction du lodge de luxe à Loango Park est liée au projet Grande Mayumba, et si SFM Safari Gabon fait partie de la Grande Mayumba Development Company ou exerce des activités commerciales au Gabon en tant qu'entité distincte détenue par Alan Bernstein.

Des annonces spectaculaires, mais pas d'argent ?

Le site internet de SFM Africa, aujourd'hui disparu, décrivait la Grande Mayumba Development Company comme un partenariat « visant à consolider et mettre en valeur une superficie forestière de 631 100 ha et une zone marine de 260 900 ha sur la base d'un plan de gestion des terres à long terme écologiquement sain et économiquement optimal (Plan de développement durable de Grande Mayumba) ».

Les représentants des communautés vivant à l'intérieur de la zone de concession de Grande Mayumba et des organisations de la société civile qui se sont réunis en septembre et novembre 2021 ont été surpris d'apprendre que le projet de Grande Mayumba consiste apparemment en six grands contrats de concession distincts, couvrant une zone équivalente à 3 % de la superficie terrestre du Gabon. Ils ne savaient pas que les terres situées dans cette vaste zone de concession seraient consacrées à « cinq composantes commerciales principales : foresterie, agro-industrie, pêche, écotourisme et développement des infrastructures » (24) et qu'une partie substantielle de la concession forestière serait transformée en une « forêt de conservation », voire une nouvelle Aire protégée.

Dans les reportages des médias, les interviews et les articles de blog, Alan Bernstein mentionne de nombreuses activités commerciales en lien avec ses sociétés et le projet de Grande Mayumba. Cela aussi était nouveau pour les représentants de la communauté. Les activités mentionnées par A. Bernstein vont d'un projet de plantation de canne à sucre qui, selon lui, devrait produire 250 000 tonnes de sucre par an, à une nouvelle (25) usine de transformation du bois à Mangali (un village près de la ville de Mayumba), en passant par une chaîne de lodges écotouristiques de luxe, la construction d'installations portuaires dans la lagune de Mayumba, et la mise en place d'une ferme ostréicole pour soutenir la pêche artisanale.

En dehors de l'exploitation forestière conduite par Nyanga Forestry Operations, les membres de la communauté n'ont été informés d'aucune des activités prévues ; ils ne savent pas quand elles commenceront ou comment elles affecteront leur vie et leurs moyens de subsistance. Les gens sont particulièrement préoccupés par les activités de pêche et de conservation mentionnées dans les rares informations qui existent sur le projet Grande Mayumba.

Les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux de Mayumba sont déjà menacés depuis plusieurs mois par l'extension du parc national de Mayumba, une aire marine protégée. Ils doivent maintenant aller pêcher à 10 km de la côte. Pour eux, la pêche devient impossible – et dangereuse - car la plupart des pêcheurs artisanaux utilisent de petits bateaux, beaucoup sans moteur hors-bord. Pendant ce temps, on peut voir depuis le rivage les flottes de pêche commerciale, qui ont récemment obtenu une autorisation du gouvernement, opérant jour et nuit, apparemment sans être dérangées. Les restrictions imposées par l'administration du parc marin sur la pêche artisanale affectent la souveraineté alimentaire dans la ville de Mayumba et au-delà. « On ne peut même plus acheter de poisson ici à Mayumba », font remarquer les habitants, expliquant que Mayumba avait toujours été l'endroit où aller pour tous ceux qui cherchaient du poisson frais dans le sud du Gabon.

Il est difficile de dire si les projets de Berstein se concrétiseront un jour. Depuis une décennie, il utilise le présent pour parler de la plupart de ces activités. Pourtant, seules la construction d'un lodge de luxe dans le parc national de Loango et l'exploitation forestière par NFO sont déjà en cours, et certaines activités préliminaires seraient en cours sur le site de la plantation de canne à sucre.

La lenteur du démarrage de la plupart des activités semble notamment tenir au fait que l'African Conservation Development Group, et SFM Africa/SFM Gabon avant lui, n'ont pas encore trouvé l'argent pour concrétiser leurs grands projets. Dans un article de juillet 2021, son « directeur du financement par emprunt » explique que l'entreprise espère lever jusqu'à 300 millions de dollars en vendant des obligations (les investisseurs privés prêtent de l'argent à l'entreprise et reçoivent des paiements d'intérêts réguliers pendant que l'entreprise utilise leur capital). (26) Une partie de ces obligations serait liée à des crédits carbone que l'entreprise espère générer grâce au projet Grande Mayumba. Il y a environ 10 ans, le cofondateur de SFM Africa, Kevin Leo-Smith, avait déjà écrit que la société était sur le point de lancer une obligation verte pour lancer le projet Grande Mayumba. Il reste à voir si les projets de levée de fonds de la société se concrétiseront cette fois.

Un scénario de déforestation invraisemblable remet en question la revendication de réduction d'émissions

Dans son récit sur ce qui serait arrivé aux forêts sans le projet Grande Mayumba, l'ACDG écrit sur son site Internet que 52 % (225 millions de tonnes de CO2) du carbone stocké dans la forêt seraient perdus au cours des 25 prochaines années. Avec leur projet de Grande Mayumba, ils affirment qu'au lieu de 52 %, seulement 5 % du carbone de la forêt à l'intérieur de leur concession sera rejeté dans l'atmosphère sur une période de 25 ans. Cela signifie que l'ACDG espère vendre 200 millions de crédits carbone à des entreprises ou à des pays comme la Norvège qui souhaitent continuer à tirer profit de la combustion de combustibles fossiles et prétendent ne pas nuire au climat.   La différence entre les 52 % de carbone forestier qui, selon eux, auraient été détruits sans le projet Grande Mayumba et les 5 % avec leur projet correspond à la quantité de carbone que le projet prétend économiser : des émissions représentant environ 200 millions de tonnes de CO2. (27) Cela signifie que l'ACDG espère vendre 200 millions de crédits carbone à des entreprises ou à des pays comme la Norvège qui veulent continuer à tirer profit de la combustion de combustibles fossiles et prétendent ne pas nuire au climat.

Les chiffres figurant dans ce paragraphe soulèvent de nombreuses questions auxquelles l'ACDG ne fournit pas de réponses. Le fait est que pendant dix des 25 années prises comme référence dans les calculs, NFO (filiale de la Grande Mayumba Development Company) a exploité le bois à l'intérieur de la concession du projet Grande Mayumba. Et les calculs sur le site web de l'ACDG placent la déforestation à l'intérieur de la concession de Grande Mayumba à 2 000 % au-dessus de la déforestation annuelle moyenne d'environ 0,1 % au Gabon. Aucune autre information n'est fournie quant à la raison qui permettrait de croire qu'il s'agit d'une hypothèse plausible.

L'affirmation selon laquelle les forêts que le projet Grande Mayumba a l'intention de préserver sous la forme d'une forêt de conservation auraient été exploitées est également invraisemblable. (28) Un rapport sur l'extension des aires protégées au Gabon montre qu'une grande partie de ces forêts pousse sur des terrains impropres à l'exploitation forestière : « SFM reconnaît qu'une grande partie de la zone proposée présente une pente prohibitive pour l’exploitation forestière, en particulier le long de la frontière avec le Congo et des crêtes montagneuses de l'est. » (29) Le rapport suggère que cette partie de la concession pourrait bien convenir à une future extension de l'aire protégée.

Supposer que 52 % du carbone stocké dans les forêts qui recouvrent ces crêtes montagneuses et les zones frontalières avec la République du Congo semble extrêmement peu plausible, voire ridicule. La situation climatique sera pire si les crédits carbone générés par le projet de Grande Mayumba arrivent un jour sur le marché.

Il y a aussi un gouffre entre les réalités auxquelles les communautés paysannes et les pêcheurs artisanaux sont confrontés dans la région de Mayumba aujourd'hui et le projet qu'Alan Bernstein présente comme étant « à l'avant-garde de la valorisation des services écosystémiques » et « œuvrant à l'amélioration du niveau de vie des communautés ». (30) L'expérience des communautés en matière de conservation est loin de correspondre à une amélioration du niveau de vie. C'est une expérience de conflits et de destructions non indemnisées de leurs cultures par les éléphants, poussés à se rapprocher des communautés parce que les plantations de palmiers à huile et les exploitations forestières commerciales empiètent sur la forêt. Les communautés sont particulièrement préoccupées par le projet de « forêt de conservation ». Elles craignent de se voir interdire d'utiliser la forêt qu'elles protègent depuis des générations une fois celle-ci déclarée aire protégée.

Cette inquiétude n'est pas étonnante étant donné que le ministre du pays, Lee White, affirme que « artificiellement, une grande partie du Gabon rural est vide.une grande partie du Gabon rural est vide. Nous avons donc pu créer ces parcs nationaux avec presque personne à l'intérieur. » (31) Lee White se trompe sur les deux aspects. Même si les communautés ont été contraintes sous la domination coloniale française, d'abandonner leurs villages et de s'installer au bord des routes, afin de faciliter la collecte des impôts, elles ont maintenu les liens avec leurs terres ancestrales et des villages sont encore présents dans des endroits qui ont été déclarés parcs nationaux. Ce serait aussi le cas dans la forêt que le projet de Grande Mayumba a identifiée comme une « forêt de conservation ».

Le 5 novembre 2021, les communautés du département de la Basse-Banio et de la commune de Mayumba, qui seraient impactées par le projet de Grande Mayumba, ont publié une déclaration intitulée « NON au projet de Grande Mayumba ». Les communautés œuvrent pour la survie des zones qui les entourent et de leurs villages, luttent contre les inégalités sociales, environnementales et climatiques, et ont appelé à la suspension du projet de Grande Mayumba. (32)


Muyissi Environnement (Gabon) and WRM

 

(1)  Voir par exemple Sky News, 13 octobre 2021. Gabon: 'Very difficult' to protect Great Congo Basin unless country rewarded for conservation efforts, minister warns; Financial Times, 20 July 2021. Africa’s green superpower: why Gabon wants markets to help tackle climate change.
(2) Ibd (1)
(3) Chatham House Podcast (2021): Episode 7. Climate Change in Africa with Minister Lee White.
(4) WRM, REDD : Une collection de conflits, de contradictions et de mensonges.
(5) Gabon signs US$150 million REDD deal with Norway. Shhh… Don’t mention corruption.
(6) Pour plus d'informations, voir: “Payment for non-performance”: Norway pays Gabon US$17 million for increasing deforestation.
(7) “Payment for non-performance”: Norway pays Gabon US$17 million for increasing deforestation.
(8) NICFI, Gabon receives first payment for reducing CO2 emissions under historic CAFI agreement
(9) Olivier Hymas (2015). L’Okoumé, fils du manioc: Post‐logging in remote rural forest areas of Gabon and its long‐term impacts on development and the environment.
(10) Ben Elgin (2020). These Trees Are Not What They Seem. How the Nature Conservancy, the world’s biggest environmental group, became a dealer of meaningless carbon offsets. Bloomberg Green.
(11) The website REDD-Monitor lists many examples.
(12) Ibd (3), minute 39ff.
(13) Journal Officiel de la Republique Gabonaise. 16 September 2021. Dossier 777.
(14) SFM Africa management team
(15) AIHITDATA, Grande Mayumba.
(16) Ojo Público, 05 November 2017. Carbon Credits: The multimillion dollar offshore scheme in the Peruvian Amazon.
(17) Grande Mayumba Development Company Signe un Accord de Convention Portuaire Avec l’OPRAG.
(18) Les cahiers de charge peuvent être considérés comme une reconnaissance des droits coutumiers des communautés sur la terre par les États de la région qui ont maintenu la politique coloniale selon laquelle toutes les terres appartiennent à l'État. Les cahiers de charge sont des accords qui énumèrent les obligations financières de l'entreprise envers une communauté dont des terres coutumières se retrouvent à l'intérieur de la concession d'une entreprise.
(19) L'article 6 du contrat du 20 octobre 2011 oblige NFO à payer, entre autres, une redevance de 5 000 FCFA par mètre cube de bois d'okoumé dont la qualité est égale ou supérieure à CS et de 5 000 FCFA par mètre cube coupé pour les autres essences, lorsque le bois est de qualité égale ou supérieure à B.
(20) Gorillas, Forest Elephants Lure SFM Investment in Gabon’s Forest.
(21) Afrinca Conservation Development Group. Construction of ACDG’s First Lodge in Gabon Under Way.
(22) Oxford Business Group. A more sustainable approach: Development and promotion with an eye on the longer term.
(23) Le Fonds gabonais d’investissements stratégiques veut valoriser le potentiel de l’écotourisme.
(24) SFM Africa, Gabon.
(25) Le site web de SFM Africa, aujourd'hui disparu, indiquait déjà, au présent, que « les arbres récoltés dans la zone de concession de GMDC sont transformés localement dans la scierie de GMDC ». Aucune installation de ce type n'existait au moment d'écrire ces lignes.
(26) Financial Times, 20 July 2021. Africa’s green superpower: why Gabon wants markets to help tackle climate change.
(27) Afrinca Conservation Development Group
(28)  « Le Plan de développement durable de Grande Mayumba, élaboré en partenariat avec la République gabonaise, classe 29 % de Grande Mayumba en zone d'exploitation à impact réduit dans les zones forestières existantes et 13 % en zone d'agriculture mixte sur des prairies largement dégradées, tandis que 30 % des concessions forestières de Grande Mayumba seront retirées de la foresterie commerciale et décrétées zone de conservation, en raison de leur haute valeur de biodiversité. Cela signifie que plus de 220 000 ha des 730 000 ha de terres seront réservés de manière permanente à la conservation, y compris des écosystèmes forestiers et de savane représentatifs, ainsi que des environnements marins et d'eau douce. » Alan Bernstein (2021). The convening power of natural capital.
(29) CAFI. Accélérateur de réformes en Afrique centrale. Version 2019‐18‐12 Expansion des aires protégées et optimisation de l'utilisation des terres aux fins de production de cultures vivrières au Gabon.
(30) Putting a price on our natural environment could give Africa the edge.
(31) See (3)
(32) Gabon : les communautés disent NON au projet de Grande Mayumba

 

>> Retour au sommaire de la publication 15 ans de REDD: Un système fondamentalement vicié