Près de 90 % des peuples indiens isolés encore existants vivent dans la région amazonienne, dans des territoires protégés par des barrières géographiques qui tiennent de moins en moins l’homme blanc à distance de leurs forêts, là où les écosystèmes et la biodiversité sont mieux préservés. Ces peuples ont choisi l’isolement pour échapper à un contact qui s’est avéré destructeur dans le passé : soit ils ont été directement confrontés aux Blancs, soit ils l’ont appris indirectement d’autres peuples ‘contactés’.
La décision de l’isolement se manifeste par des actes de résistance avec des armes, des pièges, des symboles et des signaux d’avertissement et de menace à l’encontre des envahisseurs. Mais ce qui prédomine, c’est la fuite systématique vers des territoires toujours plus distants des fronts d’expansion de la « civilisation occidentale », pour tenter de maintenir leurs formes traditionnelles de reproduction sociale et matérielle.
Les territoires sont chaque fois plus dépouillés, soumis à l’avidité et à la vitesse à laquelle chaque centimètre de terre de ce début de millénaire est cartographié, « géoréférencé », délimité par le renversement complet de la « nature » en « ressources naturelles ». Une « entreprise globale » projetée par le grand capital, où il ne devrait plus y avoir de peuples ni de territoires isolés mais juste des produits incorporés aux processus productifs, ou des rejets recyclés « par » et « pour » ces mêmes processus.
Des lieux où ils résistent et où ils ont peur d’exister. Aujourd’hui au Brésil, la FUNAI estime à 70 environ le nombre de groupes d’Indiens isolés et à 15 celui de groupes avec lesquels un contact a été établi récemment. La Constitution brésilienne reconnaît la condition spéciale de vulnérabilité des peuples indiens isolés et des peuples récemment ‘contactés’ quand elle garantit à tous les peuples indiens le droit à « l’organisation sociale, les coutumes, les langues, les croyances et les traditions, et les droits primaires sur les terres qu’ils occupent traditionnellement ». Il ne fait aucun doute que le contact indifférencié avec ces groupes a provoqué au cours du temps une réduction significative de la population.
C’est dans ce contexte de reconnaissance de la vulnérabilité et du droit à l’autodétermination que ces conquêtes ont garanti aux ‘Indiens isolés’ le droit de continuer ainsi. En conséquence, l’État se doit de protéger et de respecter les conditions nécessaires à leur autodétermination. Finalement, quelles sont ces conditions nécessaires dont ont besoin les Indiens isolés et les Indiens ‘contactés’ récemment pour continuer à exprimer leur autodétermination ? Les groupes indiens isolés et récemment ‘contactés’ vivent en relation étroite avec leur écosystème, dépendent de leurs ressources naturelles (faune, flore et ressources hydriques) et entretiennent des relations mythiques avec leurs territoires. Ces conditions sont fondamentales pour leur reproduction socioculturelle.
L’État doit donner la priorité à ces conditions pour permettre aux Indiens isolés et aux Indiens récemment ‘contactés’ de développer à leur manière l’éducation, la santé, l’alimentation, le travail, le logement, les loisirs, la sécurité, la protection de la maternité et de l’enfance, afin de respecter « l’organisation sociale, les coutumes, les langues, les croyances et les traditions ».
Garantir un territoire écologiquement équilibré est donc essentiel à l’autodétermination et à l’autosubsistance de ces groupes. Mais il faut également que ces territoires et leurs environs soient protégés des envahisseurs et des facteurs extérieurs qui déséquilibrent le milieu et transmettent des maladies exogènes à leur système immunologique.
Dans le cas des groupes indigènes avec qui un contact a été récemment établi, à l’« indispensabilité territoriale » s’ajoute la nécessité d’« interrelation culturelle » pour pouvoir affirmer leur identité et atteindre l’unité à partir de la diversité. Les deux faces de l’État : agent protecteur et menaçant Si les Indiens ‘contactés’ qui s’expriment et exercent leurs droits civils par le biais de leurs organisations sont un peu moins vulnérables en face de la société occidentale (et englobante), leurs droits continuent cependant d’être largement ignorés par une partie des institutions (étatiques et privées) brésiliennes.
Alors que l’État est censé protéger les Indiens isolés et récemment ‘contactés’, il est en même temps une des menaces principales quand il demande à ses agents et institutions une « accélération de la croissance » et une priorité absolue pour les ouvrages d’infrastructure et l’exploitation des ressources naturelles. L’Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure de l’Amérique du Sud (IIRSA), le Plan d’Action Stratégique 2012-2022 (PAE) du Conseil Sud-américain à l’Infrastructure et à la Planification (COSIPLAN) de l’Union des Nations Sud-Américaines (connu sous le nom d’IIRSA-2) et, au niveau du Brésil, le Programme d’Accélération de la Croissance (PAC), ont en commun de vouloir développer et intégrer l’infrastructure du transport, de l’énergie et de la communication – autrement dit, « l’infrastructure économique ».
Ils prévoient de mettre en place des couloirs (aériens, ferroviaires et maritimes) pour augmenter le commerce et établir des chaînes productives directement liées à l’exploitation des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables, connectées aux marchés mondiaux et en particulier à ceux de l’Amérique du Nord, de l’Europe et, désormais, de l’Asie. Pour réaliser ces mégaprojets, il faut selon leurs concepteurs supprimer les « barrières » (ici les barrières sont l’Amazonie, la Cordillère des Andes et leurs populations autochtones), donc faire de grandes réformes législatives pour harmoniser les lois nationales des 12 pays engagés dans l’IIRSA-2 et « intégrer » les régions stratégiques « faiblement peuplées » mais disposant d’une biodiversité et de réserves énormes de matières premières. Force est de constater la persistance d’un même modèle de colonialité dans les différents contextes biophysiques et socioculturels latino-américains.
C’est la persistance de cette colonialité qui aide à comprendre aussi bien les avancées que les reculs qu’ont connu les peuples indiens isolés et récemment ‘contactés’ du Brésil ces dernières années. Cette nouvelle saga développementaliste place les gouvernements sud-américains au service des éternels puissants, même si dans certains cas (à la différence d’autres périodes de modernisation accélérée) ce sont des sujets historiquement opprimés par les politiques coloniales.
Mais le risque encouru est de ne rien faire d’autre que reconfigurer le modèle d’exploitation et donner un nouveau visage (dissimulé et intensif) à l’esclavagisme. Extrait de “Povos indígenas isolados e de recente contato no Brasil.
Políticas, direitos e problemáticas”, por Antenor Vaz, abril de 2013, envoyé par l'auteur, http://wrm.org.uy/es/files/2013/09/Povos_Indigenas_Isolados_e_de_Recente_Contato_no_Brasil.pdf; et "Povos indígenas isolados, autonomia, pluralismo jurídico e direitos da natureza, relações e reciprocidades", Antenor Vaz, Comité consultatif international pour la protection des peuples indiens en situation d’isolement et de premier contact, et Paulo Augusto André Balthazar, chercheur de l’Université Fédérale Rurale de Rio de Janeiro, http://onteaiken.com.ar/ver/boletin15/3-1.pdf