Le 17 avril, plus de 400 soldats des forces spéciales de l’armée équatorienne sont entrés au Détachement Tigre, situé sur la frontière sud-est du Pérou, province de Pastaza, soi-disant pour « capturer, neutraliser et anéantir deux groupes guérilleros » détectés dans la région. Ce territoire appartient à la communauté quichua Yana Yaku, siège de l’Organisation des Peuples autochtones de Pastaza (OPIP), elle aussi occupée le même jour par surprise par 80 militaires, accusée d’être le « foyer de l’appui logistique » de groupes prétendument subversifs.
Après avoir ratissé la région pendant 15 jours, l’armée n’a trouvé aucune trace de groupes subversifs. En dépit de cela, le 30 avril soixante soldats sont revenus à Yana Yaku. Fortement armés de fusils, mitraillettes, lance-grenades, lance-fusées et d’autres matériels lourds, ils ont forcé l’entrée des maisons et des installations communautaires, menacé verbalement et avec leurs armes les femmes qui y ont résisté, confisqué des outils de chasse, envahi les potagers familiers à la recherche d’hypothétiques plantations de coca, et pris l’école d’assaut en semant la panique chez les enfants. La communauté a dénoncé que les militaires avaient obligé les hommes à se faire prendre en photo tenant en main leurs fusils de chasse, comme « preuve d’activités subversives ».
Parallèlement à ces opératifs, l’armée a renforcé la militarisation du territoire de la communauté quichua Sarayaku – établie à Pastaza, sur les rives du fleuve Bobonaza – qui lutte depuis quelque temps pour la défense de ses droits face à l’industrie pétrolière. Les femmes de Sarayaku ont manifesté leur profonde consternation et leur indignation face à ces opérations dont elles affirment qu’elles sont liées au « Plan Patriote », une opération militaire très controversée qui, dans le cadre du Plan Colombie ouvertement appuyé par les États-Unis, prévoit de déployer 15 000 effectifs dans les forêts tropicales colombiennes et équatoriennes. Ces femmes disent aussi que la violence croissante du processus de militarisation des territoires autochtones de Pastaza est destinée à appuyer l’agressive politique pétrolière adoptée dans la province par Lucio Gutiérrez, colonel de l’armée et actuel président de l’Équateur.
Les femmes dénoncent le double discours du haut commandement des armées, qui proclame publiqueme son respect de la Constitution et de la démocratie, tout en menaçant les vies des membres des communautés, en flagrante violation des droits collectifs des peuples autochtones consacrés par la Constitution et par la Convention nº 169 de l’Organisation internationale du travail.
Devant une telle situation, l’Association de femmes autochtones de Sarayaku (AMIS) exprime sa solidarité avec les femmes et les enfants de la communauté de Yana Yaku et déclare : « Nous appuyons les idéaux de la proposition de développement alternatif Sumak Kausai [la philosophie de vie du peuple quichua], et nous appuyons également les propositions présentées par le peuple quichua de Sarayaku au gouvernement national et aux forces armées :
1- Retrait immédiat des effectifs militaires qui ne cessent d’attaquer l’intégrité psychologique, l’existence pacifique et les activités productives des communautés de Yana Yaku et Jatun Molino dans la circonscription de Sarayaku.
2- Les communautés du peuple quichua et des autres peuples autochtones qui habitent traditionnellement la province de Pastaza ne permettront jamais aucun genre d’occupation militaire qui, sous prétexte d’objectifs militaires, soit destinée à appuyer les activités pétrolières dans les territoires autochtones de Pastaza.
3- Détermination des responsabilités et destitution de Me Clara Fernández, magistrat du ministère public de Pastaza, impliquée dans ces actions inacceptables.
4- Nous exigeons du Congrès national le procès politique du commandement conjoint (Général Octavio Romero) et des commandants de la Quatrième Division Amazonas (Général Gonzalo Tapia) et de la 17e Brigade de Selva de Pastaza (Colonel Fausto Rentaría) pour avoir attenté contre les droits des peuples autochtones, les droits de la femme et les droits de l’enfant, pour avoir créé un climat d’insécurité au sein des communautés, et pour avoir gaspillé des quantités énormes de ressources économiques et logistiques qui appartiennent au patrimoine du peuple équatorien.
5- Désignation d’une commission interinstitutionnelle constituée par la Commission des affaires amazoniennes du Congrès national, les organisations de Droits de l’homme, l’Église catholique, la Commission interaméricaine des Droits de l’homme, la CONAIE et des représentants des médias, pour enquêter en profondeur et informer l’opinion publique, nationale et internationale, au sujet de ces graves abus et de ces calomnies à l’encontre des moeurs, de l’honnêteté, de la transparence et de la dignité des peuples autochtones de Pastaza.
6- Demander qu’une commission intégrée par des délégués de l’ONU, de l’OIT et de l’OEA enquête sur place sur la violation des droits autochtones à Pastaza.
7- Demander l’intervention de l’ALDHU et des divers organismes de droits humains de l’Équateur pour sauvegarder la paix et l’intégrité des communautés autochtones de Pastaza.
8- Déposer une plainte auprès du Forum permanent des Nations unies sur les Peuples autochtones.
9- Convoquer une assemblée de l’Organisation des Peuples autochtones de Pastaza, avec la présence de la CONAIE, dans la communauté de Yana Yaku pour se solidariser avec ses habitants et prendre des mesures destinées à sauvegarder les droits à la vie et à la paix du peuple quichua de Pastaza.
10- Indemniser la communauté de Yana Yaku pour les dommages et préjudices économiques, psychologiques et moraux causés par les incursions qui ont perturbé le fonctionnement normal de la communauté.
11- En notre qualité d’Association de Femmes autochtones de Sarayaku, « AMIS », et nous solidarisant avec les femmes de la communauté Yana Yaku, nous dénonçons auprès du Tribunal interaméricain des Droits de l’homme la violation des droits de la femme et de la famille, consacrés par la Constitution de la république, de manière à fournir à ce tribunal les moyens de déposer la plainte correspondante à l’encontre de Me Clara Fernández, magistrat du ministère public de Pastaza.
Nous affirmons en outre que la lutte du peuple de Sarayaku pour sa dignité, pour le respect de son territoire, pour leurs projets et leurs aspirations d’un développement alternatif, loin d’être un combat isolé, est le résultat d’une décision de toutes les communautés quichua appartenant à l’OPIP et de tous ceux qui embrassent cette cause. Par conséquent, l’OPIP ne permettra jamais d’abus de la part d’aucun secteur, qu’il soit pétrolier, gouvernemental ou militaire. »
Article fondé sur des informations tirées de : «Manifiesto de la Asociación de Mujeres Indígenas de Sarayaku ‘AMIS’ frente a la acción terrorista de las Fuerzas Armadas del Ecuador en la comunidad Kichwa Yana Yaku, en Pastaza»; «Militarización sigue en las comunidades indígenas de Pastaza en Ecuador», par l’Organisation des Peuples autochtones de Pastaza, http://www.earthrights.org/news/Yanayakuspanish.shtml ; «Acción terrorista de las Fuerzas Armadas del Ecuador en la comunidad Kichwa de Yana Yaku, Pastaza. Declaración de la Organización de los Pueblos Indígenas del Pastaza (OPIP), Consejo de Gobierno del Territorio Autónomo de la Nación Originaria del Pueblo Kichwa de Sarayaku (TAYJASARUTA)», 1er mai 2004, http://www.llacta.org/organiz/coms/com574.htm