Depuis 2021, la mise en œuvre des travaux pour un projet de monoculture d’eucalyptus a mis la population des départements des Plateaux et de Djouori-Agnili, dans la province du Haut-Ogooué, au Gabon, en alerte. Situé en Afrique Centrale, le Gabon appartient au Bassin du Congo, considéré comme la deuxième plus grande forêt tropicale après l’Amazonie. Plus de 80 pour cent du territoire du pays est couvert par la forêt ; les savanes des Plateaux Batéké représentent un écosystème particulier avec des paysages uniques.
Dans les départements des Plateaux et de Djouori-Agnili, tout comme ailleurs, l’agriculture, la cueillette ainsi que la commercialisation des produits bruts et/ou transformés, représentant les sources principales de subsistance pour la plupart de la population. C'est pourquoi l'annonce d'un mega-projet de plantation de monoculture d'arbres sur le Plateau a suscité une grande inquiétude parmi les communautés de la région.
Les inquiétudes se sont encore grandies avec l'intention du promoteur du projet d'également vendre des crédits carbone basé sur la plantation d'arbres. Les sociétés pétrolières et autres pollueurs promeuvent le concept de crédits carbone depuis une vingtaine d'années pour détourner l'attention du rôle de l'exploitation pétrolière et de la combustion du carbone fossile pour le changement climatique. Leurs consultants expliquent aux gouvernements que, dans la perspective du changement climatique et pour aider et soutenir le climat, il est important de protéger les forêts et de planter des arbres.
En général, lorsque ses sociétés viennent avec leurs consultants dans un pays, ils parlent aux gouvernants de carbone et de climat et font des promesses d’investissement dans les plantations des arbres pour soutenir l’économie nationale, protéger la forêt et créer des emplois dans les communautés ou le projet sera installé. Car derrière ses promesses, ils comptent s’approprier des terres communautaires pour y planter des arbres soutenant que ses arbres protègeront le climat et l’environnement. Dans le cas du projet d’eucalyptus dans les Plateaux Bateke au Gabon, la société Sequoia a déjà enregistré son projet de plantation d’eucalyptus avec Verra, la principal organisation qui certifie les projets de crédits carbone. (1) Cela demontretrait que le projet d’eucalyptus dans les Plateaux Bateke denommé LAPHO, est aussi un projet de crédit carbone.
Un projet de l’ancien directeur d’Olam Gabon
Le projet de monoculture d’eucalyptus est faussement désigné comme LAPHO (Leconi Agroforestery Project in Haut-Ogooué), une contradiction manifeste car l’eucalyptus ne s’accommode pas à l’agroforesterie. C’est un projet qui réclame avoir obtenu 60,000 hectares pour la plantation des eucalyptus dans cette région des savanes, toute chose qui constitue une grave menace aussi bien pour les populations des plateaux, que pour l’écologie.
Le promoteur de ce projet est Sequoia Plantation, une société créée par un fonds basé aux Emirats Arabes Unis (Abu Dhabi). Le principal actionnaire est Gagan Gupta, l’ancien directeur d’Olam Gabon, une société qui a fait main basse sur presque tous les secteurs économiques du Gabon. Le projet de Sequoia se réclame être un ensemble d’activités économiques sous la gestion de la Gabon Special Economic zone (GSEZ). La GSEZ est considérée comme une société écran de la famille Bongo, qui a gouverné le Gabon pendant des décennies, jusqu'à ce qu'elle soit renversée par un coup d'État militaire en 2023.
Projet avancé pendant la période du Covid
Pendant la période du Covid-19 en 2021, les populations ont constaté des mouvements de véhicules et d’engins lourds derrière le village Kandouo, dans l’est de la province Haut-Ogooué. Les travaux de terrassement du site des infrastructures d’une pépinière et d’une base vie ont été effectués sans consulter les populations locales. Du coup, les tombes de leurs ancêtres ont été rasées. Les familles concernées s’étant rapprochées pour se plaindre auprès des opérateurs sur le terrain, ces derniers leur ont demandé de se tourner vers la présidence de l'époque (Ali Bongo Ondimba). Ainsi, il apparaissait que la main de la famille Bongo était derrière ce projet. Évidemment, les méthodes d’installation sans consultation public et participative avec les populations locales dénotaient un abus de pouvoir qui méprisait la règlementation gabonaise. A partir de ces faits, la nouvelle du projet a fait tache d’huile dans la société.
C’est dans ce contexte que l’organisation CREPB (Collectif des Ressortissants et Ecologistes des Plateaux Batéké) a mené des démarches auprès des ministères et institutions du gouvernement gabonais en début 2023. Les demandes d’accès à la documentation sur le projet sont restées sans résultats, révélant l’évolution douteuse du projet. Le CREPB a multiplié des démarches administratives, organisé des conférences de presse pour interpeler l’opinion nationale et internationale sur les dangers et les démarches non réglementaires du projet. Ces activités ont obligé la société Sequoia à adresser un plaidoyer au cabinet du premier ministre.
C’est dans ce contexte qu’en décembre 2023, une mission collaborative de sensibilisation a été organisée et effectuée dans les Plateaux par les Associations CREPB et JVE (Jeunes Volontaire pour l’Environnement). Suite à la persistance de la pression sur le terrain, Sequoia a organisé une cérémonie dite consultation publique le 31 juillet 2023. Au lieu de le faire dans les localités concernées par le projet de plantations dans des départements de Plateaux et de Djouori-Agnili, la société a organisé l’activité à Franceville, à plusieurs kilomètres du site prévue pour les plantations d’eucalyptus. De même, la société Séquoia a déclaré publiquement l’arrêt de ses activités le 07 décembre 2023 en adressant une lettre au premier ministre et à quatre autres ministères.
Les 23 et 24 mars 2024, la société a repris ses consultations, dont une dans le village Kandouo, riveraine aux plantations du projet Sequoia et une à Bongoville, à des kilomètres du site des plantations. Le 08 mai 2024, Sequoia a déposé son rapport d’étude d’impact environnemental à la Direction de l’Environnement et du Développement Durable. La Direction a publié un communiqué le 22 mai appelant les personnes intéressées à consulter et faire des observations sur le rapport. Quatre associations y ont déposé un rapport commun d’observations mettant en lumière des manquements et les graves dangers liés au projet. Entre autres, les associations ont montré (1) l’inadéquation entre la formulation du projet et son contenu réel ; (2) l’absence de cartographie participative ; (3) le bâclage des paramètres d’étude (non prise en compte des ressources animales et hydrologiques, échantillonnage marginal et fausses identifications d’espèces dans des sites à l’extérieur de l’espace destinée à l’exploitation) ; (4) les risques de pollution des nappes phréatiques aux pesticides ; 5) les risques d’assèchement des nappes d’eaux souterraines ; (6) la perturbation environnementale (par la destruction des espèces végétales et animales) ; (7) la perte de la biodiversité ; (8) les risques de giga-incendies ; (9) les risques d’apparition (au sein des populations impactées) des maladies graves liées aux effets des pesticides et activités de la société ; (10) les risques de mise en danger des populations locales et leur émigration ; (11) l’absence de solutions face aux risques ; (12) la fausseté des consultations publiques. Bref, la société a présenté un rapport d’étude d’impact environnemental avec de très graves omissions et manquements.
Malgré l’évidence de ces manquements, le comité d’évaluation de l’étude d’impact a choisi de ne retenir que « l’inadéquation entre la formulation du projet et son contenu, l’absence d’un plan de gestion environnemental budgétisé et l’absence d’un comité de surveillance de la conduite du projet ». Á la base de cette liste réduit de manquements, le comité a rejeté en première lecture le rapport, et a demandé à Sequoia de compléter ces éléments.
Rejet total du projet
Les nombreuses missions menées au coeur des Plateaux Batéke ont révélé un rejet total du projet de plantations d’eucalyptus de la société Sequoia par les populations. Le témoignage du chef de quartier Djouani/Ompouyi reflètent l’opinion exprimée dans tous les villages que nous avons visités: « Nous n’accepterons jamais que nos terres soient accaparées pour les eucalyptus, l’homme téké ne plante que des arbres qui nourrissent, aller voir tous nos vieux villages, vous trouverez : Manguiers, safoutiers, avocatiers,…et non les arbres qui vont détruire nos terres, non aux eucalyptus » .Excepté les populations divisées du village Kandouo (où sont implantées les pépinières), celles de toutes les autres localités des départements concernés sont à 100 pour cent hostiles au projet de plantations. Il en va de même pour tous les villages des Plateaux et de Djouori Agnili que les villes de Leconi et de Bongoville. Un sondage réalisé par CREPB a enregistré 100 pour cent de rejet du projet, sur un échantillonnage de 1432 personnes.
Depuis lors, les Associations CREPB, JVE, Copil-Citoyen, Muyissi Environnement et La Fondation Bongo Ayouma se sont mises ensemble pour mener un front commun dans les démarches administratives pour s’opposer au projet, à savoir la rédaction et les transmissions des interpellations aux gouvernants, l’analyse de l’étude de l’impact environnemental de Sequoia et la production et dépôt des observations des associations auprès de la Direction de l’Environnement et du développement durable, les émissions télévisées et radio diffusées. (2) Ce travail des associations a une résonnance positive, car l’opinion nationale et internationale sont en train de prendre fait et cause pour la préservation de l’environnement des Plateaux Batéke.
Le Préfet de Djouori Agnili a appelé à la reprise des véritables consultations publiques respectant les normes. De même les populations elles-mêmes ont manifesté leur opposition au projet face au Ministre de l’Agriculture pendant sa visite à Kandouo qu’à Bongoville. Au sein de l’actuel gouvernement du Gabon, les hautes autorités comme les Ministres du Pétrole et du Tourisme, le Premier Questeur du Conseil économique et social environnemental ont exprimé ouvertement une position défavorable au projet. (3)
Perspectives
La lutte des populations locales et des associations environnementales contre le projet d’eucalyptus de la société Sequoia présente pour le moment un bilan contrasté. En effet, malgré les multiples preuves de la dangerosité de la monoculture d’eucalyptus et de l’opposition écrasant dans les villages riverains au projet de plantations, les démarches illégales de la Sequoia prennent du pas.
Mais les populations et les associations qui s’opposent au projet sont en éveil et suivent de près son évolution. Les populations sont profondément préoccupées par le fait que les plantations mettront en péril leur souveraineté alimentaire. Elles ont fait part de leur opposition aux plantations et les leaders communautaires ne cessent de répéter que ce dont les communautés ont réellement besoin pour se développer :
« Nous avons besoin de solutions contre les intrusions des éléphants et l’amélioration de l’agriculture alimentaire plus la construction de la route. Non aux eucalyptus », constate le chef du village d’Ekouyi. Le chef du village Souba, Département de Djouori Agnili ajoute : « non eucalyptus, oui aux tracteurs pour les cultures locales ».
Dans le même sense, les Chefs des villages de Saye et Kabala+Akou disent : « Nous avons besoin de solutions pour l’agriculture alimentaire et la construction de route, non aux eucalyptus » et « Nous avons besoin de mécanisation de notre agriculture car dans les Plateaux, nous plantons le manioc, les ananas, le maïs et les ignames, pas les eucalyptus ».
DR. René Noël Poligui (CREPB) et Remi Messessi Komlan (JVE GABON).
(1) Leconi Agroforestry Project in Haut-Ogooue (LAPHO). VCS ID-Nr. 4543. Projet « sous development ».
(2) Émissions radio.
(3) https://magazinesuperstar.com/solidarite-internationale-bertin-kourouvi-sallie-a-bertrand-zibi-pour-contrer-les-plantations-deucalyptus-au-gabon/