La Loi sur la biodiversité du Brésil : un progrès ou une menace ?


Le 20 mai 2015, Dilma Roussef, alors présidente du Brésil, approuva la loi 13l123/2015, publiée comme le nouveau cadre juridique de la biodiversité du Brésil. Au cours d’une interview accordée quelques minutes avant la cérémonie de la promulgation, le ministre de l’Environnement de l’époque, Mme Izabella Teixeira, affirma que les gouvernements d’une quarantaine de pays avaient déjà demandé copie du projet de loi, comme si cela prouvait qu’il s’agissait d’une loi innovante. Au Brésil pourtant, cette loi est fortement critiquée par des mouvements et des organisations de communautés traditionnelles, indigènes et paysannes et par des organisations pour les droits de l’homme, surtout parce qu’elle nie les droits des paysans, des peuples indigènes, des peuples et communautés traditionnelles, alors qu’elle avantage les entreprises pharmaceutiques et agro-industrielles.

La genèse d’une loi favorable aux entreprises

Malheureusement, les discussions officielles sur la protection du patrimoine génétique et des connaissances traditionnelles associées ont eu lieu à des endroits très éloignés de la réalité des peuples. Dans le cas de la préparation de la Loi 13.123/2015 et du Projet de loi 7735/2014 qui l’avait précédée, des centaines de réunions et de discussions avec des industries pharmaceutiques, chimiques, cosmétiques et des semences ont eu lieu à huis clos dans des bureaux du gouvernement fédéral, avec le titre « Mouvement des entreprises pour la biodiversité » (MEB). Sur les treize entreprises participantes, au moins trois ont été poursuivies en justice, accusées de « biopiraterie ».

Soulignons que ces réunions ont eu lieu avant que le projet de loi n’ait été mis en route par les ministères de l’Environnement (MMA), de l’Industrie et du Commerce (MDIC) et de la Science, la Technologie et l’Information (MCTI). Le Conseil national du développement rural durable (CONDRAF), la Commission nationale de l’agroécologie et la production biologique (CNAPO), la Commission nationale de la politique indigéniste (CNPI) et la Commission nationale des peuples et communautés traditionnels (CNPCT) n’ont pas été consultés ; pourtant, il s’agit d’instances officielles de représentation des agriculteurs, paysans, peuples indigènes et peuples et communautés traditionnels, créées par le gouvernement fédéral lui-même.

L’absence d’un dialogue avec la grande majorité de la société civile indiquait déjà quels étaient les intérêts qui guidaient la proposition de règlementer l’accès au patrimoine génétique et aux connaissances traditionnelles. Cela est devenu encore plus clair quand la société civile a eu accès au préambule du projet et constaté que la raison principale en était que les réglementations en vigueur n’étaient pas efficaces parce qu’elles imposaient « une série de restrictions à l’accès ». (1)

Or, le fait de faciliter aux entreprises l’accès au patrimoine génétique national ne fait que restreindre les droits et la souveraineté de ceux qui possèdent les connaissances traditionnelles associées à ce patrimoine. Cela montre pourquoi la proposition n’a pas été discutée avec eux au préalable, dans un des pays les plus riches du monde en diversité d’espèces végétales et animales.

Le contenu de la loi

En bref, la loi vise à faciliter l’accès du secteur privé à la diversité du patrimoine génétique, par exemple aux semences traditionnelles ou aux plantes médicinales. Cela est très clair dans les cas où serait obligatoire l’obtention du consentement préalable, librement donné et en connaissance de cause de ceux qui possèdent les savoirs traditionnels. Or, la loi dissocie certains patrimoines génétiques des connaissances traditionnelles, comme s’il y avait dans la nature une majorité d’êtres vivants intouchés par la main de l’homme, comme si ces êtres n’avaient pas interagi pendant des millénaires avec les peuples indigènes. Dans ce sens, la loi crée des catégories de connaissances traditionnelles, selon que leur origine soit identifiable ou non.

Dans ces cas, l’entreprise peut avoir accès au patrimoine génétique sans avoir à vérifier s’il existe un rapport entre sa recherche et le « produit » qu’elle prétend développer, ni entre la recherche et les savoirs traditionnels préexistants ; elle peut se servir d’un certain savoir traditionnel en affirmant que son origine n’est pas identifiable.

Dans les deux cas, l’entreprise est exemptée de l’obligation d’obtenir le consentement préalable, libre et informé, ce qui représente une violation :
– du droit à la consultation préalable, libre et informée prévu par la Convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes et tribaux ;
– des droits prévus dans les articles 8j et 10c de la Convention sur la diversité biologique ;
– des droits prévus dans l’article 9 du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture.
– En plus, une telle disposition entre en conflit avec le Protocole de Nagoya, qui a été signé par le Brésil mais n’avait pas été ratifié au moment de la publication de la loi.

Il est important d’insister sur le fait que ni la loi ni le décret réglementaire correspondant (2) n’apportent de solution au problème historique des savoirs traditionnels qui appartiennent à plus d’un peuple indigène, traditionnel, d’agriculteurs ou de paysans. Cela peut déclencher une série de conflit entre ces peuples. En plus, aucune prévision juridique n’a été faite sur le droit d’interdire l’accès aux entreprises : seule la possibilité de respecter le contenu des protocoles communautaires est mentionnée.

Les protocoles communautaires sont des documents rédigés par les paysans, les peuples indigènes, les communautés et les peuples traditionnels en application de leurs us, coutumes et traditions ; ils ont la valeur de normes de procédure dans les cas d’accès à des connaissances traditionnelles associées.

D’autre part, l’obligation de partager les bénéfices se produit si les entreprises obtiennent des « bénéfices financiers », disons un nouveau médicament ou des semences d’une nouvelle variété cultivée, transgéniques, cisgéniques, etc. Dans ces cas, l’entreprise pourra, ou non, être obligée de distribuer des bénéfices.

La loi crée une série de moyens de contourner l’obligation de partager les bénéfices :( I) dissocier le patrimoine génétique des connaissances traditionnelles ; (II) créer des catégories comme celle des connaissances traditionnelles dont l’origine n’est pas identifiable ; (III) limiter la distribution des bénéfices aux produits finis, si ce sont les principaux facteurs de valeur ajoutée du produit ; (IV) exempter de la distribution des bénéfices les micro-entreprises et les petites entreprises ; (V) exempter du partage quand il s’agit de semences et races indigènes, locales ou adaptées qui figurent dans des traités internationaux relatifs à l’alimentation et l’agriculture.

Et si, malgré tout cela, l’entreprise est obligée de distribuer des bénéfices concernant le patrimoine génétique, le partage se fera sur 1 % au maximum du bénéfice généré, et ce pourcentage peut être réduit à 0,1%. En outre, c’est à l’entreprise de décider si elle va distribuer les montants correspondants en argent ou sous la forme de projets sociaux ou par d’autres moyens non monétaires.

Une autre source d’inquiétude est la composition du Conseil de gestion du patrimoine génétique. Sa création aurait dû représenter un progrès, puisqu’il était prévu que la société civile puisse y participer, en particulier les paysans, les peuples et les communautés traditionnelles. Or, leurs représentants y sont minoritaires tandis que la majorité des postes est réservée au gouvernement fédéral et à ses ministères, aux entreprises et aux experts scientifiques.

D’où vient l’intérêt d’avoir accès à l’information génétique ?

Cette loi est un premier pas vers le brevetage de produits originaires de la biodiversité brésilienne et des connaissances découlant des recherches scientifiques. Son approbation s’est produite au moment où l’on discute, au plan international, des nouvelles technologies de l’ingénierie génétique et de la règlementation concernant les nouveaux produits obtenus au moyen de la biologie de synthèse, base de ce qu’on annonce comme la quatrième révolution industrielle.

Donc, les entreprises n’ont pas seulement intérêt à éviter les amendes ou à innocenter leur image face à la biopiraterie : elles visent surtout à rendre possible la commercialisation d’une série de nouveaux produits qui utilisent l’information génétique tirée de la biodiversité et de nouvelles technologies.

Les progrès

Le processus de discussion de cette nouvelle loi a été jalonné de plaintes sur les limitations à la participation des principaux intéressés. Cela a donné lieu a une mobilisation sans précédent où les agriculteurs, les paysans, les peuples indigènes, les peuples et les communautés traditionnels, avec l’appui de plus de 150 mouvements et d’organisations non gouvernementales, ont fait des déclarations diverses. Avec l’une d’elles, adressée en 2015 à la présidente Dilma Roussef, ils ont obtenu trois vetos et une série de modifications du décret qui réglementait la loi.

Cependant, malgré toutes les critiques que cette loi mérite, autant dans sa formulation que dans son contenu, elle contient quelques aspects nouveaux qui peuvent être considérés comme des progrès.

Aussi bien la loi que le décret reconnaissent le droit des agriculteurs, des peuples et des communautés de vendre librement les produits de la socio-biodiversité, et d’utiliser, conserver, gérer, produire, changer, développer et améliorer le matériel reproductif qui concerne le patrimoine génétique ou les connaissances traditionnelles associées.

De même, ces documents prévoient que leur contribution au développement et à la conservation du patrimoine génétique soit reconnue dans toutes les formes de publication, d’utilisation, d’exploitation et de diffusion, que soit indiquée dans tous ces cas l’origine de l’accès à la connaissance traditionnelle associée, et que des échantillons du matériel génétique du patrimoine, accompagnés de l’information correspondante, soient maintenus dans des collections ex situ dans des institutions nationales créées à cet effet avec l’argent de l’État.

Une bonne partie de ces progrès ont été obtenus grâce aux pressions et à la lutte collective des paysans, des peuples indigènes et des peuples et communautés traditionnels.

Le décret 8772/2016 est un des derniers actes de Dilma Roussef en tant que présidente, avant le coup d’État parlementaire orchestré par son vice-président et qui mit celui-ci à sa place. Dans ces circonstances, il est difficile d’évaluer quel sera le résultat du processus, vu que tous les décrets qu’elle signa avant la fin de sa gestion sont maintenant réexaminés dans une optique ultra-néolibérale, favorable à l’agro-industrie et aux grandes entreprises en général.

Conclusions : la marchandisation n’équivaut pas à la protection

Les débats sur l’accès au patrimoine génétique et aux connaissances associées devraient viser à protéger la biodiversité, maintenue grâce à la protection assurée par les façons d’être, de faire et de vivre des peuples qui en dépendent depuis toujours. Malheureusement, le point de vue dominant dans les débats brésiliens était basé sur l’exploitation économique de biens matériels et immatériels qui, petit à petit, deviennent propriété privée.

André Dallagnol, (andrehld@terradedireitos.org.br)
Avocat populaire de Terra de Direitos
Marciano Silva, (marcianotol.sival@gmail.com)
Mouvement des petits agriculteurs
Winnie Overbeek, (winnie@wrm.org.uy)
WRM

(1) EMI nº 00009/2014 MMA MCTI MDIC. Paragraphe 11, p. 2.
(2) Décret 8772/2016.