En décembre 2015, on a célébré avec tambour et trompette un accord passé dans le cadre de la Convention des nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), l’Accord de Paris, qui établit de nouvelles mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement de la planète.
Presque un an plus tard, le 14 novembre 2016, l’Accord de Paris est entré en vigueur. Peu après, la Conférence nº 22 des Parties à la CCNUCC a débuté à Marrakech, au Maroc. Cette Conférence était censée avancer dans les détails concernant la mise en œuvre de l’Accord. (1)
À partir de l’Accord de Paris et des discussions à Marrakech, peut-on dire que les forêts et les communautés qui en dépendent ont quelque chose à fêter ? La réponse est NON. Voyons pourquoi point par point.
L’Accord de Paris montre, une fois de plus, que le Sommet du climat et les programmes des gouvernements ont été pris en main par les grandes entreprises dont l’intérêt est de poursuivre et de développer leurs affaires. Inéluctablement, cela ne fera qu’aggraver encore davantage la crise climatique. Ce qui le montre, c’est que l’accord ne mentionne pas les combustibles fossiles, principaux responsables du réchauffement planétaire, et encore moins les transnationales qui gagnent de l’argent grâce à ces combustibles.
Sans dire comment il y parviendra, l’Accord se propose de « [contenir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et [de poursuivre] l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». (2)
Pour atteindre l’objectif le moins ambitieux, celui de limiter l’élévation de la température à 2ºC, chaque pays a envoyé à la CCNUCC son Plan national d’action pour le climat, où ils précisent quelle sera leur contribution. Or, les contributions que les pays se sont engagés (volontairement) à apporter ne suffisent pas à atteindre l’objectif mentionné. (3) Cela commence très mal.
Pour atteindre le deuxième objectif, le plus ambitieux, de limiter l’élévation de la température à 1,5ºC, les calculs techniques du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui associent les changements de température à la concentration des gaz à effet de serre, concluent qu’il sera nécessaire d’arrêter la consommation de combustibles fossiles d’ici à 2025-2030. Les experts disent aussi qu’il faudra en même temps faire appel massivement à une nouvelle proposition technologique qui vise à stocker dans des puits de diverses sortes – comme les arbres et les sols, par exemple – le dioxyde de carbone qui se trouve aujourd’hui dans l’atmosphère et qui est un des responsables du réchauffement de la planète. C’est ce qu’on appelle des « technologies à émissions négatives ». (4) D’après certaines estimations, pour éviter que la température ne s’élève de plus de 1,5ºC en appliquant une technologie à émissions négatives basée sur les arbres, il faudrait couvrir d’arbres un milliard d’hectares, soit la superficie du territoire des États-Unis.
Malgré les nombreuses mises en garde, l’accord ne mentionne pas le besoin crucial de réduire tout de suite à zéro les émissions qui découlent de la combustion des combustibles fossiles (voir aussi l’article du présent bulletin « L’Accord de Paris mine la campagne mondiale pour laisser le pétrole dans le sous-sol »). Pour éviter un dénouement désastreux, on estime qu’il est nécessaire de laisser sous terre 80 % des réserves connues de combustibles d’origine fossile. (5). Néanmoins, l’Accord de Paris et, bien entendu, les gouvernements qui l’ont signé, n’insistent pas là-dessus. Alors, comment prétendent-ils atteindre les objectifs proposés ?
L’un des points – ou problèmes – principaux de l’Accord dit :
« opérer des réductions rapidement conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle ». (6) Les solutions sont centrées sur la création des dénommés puits terrestres, où sont comprises les forêts, et sur les systèmes de compensation des émissions, pour atteindre un équilibre entre les émissions et les puits. Les systèmes de compensation des émissions permettent aux entreprises ou aux pays de continuer à polluer au-delà des limites permises, à condition qu’ils payent quelqu’un pour réduire les émissions à leur place à un autre endroit. Le système de compensation des émissions le plus connu est le Mécanisme pour un développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto. (7) Ce message est tout à fait erroné et très dangereux pour les millions de personnes qui dépendent du territoire pour leur survie.
C’est justement dans cette proposition que réside le problème central de l’Accord de Paris : la négation de la différence entre le carbone fossile et le carbone biotique. Pourtant, cette différence est très importante pour le climat. D’un côté nous avons le carbone qui est émis, par exemple, quand on déboise. Il fait partie du cycle naturel du carbone que les végétaux, mais aussi les océans, émettent et absorbent, et qui circule dans l’atmosphère depuis des millions d’années. De l’autre côté nous avons le carbone qui est libéré par l’extraction et la combustion du pétrole, du charbon minéral et du gaz naturel. Quand ce carbone, qui est resté emmagasiné dans le sous-sol pendant des millions d’années, est libéré il fait augmenter le volume total du dioxyde de carbone de l’atmosphère. Bien que les végétaux et les océans puissent absorber une partie de ce carbone additionnel introduit dans l’atmosphère, ils le font de façon temporaire. S’il y a un incendie, ou si un arbre meurt, le CO2 est libéré à nouveau et retourne à l’atmosphère. (8) Le Protocole de Kyoto, prédécesseur de l’Accord de Paris, reconnaissait en partie cette différence dans le contexte du marché du carbone, qui est peut-être son instrument le plus controversé, et du Mécanisme pour un développement propre. (9)
Des arguments tombés dans l’oubli
Les forêts avaient été exclues des mécanismes de compensation des émissions du Protocole de Kyoto, et surtout du MDP, pour plusieurs raisons : a) il est impossible de mesurer avec précision le volume de carbone stocké dans les forêts et, en plus, ce volume varie constamment ; b) le marché du carbone n’a pas trouvé de solution aux facteurs déterminants du déboisement, et les projets de compensation ne font que déplacer la destruction à d’autres endroits, extérieurs à la zone du projet ; (c) les normes proposées créaient des incitations perverses, l’une des raisons étant que la définition de forêt utilisée était celle de la FAO. Cette définition confond les forêts et les plantations, de sorte que l’inclusion des forêts aurait équivalu à subventionner l’expansion des plantations d’arbres en régime de monoculture ; (d) le carbone est stocké dans les forêts de façon temporaire : il peut être libéré à n’importe quel moment par suite de processus naturels et sociaux. Cette non permanence du carbone dans les arbres complique beaucoup le marché du carbone : si le carbone des arbres est libéré, l’acheteur du crédit carbone ne peut plus dire que ses émissions de carbone fossile ont été compensées. (10)
Ces arguments, qui avaient été valables pour exclure des systèmes de compensation des émissions les projets REDD (Réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts), sont toujours aussi valables, mais les gouvernants semblent les avoir oubliés. (11)
Les gouvernements avaient exclu les forêts du Protocole de Kyoto, mais ceux qui souhaitaient faire des affaires grâce au système REDD se sont débrouillés pour le faire figurer dans le programme officiel de la CCNUCC. Ceux qui avaient intérêt à compenser leurs émissions et ceux qui avaient des projets REDD à proposer ont créé en plus un marché volontaire, parallèle aux négociations formelles de la CCNUCC. Avec ce marché volontaire pour les projets REDD, les gouvernements, les entreprises polluantes et les grandes organisations écologistes ont exercé des pressions pour que REDD soit inclus parmi les mécanismes « officiels » des Nations unies. Il existe suffisamment de preuves que ces projets et initiatives volontaires, qui ont reçu du financement de la Banque mondiale mais aussi de l’ONU elle-même (ONU-REDD), ont été mauvais. Mauvais pour le climat, parce que les émissions ont continué d’augmenter, mauvais pour les forêts, qui continuent de disparaître, et mauvais pour les personnes qui dépendent des forêts. L’Accord de Paris a éliminé la séparation entre les marchés volontaires et le marché du carbone dans le cadre de la CCNUCC.
Malgré ces preuves, REDD a été inclus dans l’Accord de Paris et, cette fois, sans fixer de limitations à la création d’un marché pour négocier les crédits : l’achat et la vente peuvent avoir lieu entre les pays du Nord et du Sud, ou entre ceux du Sud. Ce qui aggrave les conséquences de cette décision c’est que, aux termes de l’Accord, les pays du Sud (où se trouvent la plupart des zones boisées) ont maintenant des objectifs de réduction des émissions à atteindre (volontairement). Beaucoup d’entre eux ont inclus dans leurs comptes nationaux la contribution des forêts à l’atténuation des émissions. Chaque pays devra mettre en place un système transparent et fiable pour garantir que les réductions comptabilisées dans le bilan national du carbone ne sont pas comptées deux fois. Cela pourrait se produire s’il y avait des projets privés REDD+ ou des programmes REDD+ gérés par les provinces, les municipalités ou les États d’un pays, qui vendraient des crédits carbone. À ce problème s’ajoute le fait que, dans le cas des émissions évitées en diminuant le déboisement ou en plantant des arbres, la réduction des émissions est toujours une réduction supposée. En effet, il n’est pas possible de vérifier les réductions vendues sous forme de crédits carbone ou inscrites dans un bilan national, parce qu’il n’est pas possible de prévoir ce que serait devenue la forêt sans le projet en question, ou de calculer exactement le volume de carbone stocké dans cette forêt. (12)
Un avenir incertain pour les forêts et leurs habitants
Les projets REDD mis en œuvre à ce jour, en plus de démontrer qu’ils étaient une fausse solution du changement climatique, ont apporté de nombreux problèmes aux communautés qui ont toujours vécu dans les forêts, allant de l’absence de consultation et d’information préalable sur la création de zones affectées à la compensation d’émissions à l’imposition de fortes restrictions sur l’utilisation de ces forêts. Pire encore : ces projets ont démontré qu’ils ne contribuaient absolument pas à garantir les droits de ces communautés sur leurs forêts ni à leur en laisser le contrôle, comme le montre l’examen de 24 projets REDD mis en œuvre en Amérique latine, en Asie et en Afrique. (13)
Le système REDD a été incapable de freiner la crise climatique, incapable de combattre les véritables causes du déboisement, et incapable d’améliorer les conditions d’existence des communautés tributaires des forêts, mais ceux qui ont souscrit l’Accord de Paris ne s’en sont pas aperçus.
(1) La conférence sur le climat de l'ONU à Marrakech n'a pas apporté de progrès significatifs dans la définition d'une feuille de route pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris. Il y a eu plutôt des discussions à huis clos sur les questions centrales découlant de l'adoption de l'Accord. Entre autres, la création d'un éventuel marché du carbone, le risque de double comptage des réductions d'émissions que chaque pays entrera dans son bilan carbone national si celles-ci peuvent également être vendues sur les marchés du carbone et sur le sujet inscrit à l'ordre du jour Le financement nécessaire pour les pays du Sud et la réticence des pays industrialisés à rendre ce financement disponible. Voir "Faits saillants de la forêt de Marrakech" à http://www.fern.org/node/6209
(2) Texte de l’Accord de Paris : http://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_french_.pdf
(3) http://ec.europa.eu/clima/policies/international/negotiations/paris_fr
(4) http://www.climatechangenews.com/2015/12/07/scientists-1-5c-warming-limit-means-fossil-fuel-phase-out-by-2030/
(5) https://www.theguardian.com/environment/2015/jan/07/much-worlds-fossil-fuel-reserve-must-stay-buried-prevent-climate-change-study-says
(6) Voir l’article 4 de l’Accord de Paris dans : http://unfccc.int/files/essential_background/convention/
application/pdf/french_paris_agreement.pdf
(7) Lectures complémentaires : Carbon Trade Watch: ‘El mercado de emisiones: Cómo funciona y por qué fracasa’, http://www.carbontradewatch.org/publications/el-mercado-de-emisiones-como-funciona-y-por-que-fracasa.html ; les Amis de la Terre International : Financiarisation de la nature ou comment redéfinir la nature, http://www.foei.org/fr/ressources/publications-fr/publications-par-sujet/forets-biodiversite-publications/financialization-nature-creating-new-definition-nature
(8) http://wrm.org.uy/fr/livres-et-rapports/10-alertes-sur-redd-a-lintention-des-communautes/
(9) Sur les critiques du marché du carbone et du MDP, voir http://www.carbontradewatch.org/publications/el-mercado-de-emisiones-como-funciona-y-por-que-fracasa.html
(10 et 11) Lecture complémentaire : http://wrm.org.uy/fr/livres-et-rapports/10-alertes-sur-redd-a-lintention-des-communautes/
(12) L’introduction de la publication « 10 alertes sur REDD à l’intention des communautés » explique pourquoi, dans le cas des calculs sur le carbone des forêts, il faut parler de réductions supposées et non de réductions réelles et vérifiables.
(13) REDD : une collection de conflits, de contradictions et de mensonges, http://wrm.org.uy/fr/livres-et-rapports/redd-une-collection-de-conflits-de-contradictions-et-de-mensonges/