Dans le bassin du Congo en Afrique, les nombreuses promesses d’une approche de conservation participative et fondée sur les droits ont lamentablement échoué à se concrétiser. Pour les communautés qui vivent dans et autour des aires protégées, la réalité continue d’être marquée par la spoliation, l'appauvrissement et des violations généralisées des droits de l'homme.
Dans le bassin du Congo en Afrique, plus peut-être que partout ailleurs dans le monde, les nombreuses promesses d’une approche de conservation participative et fondée sur les droits ont lamentablement échoué à se concrétiser. Pour les communautés qui vivent dans et autour des aires protégées, la réalité continue d’être marquée par la spoliation, l’appauvrissement et des violations généralisées des droits de l’homme.
Lors du Congrès mondial des parcs à Durban en 2003, des gouvernements, des ONG de conservation et des organisations multilatérales ont appelé à un « nouveau paradigme de la conservation » (1), reconnaissant les injustices passées et annonçant qu’à partir de ce moment-là, les populations locales seraient traitées comme des partenaires égaux et que leurs droits seraient respectés. Depuis, beaucoup de beaux discours ont été prononcés. Mais dans les forêts tropicales humides du bassin du Congo, la réalité est très, très éloignée de cet objectif.
Rainforest Foundation UK travaille en étroite collaboration avec les communautés dépendantes de la forêt de la région depuis une trentaine d’années. Chaque fois que nous nous sommes approchés d’une aire protégée, nous avons découvert la même histoire : des communautés dépendantes de la forêt qui géraient depuis des générations de manière durable leurs forêts ancestrales et coexistaient avec elles, ont vu leurs terres et leurs principales sources de revenus et leurs moyens de subsistance éliminées par des aires protégées qui leur ont été imposées sans leur consentement. Les communautés ont également été marginalisées dans la gestion des forêts dont elles dépendent et ont dû subir une application sévère de règles qui ne leur avaient pas été expliquées correctement, avec des gardes forestiers armés qui s’en prennent à eux de manière arbitraire et disproportionnée en les accusant de « braconnage » au lieu de s’attaquer aux vrais criminels.
Nous avons commencé à recueillir des informations de manière plus systématique sur la situation (2), en réunissant des preuves qualitatives et quantitatives sur la manière dont les droits des communautés dépendantes de la forêt étaient négligés lors de la création et de la gestion des aires protégées, et sur la façon dont les graves négligences des « méga-ONG » de conservation ont permis que des violations des droits humains soient commises par des gardes forestiers financés par l’aide. Ces questions ont été longuement analysées dans un rapport de 2016 qui examinait en détail les impacts de 34 aires protégées dans la région. (3)
Armes, gardes et violations des droits
Les organisations de conservation s’empressent de communiquer des chiffres sur les arrestations de braconniers et les saisies, ainsi que sur le nombre de gardes forestiers morts en protégeant la faune, notamment dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ces informations font souvent la une de l’actualité. (4) Mais derrière ces chiffres se cache une histoire beaucoup plus complexe et plus sombre. Pour chaque réseau de braconnage démantelé, combien d’autochtones innocents à la recherche de moyens de subsistance ont été arrêtés et jetés en prison sans pratiquement avoir droit à un procès équitable ? Pour chaque garde forestier décédé tragiquement en défendant des espèces menacées d’extinction, combien d’habitants de la région ont été arrêtés arbitrairement, rançonnés, torturés, maltraités ou tués par d’autres agents du parc ?
Récemment, nous avons aidé une équipe d’enquêteurs locaux à mener une recherche approfondie au sein des communautés vivant autour du parc national de la Salonga, protégé par l’UNESCO, en RDC. (5) L’équipe de recherche a interrogé plus de 230 personnes affectées par le parc. Près du quart d’entre elles ont déclaré avoir été directement victimes d’abus physiques ou sexuels perpétrés par les « éco-gardes » du parc, agissant parfois conjointement avec les forces armées de RDC (FARDC). L’équipe a interrogé des victimes et des témoins oculaires, et recueilli des preuves matérielles de violations choquantes des droits de l’homme. Les plus graves concernaient un cas de viol collectif, deux exécutions extrajudiciaires et de nombreux récits détaillés de torture et de mauvais traitements. Les gardes forestiers de la Salonga sont soutenus par l’ONG WWF, qui gère le parc depuis 2015. Ils reçoivent un financement direct et indirect d’un large éventail de donateurs internationaux, notamment la banque de développement allemande KfW, l’USAID et l’Union européenne.
Le parc est aussi vaste que la Belgique et l’équipe de recherche n’a rendu visite qu’à une petite partie des 700 villages considérés comme directement affectés par les mesures de conservation de la Salonga. Il y a donc de bonnes raisons de croire que les abus découverts s’inscrivent dans le cadre d’un problème beaucoup plus vaste et systématique.
Si la situation dans la Salonga est particulièrement alarmante, la conservation à la mode militaire a fait beaucoup plus de victimes dans la région. En République du Congo, nous avons documenté le cas de Freddy, un braconnier présumé qui a été torturé et tué en novembre 2017 par des « éco-gardes » soutenus par une ONG, la Wildlife Conservation Society. (6) La même année, lors d’une enquête sur le terrain autour du lac Tele, l’unique réserve soi-disant « communautaire » dans le pays, nous avons rencontré des familles autochtones Baka qui avaient vu leur maison incendiée par des « éco-gardes » et dénoncent aujourd’hui les mauvais traitements répétés qu’elles subissent quand elles pénètrent dans la forêt.
Dans un contexte de corruption généralisée de la police et d’absence de confiance envers les autorités, la plupart des violations des droits de l’homme ne sont pas signalées. Lorsqu’elles le sont, aucune mesure n’est prise pour offrir une réparation aux communautés. Lorsqu’elles sont alertées de telles violations des droits humains, les ONG de conservation qui forment et financent les « éco-gardes » ont tendance à se cacher derrière le fait que ces « éco-gardes » relèvent en définitive de la responsabilité de l’État. Mais, de toute évidence, elles pourraient faire beaucoup plus pour prévenir, surveiller et réparer les violations qui se produisent sous leur supervision.
Les droits fonciers et les moyens de subsistance systématiquement fragilisés
Souvent, les programmes de conservation aggravent un autre problème profondément enraciné et évitent en grande partie de l’aborder : l’insécurité d’occupation et la perte des moyens de subsistance qui en découle. L’une des raisons pour lesquelles la conservation fondée sur les droits a complètement échoué dans le bassin du Congo est que les communautés locales n’ont pratiquement aucun droit légal sur leurs terres et que les droits coutumiers sont en grande partie mal compris et négligés.
Avant de créer un parc national, une première étape évidente consisterait à recueillir des informations sur ceux qui y habitent (et la façon dont ils vivent), à demander leur consentement et à s’assurer que les restrictions liées à la conservation ne menaceront pas leurs activités de subsistance traditionnelles. Mais cela ne se fait presque jamais dans le bassin du Congo. Nos recherches sur 34 aires protégées de la région n’ont révélé aucune preuve de documentation adéquate (telle qu’une cartographie) du régime foncier coutumier en place avant la création de l’aire protégée ou pour éclairer celle-ci. (7) De ce fait, presque partout, les aires protégées se superposent à des terres qui, traditionnellement, appartiennent ou sont utilisées par des communautés autochtones – sans leur consentement. Dans un très grand nombre de cas, la création d’aires protégées a entraîné un déplacement des communautés locales sous une forme ou une autre, qu’il s’agisse du transfert physique de villages entiers ou du déplacement économique de personnes qui voient leur accès à la terre ou aux ressources restreint ou même totalement interdit, avec d’énormes conséquences pour leur économie, leur culture, leurs moyens de subsistance et leur identité.
La réserve de Tumba Lediima dans l’ouest de la RDC en offre un exemple frappant. (8) Lorsque ses limites ont été tracées arbitrairement en 2006, principalement pour protéger la population locale de bonobos (un type de chimpanzé), personne n’a jugé utile de recueillir correctement des informations sur les populations qui vivaient déjà sur place et la façon dont elles seraient affectées par les mesures de conservation. Par ailleurs, personne n’a pris en compte que les groupes ethniques locaux de la région avaient des tabous sur la chasse aux bonobos et jouaient donc déjà un rôle essentiel dans la protection de l’espèce. La cartographie des communautés a révélé que plus de 100 000 personnes vivent dans la région et dépendent en grande partie des forêts pour leur subsistance. Comme ces communautés n’ont pas eu leur mot à dire dans la création et la gestion de la réserve, elles ont été durement frappées par les restrictions à la chasse et à la pêche qui leur ont été imposées par les gestionnaires de la réserve, au point que le Programme alimentaire mondial a dû intervenir et fournir des compléments alimentaires. (9)
Nous avons découvert une situation semblable près du parc national de la Salonga. Les communautés qui vivent dans le « corridor de Monkoto », dont beaucoup ont été expulsées de force de leurs forêts lors de la création du parc en 1971, ont rapporté qu’elles connaissent une malnutrition généralisée. La très grande majorité a attribué ce problème aux restrictions de la chasse et de la pêche liées à la conservation. « Chaque jour, nous nous demandons pourquoi ils nous ont fait sortir des forêts de nos ancêtres et nous ont mis ici, dans cet enfer. Nous devons pouvoir accéder au parc, car tout ce dont nous avons besoin pour survivre est là », nous a dit un villageois.
La RDC a récemment adopté une législation sur la foresterie communautaire qui ouvre la voie à une plus grande sécurité d’occupation et à une gestion forestière communautaire. (10) Bien qu’il s’agisse d’une avancée sans précédent, il est nécessaire de veiller à ce que ces forêts communautaires soient aménagées pour et par les communautés elles-mêmes, au lieu d’être utilisées par certains des grands organismes de conservation comme « zones tampons » pour les aires protégées comment l’ont montré certains rapports.
À partir de là, que faut-il faire ?
La conservation de la faune sauvage de type militaire, autoritaire, qui reste la norme dans le bassin du Congo, est socialement injuste, elle est à courte vue et finit par saper les efforts de conservation. Elle dresse les communautés locales contre la conservation, en éloignant ceux qui devraient être les meilleurs alliés de la conservation.
Pour aller de l’avant, les ONG de conservation et leurs donateurs ne doivent pas se contenter d’amender un système inopérant : organiser ponctuellement des sessions de formation sur les droits de l’homme à l’intention des écogardes ou mettre en place quelques programmes de moyens de subsistance peu adaptés ne suffira pas à remédier à la situation. Une réorganisation complète est nécessaire, dans laquelle les droits et les besoins des communautés forestières sont intégrés dans tous les aspects de la planification et de la gestion de la conservation.
Les gouvernements doivent chercher à mettre en œuvre d’autres mesures de conservation qui ont fait leurs preuves, telles que des aires de conservation communautaires et autochtones et des forêts communautaires (véritablement participatives). (12)
Pour les ONG internationales de protection de la nature, cela signifie qu’il faut mettre en place des mécanismes transparents de suivi et de réclamation, ainsi que des mesures correctives en cas de violation. Cela signifie qu’il faut réellement associer les communautés locales et autochtones à la surveillance anti-braconnage (et reconsidérer la nécessité d’avoir des écogardes armés, du moins dans certains contextes). Les donateurs internationaux, en revanche, doivent retirer les financements et le soutien aux approches descendantes traditionnelles au profit de modèles davantage basés sur les droits. La tendance à la militarisation de la conservation dans la région et ses impacts négatifs sur les droits de l’homme doivent également être discutés de toute urgence.
Pour les organisations de la société civile, cela signifie documenter et exposer systématiquement les abus liés à la conservation, et renforcer les capacités des militants de terrain et de première ligne à le faire. Les nouvelles technologies appliquées peuvent grandement aider les décideurs et les organisations à avoir davantage accès aux informations sur les droits fonciers et humains dans les forêts reculées.
Rainforest Foundation UK propose un système appelé ForestLink, qui permet aux communautés d’envoyer des alertes quasi instantanées sur les abus, même dans les zones où la connectivité mobile ou Internet n’est pas disponible. (13) L’initiative Mapping for Rights (Cartographie pour les droits) permet aux populations forestières de cartographier leurs terres et leurs moyens d’existence, et d’apporter ainsi la preuve tangible que les terres réservées à la conservation, loin d’être une « nature vierge », sont bien des paysages humains. (14)
Tant que tout cela n’aura pas été dûment pris en compte et traité, les promesses de conservation fondée sur les droits, dans le contexte du bassin du Congo, resteront malheureusement non tenues.
Maud Salber, MaudS@rainforestuk.org
Rainforest Foundation UK, https://www.
(1) Le plan d’action de Durban, https://cmsdata.iucn.org/
(2) Rainforests, Parks and People, http://
(3) Rainforest Foundation UK, Protected Areas in the Congo Basin : Failing both People and Biodiversity ?, 2016
(4) Voir des articles associés sur Global Conservation et The Guardian
(5) https://salonga.org/
(6) Rainforest Foundation UK, Aid-funded conservation guards accused of extrajudicial killing, 2017
(7) Voir RFUK (2016) et www.rainforestparksandpeople.
(8) Voir la vidéo (en anglais) :
(9) Réserve naturelle de Tumba Ledima, RDC
(10) Rainforest Foundation UK, A National Strategy for Community Forestry in DRC, 2018
(11) Objectifs d’Aichi, https://www.cbd.int/sp/
(12) Voir Consortium ICCA, https://www.iccaconsortium.
(13) Forest Link : https://www.
(14) Mapping for Rights (Cartographie pour les droits) : https://www.mappingforrights.