Une plantation est une machine qui assemble des terres, de la main-d'œuvre et du capital en quantités énormes pour exploiter des monocultures destinées à un marché mondial. Elle est intrinsèquement coloniale, basée sur l'hypothèse que les gens vivant sur place sont incapables de produire efficacement. Elle place la vie sous contrôle : l'espace, le temps, la flore, la faune, l'eau, les produits chimiques, les gens. Elle appartient à une grande entreprise et est dirigée par des gestionnaires selon des normes bureaucratiques.
Tania Li, Plantation Life, Duke University Press 2021
Les luttes pour la terre ont joué un rôle important dans les mouvements anticoloniaux du milieu du XXe siècle en Asie du Sud-Est. Dans certains cas, par exemple dans le nord du Vietnam, les cibles étaient principalement des propriétaires locaux qui bénéficiaient de leur association avec le régime colonial. Ces propriétaires possédaient des exploitations qui couvraient quelques hectares tout au plus. Ailleurs, cependant, ce sont les propriétaires de plantations français (Indochine), néerlandais (Indonésie), britanniques (Birmanie et Malaisie) et américains (Philippines), beaucoup plus importants, dont les exploitations sont devenues la cible de la poussée indépendantiste et dont l'association avec des inégalités flagrantes a poussé les mouvements d'indépendance vers la gauche.
Compte tenu de cette histoire, il y a clairement quelque chose d'ironique dans la revitalisation du modèle de concession au XXIe siècle, d'autant plus que les pays dont l'histoire a été marquée par des réformes agraires socialistes semblent avoir appliqué le modèle avec un zèle particulier. Les petits cultivateurs au Cambodge, au Laos, au Myanmar et au Vietnam ont tous été dépossédés par des accaparements de terres déguisés en concessions. Dans des pays comme les Philippines, l'Indonésie et la Thaïlande, qui ont adopté des réformes de redistribution préventives pour compenser les troubles dans les zones rurales, les concessions s'inscrivent dans le cadre d'une reconcentration de la propriété foncière. Cela soulève différentes questions aussi bien sur les raisons du retour de ce modèle de propriété foncière à grande échelle que sur les impacts sur les petits exploitants et les forêts de la région.
Fondamentalement, le modèle de la concession implique qu'un organisme gouvernemental accorde à une entreprise commerciale le droit d'extraire des ressources à grande échelle et/ou d'utiliser des terres pour des cultures pérennes ou annuelles, généralement sous la forme d'un bail à long terme. Les concessions comprennent non seulement les plantations agricoles, mais aussi d'autres activités telles que la foresterie (exploitation forestière et plantations d'arbres à croissance rapide), l'exploitation minière, l'exploitation de carrières, l'hydroélectricité, le tourisme et le développement industriel – ce dernier souvent dans des zones économiques dites spéciales, dont la législation en matière de travail et d'environnement est différente de celle en vigueur dans le reste du pays dans lequel elles se trouvent. De nombreuses concessions en Asie du Sud-Est – mais pas toutes, loin de là – sont accordées à des entreprises des pays voisins. Dans la péninsule indochinoise, les gouvernements des pays moins industrialisés que sont le Cambodge, le Laos et le Myanmar ont principalement conclu des accords de concession avec des entreprises chinoises, thaïlandaises et vietnamiennes. Des entreprises singapouriennes et malaisiennes investissent dans le palmier à huile indonésien.
Le modèle de la concession a de multiples conséquences sociales et environnementales. Les terres concédées pour les plantations en monoculture font souvent partie de systèmes de culture extensifs en marge des hautes terres, sur des terres qui étaient autrefois exploitées en culture itinérante par des minorités ethniques. Les terres en jachère au sein de ces systèmes sont classées comme « friches » par les autorités de l'État. Les concessions participent à une déforestation généralisée, dans une région qui a connu une perte ou une dégradation des forêts plus rapide que toute autre partie du monde.
Il existe un lien étroit entre les concessions forestières et les concessions foncières. En Thaïlande, jusqu'en 1989, de grandes parties des terres forestières du pays situées en dehors des parcs nationaux et des sanctuaires de la vie sauvage ont été octroyées sous la forme de concessions forestières. Les inquiétudes suscitées par les impacts environnementaux et humains de l'exploitation forestière ont conduit cette année-là à l'annulation de ces concessions, dont beaucoup avaient défriché des zones forestières pour des infrastructures routières et avaient fait venir de la main-d'œuvre, ce qui a entraîné le défrichage par les petits exploitants des zones qui avaient été déboisées. Suite à l'annulation des concessions d'exploitation forestière, le Département royal des forêts a accordé des concessions à de grands investisseurs pour la plantation d'arbres, notamment d'eucalyptus et d'hévéas, au nom du reboisement. Le controversé Plan d'action forestier tropical (PAFT) de la Banque mondiale de la fin des années 1980 a été impliqué dans cette politique de concession. Elle s'est traduite par des années de conflit entre ces plantations et les petits exploitants, pour la plupart pauvres, dont les terres détenues sans titre ont été confisquées, et qui, pour certains d'entre eux, n'ont eu d'autre choix que de défricher encore plus de terres pour survivre. Parmi ceux-ci figuraient des membres des ethnies lao et khmères du nord-est de la Thaïlande et des groupes autochtones des hautes terres tels que les Karen dans le nord. Au Cambodge, l'annulation des concessions forestières dans les années 1990 a été suivie de l'octroi de concessions foncières à des fins économiques, qui devaient en principe être utilisées pour des cultures commerciales. En fait, de vastes étendues de terres ont été déboisées pour créer ces exploitations agricoles, mais n'ont jamais été plantées, car le principal profit à réaliser était le bois d'œuvre plutôt que les cultures de plantation sur des terres souvent assez pauvres. Un processus similaire s'est produit à Kalimantan, en Indonésie.
Au Cambodge, qui a perdu plus d'un quart de ses forêts depuis 2000, des études suggèrent que l'impact cumulé des concessions forestières et des concessions foncières à des fins économiques représente 30 % de la déforestation au cours de la même période. De plus, un autre élément important est le défrichement effectué par les populations déplacées par la concentration des terres entre les mains de grands acteurs économiques. Dans la province de Ratanakiri, dans le nord-est du pays, le paysage autrefois boisé a été radicalement transformé en seulement deux décennies, car les terres autochtones ont été perdues au profit des concessionnaires pratiquant des cultures arboricoles telles que l'hévéa et l'anacardier. De nombreux membres de l'ethnie khmère ne possédant pas de terres ont quitté les basses terres pour cultiver des plantations sur de petites exploitations qui ont été taillées dans des zones auparavant boisées ou qui faisaient partie des cycles de jachère des cultivateurs autochtones itinérants.
Pourquoi les gouvernements de cette région, arrivés au pouvoir en partie sur la base de revendications foncières à l'encontre des anciens régimes, ont-ils été si désireux et capables d'employer le modèle de la concession et de déposséder leurs propres citoyens ? Pour répondre à cette question, nous devons examiner les héritages des systèmes socialistes, l'idéologie du développement, les structures politico-économiques et les modèles d'investissement transnationaux.
Au fur et à mesure que les pays qui appliquaient historiquement des modèles et des principes socialistes en matière de propriété foncière se sont tournés vers une production basée sur le marché, ils ont maintenu le contrôle de l'État sur de grandes parties du territoire national. Le Vietnam, le Laos et le Cambodge ont tous expérimenté une combinaison de collectivisation et d'agriculture, de sylviculture et d'exploitation forestière gérées par l'État. Dans les années 1980, les réformes axées sur le marché ont finalement ramené à la petite agriculture, mais de vastes zones ont été réservées à la gestion de l'État. Cela a facilité l'octroi de baux de longue durée à des investisseurs nationaux ou étrangers pour des étendues de terres qui couvraient des milliers d'hectares. L'économie politique de chaque pays façonne les voies et les modèles de concessions. Au Myanmar, l'organisation socialiste de l'agriculture a été principalement mise en œuvre par le biais de politiques d'approvisionnement de l'État plutôt que par un contrôle direct de l'État ou d'une collectivité, mais dans ce système, on indiquait aux agriculteurs ce qu'ils devaient planter et ils étaient tenus de livrer leur production à des prix inférieurs à ceux du marché. Lorsque le pays s'est ouvert économiquement à partir des années 1990, l'armée s'est alliée à des individus fortunés dans ce que l'on appelle souvent des accaparements de terres par connivence, basés sur le maintien de la propriété étatique des terres en vertu de la constitution du pays et sur l'application du modèle de la concession.
L'économie politique de chaque pays façonne les approches et les caractéristiques des concessions. Au Cambodge, le pouvoir politique a été conquis et consolidé par le parti au pouvoir grâce au clientélisme, dans lequel les concessions pour les ressources forestières et foncières du pays ont occupé une place prépondérante. De nombreuses concessions sont ainsi détenues par de puissants acteurs nationaux, mais des investisseurs vietnamiens, thaïlandais et chinois ont également obtenu des concessions de grandes tailles pour la canne à sucre, l'hévéa et d'autres cultures, ainsi que pour le tourisme et l'activité industrielle.
Le modèle de la concession correspond bien aux idéologies de la modernisation, en particulier à l'ère néolibérale mondialisée, dans laquelle des politiques telles que celle du gouvernement laotien consistant à « transformer la terre en capital » sont censées catalyser un passage de pratiques agricoles « arriérées » à des pratiques modernes. Cette idéologie repose cependant sur de nombreuses hypothèses très discutables, notamment l'efficacité relative des grandes exploitations par rapport aux petites plantations pour les mêmes cultures, les retombées que l'agriculture rentable dirigée par des investisseurs est censée apporter au bien-être rural, et la restauration de terres prétendument dégradées à travers le modèle de la concession. Ce qui ne fait aucun doute, c'est que le modèle sert les intérêts à la fois des grandes sociétés d'investissement et ceux des responsables gouvernementaux impliqués dans l'octroi des concessions. Cela s'est fait non seulement au détriment de la couverture forestière restante en Asie du Sud-Est, mais aussi aux dépens des petits exploitants de la région, dont le déplacement et d'autres ruptures des moyens de subsistance auront des effets durables.
Philip Hirsch
Professeur émérite de Géographie humaine, Université de Sydney