Le gouvernement de l’État de Cross River, au Nigeria, a autorisé la réalisation de grandes plantations de palmiers à huile, y compris sur les terres communales de la population rurale. Un de ces cas est celui de Biase Plantations Ltd, qui a acquis des terres utilisées par les peuples indigènes de la communauté d’Ibiae, dans la zone de gouvernement local de Biase. En 2011, Wilmar International, une des plus grandes entreprises de plantations de palmiers à huile, basée à Singapour.[1] a obtenu du gouvernement de l’État de Cross River 5 561 hectares, par l’intermédiaire de sa filiale Biase Plantations Ltd. Environ 55 % de cette surface (3 054 hectares) sont couverts de forêt naturelle, tandis que 2 419 hectares sont occupés par une plantation de palmiers à huile que le gouvernement avait créée au début des années 1960 mais qui a été abandonnée dans les années 1980 ; à présent on abat ces palmiers pour réaliser une nouvelle plantation.[2]
En novembre 2012, l’ONG nigériane Rainforest Resource & Development Centre (RRDC) a présenté une plainte à la RSPO, où elle montre que la privatisation de terres qui avaient appartenu à l’État a débouché sur des violations des droits de l’homme, la destruction de l’environnement et des infractions des lois municipales.[3] Le fait que Wilmar, membre de la RSPO, ait acquis des terres pour y faire de grandes plantations de palmiers à huile représente une menace pour l’avenir et la survie de la communauté indigène d’Ibiae. En plus de la plainte adressée à la RSPO, RRDC a engagé des poursuites au Nigeria, concernant les erreurs et les incohérences que la privatisation des terres acquises par la filiale de Wilmar a comportées.
L’achat de terres dans la zone de gouvernement local de Biase n’est pas la seule acquisition controversée de Wilmar au Nigeria, bien que ceci ne figure pas dans la plainte présentée à la RSPO sur les opérations de Wilmar dans l’État de Cross River. Cette entreprise est impliquée dans au moins deux autres acquisitions controversées. Wilmar a acheté des terres également, par le biais de sa filiale nigériane, à Obasanjor Farms Ltd., une entreprise appartenant à l’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo [voir l’article STOLEN LAND: NIGERIAN VILLAGERS WANT THEIR LAND BACK FROM WILMAR, http://intercontinentalcry.
Un communiqué de presse de RRDC du 24 avril 2014 révèle une autre appropriation de terres boisées commise par Wilmar International dans l’État de Cross River, à proximité de la Réserve de faune d’Afi. RRDC signale que cette appropriation « a soulevé de graves problèmes éthiques concernant la déclaration de Wilmar International du 5 décembre 2013, où elle s’engage à protéger les forêts et les communautés ».
La plainte présentée par RRDC à la RSPO
La plainte présentée par RRDC à la RSPO se centre sur cinq problèmes principaux, qui auraient dû empêcher un membre de la RSPO respectueux des principes et des critères de cette organisation d’entreprendre des travaux préparatoires dans le lieu prévu pour la plantation. Ces cinq problèmes principaux sont les suivants :
1) Biase Plantations Ltd. n’est pas arrivée à un accord avec les communautés, comme prévu dans la clause 4(4) des « Termes fondamentaux pour la privatisation de la propriété d’Ibiae » de mai 2012. Selon ce document gouvernemental, Wilmar aurait dû « aider les communautés propriétaires de terres à fournir les installations qui auront été convenues entre l’investisseur et les communautés propriétaires ».[4] Bien que des réunions aient été organisées, aucun accord n’a jamais été passée entre Biase Plantations Ltd. et les communautés qui habitent les terres acquises par l’entreprise.
2) L’acquisition de terres louées aux agriculteurs qui participent au programme CARES du gouvernement est illégale.
3) Les communautés migrantes installées dans la propriété achetée par l’entreprise n’ont pas été prises en compte.
4) Le refus de présenter les documents demandés par les communautés concernées par la privatisation implique que l’entreprise ne s’est pas engagée à agir avec transparence : malgré les demandes réitérées adressées au gouvernement et à Wilmar, aucune des communautés propriétaires n’a reçu copie du document « Termes fondamentaux pour la privatisation », et RRDC considère que ceci est « contraire à l’esprit de transparence recommandé par la RSPO ». De même, l’entreprise a refusé de présenter l’Évaluation d’impact environnemental exigée par la législation nigériane avant de pouvoir commencer à travailler sur les plantations.
5) Les lois et les règlementations municipales et fédérales pertinentes n’ont pas été appliquées, y compris celles qui portent sur l’Évaluation d’impact environnemental.[5] Dans le document présenté au comité des plaintes de la RSPO, RRDC propose « que Wilmar cesse toute activité dans la propriété jusqu’à ce que toutes les observations aient été considérées, en conformité avec le protocole de la RSPO ».[6]
En ce qui concerne le point 1), le document présenté par RRDC rappelle que, pour que les plantations de palmiers à huile de Wilmar soient acceptées, la condition était que les améliorations des routes demandées par la communauté soient intégrées dans les « Termes fondamentaux pour la privatisation ». Les communautés supposaient qu’elles l’avaient été, mais il n’en était pas ainsi. Le fait de ne pas permettre aux communautés de voir ce document-clé leur a laissé croire, à tort, que leurs demandes avaient été acceptées. Par conséquent, RRDC considère que le consentement de la communauté à l’entrée de Wilmar dans sa propriété a été obtenu par des moyens frauduleux.
En ce qui concerne le point 2), RRDC explique que les terres louées aux agriculteurs qui participent au programme CARES (Cross River State Agricultural and Rural Empowerment Scheme) ont été illégalement incluses dans les terres de l’ancienne plantation vendues à Wilmar.
Le CARES est un programme pour l’atténuation de la pauvreté grâce auquel, en 2009, environ 1 000 hectares ont été loués à des agriculteurs pour une période de 25 ans pour qu’ils y fassent des plantations de palmiers à huile à petite échelle. Chaque agriculteur a reçu entre 10 et 20 hectares. D’après le ministère de l’Agriculture, au moment où la propriété a été privatisée et vendue à Wilmar, 32 agriculteurs avaient déjà planté des palmiers à huile sur 470 hectares. La plainte présentée par RRDC affirme que ces agriculteurs ont été prévenus de ne pas continuer à investir sur ces terres parce qu’elles allaient être privatisées. « « Bien qu’on leur ait promis de les indemniser – ce qui, le 5 novembre 2012, n’avait pas encore été fait – comme prévu dans les contrats de location du CARES, le gouvernement n’a pas le droit de résilier le contrat à moins que le locataire : (i) ne paie pas le bail, ou (ii) ne respecte pas les clauses du contrat. Du moment que la privatisation ne figure pas parmi les causes de résiliation, l’acquisition de la terre et sa vente à Wilmar sont illégales », conclut RRDC sur ce point.
En ce qui concerne la présence de communautés migrantes établies dans la propriété (point 3), RRDC affirme qu’elles n’ont pas été prises en compte par Wilmar comme il le fallait. « À partir des données du recensement national de population de 1991, et en supposant une croissance démographique proportionnelle à la croissance moyenne du pays (3,0 %), environ 3 696 personnes vivent dans la propriété d’Ibiae. Ces personnes proviennent de l’État voisin, Akwa Ibom, et la plupart sont arrivées au début des années 1960 à la recherche de travail, au moment de la création de la plantation originelle. Quand cette plantation a été abandonnée dans les années 1980, et que les possibilités de travail ont diminué, les travailleurs migrants ont été autorisés à cultiver des parties non exploitées de la propriété. Wilmar a promis d’indemniser ces travailleurs mais, à ce jour, aucune somme n’a été déboursée, et il n’y a pas eu non plus de consultation appropriée pour déterminer la nature et le montant de l’indemnisation », dit le document de RRDC. Il explique aussi les conséquences sociales que la privatisation a eues pour ces 3 700 personnes : « Étant donné que la plupart d’entre elles n’ont pas de titres de propriété formels ou traditionnels sur les terres, quand elles n’y auront plus accès elles auront peu de possibilités de travailler, à moins qu’elles travaillent dans la plantation. Du moment que Wilmar a l’intention de reconstruire les camps de travailleurs mais que seuls les travailleurs de la plantation auront le droit d’y habiter, les familles de migrants qui ne trouveront pas d’emploi (par exemple, ceux qui sont trop vieux ou physiquement inaptes) seront obligées de partir. Dans une autre propriété achetée par Wilmar dans l’État de Cross River, ces personnes n’ont reçu qu’une « prime de retraite » qui, en aucun cas, n’a dépassé 10 000nairas (l’équivalent de quelque 50 euros). Il est évident que cela ne suffit pas pour qu’une famille puisse se remettre à flot. Ces personnes ont perdu tout contact avec Akwa Ibom du fait d’avoir quitté leur région depuis longtemps, et peu d’entre elles conservent quelque possibilité de gagner leur vie dans l’État de Cross River, de sorte que leur expulsion de la propriété pourrait avoir des conséquences désastreuses. L’évaluation d’impact social faite en avril de 2012 par ProForest [société conseil accréditée par la RSPO] ne fait pas mention de ce groupe de personnes, ce qui soulève des doutes sérieux sur la qualité de cette évaluation ».[7]
Le 14 mai 2013, le comité des plaintes de la RSPO a déterminé que Biase Plantations Ltd. ne s’était pas conformée au critère 1.1 de la RSPO lorsqu’elle n’avait pas présenté l’évaluation d’impact environnemental (EIE) nécessaire à la réalisation de la plantation. Dans l’EIE, que Wilmar n’a présenté aux autorités nigérianes responsables que le 13 mars 2013, il manquait des informations de grande importance qui, du point de vue de RRDC, l’invalidaient. En outre, le comité de la RSPO a décidé qu’il faudrait engager un avocat familiarisé avec la législation nigériane pour analyser si Biase Plantations avait respecté la loi concernant l’EIE. Finalement, l’entreprise a reçu l’ordre de « cesser toute activité » tant que les questions concernant l’EIE n’auraient pas été éclaircies et résolues à la satisfaction du comité des plaintes de la RSPO.[8]
Deux aspects sont à souligner. Premièrement, les points sur lesquels la RSPO demande un avis juridique figurent aussi dans des affaires portées par RRDC devant le tribunal nigérian. Il est donc surprenant que la RSPO accepte un avis juridique sur ces mêmes points avant que le tribunal nigérian ne se soit prononcé. Mis à part le problème de procédure que cela comporte, l’avis juridique demandé par la RSPO à un cabinet d’avocats nigérian ne porte que sur une partie des problèmes soulevés par RRDC dans sa plainte à la RSPO, à savoir si la législation nigériane a été respectée en ce qui concerne les évaluations d’impact environnemental, la publication d’avis et le mandat précis d’une commission gouvernementale en matière de privatisation de terres. Aucun avis juridique n’est demandé sur le respect des conditions établies dans les « Termes fondamentaux pour la privatisation ». Pourtant, sur la base de cet avis juridique qui ne comprend que quelques-uns des points soulevés dans la plainte, la RSPO a décidé de permettre que Wilmar reprenne ses activités dans les terres « non litigieuses ». La RSPO a pris cette décision sans avoir l’air de se soucier qu’aucun accord n’ait été passé avec les résidents informels de la propriété, que les communautés aient peut-être été trompées quant au contenu des « Termes fondamentaux pour la privatisation », ou que les tribunaux nigérians n’aient pas encore statué sur les problèmes soulevés, qui figurent aussi dans l’avis juridique demandé à une société conseil.
La dernière information sur cette affaire que l’on trouve sur la page web de la RSPO est datée de décembre 2013 ; il s’agit d’une lettre de Wilmar qui explique comment sera appliquée aux plantations acquises au Nigeria la nouvelle « politique de non-déboisement » de l’entreprise. En décembre 2013, Wilmar a publié une déclaration [9] où elle annonce « que la révision est terminée et que le Comité des plaintes de la RSPO est d’avis que les activités de plantation au Nigeria respectent la législation de ce pays, que l’achat des terres a été légal et que l’évaluation d’impact environnemental (EIE) a été faite en respectant les procédures prévues ». Il est bien possible que les communautés touchées par les opérations de Wilmar au Nigeria ne soient pas d’accord avec ce point de vue. RRDC exige que Wilmar cesse toute activité dans l’État nigérian de Cross River jusqu’à ce que toutes les lois applicables, les intérêts et les droits des communautés aient été respectés, et que l’entreprise remette au public intéressé et aux communautés concernées des cartes qui indiquent clairement quelles sont les communautés qui sont actuellement, et qui seront à l’avenir, touchées par ses opérations.
(1) www.wilmar-international.com.
(2) http://www.rspo.org/file/RSPO-
(3) http://www.rspo.org/en/status_
(4) Plainte présentée par RRDC au sujet de Wilmar Nigeria Ltd., 10 novembre 2012.http://www.forestpeoples.org/
%20about%20Wilmar%20NPP%20in%
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) http://www.forestpeoples.org/
(9) http://www.wilmar-