Les Shawi, connus aussi comme Chayahuitas, habitent le territoire qui comprend les bassins des rivières Paranapuras et Cahuapanas, qui font partie des provinces d’Alto Amazonas (Loreto) et de San Martín (département de San Martín). Distribués dans environ 180 communautés, les Shawi partagent une organisation sociale et un système de représentation symbolique. Chasseurs et cueilleurs de tradition, ils sont aussi horticulteurs [1] et cultivent surtout le manioc, le bananier, le maïs, le haricot, l’arachide, le riz, l’ananas, la papaye, le coton et le tabac. Ils élèvent aussi des volailles et de petits animaux, ainsi que du bétail. Ils font du commerce avec le riz, l’arachide, le maïs et les haricots, et sont actuellement aussi pêcheurs.
Comme beaucoup d’autres peuples indigènes, ils ont dû supporter les pénuries amenées par la colonisation espagnole, décimés par les armes et les maladies, réduits en esclavage. L’indépendance du Pérou ne leur apporta pas une vie meilleure : avec le boom du caoutchouc, ils durent souffrir de la rigueur des patrons du latex.
Par la suite, en 1974, la Loi des Communautés Indigènes reconnut le droit des indigènes de l’Amazonie péruvienne à la propriété collective sur leurs territoires, limités cependant aux terres avoisinant leurs villages. Mais, en 1977, la Loi Forestière et de la Faune sauvage interdit de leur donner les titres de propriété des terres « à aptitude forestière » situées dans les espaces des communautés indigènes, qui deviendraient ainsi parties du domaine de l’État [2]. Cela démontra un total mépris des droits des communautés amazoniennes, dans la mesure où pratiquement toutes les terres de la grande plaine boisée de l’Amazonie sont « forestièrement aptes », et ainsi, les peuples indigènes de cette zone n’auraient plus accès à la forêt, sur l’utilisation extensive de laquelle repose une grande partie de leur économie.
La Constitution du Pérou reconnaît l’existence des communautés indigènes, même non inscrites comme personnes juridiques sur les registres publics, sur lesquels elles doivent toutefois être inscrites pour obtenir le titre de propriété. D’après la Loi sur les Communautés Indigènes (article 11 de la Constitution), l’État accorde des titres de propriété sur les terres à vocation d’élevage et cède l’utilisation des terres à vocation forestière à la communauté. Le processus de délivrance des titres de propriété des collectivités indigènes est très bureaucratique et lent, et n’est pas une priorité politique de l’État péruvien. Pendant ce temps, les activités agricoles, forestières, pétrolières et minières avancent sur des territoires qui attendent encore leurs titres [3].
Et c’est là le théâtre du nouvel outrage que subissent les communautés amazoniennes.
Le 27 avril dernier, dans une lettre ouverte, les peuples shawis des communautés situées dans le district de Pongo de Caynarachi, province de Lamas, et dans le district de Papalaya, province et région de San Martín, qui constituent la Fédération Régionale Indigène Shawi – San Martín (FERISHAM), dénoncent les faits suivants dont ils ont été informés : l’entreprise coréenne ECOAMERICA est en train de demander en sa faveur l’inscription et les titres de propriété correspondant à plus de 72 000 hectares, pour un prix de 0,80 centimes (monnaie locale) l’hectare, pour y produire des cultures, en extraire le bois des forêts et y faire de l’élevage. Il s’agit de territoires qui appartiennent à deux communautés shawis et une communauté quichua, qui en ont la possession ancestrale et dont la personnalité juridique est reconnue.
L’entreprise avait présenté sa demande auprès de l’Organisme de formalisation de la propriété informelle (COFOPRI) de la province de Loreto, totalement à l’insu des communautés indigènes et des peuples qui vivent dans cette zone. Après plusieurs allées et venues judiciaires, la réclamation est en attente de la résolution que doit prendre le Tribunal Constitutionnel.
Face à cela, les peuples shawi dénoncent dans leur lettre : « Nous, communautés indigènes, n’avons pas de titres de propriété. Nous avons seulement une reconnaissance légale. Nous sommes en possession de nos territoires ancestraux. Il n’est pas juste que la valeur des terres de nos communautés soit estimée à 0,80 centimes l’hectare. On veut les donner sans comprendre la signification de la vie spirituelle de la nature, des arbres, des animaux qui prennent soin du peuple indigène shawi ».
Et ils ajoutent : « Nous ne sommes pas habitués à résoudre nos problèmes avec vos lois. Nous sommes exclus du processus : pour l’État, nous n’existons pas. Nous n’avons pas non plus les moyens de nous défendre dans cette situation. Aucune autorité n’exécute ce que dit le Traité 169 de l’OIT , à savoir que l’on doit respecter les territoires des peuples indigènes, et que l’État doit faire le nécessaire pour y parvenir. Aucune autorité ne se prononce, ni n’intervient ; que devons-nous faire pour que l’on nous écoute et que l’on nous rende justice ?
Le peuple indigène shawi est attristé et indigné. Demain, nous pouvons perdre le territoire de nos ancêtres, notre terre-mère, où nous rabattons et chassons des animaux, où nous récoltons des plantes médicinales pour nous guérir. De la forêt vivante nous tirons de quoi satisfaire grand nombre de nos nécessités. L’État ne nous donne rien, l’école est abandonnée, les enfants n’ont pas d’instituteur. Nous sommes inquiets face à cette entreprise dont les activités ont débuté dans les forêts, parce que nous occupons la tête de la vallée, et que nous nous sentons vulnérables. Nous voulons dialoguer pacifiquement. Nous voulons que l’on nous écoute, que l’on respecte notre droit au territoire ; nous ne voulons pas d’un autre baguazo [4], [mais] nous sommes préparés à lutter pour nos terres. Sinon, nous nous ferons justice selon nos propres coutumes.
Nous ne comprenons pas pourquoi l’État livre nos terres à cette entreprise sans nous consulter, en silence. Nous ne sommes pas des citoyens de second ordre : nous sommes péruviens, des citoyens avec d’autres coutumes, une culture différente. Nous avons toujours demandé que l’on nous donne nos titres, que l’on délimite nos terres. Par contre, en raison de son pouvoir économique, on s’occupe de cette entreprise qui ne réside même pas dans le pays. »
La Coordination pour le développement et la défense des peuples indigènes de la Région San Martín – CODEPISAM – s’est jointe à la réclamation et entre autres choses a dit que : « Pour le peuple indigène, il ne s’agit pas là d’un problème judiciaire : l’autorité régionale et nationale a le devoir de veiller au respect des droits des peuples indigènes, de leurs territoires, de leurs ressources naturelles » [5].
Mais l’offensive pour dépouiller les communautés du Pérou de leurs territoires et de leurs forêts est plus vaste, et se matérialise aussi dans le Projet 4141 – ou Loi sur la Forêt et la Faune sauvage. Récemment, des dizaines d’organisations indigènes et agricoles du pays ont repoussé la Loi sur la Forêt qui porte atteinte à leurs droits et encourage l’invasion massive de plantations agroindustrielles. [6] Les peuples indigènes du Pérou restent fermes et attentifs et ont annoncé : « Finies les tromperies ! »
[1] Pueblos indígenas del Perú, Oswaldo Salaverry et al,http://www.ins.gob.pe/insvirtual/images/artrevista/pdf/rpmesp2010.v27.n2.a22.pdf.
[2] Pueblos de la Amazonía, Instituto del Bien Común,http://www.ibcperu.org/presentacion/pueblos-amazonia.php.
[3] “Pueblo shawi teme perder territorios ancestrales por litigio entre terceros”,http://lamula.pe/2011/05/05/pueblo-shawi-teme-perder-territorios-ancestrales-por-litigio-entre-terceros/Servindi.
[4] Voir le bulletin nº 142 du WRM. N. du T. : le mot « baguazo » désigne les affrontements qui ont eu lieu en 2009 dans la localité de Bagua.
[5] Communiqué de la Coordinadora de Desarrollo de los Pueblos Indígenas de la Región San Martín – CODEPISAM, http://www.aidesep.org.pe/index.php?codnota=2008.
[6] Perú: Indígenas y agricultores rechazan proyecto de ley forestal, Servindi,http://servindi.org/actualidad/45043