Cela fait plus de 20 ans que les plantations d'arbres en régime de monoculture avancent en Colombie, au profit des sociétés transnationales, que les politiques officielles ne cessent de favoriser. Pour analyser cette expansion qui accapare des territoires, viole des droits et déplace des communautés, l'organisation CENSAT-Amis de la Terre Colombie a organisé à Bogotá, dans le cadre du Jour international contre la monoculture d'arbres (21 septembre), le forum « Plantations forestières en Colombie. Un regard critique ».
Dans les conclusions du forum [1] sont mentionnées quelques-unes des « aides » accordées à ces plantations et, en particulier, la loi nº 1377, qui réglemente le reboisement commercial et qui introduit le concept de « vuelo forestal » ou droit de surface forestière. Cette figure juridique, qui s'applique spécifiquement au secteur des plantations commerciales, distingue les droits sur la terre des droits sur le couvert forestier, c'est-à-dire les arbres. Elle donne aux entreprises la possibilité de ne pas avoir à planter des arbres dans leurs propres terres pour obtenir des prêts, pour négocier le bois dans le marché financier ou pour comptabiliser ces arbres dans leurs actifs et leurs patrimoines. Ainsi, elles peuvent absorber la production des terres des petits ou moyens propriétaires.
Les plantations forestières ont été favorisées aussi par le décret nº 125 de janvier 2011, pris par le gouvernement à la suite de ce qu'il a appelé « état d'urgence économique, sociale et écologique dû à une grave calamité publique », par référence aux pluies et aux crues qui, d'après les chiffres officiels, avaient affecté 2 220 482 personnes. L'objectif était de « mettre en œuvre des projets de reboisement commercial dans les zones touchées par le phénomène de La Niña en 2010-2011, pour réhabiliter l'usage des sols aptes au reboisement, y compris les bassins des fleuves et les zones connectées avec eux ».
Ainsi, les inondations qui ont endommagé 925 000 hectares affectées à l'agriculture, à la production de lait et à l'élevage, sont devenues la justification idéale pour financer la monoculture, comme l'a dit Diego Rodríguez Panqueya dans sa présentation « Projection des plantations forestières en Colombie » qui figure dans le compte rendu du forum. Dans cette étude, Diego Rodríguez précise que « le modèle de développement avec un taux de déboisement élevé est la cause principale des impacts de la crise climatique dans laquelle se trouve le pays et, dans ce sens, les plantations forestières sont directement liées à l'état d'urgence, non parce qu'elles restaurent les forêts naturelles détruites et la stabilité des sols sur les pentes et dans les bassins hydrographiques, mais parce qu'elles sont une des causes de la déforestation, de la diminution de la diversité biologique, et de la perte de la fertilité et des propriétés du sol ».
Les plantations forestières ont accéléré l'érosion des pentes et elles font un usage intensif de produits chimiques toxiques. Dans certains cas, elles ont perturbé de façon irréversible le fonctionnement des écosystèmes et des communautés rurales. Malgré cela, le gouvernement a proposé comme objectif que le reboisement atteigne 280 000 hectares d'ici à 2014, date à laquelle il y aurait en Colombie plus d'un million d'hectares de plantations industrielles d'arbres.
Les mouvements sociaux ont réagi contre les grands projets et contre l'agro-industrie en organisant, le 29 septembre dernier dans la ville de Cali, le congrès Terres, territoires et souveraineté (CTTS) [2], auquel ont assisté 15 000 délégués, hommes et femmes, des organisations de paysans et de travailleurs de la campagne et des villes, des peuples indigènes et des descendants d'Africains.
La rencontre a abouti à la formulation d'une série de mandats. L'un d'eux consiste à « accélérer la libération de la Terre-Mère et la mise en œuvre participative de la réforme agraire. Nous ne permettrons pas que les latifundiums du trafic de drogues et du paramilitarisme, qui doivent être démantelés, soient remplacés par le latifundium des conglomérats agro-industriels. Bien au contraire, ces terres qu'on a volées au cours des siècles aux indigènes, aux paysans et aux descendants d'Africains doivent être restituées à nos communautés. Nous occuperons de façon pacifique ce qui nous appartient de droit depuis toujours ».
Ce mandat est complété par cet autre : « construire une économie des peuples propre et articulée, non subordonnée au marché mondial, qui garantisse la souveraineté et l'autonomie alimentaires et les savoirs relatifs aux semences, aux plantes et aux aliments. Nous allons renforcer les méthodes de production, de transformation, d'échange et de consommation qui soient appropriées à notre culture, socialement justes et en harmonie avec la vie, sans utiliser ni autoriser l'utilisation de produits agricoles toxiques ou d'organismes transgéniques ; nous empêcherons la production d'agrocombustibles, la monoculture d'arbres et celle d'autres espèces, qui mettent en danger notre souveraineté territoriale et alimentaire ».
Les peuples se sont prononcés : « Nous en avons assez. Nous en avons assez d'être consultés alors que ce sont d'autres qui décident. Nous voulons gouverner. Nous allons gouverner nos territoires ! »
Article fondé sur des informations tirées de : [1] Memorias del Foro
“Plantaciones forestales en Colombia. Una mirada crítica”, 21 septembre 2011, Bogotá, Colombie, http://www.nasaacin.org/attachments/article/2807/monocultivos.pdf ; [2] Declaración Final del Congreso Nacional de Tierras, Territorios y Soberanías, 4 octobre 2011, http://tinyurl.com/3b7664q .