Le projet REDD de Maï N’dombe, en République démocratique du Congo, figure régulièrement dans le matériel publicitaire sur REDD+. Conçu par une société canadienne et dirigé maintenant par l’entreprise californienne Wildlife Works, ce projet commercialise des crédits de carbone en affirmant que, sans lui, les forêts de la zone concernée auraient été décimées par l’exploitation industrielle. Les avantages pour les communautés locales sont la pierre angulaire du matériel publicitaire du projet. Les communautés possèdent une bonne partie des terres de la région en application du régime foncier coutumier. Certains se demandent si les communautés de la région perçoivent le projet REDD comme aussi bénéfique qu’on le dépeint dans le matériel de marketing.
Le projet REDD de Maï N’dombe, en République démocratique du Congo, figure régulièrement dans le matériel publicitaire sur REDD+. Parfois dénommé ‘Projet Forêt Tropicale du Bassin du Congo’, il comprend près de 300 000 hectares de terres boisées situées à plusieurs centaines de kilomètres au nord-est de Kinshasa, la capitale du pays. Le projet fut lancé par la société canadienneEcosystem Restoration Associates Inc. (ERA, intégrée depuis à Offsetters Climate Solutions, qui, en 2015, devint NatureBank Asset Management Inc.). En 2011, ERA obtint du gouvernement de la RDC une concession de conservation forestière. Deux années plus tard, ERA vendit ERA-Congo, la société créée pour gérer le projet REDD en RDC, à une société californienne dénommée Wildlife Works Carbon (WWC), qui dirige aussi le projet REDD+ du Couloir de Kasigau au Kenya (voir plus d'informations). Le projet REDD de la WWC à Maï N’dombe ne doit pas être confondu avec la proposition du gouvernement congolais de transformer toute la province de Maï N’dombe récemment créée (une superficie de 12,3 millions d’hectares habitée par environ 1,8 millions de personnes) en une initiative pilote REDD juridictionnelle, dans le cadre du Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale. (1)
L’objectif commercial du projet REDD de Maï N’dombe de la WWC est de vendre des crédits de carbone. Ces crédits sont générés grâce à des rapports qui montrent que les activités du projet évitent le déboisement. Les rapports sont ensuite vérifiés par des sociétés d’audit payées par le projet REDD (voir 10 alertes sur REDD à l’intention des communautés, disponible aussi en lingala et en swahili).
En 2011, ERA déclara que « la partie du projet concernant l’amélioration de la gestion forestière [allait] faire cesser l’exploitation forestière commerciale ». (2) En décembre 2012, l’entreprise d’audit accepta que, sans l’intervention d’ERA, la relance de deux concessions d’exploitation forestière annulées en 2008 aurait été imminente. Cependant, le moratoire déclaré par le gouvernement de la RDC sur l’octroi de nouveaux permis d’exploitation, qui date de 2004, était toujours en vigueur en 2011. Cela porte à se demander comment ERA a pu déclarer que son intervention avait évité l’émission de nouveaux permis de coupe dans la zone du projet. La WWC mentionne des lettres échangées avec des ministres comme preuve que les deux concessions d’exploitation transformées en concession de conservation pour le projet REDD+ avaient été relancées. Or, aucun nouveau permis d’exploitation forestière n’a été délivré dans le pays depuis 2011 ; le faire aurait représenté une violation d’un décret présidentiel. Donc, la plupart des crédits de carbone sont fondés sur l’affirmation que la relance des concessions et des activités d’exploitation forestière commerciale était imminente en 2011.
D’après les calculs du projet, les émissions évitées par le projet REDD de Maï N’dombe seraient de 1,5 à 3 millions de tonnes de CO2 par an pendant une période de 30 ans, mais cette supposition est également discutable. Un brouillon rédigé en décembre 2015 par le gouvernement de la RDC à l’intention du Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale, intitulé « Document sur le programme de réduction des émissions », confirme que, sur les onze concessions d’exploitation industrielle de la province de Maï N’dombe, deux seulement sont opérationnelles à l’heure actuelle. En outre, les chiffres officiels du gouvernement ne font état d’aucune production de bois entre 2002 et 2006 pour les deux concessions d’exploitation qui constituent maintenant la concession de conservation forestière de la WWC. Malgré cette situation, la DNV certifia que le projet respectait les normes VCS (Verified Carbon Standard) et CCBA (Climate, Community and Biodiversity Alliance). La DNV confirma aussi qu’entre mars 2011 et octobre 2012 le projet REDD de Maï N’dombe avait évité l’émission de 2 548 715 tonnes de CO2. Les crédits de carbone pouvaient donc être vendus avec les labels CCBA et VCS.
Le projet ne se limita pas à obtenir l’approbation de l’évaluation de la norme CCBA : il obtint le niveau « Or», qui certifie qu’il apporte des bénéfices plus importants que requis en matière de biodiversité et d’adaptation au climat. Un avantage supplémentaire sans doute, quand il s’agit de vendre 2,5 millions de crédits de carbone. En effet, beaucoup d’acheteurs de crédits de compensation connaissent les risques pour leur réputation que comportent les crédits REDD+ quand des conflits surgissent entre les promoteurs du projet et les communautés. Les entreprises intéressées voient la certification comme une garantie de qualité... un faux espoir, quand on sait que beaucoup de projets REDD+ certifiés ont causé ou aggravé des conflits. (3)
Une fois la certification VCS et CCBA obtenue, les propriétaires du projet annoncèrent la première vente de crédits de carbone, en janvier 2013. Une entreprise allemande, le Groupe Carbone Forestier, acheta 300 000 crédits, avec l’option d’en acquérir davantage. Le Groupe Carbone Forestier offre à son tour les crédits REDD à des entreprises et des particuliers qui souhaitent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Au départ, ses principaux clients étaient des entreprises énergétiques régionales d’Allemagne, qui utilisaient les crédits pour proposer à leurs usagers du « gaz naturel neutre en carbone ». (4) Ce projet figure encore sur le site web du Groupe Carbone Forestier, ce qui porte à croire que tous les crédits achetés en 2013 n’ont pas encore été vendus. On ne sait pas combien a rapporté à ce jour la vente de crédits de carbone du projet REDD de Maï N’dombe ; on ne sait pas non plus combien d’argent ont reçu les communautés de la zone. Cependant, un rapport de 2015 de l’organisation IIED signale que, d’après l’information fournie par le propriétaire du projet, les frais de fonctionnement s’élèvent à 2,5 millions de dollars par an. (5)
Depuis 2015, le projet REDD de Maï N’dombe propose aussi des crédits de carbone directement à des particuliers, au moyen de Stand for Trees, une initiative soutenue par l’agence de développement états-unienne USAID. Cette initiative vise à accroître les ventes de crédits de carbone forestier quand les achats des entreprises n’ont pas répondu aux attentes. En décembre 2015, le projet essaya aussi d’obtenir des fonds grâce à une plateforme de dons en ligne ; il reçut 4 720 USD au lieu des 50 000 USD escomptés. (6) Il paraît que les crédits de carbone en vente à l’heure actuelle font encore partie de ceux qui avaient été générés après l’audit de vérification de la DNV effectué en décembre 2012.
Les bénéfices pour les communautés locales sont la pierre angulaire du matériel publicitaire du projet REDD de Maï N’dombe. « La population forestière de 50 000 habitants a reçu des bénéfices directs du projet », dit la première phrase de la description des « Effets du Projet » qui figure sur le site web de Wildlife Works. (7) Sur les 11 diapositives que comporte la présentation du projet, six portent sur les avantages pour la communauté, et le communiqué de presse publié par ERA et la WWC pour annoncer l’obtention de la certification VCS et CCBA en 2012 affirme que « les communautés locales recevront des bénéfices directs du projet : des emplois, des écoles, des hôpitaux, l’augmentation de la sécurité alimentaire grâce à des techniques meilleures et au redéveloppement d’espèces robustes de poissons indigènes, la formation des ONG et des organisations de base communautaire locales, le tout financé grâce à un partage transparent et équitable des revenus du carbone ». (8) Cependant, les documents rédigés à l’intention des entreprises d’audit décrivent l’utilisation des forêts que font les communautés locales comme la plus forte menace qui plane encore sur la forêt. En 2011, ERA écrivait que « la diminution de la coupe clandestine et du défrichage non durable pour l’agriculture et le bois de chauffe feront l’objet de la partie REDD+ du projet ». (9) Or, l’analyse des données sur le couvert forestier obtenues en utilisant le système Global Forest Watch montrerait que le déboisement dans le projet REDD augmenta en 2011. On ignore si cette augmentation est due au fait que les gens se soient dépêchés de défricher des sols pour des cultures vivrières en prévision de restrictions imminentes, ou à la coupe illégale dans la concession de conservation. Beaucoup de projets REDD+ commencent par établir des restrictions sur l’utilisation des forêts, avant que des options de rechange pour les paysans qui dépendent de la forêt pour nourrir leurs familles soient mises en place au niveau des villages. D’après l’information obtenue par le WRM en 2014 lors de sa visite de la zone, tel serait le cas pour le projet REDD de Maï N’dombe.
En Novembre 2014, WRM a visité la région où se trouve le projet REDD Mai Ndombe à l'invitation de l'organisation nationale des paysannes, la Confédération paysanne du Congo, COPACO-PRP, un membre de La Via Campesina. Pendant les activités conjointes de WRM et COPACO-PRP dans la région nous sommes passés par les villages le long d'une route qui traverse le milieu de la concession du projet REDD +. Pourtant, il ne fut pas possible d’interviewer les habitants de certains villages, à cause des fortes tensions entre les communautés de cette partie de la concession et le projet REDD+, et de l’hostilité manifestée par le personnel et les défenseurs du projet à l’égard du WRM avant, pendant et après un atelier sur le changement climatique et REDD+, qui eut lieu dans la ville d’Inongo où se trouve aussi le bureau du projet de Wildlife Works. Néanmoins, il se dégage des conversations à Inongo et dans la ville de Nioki, située au sud de la concession de conservation, que les bénéfices annoncés dans le matériel publicitaire du projet REDD de Maï N’dombe ne seraient pas évidents pour tous les membres des communautés. Il semble probable que l’opposition au projet reste forte dans beaucoup de villages, en particulier dans ceux de la partie intérieure occidentale de la concession. Par coïncidence, dans un de ses rapports d’audit, la DNV signale qu’elle ne visita pas cette partie de la concession de conservation lors de son évaluation, par manque de temps. Rien n’indique non plus que la DNV ait cherché à se renseigner auprès des organisations locales sur la perception du projet dans la zone non visitée.
Des droits adaptés aux besoins de REDD+, et non l’inverse
De nombreux ateliers ont été organisés et beaucoup de documents ont été écrits au sujet du consentement libre, informé et préalable (CLIP) (CLIP) dans le cas de REDD+. Néanmoins, la plupart d’entre eux passent à côté de l’essentiel. Ils oublient de se demander si REDD+, en tant que système pour vendre des crédits de carbone qui justifient la destruction ailleurs, pourrait jamais bénéficier du consentement libre, informé et préalable de tous ceux dont le mode de vie est considérablement atteint par l’activité du projet : à ceux qui subissent la destruction permanente des territoires dont ils dépendent parce qu’une entreprise achète un crédit de carbone à un projet REDD+ situé ailleurs, on ne leur demande jamais s’ils sont d’accord, par exemple, avec la compensation d’émissions.
Ni l’ERA ni la WWC n’achetèrent la terre qui génère leurs crédits de carbone. L’ERA persuada le gouvernement de la RDC de transformer en concession de conservation forestière des terres qui avaient fait partie de deux concessions d’exploitation forestière industrielle. Ces concessions d’exploitation avaient été annulées, comme la plupart des concessions de ce genre de la RDC, dans le cadre d’un processus de la Commission interministérielle établie en 2008 par la Banque mondiale pour analyser la légalité ou l’illégalité des quelque 150 opérations d’exploitation industrielle des forêts du pays. (10) S’agissant d’une concession, le projet REDD de Maï N’dombe met en lumière un autre problème que comporte le débat sur le CLIP : l’écart qui existe habituellement entre l’application du CLIP aux initiatives REDD+ et la manière dont cette application est décrite dans le matériel de marketing de ces initiatives.
À notre connaissance, les communautés de la zone du projet REDD ne participèrent pas aux négociations concernant l’octroi à l’ERA de la concession de conservation forestière. Rien n’indique non plus que l’ERA ait consulté les communautés de la zone pour connaître leur avis avant de chercher à négocier avec le gouvernement. L’ERA semble n’avoir contacté les communautés qu’après avoir signé avec le gouvernement l’accord sur les droits au carbone et les contrats de concession, en mars et août 2011 respectivement, et après avoir annoncé son intention de demander la certification de la norme CCBA. Ainsi, quand l’ERA se présenta dans les villages, la décision principale – la création d’une concession de conservation forestière qui allait restreindre l’utilisation de la forêt dont dépend la subsistance d’une bonne partie de la population locale – avait déjà été prise. Bien entendu, cela ne figure pas de façon explicite dans le matériel publicitaire qui souligne les avantages sociaux du projet et la participation des communautés à ses activités.
À la place, le document descriptif du projet REDD de Maï N’dombe fournit des renseignements ambigus. À la page 70, on lit que les représentants des communautés avaient donné leur avis sur la mise en œuvre du projet REDD (« Conformément aux conditions du processus contractuel de la concession, les autorités de la zone du projet ont donné leur consentement à la mise en œuvre du projet REDD+ »). Quelques pages plus loin, le document précise que, en fait, on n’a donné aux communautés que la possibilité de participer ou non au projet : « Les parties prenantes ont la possibilité d’influer sur la conception du projet, de manifester leurs griefs et de donner ou refuser leur consentement préalable, libre et informé à leur participation aux activités du projet ». (11)
Cette formulation soulève plus de questions que de réponses. Par exemple, que se passe-t-il si la communauté choisit de ne pas « participer » au projet et continue d’utiliser la forêt comme auparavant ? Cette partie de la forêt qui appartient à la concession, mais qui peut être aussi une zone d’exploitation coutumière, est-elle retirée de l’inventaire du carbone ? Les communautés peuvent-elles continuer à utiliser la forêt comme avant ? A-t-on donné cette option aux communautés pendant le processus de consultation ? Si cette option ne leur a pas été offerte, quelles en sont les raisons ? (12)
Ces questions s’avèrent très importantes quand on considère qu’une bonne partie des terres de la région appartiennent aux communautés en vertu du droit foncier coutumier. Les communautés peuvent donc ne pas reconnaître les limites d’une concession si celle-ci se superpose à leurs terres coutumières. L’ONG britannique Forest Peoples Programme estime qu’au moins un tiers, ou même la moitié de la concession de conservation de la WWC empiète sur le territoire coutumier des communautés locales. Le programme de cartographie pour la défense des droits de la Rainforest Foundation UK a même documenté les droits fonciers coutumiers dans les zones limitrophes et à l’intérieur du bord occidental du projet REDD de Maï N’dombe. (13) Et il y a des signes de conflits concernant les accords signés avec le projet REDD, apparemment sans le plein consentement des villages, (soi-disant) représentés par leurs chefs coutumiers. Dans « Redeeming REDD », Michael Brown signale que, « en octobre 2012, des conflits dans le secteur Basengele de la concession de conservation ont été divulgués par e-mail [...]. Le chef coutumier de Bongo aurait reçu des coups de feu et sa maison aurait été brûlée, pour avoir signé la cession de terres coutumières à des étrangers sans le plein consentement de la communauté ». (14) L’incident fut mentionné aussi au personnel du WRM lors de sa visite de la région en novembre 2014. Les gens expliquèrent que cette personne avait été l’un des trois chefs coutumiers (« chefs de groupement ») qui avaient signé des accords avec le projet REDD, et que la signature de ces accords par trois « chefs de groupement » en représentation des clans, et non par des « chefs de terre » en représentation des villages, était citée par le projet REDD comme preuve du consentement de la communauté. L’incident que nous venons de mentionner a eu lieu dans le cadre de la partie de la concession que le WRM avait trouvée hostile pendant sa visite de 2014. Dans une présentation de septembre 2015 sur les modalités éventuelles de partage des bénéfices au cas où serait acceptée la proposition gouvernementale d’un projet pilote REDD juridictionnel dépendant du Fonds de partenariat pour le carbone forestier de la Banque mondiale, il est signalé que « certaines communautés [...] (Basengele) non riveraines du lac et dépendant pour leur survie de la forêt restent méfiantes ».
Les rapports d’audit de la DNV pour la certification CCBA ne mentionnent pas ces informations, bien que les normes CCB contiennent une définition assez longue du FPIC. La DNV décida que le projet de Maï N’dombe était conforme aux conditions requises. La norme CCB définit « préalable » comme « suffisamment à l’avance de toute autorisation ou démarrage d’activités ». Les communautés eurent-elles « l’option de refuser leur consentement » avant que soit prise la principale décision (l’octroi de la concession de conservation) qui autorise la réalisation du projet REDD ? Si tel ne fut pas le cas, par exemple parce que la législation congolaise ne prévoit pas cette possibilité, n’aurait-il pas fallu le dire clairement, en expliquant sur quelles décisions le consentement serait demandé, et dans quels cas il ne le serait pas ?
La définition de « en connaissance de cause » dit, entre autres choses, que les communautés auxquelles on demande le consentement doivent recevoir « une évaluation préliminaire des impacts potentiels économiques, sociaux, culturels et environnementaux, y compris les risques possibles et le partage juste et équitable des bénéfices dans un contexte qui respecte le principe de précaution ». On pourrait supposer que cette information inclurait les documents légaux et les contrats, d’autant plus qu’un décret du Premier ministre (de mai 2011) exigeait déjà que ces documents soient rendus publics. Tel serait le cas, par exemple, des documents officiels portant création de la concession de conservation forestière de Maï N’dombe. Des particuliers et des représentants des autorités de l’État interviewés par le personnel du WRM pendant la visite de novembre 2014 ne connaissaient pas ces documents. Ils signalèrent aussi que le ‘Cahier des charges’, qui décrit les obligations du concessionnaire à l’égard des communautés, était disponible « en théorie » mais non dans la pratique. Une recherche exhaustive en ligne après la visite de 2014 ne donna aucune indication que ces documents aient été publiés ou mis à la disposition des communautés de la zone du projet REDD.
Encore un projet REDD+ qui promet beaucoup mais ne donne pas grand-chose ?
La construction de dix-neuf écoles pendant les trente années de vie du projet est un des bénéfices tant vantés que recevraient les communautés. Mi-2015, soit cinq ans après le début du projet, deux écoles avaient été construites et deux autres étaient prévues. Les deux écoles avaient été construites dans des villages proches du lac ; le choix de cet emplacement favorisait les communautés riveraines mais non celles de l’intérieur. Cette décision risquait d’exacerber les tensions entre les communautés. Au cours des entretiens de novembre 2014, les habitants d’Inongo mentionnèrent qu’un bateau qui avait été utilisé pour transporter les dignitaires à Lukongo, à une trentaine de kilomètres d’Inongo, pour l’inauguration de la première école, avait pris feu peu après le retour du groupe.
Le projet REDD promit aussi de faire connaître aux villageois des méthodes agricoles plus productives et des cultures de grande valeur comme les légumes et les haricots, et de les aider à trouver des marchés pour ces produits. Quand le WRM se rendit dans la zone en 2014, un seul jardin de démonstration était en route, dans le village de Kesengele riverain du lac. Ceci a été confirmé par un rapport du Forest Peoples Programme publié fin 2013. (15)
Au cours des discussions, les gens mirent également en question la viabilité des activités proposées. Ils parlèrent des difficultés rencontrées lors d’essais préalables et ils dirent que les sols appropriés à la culture des haricots n’existaient que dans une petite partie de la concession de conservation. Quand on demanda leur avis sur la proposition de transporter des haricots et des oignons aux marchés de Kinshasa, en particulier au vu de l’état des routes (ou plutôt de leur quasi-inexistence), leur réponse fut pleine de consternation : « En ce moment, nous transportons les oignons du Bas Congo à Inongo, pourquoi ne pas travailler sur de meilleurs marchés locaux ? » « La distance est si longue pour transporter quoi que ce soit à Kinshasa, et les routes sont si mauvaises, que les légumes produits par le projet REDD ne pourraient pas rivaliser avec les haricots ou les oignons du Bas Congo. Il est beaucoup plus facile et plus court d’aller à Kinshasa de là que d’ici ».
Et, bien entendu, le projet promet de créer « des emplois locaux directs ». On ne sait pas au juste combien d’emplois a créé le projet REDD de Maï N’dombe. Les documents sur le projet donnent des informations contradictoires. Le site web deStand for Trees affirme que le projet « emploie directement plus de 170 habitants », mais la diapositive 11 de la description du projet qui figure sur le site web de la WWC dit que les emplois fournis sont seulement 60. Et bien sûr, les chiffres ne disent rien sur les conditions de travail. Ils ne disent pas non plus s’il s’agit d’emplois stables ou de contrats à court terme.
Une « Révolution de conservation» dans la forêt tropicale du bassin du Congo ?
Dans une annonce de marketing, le projet REDD de Maï N’dombe est présenté comme « Révolution de conservation dans la forêt tropicale du bassin du Congo ». (6) Quand on considère les impressions du personnel du WRM lors de leur visite de novembre 2014 et l’information recueillie depuis, cette « révolution » est difficile à imaginer. Du point de vue de l’impact du projet sur les droits des communautés et sur la justice, ce qu’on perçoit c’est plutôt un autre projet REDD+ où les histoires qu’on présente dans des brochures de luxe, dans les foires commerciales internationales et dans les conférences de l’ONU sont très différentes des réalités. Chose intéressante, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des projets REDD+ que nous avons visités au fil des années, pendant les plus de sept heures qu’a duré le voyage sur la route qui traverse la concession nous avons vu un seul panneau annonçant le projet REDD de Maï N’dombe. Peut-être ces panneaux sont-ils plus nombreux sur le bord du lac, où semblent avoir lieu la plupart des activités du projet relatives à la communauté ?
En somme, le projet REDD de Maï N’dombe est un candidat de taille pour la galerie de conflits, de contradictions et de mensonges que comporte REDD+.
Jutta Kill, jutta@wrm.org.uy
Secrétariat international du WRM
http://www.fern.org/fr/publications/reports/mettre-en-oeuvre-dans%E2
%80%99empressement-pour-le-regretter-longtemps.
(2) DNV (2012): CCB Verification Report/ Verification Statement. ERA and WILDLIFE WORKS’ Maï Ndombe REDD Project in the Democratic Republic of Congo. Verification Period: 14 March 2011 to 31 Octobre, 2012. REPORT NO. 2012-9749, 6 Décembre 2012. DNV Climate Change Services AS (DNV).www.vcsprojectdatabase.org/services
/publicViewServices/downloadDocumentById/11067
Base de données VCS avec information sur l’octroi de crédit :http://www.vcsprojectdatabase.org/#/vcus/p_934
(3) Pour davantage d’information voir le rapport du WRM: REDD: A collection of conflicts, contradictions and lies, et les articles périodiques sur les conflits associés aux projets REDD+ sur le site web du REDD-Monitor, http://www.redd-monitor.org.
(4) Certificate "climate neutral natural gas", issued by TÜV Rheinland to regional energy provider Aschaffenburger VersorgungsGmbH.http://www.stwab.de/Energie-Wasser
/Oekogas/Rechte-Seite/TUEV-Zertifikat-Klimaneutrales-Erdgas-2014.pdf
(5) Nhantumbo, I. et Camargo, M. (2015): REDD+ for profit or for good? Natural Resource Issues, No. 30. IIED, Londres.
(6) "Conservation Revolution in the Congo Basin Rainforest!"https://www.indiegogo.com
/projects/conservation-revolution-to-save-congo-rainforest#/story.
(7) Site web de Wildlife Works, Maï Ndombe REDD+ Project, DRC.http://www.wildlifeworks.com/shopcarbon/ , consulté le 08/01/2016.
(8) ERA Carbon Offsets Ltd. and Wildlife Works Carbon LLC Deliver First REDD+ Project in Democratic Republic of Congo. 19 décembre 2012.
(9) IRW-Press (2011): ERA Announces Signing of a 17.5 Million Tonne Carbon Offset Agreement With the Democratic Republic of Congo. 04.04.2011
(10) REDD-Monitor (2011): Ecosystem Restoration Associates project in DR Congo: plenty of REDD-hot air? http://www.redd-monitor.org/2011/08/24/ecosystem-
restoration-associates-project-in-dr-congo-plenty-of-redd-hot-air/.
(11) ERA and Wildlife Works (2012). Maï Ndombe REDD+. A joint project of ERA and Wildlife Works. Project Design Document, Validated to the Climate, Community, and Biodiversity Standards (2nd ed). 31 octobre 2012. Page 72.https://s3.amazonaws.com/
CCBA/Projects/Maï_Ndombe_REDD_Project/Maï+Ndombe+Final+CCB+PDD.pdfConsulté le 5 janvier 2016.
(12) Les documents du projet disent qu’une zone tampon de 2,5 km de rayon autour des villages n’est pas comprise dans les inventaires de carbone, et que cette zone est disponible pour la production d’aliments. Ces documents ne disent pas si la zone en question correspond à la distribution des zones d’exploitation traditionnelle qui s’étendent souvent bien plus loin que jusqu’à 2,5 km du village ; d’ailleurs, le rapport du projet d’octobre 2012 signale en page 71 que « les gens marchent en moyenne entre 5 et 10 km pour se rendre aux parcelles agricoles ».
(13) Rainforest Foundation UK (2015): Mapping For Rights 2.3: Maï Ndombe REDD+ programme. http://blog.mappingforrights.org/?p=1095.
(14) Michael I. Brown (2013): Redeeming REDD: Policies, Incentives and Social Feasibility for Avoided Deforestation. Earthscan. Page 141.
(15) Forest Peoples Programme (2013): Impacts of German private sector involvement for Indigenous Peoples and Local Communities in the Maï-Ndombe REDD+ Project in the Democratic Republic of Congo. Page 16. http://www.forestpeoples.org/sites/fpp/files
/publication/2014/04/mai-ndombe-infoefpp-case-studyfinal05022014-3.pdf