Des siècles durant, les peuples des forêts et ceux qui en étaient tributaires ont été capables de s’adonner à l’agriculture et à l’élevage d’une manière compatible avec la conservation de l’écosystème forestier. L’agriculture sur brûlis, que les experts occidentaux ont plus tard méprisée, était en fait une méthode qui, tout en permettant la subsistance des communautés qui la pratiquaient, n’avait que des conséquences mineures et réversibles pour les forêts. Dans la langue d’aujourd’hui, cette méthode serait appelée « durable ».
Bulletin Numéro 85 – Août 2004
Le rôle de l’agriculture et de l’élevage dans la déforestation
LE THÈME CENTRAL DE CE BULLETIN: LE RÔLE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ÉLEVAGE DANS LA DÉFORESTATION
L’agriculture et l’élevage à grande échelle ont de lourdes conséquences pour les forêts du monde et pour leurs habitants, en particulier dans les régions tropicales et subtropicales. Pourtant, l’expansion continuelle de ces activités reçoit beaucoup moins d’attention que par le passé. C’est la raison pour laquelle nous leur avons consacré le présent numéro du bulletin : en mettant en lumière les divers problèmes et acteurs impliqués, nous espérons contribuer à créer les conditions nécessaires au changement.Bulletin WRM
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Août 2004
NOTRE OPINION
VUE D’ENSEMBLE DU PROBLÈME
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28 août 2004Les forêts tropicales ont été habitées, pendant des milliers d’années, par des communautés qui en ont tiré leur subsistance de diverses manières, y compris par l’agriculture. La méthode de production agricole utilisée prenait en compte les interactions des cultures et n’impliquait pas la destruction des forêts mais leur coexistence. Ces populations concentraient dans certaines zones les espèces destinées à la consommation humaine, dans un cadre de diversité et sans porter atteinte aux fondements biologiques de la forêt. Certaines études indiquent qu’environ 12% de la forêt amazonienne sont « le résultat d’un aménagement prolongé pratiqué par des populations préhistoriques ».
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28 août 2004En 1944, la Fondation Rockefeller finança l’introduction d’une série de technologies dans la production agricole du Mexique ; c’était le début du modèle de production agricole appelé « Révolution verte », centré sur l’utilisation de « variétés de haut rendement » cultivées sous la forme de monocultures, accompagnées d’un paquet technologique qui incluait la mécanisation, l’irrigation, les engrais chimiques et l’utilisation de pesticides. Au cours des années 60 et 70, la FAO diffusa ces technologies dans le monde entier en annonçant que la science de la Révolution verte était une recette miraculeuse, destinée à assurer la prospérité, à éliminer la faim et à garantir la paix.
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28 août 2004À partir du XVe siècle, les progrès de la technologie permirent à l’Europe de dessiner la carte du monde par l’invasion du continent américain, l’anéantissement de la quasi-totalité de la population autochtone et la prise du pouvoir économique et politique sans restriction aucune. L’économie de l’Amérique fut restructurée et orientée en fonction des exigences de l’Europe. L’agriculture diversifiée fut remplacée par de vastes plantations qui produisaient du sucre, du coton et du tabac pour le marché européen, suivant un système de monoculture qui était souvent nuisible pour le sol après des usages répétés, et qui rendait les pays vulnérables à l’invasion de maladies qui ravageaient des récoltes entières. La biodiversité locale disparut ou fut dégradée, et les forêts abattues.
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28 août 2004L’agriculture et l’élevage sont des causes directes de déforestation, mais il faut regarder en profondeur pour savoir comment ces activités surgissent, ce qui les favorise et qui en profite. On pourrait dire qu’il s’agit d’un processus en entonnoir. À la périphérie se trouve la partie la plus visible : la disparition des forêts qu’elles provoquent. En descendant, on retrouve une série de politiques et de programmes qui favorisent ces activités, les acteurs qui les appliquent et en profitent et ceux qui, tout en contribuant à la déforestation, ne sont pas les bénéficiaires de ces politiques mais ses victimes.
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28 août 2004Le déboisement des forêts tropicales s’est produit au rythme de 10 à 16 millions d’hectares par an durant les deux dernières décennies, et rien n’indique qu’il aille ralentir. Seize pour cent de l’ensemble de la forêt amazonienne sont déjà disparus et, chaque jour, 7 000 hectares supplémentaires se perdent, soit une surface de 10 km sur 7 km. Les causes de cette situation sont complexes et souvent liées entre elles ; l’agriculture commerciale à grande échelle en est une.
LA DESTRUCTION DES FORÊTS FOR EXPORT
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28 août 2004Comme la plupart des pays du Sud, la Côte-d’Ivoire a hérité de la période coloniale son rôle d’exportateur de produits agricoles tropicaux. À part l’ivoire qui lui donne son nom, le pays avait peu de chose à offrir avant la colonisation, si on le compare à son voisin de l’Est, le Ghana, où il y avait de l’or. Donc, lorsque les Français arrivèrent dans la région vers 1880 ils trouvèrent que le plus simple était d’utiliser pour la production agricole ces vastes terres fertiles couvertes de forêts tropicales.
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28 août 2004Ce qui reste des forêts du Ghana est, tout au plus, un quart de celles qu’il y avait à l’époque précoloniale. Les exploitants forestiers et les politiciens ont provoqué la plupart de cette déforestation, bien qu’ils essayent d’en accuser les agriculteurs. Mais le fait est que, tout le long du vingtième siècle, les agriculteurs ont eu très peu de contrôle sur les arbres de leur pays. Les colonisateurs britanniques donnèrent les droits sur les arbres aux chefs, qui ne tardèrent pas à les vendre aux bûcherons, ou bien ordonnèrent de les abattre pour les remplacer par des plantations de cacao. Après l’indépendance, le gouvernement réclama la propriété de tous les arbres et de toutes les terres et en vendit la plupart aux exploitants de bois.
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28 août 2004Le Sénégal fut ouvert au marché européen à partir de 1444, lorsque les Portugais y établirent des comptoirs commerciaux le long des rives du fleuve Sénégal : Gorée (qui devint plus tard un poste important du commerce d’esclaves), Rufisque, et d’autres vers le Sud.
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28 août 2004Je faisais partie d’une équipe de tournage de sept personnes qui s’est rendue le 4 juin à la forêt de Modhupur pour faire un documentaire sur la destruction de la forêt et, particulièrement, sur les effets des plantations – surtout commerciales et industrielles – sur la forêt domaniale. La forêt de Modhupur est aujourd’hui systématiquement pillée. Nous en étions à notre troisième et dernière tournée de filmage à Modhupur, et nous avons centré nos dernières prises sur un endroit que nous venions de découvrir et où l’on coupait à ce moment-là toute la végétation verte. Cet endroit est tout près de Lohoria Beat, entre Rasulpur et Dokhola Ranges.
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28 août 2004Il y a deux ans, l’Administration chinoise des Forêts de l’État a approuvé la plantation commerciale des peupliers génétiquement modifiés (GM). Depuis, beaucoup plus d’un million de peupliers GM résistants aux insectes ont été plantés en Chine. Il y a deux ans également, la Chine a lancé le projet de plantation d’arbres le plus grand du monde. L’objectif du gouvernement est d’avoir couvert d’arbres une superficie de 44 millions d’hectares d’ici à 2012.
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28 août 2004Entre 1990 et 2002, la superficie mondiale plantée de palmier à huile a augmenté de 43%. Cette croissance a eu lieu surtout en Indonésie et en Malaisie. En Indonésie, entre 1990 et 2000 la zone plantée de palmier à huile a presque triplé, passant de 1,1 à 3 millions d’hectares. En 2002, à l’issue de la crise financière de 1997 - 1999, les plantations adultes de palmier à huile atteignaient les 3,5 millions d’`hectares. Au rythme de plantation actuel, la superficie totale de ces plantations sera en Indonésie de 11,2 millions d’hectares en 2020.
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28 août 2004En termes de valeur brute de production, les bananes sont la quatrième culture vivrière, après le riz, le blé et le maïs. L’Amérique latine domine la production mondiale de bananes, qui sont cultivées surtout dans de vastes monocultures.
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28 août 2004D’après un rapport officiel récent, l’Argentine a perdu 70% de ses forêts indigènes : des 105 millions d’hectares d’autrefois, il ne reste plus aujourd’hui que 33 millions. Les forêts les plus touchées ont été celles de la région Nord et Centre, dans les provinces de Santiago del Estero, Salta, Chaco, Formosa, Misiones, Entre Ríos et Santa Fe. Dans un secteur de la province de Salta il a été découvert que le taux annuel de déforestation est trois fois supérieur à la moyenne mondiale.
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28 août 2004Entre 1950 et 1975, la surface couverte de pâturages créés par l’homme a doublé en Amérique centrale, presque entièrement aux dépens des forêts humides primaires. Le nombre de têtes de bétail a lui aussi doublé, bien que la consommation moyenne de viande bovine des citoyens de la région ait en fait diminué. La production de viande était exportée vers les États-Unis et vers d’autres pays du Nord. Au Brésil, 80 000 km2 de forêts ont été détruits entre 1966 et 1978 dans l’Amazonie brésilienne, pour être remplacés par 336 établissements d’élevage avec 6 millions de têtes de bétail, sous le patronage de la Surintendance pour le Développement de l’Amazonie (SUDAM).