Une guerre inégale a lieu dans le Sud du parc national Yasuní (voir le bulletin nº 96 du WRM) : des lances contre des fusils.
Le parc national Yasuní s'étend sur 982 000 hectares. Il est situé en territoire huaorani, dans les provinces de Napo et Pastaza, et fait partie de ce qu'on appelle la Zone Intangible, où habitent des peuples des ethnies tagaeri et taromenane en situation d'isolement volontaire.
Bien que les activités extractives comme l'exploitation pétrolière et l'abattage d'arbres soient interdites dans la Zone Intangible, une exploitation forestière intense et violente y a lieu depuis des années, au vu et au su de la police, des fonctionnaires de l'environnement et des militaires. Les camions chargés de rondins parcourent impunément les voies fluviales et terrestres et traversent le camp militaire.
Cinq blocs pétroliers ont été imposés en territoire huaorani et la société Petrobras a obtenu un permis d'exploitation forestière. Les activités pétrolières requièrent des voies d'accès, que les exploitants forestiers utilisent pour pénétrer dans les territoires des peuples indigènes isolés. Ces derniers subissent des pressions permanentes du fait de l'intervention forestière, pétrolière et touristique, qui ont abouti au génocide et à la disparition de plusieurs groupes au cours d'incidents violents et réitérés, comme le massacre de mai 2003, où une vingtaine de femmes et d'enfants du peuple tagaeri ont été assassinés à Tigüino. Les coupables n'ont jamais été identifiés.
Les entreprises forestières, groupées dans l'Association d'industriels du bois (AIMA d'après l'espagnol), la Corporation de gestion forestière durable (COMAFORS) et la Corporation de développement forestier (CORMADERA) ont publié au début du mois un communiqué où elles prétendent nier l'existence de liens entre l'exploitation forestière et les violations des droits de l'homme à l'encontre des groupes tagaeri et taromenane. Elles exigent également à l'État de leur accorder davantage de facilités pour leurs activités : deux millions d'hectares destinés à des plantations, des ressources économiques, l'échange de titres de dette extérieure pour l'exploitation de forêts et la monoculture d'arbres, la déréglementation du secteur et la cessation de son contrôle par le ministère de l'environnement, la remise de ce contrôle à des organismes privés ayant des rapports avec leurs intérêts, et la promotion du système de vente anticipée du bois, le tout aux fins d'une « exploitation forestière durable ».
De leur côté, les Huaorani avaient décidé de reprendre en main leur territoire ancestral. Lors d'une assemblée qui s'est tenue dans la communauté de Nemopari à la fin de l'année dernière ils ont résolu d'empêcher l'exploitation des ressources naturelles. L'assemblée a eu lieu en présence de 60 anciens sages. D'après Vicente Enomenga, président de l'organisation huaorani, ces derniers ont recommandé à leur conseil de gouvernement, l'Organisation de la Nationalité Huaorani de l'Amazonie équatorienne (ONHAE) de prendre soin de leur environnement et de leur vie.
Les Huaorani ont décidé que l'accès d'étrangers à leurs territoires était désormais interdit, ce qui incluait les exploitants forestiers venus d'Équateur et de la Colombie. Le vice-président du conseil de gouvernement a annoncé que les habitants indigènes ne seraient pas responsables de la sécurité des étrangers.
C'est dans ce contexte que, le 12 avril dernier, deux bûcherons ont été blessés à la lance dans le secteur de Cononaco de la province d'Orellana, et que le 27 avril, dans le Sud de cette province et sur la frontière de celle de Pastaza, des sources du vicariat d'Orellana et un dirigeant huaorani ont rapporté le meurtre de trente membres de la communauté taromenane.
D'après l'organisation équatorienne Acción Ecológica, la zone intangible est maintenant entourée d'un silence complice. Bien que les lances trouvées révèlent qu'il s'est passé quelque chose d'extrêmement grave, on prétend ignorer la présence de personnes armées dans la région. Ceux qui ont donné l'alerte et ceux qui ont des informations seraient maintenant muselés par la peur. Personne n'ose parler contre les forestiers ; leur violence et le pouvoir économique dont ils disposent semblent être plus forts que la justice et que le droit.
Acción Ecológica réclame que l'on instruise une enquête sérieuse et impartiale de ces incidents et que l'on prenne des mesures de protection. Ces mesures doivent commencer par établir une politique bien définie de respect des zones protégées et des peuples indigènes qui les habitent, et mettre fin à toute activité extractive d'envergure dans ces régions.
Les peuples indigènes en isolement volontaire représentent de véritables trésors culturels, car ils incarnent la volonté de survie des ethnies du bassin amazonien et défendent, grâce à leur culture, de vastes étendues de forêt humide tropicale. Les respecter équivaut à protéger les forêts.
Article rédigé à partir d'informations tirées de : “ Ecuador: Denuncian genocidio de indígenas Taromenane, en aislamiento, por madereros ”, 12 mai 2006, Ivonne Ramos, Acción Ecológica, cbosques@accionecologica.org, foresta@accionecologica.org ; “Conflicto en selva deja dos muertos de los Taromenane”, El Universo, et “ La violencia crece en el Yasuní”, El Comercio , les deux articles datés du 29 avril 2006, http://www.llacta.org/notic/2006/not0429a.htm ; “ Los sabios huao, a favor de la selva”, El Comercio, 1 er novembre 2006, http://www.saveamericasforests.org/Yasuni/News/Articles/2006/1-11-06%20El%20Comercio%20The%20Wise%20Huaorani,%20In%20Favor%20Of%20The%20Forest.htm .