NOTE D'INFORMATION : Les plantations d'arbres destinées au marché du carbone. Pourquoi, comment et où se développent-elles ?

La présente note d'information donne un aperçu de l'expansion des plantations d'arbres destinées aux marchés du carbone. Où sont situées ces plantations ? À quoi ressemblent-elles ? Qui en tire profit ? Quels ont été les impacts sur les communautés vivant sur les terres occupées par ces projets ? Et quelles sont les initiatives internationales visant à développer les plantations d'arbres en vue de la compensation carbone ?

Gabon : Controverse sur le projet de monoculture d’eucalyptus dans les Plateaux Bateke 

Depuis 2021, la mise en œuvre des travaux pour un projet de monoculture d’eucalyptus a mis la population des départements des Plateaux et de Djouori-Agnili, dans la province du Haut-Ogooué, au Gabon, en alerte. Situé en Afrique Centrale, le Gabon appartient au Bassin du Congo, considéré comme la deuxième plus grande forêt tropicale après l’Amazonie. Plus de 80 pour cent du territoire du pays est couvert par la forêt ; les savanes des Plateaux Batéké représentent un écosystème particulier avec des paysages uniques.

Dans les départements des Plateaux et de Djouori-Agnili, tout comme ailleurs, l’agriculture, la cueillette ainsi que la commercialisation des produits bruts et/ou transformés, représentant les sources principales de subsistance pour la plupart de la population. C'est pourquoi l'annonce d'un mega-projet de plantation de monoculture d'arbres sur le Plateau a suscité une grande inquiétude parmi les communautés de la région.

Les inquiétudes se sont encore grandies avec l'intention du promoteur du projet d'également vendre des crédits carbone basé sur la plantation d'arbres. Les sociétés pétrolières et autres pollueurs promeuvent le concept de crédits carbone depuis une vingtaine d'années pour détourner l'attention du rôle de l'exploitation pétrolière et de la combustion du carbone fossile pour le changement climatique. Leurs consultants expliquent aux gouvernements que, dans la perspective du changement climatique et pour aider et soutenir le climat, il est important de protéger les forêts et de planter des arbres.

En général, lorsque ses sociétés viennent avec leurs consultants dans un pays, ils parlent aux gouvernants de carbone et de climat et font des promesses d’investissement dans les plantations des arbres pour soutenir l’économie nationale, protéger la forêt et créer des emplois dans les communautés ou le projet sera installé. Car derrière ses promesses, ils comptent s’approprier des terres communautaires pour y planter des arbres soutenant que ses arbres protègeront le climat et l’environnement. Dans le cas du projet d’eucalyptus dans les Plateaux Bateke au Gabon, la société Sequoia a déjà enregistré son projet de plantation d’eucalyptus avec Verra, la principal organisation qui certifie les projets de crédits carbone. (1) Cela demontretrait que le projet d’eucalyptus dans les Plateaux Bateke denommé LAPHO, est aussi un projet de crédit carbone.

Un projet de l’ancien directeur d’Olam Gabon

Le projet de monoculture d’eucalyptus est faussement désigné comme LAPHO (Leconi Agroforestery Project in Haut-Ogooué), une contradiction manifeste car l’eucalyptus ne s’accommode pas à l’agroforesterie. C’est un projet qui réclame avoir obtenu 60,000 hectares pour la plantation des eucalyptus dans cette région des savanes, toute chose qui constitue une grave menace aussi bien pour les populations des plateaux, que pour l’écologie.

Le promoteur de ce projet est Sequoia Plantation, une société créée par un fonds basé aux Emirats Arabes Unis (Abu Dhabi). Le principal actionnaire est Gagan Gupta, l’ancien directeur d’Olam Gabon, une société qui a fait main basse sur presque tous les secteurs économiques du Gabon. Le projet de Sequoia se réclame être un ensemble d’activités économiques sous la gestion de la Gabon Special Economic zone (GSEZ). La GSEZ est considérée comme une société écran de la famille Bongo, qui a gouverné le Gabon pendant des décennies, jusqu'à ce qu'elle soit renversée par un coup d'État militaire en 2023.

Projet avancé pendant la période du Covid

Pendant la période du Covid-19 en 2021, les populations ont constaté des mouvements de véhicules et d’engins lourds derrière le village Kandouo, dans l’est de la province Haut-Ogooué. Les travaux de terrassement du site des infrastructures d’une pépinière et d’une base vie ont été effectués sans consulter les populations locales. Du coup, les tombes de leurs ancêtres ont été rasées. Les familles concernées s’étant rapprochées pour se plaindre auprès des opérateurs sur le terrain, ces derniers leur ont demandé de se tourner vers la présidence de l'époque (Ali Bongo Ondimba). Ainsi, il apparaissait que la main de la famille Bongo était derrière ce projet. Évidemment, les méthodes d’installation sans consultation public et participative avec les populations locales dénotaient un abus de pouvoir qui méprisait la règlementation gabonaise. A partir de ces faits, la nouvelle du projet a fait tache d’huile dans la société.

C’est dans ce contexte que l’organisation CREPB (Collectif des Ressortissants et Ecologistes des Plateaux Batéké) a mené des démarches auprès des ministères et institutions du gouvernement gabonais en début 2023. Les demandes d’accès à la documentation sur le projet sont restées sans résultats, révélant l’évolution douteuse du projet. Le CREPB a multiplié des démarches administratives, organisé des conférences de presse pour interpeler l’opinion nationale et internationale sur les dangers et les démarches non réglementaires du projet. Ces activités ont obligé la société Sequoia à adresser un plaidoyer au cabinet du premier ministre.

C’est dans ce contexte qu’en décembre 2023, une mission collaborative de sensibilisation a été organisée et effectuée dans les Plateaux par les Associations CREPB et JVE (Jeunes Volontaire pour l’Environnement). Suite à la persistance de la pression sur le terrain, Sequoia a organisé une cérémonie dite consultation publique le 31 juillet 2023. Au lieu de le faire dans les localités concernées par le projet de plantations dans des départements de Plateaux et de Djouori-Agnili, la société a organisé l’activité à Franceville, à plusieurs kilomètres du site prévue pour les plantations d’eucalyptus. De même, la société Séquoia a déclaré publiquement l’arrêt de ses activités le 07 décembre 2023 en adressant une lettre au premier ministre et à quatre autres ministères.

Les 23 et 24 mars 2024, la société a repris ses consultations, dont une dans le village Kandouo, riveraine aux plantations du projet Sequoia et une à Bongoville, à des kilomètres du site des plantations. Le 08 mai 2024, Sequoia a déposé son rapport d’étude d’impact environnemental à la Direction de l’Environnement et du Développement Durable. La Direction a publié un communiqué le 22 mai appelant les personnes intéressées à consulter et faire des observations sur le rapport. Quatre associations y ont déposé un rapport commun d’observations mettant en lumière des manquements et les graves dangers liés au projet. Entre autres, les associations ont montré (1) l’inadéquation entre la formulation du projet et son contenu réel ; (2) l’absence de cartographie participative ; (3) le bâclage des paramètres d’étude (non prise en compte des ressources animales et hydrologiques, échantillonnage marginal et fausses identifications d’espèces dans des sites à l’extérieur de l’espace destinée à l’exploitation) ; (4) les risques de pollution des nappes phréatiques aux pesticides ; 5) les risques d’assèchement des nappes d’eaux souterraines ; (6) la perturbation environnementale (par la destruction des espèces végétales et animales) ; (7) la perte de la biodiversité ; (8) les risques de giga-incendies ; (9) les risques d’apparition (au sein des populations impactées) des maladies graves liées aux effets des pesticides et activités de la société ; (10) les risques de mise en danger des populations locales et leur émigration ; (11) l’absence de solutions face aux risques ; (12) la fausseté des consultations publiques. Bref, la société a présenté un rapport d’étude d’impact environnemental avec de très graves omissions et manquements.

Malgré l’évidence de ces manquements, le comité d’évaluation de l’étude d’impact a choisi de ne retenir que « l’inadéquation entre la formulation du projet et son contenu, l’absence d’un plan de gestion environnemental budgétisé et l’absence d’un comité de surveillance de la conduite du projet ». Á la base de cette liste réduit de manquements, le comité a rejeté en première lecture le rapport, et a demandé à Sequoia de compléter ces éléments.

Rejet total du projet

Les nombreuses missions menées au coeur des Plateaux Batéke ont révélé un rejet total du projet de plantations d’eucalyptus de la société Sequoia par les populations. Le témoignage du chef de quartier Djouani/Ompouyi reflètent l’opinion exprimée dans tous les villages que nous avons visités: « Nous n’accepterons jamais que nos terres soient accaparées pour les eucalyptus, l’homme téké ne plante que des arbres qui nourrissent, aller voir tous nos vieux villages, vous trouverez : Manguiers, safoutiers, avocatiers,…et  non les arbres qui vont détruire nos terres, non aux eucalyptus » .Excepté les populations divisées du village Kandouo (où sont implantées les pépinières), celles de toutes les autres localités des départements concernés sont à 100 pour cent hostiles au projet de plantations. Il en va de même pour tous les villages des Plateaux et de Djouori Agnili que les villes de Leconi et de Bongoville. Un sondage réalisé par CREPB a enregistré 100 pour cent de rejet du projet, sur un échantillonnage de 1432 personnes.

Depuis lors, les Associations CREPB, JVE, Copil-Citoyen, Muyissi Environnement et La Fondation Bongo Ayouma se sont mises ensemble pour mener un front commun dans les démarches administratives pour s’opposer au projet, à savoir la rédaction et les transmissions des interpellations aux gouvernants, l’analyse de l’étude de l’impact environnemental de Sequoia et la production et dépôt des observations des associations auprès de la Direction de l’Environnement et du développement durable, les émissions télévisées et radio diffusées. (2) Ce travail des associations a une résonnance positive, car l’opinion nationale et internationale sont en train de prendre fait et cause pour la préservation de l’environnement des Plateaux Batéke.

Le Préfet de Djouori Agnili a appelé à la reprise des véritables consultations publiques respectant les normes. De même les populations elles-mêmes ont manifesté leur opposition au projet face au Ministre de l’Agriculture pendant sa visite à Kandouo qu’à Bongoville. Au sein de l’actuel gouvernement du Gabon, les hautes autorités comme les Ministres du Pétrole et du Tourisme, le Premier Questeur du Conseil économique et social environnemental ont exprimé ouvertement une position défavorable au projet. (3)

Perspectives

La lutte des populations locales et des associations environnementales contre le projet d’eucalyptus de la société Sequoia présente pour le moment un bilan contrasté. En effet, malgré les multiples preuves de la dangerosité de la monoculture d’eucalyptus et de l’opposition écrasant dans les villages riverains au projet de plantations, les démarches illégales de la Sequoia prennent du pas.

Mais les populations et les associations qui s’opposent au projet sont en éveil et suivent de près son évolution. Les populations sont profondément préoccupées par le fait que les plantations mettront en péril leur souveraineté alimentaire. Elles ont fait part de leur opposition aux plantations et les leaders communautaires ne cessent de répéter que ce dont les communautés ont réellement besoin pour se développer :

« Nous avons besoin de solutions contre les intrusions des éléphants et l’amélioration de l’agriculture alimentaire plus la construction de la route. Non aux eucalyptus », constate le chef du village d’Ekouyi. Le chef du village Souba, Département de Djouori Agnili ajoute : « non eucalyptus, oui aux tracteurs pour les cultures locales ».

Dans le même sense, les Chefs des villages de Saye et Kabala+Akou disent : « Nous avons besoin de solutions pour l’agriculture alimentaire et la construction de route, non aux eucalyptus » et « Nous avons besoin de mécanisation de notre agriculture car dans les Plateaux, nous plantons le manioc, les ananas, le maïs et les ignames, pas les eucalyptus ».

DR. René Noël Poligui (CREPB) et Remi Messessi Komlan (JVE GABON).


(1) Leconi Agroforestry Project in Haut-Ogooue (LAPHO). VCS ID-Nr. 4543. Projet « sous development ».
(2) Émissions radio.
(3) https://magazinesuperstar.com/solidarite-internationale-bertin-kourouvi-sallie-a-bertrand-zibi-pour-contrer-les-plantations-deucalyptus-au-gabon/

La « politique climatique » thaïlandaise de compensation carbone : toujours plus d’injustice et de chaos climatique

L'achat de crédits carbone issus de forêts ou de projets de plantation d'arbres dans le cadre du mécanisme REDD (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) a le vent en poupe dans le monde entier. Le mécanisme REDD a permis à de nombreux gouvernements et entreprises d'affirmer qu’ils sont « neutres en carbone », alors que ce mécanisme s'est avéré être un échec. Cette stratégie a échoué parce que le carbone « stocké » dans les arbres, une fois émis, a un impact bien différent sur le climat de celui du carbone émis à partir des « stockages » souterrains de pétrole, de gaz ou de charbon (1). Ainsi, après plus de 18 ans de projets et de programmes REDD dans le monde entier, la crise climatique n'a fait que s'aggraver. En attendant, le seul moyen d'inverser le chaos climatique est de mettre fin à l'extraction des combustibles fossiles.

Après le sommet de la Terre de Rio en 1992, qui a inscrit la question du climat à l'ordre du jour international, le gouvernement thaïlandais a commencé à formuler et à mettre en œuvre sa « politique climatique ». La Thaïlande a cherché à fonder sa politique en priorité sur la compensation carbone. La compensation carbone est une option attrayante pour les industries polluantes, car elle est moins coûteuse que la réduction réelle des émissions dues à la combustion de combustibles fossiles. Les compensations carbone permettent aux entreprises d'acheter des crédits carbone d'un projet situé ailleurs ; en d'autres termes, elles leur permettent d'« acheter » le droit de continuer à polluer.

Après le lancement international du mécanisme REDD en 2007, le ministère thaïlandais des Ressources naturelles et de l'Environnement a créé l’Organisation thaïlandaise de gestion des gaz à effet de serre (TGO) afin de promouvoir la compensation et les échanges de carbone. En 2009, la Thaïlande est devenue membre du Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) de la Banque mondiale afin de se « préparer » au mécanisme REDD. En 2014, le gouvernement a mis en place le programme de réduction volontaire des émissions en Thaïlande (Thailand Voluntary Emission Reduction - T-VER), réglementé par la TGO. Après avoir ratifié l'Accord de Paris (2016), la Thaïlande a élaboré sa Contribution déterminée au niveau national (CDN) pour lutter contre le changement climatique, qui prévoyait notamment de réduire ses émissions de GES à hauteur de 40 % d'ici 2030, de devenir « neutre en carbone » d'ici 2050 et d'atteindre le niveau « zéro émission nette » de GES d'ici 2065.

Le soutien de la Banque mondiale, via le FCPF, a été essentiel pour permettre au gouvernement thaïlandais de formuler sa stratégie REDD pour la période 2023-2037. En 2021, le gouvernement a présenté sa stratégie REDD au parlement thaïlandais pour approbation. L'objectif de cette stratégie est de faire passer la couverture forestière du pays de 31 % (chiffre actuel) à 40 % en 2037. Selon le gouvernement thaïlandais, cela permettrait de réduire les émissions de CO2 de 120 millions de tonnes. Alors que cette proposition attend toujours l'approbation du parlement (et le financement abondant qui devrait être octroyé par la Banque mondiale et d'autres donateurs suite à cette approbation), le gouvernement thaïlandais a annoncé un plan de compensation de ses émissions de CO2 encore plus ambitieux. Il entend utiliser des zones dites « vertes » pour compenser les émissions de GES, dans l’objectif que ces zones recouvrent 55 % (soit plus de la moitié) du territoire du pays !

La création de « zones vertes » plutôt que de forêts incite les entreprises privées à investir non seulement dans des projets de reboisement, mais aussi dans des plantations industrielles de palmiers à huile et dans tous les types de projet de monoculture d'arbres, notamment les plantations d'eucalyptus, d'acacia, de caoutchouc ou de teck. Ces entreprises sont alors autorisées à obtenir des crédits carbone pour ces projets, qui compensent prétendument leurs émissions. Au cours des dernières décennies, l'expansion des plantations industrielles de palmiers à huile a été l'une des principales causes directes de la déforestation tropicale dans le monde, et donc une source majeure d'émissions de CO2. À l'heure actuelle, la Thaïlande compte environ 1 million d'hectares de palmiers à huile, et prévoit d'étendre cette superficie dans les années à venir (2). Tous les projets de monoculture industrielle d'arbres à grande échelle ont des impacts majeurs, parmi lesquels l'accaparement massif de terres, des impacts écologiques, le recours à la violence et des expulsions forcées.

Le plan visant à mettre en œuvre ces « zones vertes » et à intégrer plus de la moitié de la superficie du pays dans des systèmes de compensation carbone est coordonné sous l'égide du programme T-VER. Ce plan prévoit une vaste superficie supplémentaire de plantations d'arbres, représentant au total 30 millions de rais (4,8 millions d'hectares). En septembre 2024, 460 projets avaient été enregistrés dans le cadre du programme, dont 87 concernent des plantations d'arbres. Ensemble, ces projets sont censés permettre d'éviter l'émission de 13 millions de tonnes de CO2.

La politique économique de la Thaïlande perpétue la dépendance aux combustibles fossiles

Le rôle central des compensations carbone dans la « politique climatique » de la Thaïlande peut être mieux compris si l'on examine les plans de développement économique et la matrice énergétique du pays. Actuellement, 70 % des émissions de GES de la Thaïlande proviennent de la combustion de combustibles fossiles. Le projet de plan énergétique du gouvernement pour la période 2024-2037 prévoit que les combustibles fossiles – en particulier le gaz et le charbon – resteront la principale source d'énergie de la Thaïlande et représenteront 48 % de l'approvisionnement énergétique du pays. Cette source sera complétée par l'énergie solaire et d'autres sources d'énergie renouvelables (32 %), l'hydroélectricité (17 %) et d'autres ressources.

La dépendance aux combustibles fossiles de la Thaïlande met en lumière le fait que sa politique de développement économique est axée sur la mise en place d'un réseau de 15 « zones économiques spéciales », comprenant des « corridors économiques » (3). Ces zones offrent des conditions spéciales aux investisseurs, notamment des incitations fiscales et des périodes de concession pouvant aller jusqu'à 99 ans. Elles sont censées attirer les investissements étrangers, en particulier ceux de la Chine, du Japon et des États-Unis.

Mais ces projets entraîneront inévitablement une intensification de l'accaparement des terres et des zones maritimes, ainsi qu'une augmentation des émissions de gaz à effet de serre dues aux combustibles fossiles, en raison de toutes les activités de construction, de transport et d'exploitation industrielle qui les accompagnent. Par exemple, le Corridor économique sud (SEC) prévu dans le sud de la Thaïlande couvrira 14 provinces. Les sites pilotes se trouveront dans les provinces de Ranong, Chumphon, Nakhon, Thammarat et Surat Thani et couvriront une superficie totale de 300 000 rais (48 000 hectares). Ce projet comprendra un port en eau profonde et des installations industrielles chimiques, pétrolières et alimentaires. Le SEC entraînera la destruction des zones côtières et forestières et l'expulsion des communautés et il aura un impact considérable sur la sécurité alimentaire des communautés voisines. Pour replacer les choses dans leur contexte, c'est une région qui comprend un site Ramsar (4) pour la conservation de la biodiversité, et dans laquelle de nombreuses communautés dépendent des mangroves.

Affairisme et greenwashing des entreprises

Plutôt que de s'attaquer au grave problème du chaos climatique et à ses causes profondes, la « politique climatique » du gouvernement thaïlandais (comme celle de beaucoup d'autres pays) profite aux investisseurs internationaux et au secteur privé national, déjà privilégié. Cette « politique climatique » offre également un avantage supplémentaire aux entreprises de combustibles fossiles très polluantes : elle leur permet de faire du greenwashing et de détourner l'attention de leurs activités destructrices et des violations qu'elles commettent.

La société pétrolière et gazière nationale thaïlandaise, PTT, offre un parfait exemple de greenwashing et de détournement de l'attention des violations qu'elle commet. PTT importe du gaz du Myanmar pour assurer l'approvisionnement en gaz de la Thaïlande. Les paiements versés par PTT au régime militaire du Myanmar permettent à ce dernier de poursuivre sa guerre sanglante contre son propre peuple (5). Les frappes aériennes de l'armée du Myanmar ont déjà tué des milliers de citoyens du Myanmar et des millions d'entre eux sont devenus des réfugiés. Cependant, en participant au programme de compensation T-VER, PTT projette l'image d'une entreprise socialement et écologiquement responsable.  En 2023, elle a annoncé qu'elle allait « reboiser » 2 millions de rais (320 000 hectares) dans tout le pays d'ici à 2030. Son PDG affirme que PTT « a scrupuleusement respecté sa mission de maintenir la sécurité énergétique, ainsi que de prendre soin de la société et de l'environnement au cours des 45 dernières années » (6).

Plus d'injustice sociale, mais aussi plus de résistance

Les communautés thaïlandaises qui vivent dans les forêts, en dépendent et en prennent soin ont dû faire face à au moins deux menaces majeures : des attaques sur leur territoire résultant d'une politique économique destructrice (notamment les ZES) et une politique de conservation violente et autoritaire qui tente constamment de les expulser de la forêt (7). Aujourd'hui, la ruée vers l'installation de projets carbone susceptibles de prendre le contrôle de leurs terres – sous prétexte de « compenser » la pollution ailleurs – est une menace supplémentaire à laquelle ils seront de plus en plus souvent confrontés.

En ce qui concerne le Corridor économique sud (SEC) dans le sud de la Thaïlande, les communautés locales ont déjà protesté contre ces projets. Elles ont écrit des lettres aux investisseurs pour leur faire part de leurs inquiétudes, notamment sur le fait que ce projet menace leurs moyens de subsistance. Mais, comme dans d'autres pays, les communautés thaïlandaises acceptent souvent les projets carbone en raison des avantages que leur promettent le gouvernement et les ONG. En Thaïlande, 89 communautés ont enregistré 121 « forêts communautaires » dans le cadre du programme T-VER. Parmi celles-ci figurent des communautés du Sud qui dépendent des forêts de mangrove. L'une des raisons pour lesquelles les communautés acceptent ces projets est peut-être qu’ils ne s’accompagnent pas directement de la destruction parfaitement visible engendrée par d’autres projets tels que l'exploitation minière, les plantations d'arbres, les ports en eau profonde et les zones industrielles.

En conséquence, plusieurs communautés du sud de la Thaïlande ont déjà signé des contrats d'une durée pouvant atteindre 30 ans pour vendre des crédits carbone (8). Selon ces contrats, les communautés devraient recevoir 20 % des ventes de crédits carbone, tandis que 70 % iraient au développeur du projet carbone et 10 % au gouvernement. Pour recevoir sa part, la communauté doit s'assurer que le carbone « stocké » dans les zones de mangrove ne sera pas seulement conservé, mais que les quantités stockées augmenteront également au cours de la période du projet. Toutefois, il est difficile de savoir ce que cela signifie dans la pratique ; le contrat ne mentionne pas clairement, par exemple, les restrictions concernant l'accès aux forêts de mangrove et leur utilisation. En revanche, le contrat relatif au projet carbone stipule que les membres de la communauté seront rémunérés pour travailler dans le cadre du projet, ce qui signifie qu'ils surveilleront la zone de mangrove contre les menaces potentielles. Mais quelles sont ces menaces, si les communautés ont toujours pris soin de la forêt ?

L'expérience acquise ailleurs nous a montré que ces prétendues « menaces » sont le plus souvent liées aux membres de la communauté eux-mêmes, lorsqu'ils veulent couper un arbre ou ont l'intention de « perturber » le carbone stocké dans la mangrove Ces projets engendrent également des conflits au sein des communautés. Par exemple, il est fréquent qu'il y ait des clivages entre une minorité qui bénéficie d'une manière ou d'une autre du projet (par exemple par le biais d'emplois) et une majorité qui est exclue de ces avantages et même lésée par le projet. Des conflits sont très probables dans le cas de la Thaïlande, où les populations vivant dans les zones forestières ont été historiquement ignorées, persécutées et considérées comme n'ayant aucun droit sur les terres. En raison de ces précédents historiques de mépris des droits des communautés forestières, les nouveaux « détenteurs de droits » sur le carbone (les entreprises qui promeuvent et achètent les crédits carbone) n'informent généralement pas correctement les communautés de leurs projets, et cherchent encore moins à obtenir leur consentement.

Mais de plus en plus, les communautés et les mouvements populaires à travers la Thaïlande ont commencé à s'exprimer et à chercher à mieux comprendre ce que la « politique climatique » du gouvernement implique réellement. Ils expliquent que les programmes de compensation carbone ont tendance à aggraver le chaos climatique et à accroître l'injustice sociale, plutôt que l’inverse (9).

Leur lutte peut nous aider à faire face aux multiples crises auxquelles est confrontée la Thaïlande, en nous orientant dans une nouvelle direction : au lieu de promouvoir des systèmes de compensation carbone qui accroissent les profits des entreprises basés sur l'extraction et la combustion de combustibles fossiles, nous pouvons promouvoir et reconnaître les droits des communautés dépendantes des forêts – telles que les communautés des forêts de mangrove du sud de la Thaïlande qui dépendent de ces forêts et en ont pris soin depuis de nombreuses générations. En soutenant leurs luttes et leurs demandes, nous pouvons faire progresser la justice sociale et climatique dans le pays.

Secrétariat international du WRM, avec la contribution de Surin Onprom (chercheur indépendant) et Bandita Yangdee (Center for Ecological Awareness Building).

(1) https://www.wrm.org.uy/fr/15-ans-de-REDD-Le-carbone-est-il-le-meme
(2) https://www.krungsri.com/en/research/industry/industry-outlook/agriculture/palm-oil/io/plam-oil-industry-2024-2026
(3) https://www.thailand.go.th/issue-focus-detail/006-023
(4) So-called wetlands of international importance, see www.ramsar.org
(5) https://globalmayday.net/bloodmoneymyanmar/
(6) https://www.nationthailand.com/business/corporate/40030072
(7) https://www.wrm.org.uy/fr/articles-du-bulletin/colonialisme-forestier-en-thailande
(8) https://dialogue.earth/en/nature/thailand-turns-to-mangrove-carbon-credits-despite-scepticism/
(9) The People's Network for Climate Justice and Against Greenwashing. Stop Greenwashing Say No to Carbon Offset End the false solutions to climate crisis. 14 October 2024, Voir ici.

 

Le programme de production alimentaire de Merauke en Papouasie : une tragédie annoncée

En 2023, l'administration du président indonésien Jokowi a annoncé un programme de production alimentaire de 2 millions d'hectares dans le sud de la Papouasie, axé sur les plantations de riz et de canne à sucre, négligeant le fait que des programmes similaires dans le passé ont été des échecs complets et conduisant à un accaparement massif des terres et à des violations des droits des peuples autochtones, en plus de l'augmentation des profits des entreprises. Le nouveau programme « PSN Merauke », dont la mise en œuvre est accélérée, pourrait devenir le plus grand projet de déforestation au monde. Il empiète sur des terres coutumières et affectera directement 40 000 membres de peuples autochtones.

Lire la note d'information de PUSAKA demandant la suspension immédiate du PSN Merauke en anglais ici.