Uruguay : les mensonges de l’industrie de la pâte

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La sieste estivale traditionnelle du mois de janvier en Uruguay s’est vue interrompue non seulement par les pluies permanentes mais par l’avancée sans trêve des industries de la pâte. Leur campagne publicitaire se poursuit à coups de mensonges qui sont ensuite repris comme des vérités. Autant de promesses et de mirages adressés à une population où le taux de chômage est élevé et qui a besoin urgent de solutions.

La situation n’est pas nouvelle. Les transnationales sont en train de s’approprier le monde (on appelle cela mondialisation), en se servant du credo qu’il n’y a pas de développement possible sans investissement étranger. Pourtant, les pays du Sud qui reçoivent des investissements étrangers sont toujours aussi pauvres ou même davantage : ce qui augmente, c’est l’exclusion, l’exploitation et l’extermination. À moins que l’on mesure la richesse au nombre de téléphones portables...

L’Uruguay est devenu la cible de l’industrie forestière et papetière. Ses prairies ont été couvertes de monocultures d’arbres qui ont déjà fait sentir leurs effets : la concentration de la propriété foncière aux mains d’étrangers, l’épuisement des réserves d’eau, l’apparition de ravageurs, l’exode rural, la création de moins d’emplois que ceux qu’offraient les activités qu’elles ont déplacées. Maintenant que les arbres sont mûrs, on veut établir une usine de pâte géante pour laquelle ils constituent une matière première très attrayante. Botnia, entreprise finlandaise, et Ence, entreprise espagnole, ont déjà obtenu l’autorisation de construire. Botnia a entrepris les travaux au milieu d’une forte opposition régionale qui a atteint des proportions binationales. Stora Enso vient d’atterrir en Uruguay ; elle a déjà acheté 50 000 hectares et prévoit d’en acquérir 100 000 hectares supplémentaires pour y établir des plantations destinées à alimenter une énorme usine de pâte qui s’installerait au centre du pays (voir des articles à ce sujet sur la page http://www.wrm.org.uy/paises/Uruguay.html).

Cela implique de dévaster le paysage de l’Uruguay et jusqu’à ses odeurs, en commençant par la qualité de vie de ses habitants et en finissant par l’avenir productif et souverain du pays. Mais il ne sera pas possible de le faire de manière légitime ; voilà pourquoi il faut peindre un tableau différent et cacher certaines vérités :

* Botnia et Ence annoncent qu’elles appliqueront en Uruguay la “meilleure” technologie qui existe au monde, à savoir celle utilisant le dioxyde de chlore, dénommée méthode ECF.

FAUX : les usines de pâte modernes considérées comme leaders en matière d’environnement ne sont qu’une poignée, parmi lesquelles figurent celles de Mönsterås et d’Östrand en Suède et celle de Stendal en Allemagne. Elles produisent toutes de la pâte blanchie par la méthode absolument sans chlore (TCF), qui permet la possibilité de fonctionner en circuit fermé, réduisant l’usage d’eau propre et éliminant presque entièrement le déversement d’eau résiduelle.

* On affirme que l’usine n’aura pas d’impact négatif sur l’environnement, ni sur l’eau, ni sur l’air, ni sur le sol. « Nous ne produirons aucune substance cancérigène. Nous ne produirons pas non plus de dioxines ni de furannes, qui sont des composés organiques persistants non souhaités. » « Ici, il n’y aura pas un gramme de dioxine. »

FAUX : “L’étape du blanchiment est peut-être la plus problématique, du point de vue environnemental, dans une usine de pâte kraft blanchie. On y produit et on y utilise de grandes quantités de substances chimiques, et c’est en général le seul secteur de l’usine à générer un flux permanent d’effluents. » « Quant à la technologie ECF, il faut signaler que tous les produits chimiques de blanchiment sont des oxydants puissants et constituent de ce fait une menace pour les travailleurs et pour ceux qui habitent à proximité de l’usine. » « (...) le dioxyde de chlore (ClO2) peut avoir des effets toxiques chroniques et aigus, dont l’irritation oculaire, nasale et de la gorge, la toux, la difficulté à respirer (possiblement tardive), l’oedème pulmonaire, la bronchite chronique et l’asthme. Ce qui précède, joint au chloroforme et à d’autres sous-produits semblables du blanchiment ECF, constitue le profil de dangerosité du dioxyde de chlore. » (1)

* Si vous allez aux 300 usines d’Europe vous verrez qu’elles coexistent sans problème avec les villes. Les fleuves ont toujours des poissons et les gens continuent de s’y baigner.

FAUX : en l’été 2003, quelque 7 500 mètres cubes de liqueur noire se sont déversés de l’usine de pâte d’UPM à Lappeenranta, en Finlande, et ont gravement contaminé une partie considérable du lac Saimaa. D’après la presse locale, « l’usine de traitement biologique n’a pas été en mesure de faire face à cette décharge subite et, en l’espace de quelques jours, la liqueur noire s’est répandue dans les eaux du lac ». L’article poursuivait : « la liqueur noire consomme l’oxygène de l’eau, provoquant une mortalité élevée chez les poissons, obscurcissant l’eau et contaminant les berges. En outre, elle a une odeur très désagréable. La moitié de la population de poissons a été éliminée dans un rayon de trois kilomètres de l’usine ». L’accident s’étant produit juste au début des vacances d’été, qui est très court en Finlande, les gens en ont été furieux, d’autant plus que l’entreprise n’avait rien dit du problème. « C’était comme autrefois. L’eau était lourde, blanche, couverte d’écume. L’odeur était épouvantable. Nos vacances en ont été gâchées, car le problème s’est prolongé pendant tout un mois. » (3)

* On dit que les odeurs dégagées par les usines de pâte ne sont pas désagréables, qu’il s’agit d’une odeur différente mais qui n’est pas forte.

FAUX : au début des années 1990, l’institut finlandais de Karelia du Sud pour la recherche sur les allergies et l’environnement a mené une série d’études sur les effets des composés sulfureux odorants sur la santé humaine. Ces composés sont essentiellement le sulfure d’hydrogène (H2S), le méthyl-mercaptan (CH3SH) et les sulfures de méthyle [(CH3)2S et (CH3)2S2]. Ils sont émis par les usines de pâte qui utilisent une méthode au sulfate (la même qu’on appliquerait en Uruguay). Les diverses études effectuées permettent de conclure que ces odeurs ne sont pas tout simplement désagréables et gênantes mais qu’elles ont des effets sur la santé, en particulier parce qu’elles augmentent le risque d’infections respiratoires aiguës, d’affections de la vue, de céphalées et de troubles neuropsychologiques, entre autres. D’autre part, les recherches ont permis de constater que ces composés pénètrent dans les maisons des habitants de la zone, de sorte que les gens y sont exposés même chez eux. Plusieurs personnes interrogées sur leurs expériences en matière de maladies associées aux usines de pâte ont tout de suite parlé d’asthme, d’allergies et de maladies de la peau. (3)

Les projets d’installation de deux usines de pâte géantes du côté uruguayen du fleuve Uruguay sont confrontés à une mobilisation croissante des voisins argentins de la province d’Entre Ríos, qui voient menacées leurs activités économiques fondées sur le tourisme riverain.

En Uruguay, plusieurs organisations et individus s’opposent eux aussi à une initiative qui comporte non seulement le danger de contamination mais suppose également de condamner le pays au rôle de fournisseur d’une matière première polluante. Celle-ci, par le biais de la plantation d’arbres, accapare nos sols, met en danger notre eau, notre flore et notre faune, et ne fournit pas d’emplois authentiques. Quelle sera la situation dans 40 ans, lorsque les usines arrivées au bout de leur vie utile deviendront d’énormes cadavres en béton, et que les plantations auront fait des ravages dans la campagne ?

Ceux qui ne se laissent pas duper par les mensonges publicitaires des entreprises sont nombreux ; d’autres commencent à avoir des doutes. Il faut donner l’alerte maintenant car, une fois les usines de pâte installées, il sera trop tard.

Raquel Núñez, Mouvement mondial pour les forêts, adresse électronique : raquelnu@wrm.org.uy

1. Renseignements tirés du Rapport d’observation et de recommandations de la Mission internationale d’évaluation du WWF au sujet de la controverse sur la Réserve naturelle et site Ramsar Carlos Anwandter et l’usine de pâte Valdivia de CELCO. Valdivia, Chili, novembre 2005.
2. “Uruguay: otro escenario, el mismo papel”, Mikael Sjövall, Greenpeace Finlande, envoyé par Pablo Alejandro Bléfari, Greenpeace Argentine, blefari@ar.greenpeace.org.
3. “Tras la huella de la celulosa en Finlandia. La otra cara de la moneda”, juin 2005, recherche menée sur le terrain par Ricardo Carrere, http://www.guayubira.org.uy/celulosa/Finlandia.html.