Les ONG européennes estiment que plus de 50 % des importations de bois tropical de l’UE et plus de 20 % de celles en provenance des forêts boréales sont d’origine illégale. D’autre part, on estime que, dans plusieurs pays européens et en particulier dans la Baltique et en Europe orientale, l’exploitation forestière est clandestine à 50 %. L’Union européenne ne possédant pas d’instruments de contrôle des importations de bois, elle blanchit chaque année de grands volumes de bois d’origine illégale. Par suite des pressions exercées par des ONG environnementales et sociales pour que ce problème soit attaqué, la Commission européenne a adopté en mai 2003 un Plan d’action sur l’application de la législation forestière, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT).
Le point principal du plan d’action préconise de conclure des accords de partenariat bilatéraux ou régionaux, afin que les principaux pays producteurs et importateurs constituent un groupe travaillant de concert. Les pays exportateurs de bois délivreraient un « permis » attestant la « légalité » du bois exporté vers l’Union (ou vers d’autres pays importateurs qui auraient rejoint le groupe). La délivrance de permis couvrirait au départ un nombre limité de produits (bois rond, bois de sciage et contreplaqué) et pourrait s’étendre par la suite à d’autres catégories de produits. Pour mettre en oeuvre ces accords de partenariat volontaire, la Commission présenterait une proposition de règlement qui serait la base juridique d’un régime d’autorisation et permettrait aux autorités douanières de confisquer les produits en bois non autorisés.
Il est évident que ce « plan d’autorisation » soulève de nombreuses questions : qui décide ce qui est légal, qui décide quel bois sera considéré comme légal ou illégal, qui décide quand et comment délivrer un permis, de quels mécanismes de contrôle faut-il disposer, qui bénéficiera d’un tel plan, et ainsi de suite.
En outre, il existe le danger que les efforts de l’UE pour arrêter la récolte illicite de bois par l’application du régime de permis n’encouragent, involontairement, les gouvernements nationaux à atténuer les lois sur l’environnement, plutôt qu’à les renforcer. Cela pourrait les conduire à affaiblir les lois forestières existantes, ou même à légaliser les pratiques clandestines actuelles, de manière à satisfaire les exigences de l’UE et des autres marchés internationaux. Sans aucun doute, tout ceci conspirerait contre les luttes locales pour une réforme de la législation forestière.
Néanmoins, l’attitude de la plupart des ONG européennes à l’égard du plan d’action FLEGT a été prudemment positive. Pourquoi ?
Premièrement, le plan d’action met en lumière quelques-unes des causes sous-jacentes de la perte de forêts, en mentionnant le défi « de veiller à ce que les mesures destinées à lutter contre l’exploitation clandestine des forêts, et en particulier le renforcement de l’application de la législation en la matière, ne se polarisent pas sur les plus faibles, en épargnant les plus puissants. Cela exige une attention particulière dans les pays où certains éléments corrompus de la police et des services judiciaires se rendent complices d’activités commerciales illégales de grande envergure ». Il s’agit donc du premier des documents de l’UE à préconiser une réforme des politiques. En outre, le plan d’action dit que « les réglementations et politiques forestières en vigueur ont tendance à favoriser les grandes exploitations forestières et risquent, ce faisant, de priver la population locale d’un accès aux ressources forestières. Pareille injustice est source de ressentiment et de discorde. Elle contraint aussi la population locale, tributaire des ressources forestières, à opérer dans l’illégalité, faute, le plus souvent, de disposer d’autres moyens de subsistance ». Le plan d’action affirme que les populations tributaires des forêts peuvent devenir des alliés de poids dans l’action entreprise pour réduire l’exploitation clandestine des forêts. Ainsi, en ce qui concerne les causes sous-jacentes des pratiques forestières illégales et non durables, ce plan d’action est le document sur les forêts le plus progressiste que l’UE ait produit à ce jour, et il ouvre la voie à de nouveaux débats sur des questions telles que la réforme des lois forestières, les régimes fonciers et la corruption.
Deuxièmement, en adoptant le plan d’action, le Conseil de l’Union européenne a montré qu’il était tout à fait conscient de la nature politique du problème. En effet, il a exhorté la communauté européenne et ses États membres à veiller, au moment de mettre en oeuvre ce plan, à :
- renforcer les régimes de propriété et les droits d’accès, en particulier pour les communautés rurales marginalisées et les peuples autochtones ;
- renforcer la participation effective de tous les intéressés, surtout celle des acteurs non étatiques et des populations autochtones, à l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques ;
- augmenter la transparence des activités d’exploitation forestière, y compris par l’introduction d’un suivi indépendant ;
- réduire la corruption dans le domaine de l’octroi de concessions forestières et de la récolte et le commerce du bois.
Le Conseil frayait ainsi le chemin à une mise en oeuvre de ce plan d’action susceptible d’attaquer les causes sous-jacentes de la perte de forêts, telles les régimes fonciers imprécis ou injustes, la corruption, l’absence de transparence et le manque de participation à la formulation de politiques.
Troisièmement, le processus FLEGT a jusqu’ici ménagé un certain espace politique aux ONG du Sud, surtout en Indonésie, au Ghana et au Brésil, pour qu’elles mettent en avant leurs programmes, où figurent la plupart des points mentionnés ci-dessus.
Quatrièmement, le plan d’action va au-delà du régime de permis préconisé par le FLEGT ; il réclame le renforcement du devoir de diligence de la part des institutions financières, agences de crédit à l’exportation et banques privées, et demande aux États membres de prévoir la mise en place d’autres mesures, concernant par exemple la législation sur le blanchiment de capitaux et celle sur les biens volés. Ce faisant, le plan d’action a ouvert un débat sur la réforme des institutions financières et contraint les États membres à examiner leurs législations respectives.
Ainsi, le plan d’action FLEGT, son projet de permis compris, a le potentiel de fournir à la société civile des opportunités d’intervenir pour que soient résolus des problèmes d’ordre nettement politique, tels que les droits fonciers et les droits de propriété, la transparence et la corruption, et la réforme de la législation forestière qui est si nécessaire dans certains cas. Parallèlement, le plan d’action risque de saper les campagnes nationales et locales menées à propos de ces mêmes questions, par exemple en permettant que soient adoptées des définitions étroites de la légalité, que les mouvements environnementaux et sociaux soient privés de participer à la définition de ce qui est légal, et qu’il soit possible de conclure un accord de partenariat volontaire sans avoir rempli au préalable des conditions minimales.
Il est donc trop tôt pour déterminer si le plan d’action FLEGT aura des conséquences positives ou négatives. Cela est dû, entre autres, au fait que les textes définitifs de la réglementation et de la négociation, qui établissent la procédure pour conclure les accords de partenariat volontaire, n’ont pas encore été adoptés et que les négociations dans ce domaine n’ont pas encore démarré. Ce qui est clair est que certains éléments de l’industrie du bois ont déjà commencé à se servir du projet de permis FLEGT pour détourner l’attention de la « production durable » et ne considérer que la « production légale ». Il est clair aussi que certaines coalitions d’ONG sont en train de profiter avec succès des opportunités fournies par le plan d’action FLEGT pour exiger des solutions à la corruption endémique, le manque de transparence et les conflits en matière de droits fonciers. Ce qui est moins clair est que les délégations de l’UE qui dirigeront les négociations sur les accords de partenariat volontaire soient susceptibles d’appuyer leurs demandes. Trop souvent, ces délégations ont utilisé l’argument de la souveraineté pour défendre les intérêts de l’industrie du bois aux dépens de ceux de la population locale.
Les ONG d’Europe et du Sud ont clairement précisé, dans plusieurs déclarations conjointes, quelles sont à leur avis les conditions qu’il faut nécessairement remplir pour que le régime de permis du FLEGT soit efficace (voir www.fern.org). C’est maintenant aux États membres de l’UE de voir s’ils ont le courage de les accepter. S’ils ne le font pas, les ONG d’Europe et du Sud n’auront d’autre recours que de dénoncer le régime de permis du FLEGT et de contraindre leurs gouvernements à se centrer sur d’autres mesures, dont certaines sont indiquées dans le plan d’action FLEGT, pour attaquer les causes sous-jacentes de la production illégale et, par-dessus tout, de la production non durable, de bois.
Saskia Ozinga, FERN, adresse électronique : saskia@fern.org