Nouvelles révélations dans le scandale de l'huile de palme en RDC: des mesures urgentes doivent être prises dans le cadre de la médiation

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ICM mediation meeting in Boteka, May 2019

Des documents judiciaires américains révèlent que les banques européennes de développement ont empêché la restitution de près de 60 000 hectares de terres confisquées aux communautés de la République démocratique du Congo (RDC) pour le palmier à huile.

Le 4 avril, une alliance d'organisations a demandé aux gouvernements européens de suspendre le processus de médiation et de fournir aux communautés l'accès aux documents fonciers et un soutien juridique pour défendre leurs intérêts.

Lisez la lettre complète ci-dessous :

 

Destinataires : 
M. Niels Annen, BMZ State Secretary, Germany
Mme. Bruins Slot, Ministre des affaires étrangères, Pays-Bas
Mme. Caroline Gennez, Ministre de la coopération au développement, Belgique
Rt Hon Andrew Mitchell MP, Ministre de l'état, Foreign, Commonwealth & Development Office (FCDO), Royaume-Uni
 
Copie à : 
M. Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République démocratique du Congo
Mme. Christiane Rudolph, Chief Sustainability Officer, DEG
M. Michael Jongeneel, Chief Executive Officer, FMO
M. Joris Totté, Chief Executive Officer, BIO
M. Nick O’Donohoe CMG, Chief Executive Officer, BII
M. Michael Windfuhr, Panel d'experts indépendants,  Mécanisme Indépendant de gestion des Plaintes
 
Nous, organisations non gouvernementales soussignées, vous écrivons pour attirer votre attention sur de graves préoccupations concernant le processus de médiation en cours devant le Mécanisme Indépendant de gestion des Plaintes (MIP)  des banques de développement allemande et néerlandaise (DEG et FMO) en République Démocratique du Congo (RDC) qui concerne les opérations de la société Plantations et Huileries du Congo (PHC) et leur impact sur les communautés locales. Nous vous demandons de prendre en urgence les mesures nécessaires pour suspendre le processus de médiation jusqu’à ce que ces questions soient traitées. 
 
La médiation avait pour objectif de répondre à une plainte des communautés des régions de Lokutu et de Boteka, soulevant "des préoccupations quant à la légitimité des titres fonciers de la plantation et à la privation alléguée de l'utilisation des terres coutumières, aux abus physiques et aux violations des droits de l'homme commis par les gardes de sécurité et la police de PHC, et au manque d'information et de soutien juridique des communautés lors les négociations avec PHC"2.
 
Nous sommes toutefois profondément préoccupés par le fait que le processus de médiation du MIP force finalement les communautés affectées à renoncer à leurs droits fonciers et à accepter l'occupation continue de leurs terres par PHC, sans avoir eu le temps, les ressources, la sécurité et le soutien juridique nécessaires pour défendre leurs intérêts de manière adéquate. 
 
Nos préoccupations se fondent sur plusieurs élements, et notamment, le tout récent rapport du médiateur suite aux dernières sessions de médiation en janvier et février de cette année, les communications avec le RIAO-RDC (l'organisation mandatée pour représenter les communautés dans le processus de médiation), et de nouvelles informations qui ont été révélées par des affaires judiciaires aux États-Unis et à l'île Maurice qui suggèrent que les nouveaux propriétaires de PHC se livrent à une fraude financière grave et ont trompé les communautés sur le statut juridique des titres fonciers de PHC.
 
Nous sommes également alarmés de n'avoir découvert que récemment, grâce à des documents judiciaires rendus publics aux États-Unis, que la DEG, FMO et BIO et le Fonds d'Infrastructures pour l'Afrique Emergente (EAIF) avaient fait de la restitution de plus de la moitié des terres revendiquées par PHC dans ses concessions historiques, une condition pour le prêt de 49 millions de dollars US qu'ils ont accordé à PHC en 2015. Cette information a été cachée aux organisations de la société civile et aux parlementaires qui se sont engagés de bonne foi avec ces institutions de financement du développement (IFD) depuis 2015. Nous sommes choqués que ces banques de développement n'aient pas insisté sur une restitution claire de ces terres aux communautés, à tout le moins dans le cadre du processus de restructuration qui a eu lieu en 2020 lorsque la propriété de PHC a été transférée à un fonds d'investissement privé basé à Maurice, et nous sommes tout aussi indignés que cette information n’ait pas été révélée lors de la médiation du MIP. 
 
La "Version Exécutive" de l'accord de prêt entre les IFD et PHC
 
Selon la "Version Exécutive" de l'accord de prêt entre les IFD et PHC, le prêt était conditionné à la remise par PHC des documents suivants:
 
    • des avis juridiques "confirmant que les Concessions de Première Utilisation et les Autres Concessions de Lokutu/Boteka sont valides et ont été signées par les autorités compétentes et qu'elles ne sont grevées d'aucune charge et ne font l'objet d'aucun litige".
    • les "copies signées de chaque hypothèque de concession" pour "les concessions concernant toutes les zones des concessions de Boteka/Lokutu qui sont plantées ou seront plantées par l'Emprunteur au cours de la période de 5 ans suivant la date de la présente Convention".
    • un document élaborant la "stratégie pour les autres concessions de Boteka/Lokutu (vérifiée par un expert externe et dont les coûts seront supportés par l'Emprunteur) satisfaisant les Prêteurs, identifiant les concessions que l'Emprunteur souhaite conserver et celles qu'il souhaite restituer aux autorités compétentes de la RDC (en tenant compte des résultats  FESA, des Principes et Critères RSPO et des Critères de performance de la SFI, y compris, mais sans s'y limiter, les caractéristiques écologiques et socio-économiques des zones respectives), ainsi que des informations sur le processus et la manière dont l'Emprunteur restituera ces concessions aux autorités de la RDC, le tout conformément au PAES ou à ce que les Prêteurs peuvent exiger par ailleurs."
    • "la preuve satisfaisante pour les Prêteurs que l'Emprunteur a mis en œuvre la stratégie pour les Autres Concessions de Boteka/Lokutu telle que décrite au paragraphe 7 de l'Annexe 1, Partie 2, y compris la preuve que l'Emprunteur a (i) fragmenté tous les titres qu'il a l'intention de conserver et les a soumis à l'autorité compétente de la RDC pour signature et (ii) pris toutes les mesures nécessaires pour se défaire de tous les titres non désirés".
    • une "étude sur les questions relatives à l'héritage foncier"
    • une "politique foncière, approuvée par le Comité du Conseil d'administration ESG [Environnement, Social et Gouvernance] et les Prêteurs, sur la base des résultats de l'étude sur les questions d'héritage foncier".
    • un "Plan de gestion des terres (PGT) pour mettre en œuvre la politique foncière, approuvé par le Comité du Conseil d'administration ESG et les Prêteurs, pour inclure l'utilisation actuelle et prévue des terres par le projet, le potentiel d'extension et les plans d'expansion, les utilisations existantes des terres et l'approche pour gérer les conflits potentiels d'utilisation des terres (y compris tout litige concernant les limites découlant de l'Action #3.4 et #3.5) et les questions écologiques liées aux terres (découlant de l'Action #3.2) ; L’approche de l'entreprise concernant l'accès aux terres pour les activités de l'entreprise telles que définies dans la politique d'acquisition des terres (à la fois les terres nouvellement acquises et les terres actuellement utilisées par les communautés), c'est-à-dire les zones et  réserves susceptibles d’être plantées, y compris les délais, les exigences en matière de consultation, les compensations potentielles ou les mesures d'atténuation les activités communautaires autorisées".* 
 
Au regard des obligations en matières de droits humains et des divers engagements internationaux pris par les gouvernements des banques de développement concernées, le fait de ne pas avoir imposé effectivement la mise en oeuvre de ces conditions, et de ne pas avoir mis les documents à la disposition des communautés consitute des manquements ayant causé de graves préjudices à ces dernières. Aujourd’hui, les copies de ces documents devraient  être immédiatement rendues publiques et fournies aux communautés affectées, ainsi qu'à tous les participants au processus de médiation du MIP. En outre, les IFD et leurs gouvernements devraient prendre des mesures immédiates pour remédier aux violations flagrantes des conditions de l'accord de prêt à PHC.
 
Comme le montre clairement le dernier rapport du médiateur du MIP, le processus se base sur l’ensemble des anciennes concessions foncières (certificats d'enregistrement) qui remontent à la période coloniale. Comme condition de l'accord de prêt de 2015 par les IFD, PHC a segmenté ces concessions en de nombreuses concessions plus petites couvrant uniquement les terres qui "sont plantées ou seront plantées par [PHC] au cours de la période de 5 ans suivant la date de l'accord". L'accord précisait que la superficie restante, soit 7 477,11 hectares à Boteka, 8 000 hectares à Yaligimba et 43 295,69 hectares à Lokutu - une superficie totale qui représente bien plus de la moitié de la superficie totale revendiquée par PHC - devait être restituée aux autorités de la RDC. Cette gigantestque superficie de terres de 58.773 ha n’a jamais été restituée aux autorités ou aux communautés. 
 
Exemple d'une des concessions fragmentées, dans laquelle l'ancien titre est réputé avoir été annulé (dans ce cas, la concession annulée, CK 99 - folio 136, couvre 46 200 ha à Lokutu).
 
En 2017, notre coalition d'organisations de la société civile a été autorisée à visiter les bureaux londoniens de Feronia Inc. (à l'époque propriétaire de PHC) et à photographier l'ensemble des documents fonciers de PHC. Nous avons ensuite commandité une analyse juridique des documents. Pour chacune des nouvelles concessions fragmentées attribuées à PHC en 2015, il existe une lettre du Ministère des Affaires Foncières de la RDC, signée par le Procureur général de la République, indiquant que les anciennes concessions, à partir desquelles les concessions ont été fragmentées, ont été annulées.6 Nous avons également pu établir clairement que les anciennes concessions datant de l’époque coloniale étaient profondément viciées et non conformes à la législation de la RDC. Les anciennes concessions de Boteka devaient également expirer en 2019.
 
En 2017, nous avons alerté Kuramo Capital, les propriétaires actuels de PHC, sur nos préoccupations concernant la légalité des documents fonciers de PHC lorsque la société envisageait pour la première fois un investissement dans PHC (via Feronia Inc.). Dans une réponse par courriel du 13 novembre 2017, dont les IFD ont été mises en copie, le PDG de Kuramo Capital, Wale Adeosun, a déclaré qu'ils avaient procédé à une "diligence raisonnable approfondie" et que leurs "évaluations ont révélé que la société dispose effectivement d'un titre foncier valide, que vos collègues ont vu et photographié au bureau londonien de la société en février". Il a également déclaré : "Nous comprenons que la décision de la société de fragmenter ses titres légaux existants en zones plus petites a été prise ... pour s'assurer que la société ne fournisse une garantie pour son prêt IFD que sur les terres sur lesquelles elle opère, car elle a estimé qu'il n'était pas juste de garantir le prêt sur des terres contenant des villages et des infrastructures communautaires; et pour permettre à la société de potentiellement renoncer à des terres qu'elle n'utilisera pas à l'avenir".
 
Rapport soumis au processus de médiation montrant que les revendications foncières de PHC à Lokutu sont basées sur la concession foncière annulée, y compris celles correspondant à CK99 - folio 136.
 
Lors des dernières séances de médiation, PHC a déclaré, sans fournir aucune preuve documentée, que ces titres fonciers fragmentés n'étaient pas valables et que ses revendications foncières étaient basées sur les anciens titres, qui, selon l'entreprise, restent valables, toujours sans fournir aucune preuve. Il est important de noter que PHC a refusé de fournir des copies de ses documents fonciers aux commissions mixtes formées dans le cadre du processus du MIP pour enquêter sur la question de savoir si PHC violait les limites de ses concessions et, dans le cas de Lokutu, si elle avait suivi une procédure régulière pour l'acquisition de ces concessions.  À Lokutu, l'équipe de médiation a donc été obligée de demander des copies de ces titres au Conservateur des titres immobiliers, qui a ensuite demandé des copies à PHC, indiquant que le gouvernement lui-même n'avait pas de copies de ces titres. Dans une lettre au Conservateur des titres immobiliers datée du 13 novembre 2023, la directrice générale de PHC a déclaré qu'elle "refusait" de fournir des copies des titres fonciers de PHC à l'équipe de médiation parce qu'ils pourraient être "utilisés de manière abusive".
 
La médiation du MIP est en cours depuis cinq ans maintenant et n'a pas encore progressé sur les  éléments centraux de la plainte des communautés: la "légitimité des titres fonciers de la plantation" et le "manque d'information et de soutien juridique des communautés dans les négociations avec PHC". Les communautés ont reçu un délai de deux mois et 100 USD chacune après la conclusion des dernières sessions de médiation pour indiquer ce qu'elles "demandent" à PHC en guise de "compensation" en échange de l'acceptation de "la légitimité des titres fonciers de PHC à partir de 2015".  
 
Document de l'ancienne concession de 46 200 ha CK 99-folio 136, délivrée lorsque PHC appartenait encore à Unilever.
 
D’autre part, les communautés n’ont aucune vue sur la situation financière de l'entreprise et n'ont accès à aucun rapport financier récent de l'entreprise. Cette situation est d'autant plus grave que les administrateurs et les actionnaires de PHC sont engagés dans deux grandes batailles juridiques, dont l'une fait échos à une plainte contre les administrateurs actuels et la haute direction pour utiliser PHC comme véhicule de fraude et de blanchiment d'argent. Il est notamment établit que les états financiers audités attendus pour 2020 et 2021 n'ont toujours pas été fournis au Conseil d'administration de la société holding de PHC.
 
Parallèlement, le risque est grand que, dans le cadre du processus de médiation, les communautés soient poussées, notamment par manque de temps et de capacités, par peur de représailles de la part des gardes de sécurité de l'entreprise et de la police nationale, et par manque d'informations, à accepter des conditions injustes qui auront des conséquences néfastes à long terme, en particulier en ce qui concerne leurs droits fonciers. 
 
À la lumière de ces questions pressantes, nous vous demandons de prendre des mesures urgentes pour garantir une pause immédiate du processus de médiation du MIP. Au cours de cette pause, les communautés affectées doivent avoir accès aux états financiers et aux rapports de PHC. Elles doivent également avoir accès à tous les documents fonciers de PHC, y compris les copies de tous les documents produits par PHC comme condition de son prêt de 2015 auprès des IFD. Ils doivent également disposer des ressources nécessaires pour réaliser un audit indépendant des documents financiers et une analyse juridique indépendante des documents fonciers avant que la médiation du MIP n'aille plus loin. Le panel du MIP doit expliquer pourquoi ces informations n'ont pas été fournies précédemment aux communautés.
 
Les banques de développement elles-mêmes ont exigé ce type de transparence et de documentation lorsqu'elles ont accordé un prêt à PHC en 2015. Elles et les gouvernements dont elles dépendent doivent, au minimum, garantir le même degré de transparence aux communautés qui subissent les conséquences de l'occupation de leurs terres par cette entreprise depuis plus d'un siècle, une occupation financée par les banques de développement européennes. Il ne peut y avoir de processus de médiation juste et efficace sans cela.
 
Nous vous remercions de l'attention que vous porterez à cette question urgente. 
 
Bien à vous,
 
Corner House - Royaume-Uni
Entraide et Fraternité - Belgique
FIAN-Belgium
FIAN- Germany
Global Legal Action Network 
GRAIN
Institute of Sustainable Agriculture (ISA) - Liberia
Jogbar United Women Empowerment and Development Organization (JUWEDO) - Liberia 
Milieudefensie - Pays-Bas
Oakland Institute - États-Unis
Rettet den Regenwald - Allemagne
RIAO-RDC - RD Congo
Struggle to Economize Future Environment (SEFE) - Cameroun
Syndicat des paysans riverains de la Socapalm (Synaparcam) - Cameroun 
World Rainforest Movement
 
* Extraits traduits librement par les auteurs du courrier, seule la version anglaise fait foi.