Au cours des dix dernières années, le Mozambique a été la destination de plusieurs investissements de divers secteurs pour l’acquisition de terres de catégorie tant agricole que non agricole pour le développement d’une multitude d’activités notamment l’agrobusiness, les plantations de monocultures d’arbres et les mines. La découverte de ressources minérales, la facilité à laquelle les investisseurs étrangers peuvent acquérir des terres, l’abondance de terres fertiles avec un accès à l’eau, l’enrichissement illicite de certaines élites, l’absence de politiques qui protègent les couches les plus vulnérables de la population, la naïveté et la faible scolarisation des communautés rurales et la mauvaise application de la Loi sur les terres représentent quelques-uns des nombreux facteurs qui attirent les investissements privés au Mozambique — engendrant l’expropriation ou l’usurpation des terres communautaires.
Dans ce contexte, les projets de monocultures d’arbres industrielles gagnent de plus en plus de terrain au chapitre des acquisitions et des litiges fonciers. Cette progression a été à l’origine de sérieux conflits avec les communautés qui n’hésitent pas à se mobiliser et même à incendier les plantations pour manifester leur insatisfaction (1).
Portucel Mozambique appartient à l’ancien groupe portugais Portucel Soporcel, lequel s’appelle maintenant The Navigator Company. Cette société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de papier et d’autres dérivés du bois possède de grandes superficies de plantations d’arbres. La première étape du projet de Portucel au Mozambique consiste à établir 60 000 hectares de nouvelles plantations d’eucalyptus dans les provinces centrales de Zambezia et de Manica (2). L’entreprise portugaise s’est dotée d’un plan de « reforestation » qui vise à couvrir une superficie de 356 000 hectares d’ici 2026. La valeur de l’investissement dans la plantation d’eucalyptus et la production de papier et d’énergie au Mozambique, financé par l’International Finance Corporation (IFC), laquelle fait partie de la Banque mondiale, atteint 1,7 milliard d’euros, c’est-à-dire 2,3 milliards de dollars.
La société a été fondée en avril 2009 et a obtenu un DUAT (droit d’utilisation et d’exploitation de la terre) sur environ 356 000 hectares dont près de 183 000 se trouvent dans les districts de Barue, Manica, Mossurize, Gondola et Sussunenga dans la province de Manica, et environ 173 000 hectares dans les districts d’Ile, Mulevala (lequel n’était à ce moment qu’un « poste administratif » ou sous-division de district) et Namarroi. Environ 13 000 familles dans la province de Zambezia et 11 000 familles dans la province de Manica vivent dans les zones du DUAT de l’entreprise (3).
Dans les zones où la société Portucel s’est installée, l’agriculture constitue la principale activité de subsistance et de génération de revenus de la population locale. Presque tous les membres de la famille participent à cette activité effectuée manuellement sur de petites parcelles familiales au moyen d’un régime d’association de cultures avec des variétés locales. La production agricole est effectuée principalement dans des conditions de sécheresse de sorte qu’elle n’est pas toujours fructueuse. Le risque de pertes est élevé en raison de la faible capacité d’accumulation d’humidité du sol durant la période de croissance des cultures (4). Dans ce contexte, le système de production dominant est celui de cultures associées ou mixtes, par exemple le manioc, le maïs et les haricots nhemba (niébé ou haricot à œil noir) et boere, ou encore la mapira (une espèce de sorgho), le maïs et le niébé, ou ces deux associations ensemble. Les familles paysannes cultivent aussi des amandiers, mais à moindre échelle.
Le modèle d’occupation des terres (appelé mosaïque) (5) et d’acquisition du DUAT (Droit d’utilisation et d’exploitation de la terre) de l’entreprise, ainsi que les effets que ce modèle a commencé à causer dans les zones où l’entreprise est active, ne sont pas passés inaperçus et ont fait l’objet de plusieurs analyses et études de diverses entités universitaires, instituts de recherche et organisations de la société civile. Curieusement, les résultats et les conclusions de ces analyses indiquent que Portucel a commis des irrégularités dans ses actions et a causé des torts à plusieurs familles en usurpant des terres fertiles aptes à l’agriculture (6).
Par exemple, dans son étude de 2016 (7) sur le processus d’accès à la terre et les droits des communautés locales dans les zones occupées par Portucel à Socone, district d’Ile, province de Zambezia, l’organisation de la société civile Justiça Ambiental a conclu que : (i) les consultations communautaires en vue de l’acquisition de DUAT montrent des irrégularités juridiques parce qu’elles ont été mal menées ; les membres des communautés n’ont pas compris qu’en cédant des parcelles de terre, ils recevraient à peine la valeur du travail de nettoyage de ces mêmes parcelles ; (ii) l’insatisfaction des membres des communautés est visible en raison des attentes élevées générées par les multiples promesses faites lors des consultations communautaires et exacerbée par la situation vulnérable de pauvreté de ces communautés, ce qui les convertit en cibles de persuasion faciles ; (iii) les communautés visitées sentent que l’arrivée de Portucel limite leur accès à la terre et les place dans une situation de plus grande vulnérabilité et insécurité alimentaire ; (iv) il n’y a aucune clarté en ce qui concerne les types d’emplois qui seront offerts ; la plupart du temps, la communauté n’a accès qu’à des emplois précaires de courte durée avec des salaires non fixés.
À son tour, une étude de l’institut de recherche OMR (Observatoire du milieu rural) à Namarroi, province de Zambezia, en 2017, intitulée « Plantações florestais e a instrumentalização do Estado em Moçambique » (Plantations forestières et instrumentalisation de l’État du Mozambique) (8) a constaté que les actions de Portucel ont causé : (i) une diminution des superficies de production familiale ; (ii) une réduction de la quantité produite et de la structure productive, ce qui indique des risques potentiels d’insécurité alimentaire ; (iii) une réduction de la sécurité de possession de la terre des noyaux familiaux et des générations futures ; (iv) un déséquilibre du marché du travail, du sous-emploi et de la dépendance sur le salaire ; (v) une différenciation des classes sociales au plan communautaire, promue par le développement non inclusif typique de ce genre d’action.
Une autre analyse de nature juridique que Justiça Ambiental a réalisée laisse entendre que l’entreprise a obtenu le DUAT avant de réaliser la consultation communautaire.
De plus, l’on pense que le « modèle de la mosaïque », que la société a prétendument mis en œuvre dans le processus d’occupation de la terre, pose problème. En plus de contribuer à l’augmentation de la distance que les habitants doivent parcourir pour trouver du bois de chauffe et d’autres ressources de bois, et de permettre que les monocultures d’eucalyptus entourent les parcelles que la population cultive pour s’alimenter, ce modèle contribue à réduire les superficies de production des familles et du coup la production agricole. (9).
Devant ce panorama, le gouvernement a la responsabilité d’intervenir immédiatement pour sauvegarder le droit des communautés locales et garantir que les investissements étrangers soient attirés dans le pays de manière responsable et rationnelle, sans mettre en péril la subsistance des familles locales ni la durabilité des ressources naturelles et de l’environnement en général. Ainsi, en août 2017, Justiça Ambiental a présenté une requête d’intervention au Défenseur du peuple du Mozambique pour qu’il établisse la légalité, la justice et les droits des communautés touchées par les projets de la société Portucel Mozambique.
Justiça Ambiental, https://ja4change.wordpress.com/
(1) Calengo, A. ; Machava, F. ; Vendo, J. ; Simalawonga, R. ; Kabura, R. et Mananze, S. (2016). O Avanço das Plantações Florestais sobre os Territórios dos Camponeses no Corredor de Nacala: o caso da Green Resources Moçambique (La progression des plantations forestières dans les territoires paysans du corridor de Nacala : le cas de Green Resources Mozambique). Maputo : Livaningo, Justiça Ambiental et União Nacional dos Camponeses, https://issuu.com/justicaambiental/docs/o_caso_da_green_resources_moc__ambi
(2) Banco Mundial financia com 1,7 MME projeto da Portucel em Moçambique (La Banque mondiale finance à la hauteur de 1,7 milliard d’euros le projet de Portucel au Mozambique), octobre 2013, http://noticias.sapo.pt/internacional/artigo/banco-mundial-financia-com-1-7-mme-projeto-da-portucel-em-mocambique_16824131.html
(3) A Portucel Moçambique (Portucel Mozambique), http://www.portucelmocambique.com/Publicacoes-e-Documentos
(4) MAE — ministère de l’administration étatique (2005). Profil du district d’Ile, province de Zambezia, République de Mozambique.
(5) Modèle adopté par Portucel qui comporte, en théorie, l’accès graduel à la terre après avoir obtenu le consentement des communautés, à la suite d’un processus de négociation entre l’entreprise et la population résidant dans les zones couvertes par le DUAT. Par la suite, les plantations sont établies dans les zones cédées, de manière volontaire, en se basant sur le modèle de mosaïque (Portucel, 2016 cité par Bruna, 2016).
(6) Bruna, N. (2017) : Plantações florestais e a instrumentalização do estado em Moçambique (Les plantations forestières et l’instrumentalisation de l’État au Mozambique). Maputo: Observatório do Meio Rural, http://omrmz.org/omrweb/publicacoes/or-53-plantacoes-florestais-e-a-instrumentalizacao-do-estado-em-mocambique/ ; Machoco, R. ; Cabanelas, V. E; Overbeek, W. (2016). Portucel — O processo de acesso à terra e os direitos das comunidades locais (Portucel — Le processus d’accès à la terre et les droits des communautés locales). Maputo: Justiça Ambiental, http://wrm.org.uy/pt/outras-informacoes-relevantes/portucel-o-processo-de-acesso-a-terra-e-os-direitos-das-comunidades-locais/ ; ADECRU, Plantações florestais da Portucel ameaçam a segurança alimentar nas comunidades do distrito de Namaroi, na Zambézia (Les plantations forestières de Portucel menacent la sécurité alimentaire dans les communautés du district de Namaroi, province de Zambezia), https://adecru.wordpress.com/2016/07/01/plantacoes-florestais-da-portucel-ameacam-a-seguranca-alimentar-nas-comunidades-do-distrito-de-namaroi-na-zambezia/ ; Jornal Verdade, Camponeses de Chiuala-Honde revoltados com a Portucel (Les paysans de Chiuala-Honde indignés avec Portucel), 2013, http://www.verdade.co.mz/economia/38305-camponeses-de-chiuala-honde-revoltados-com-a-portucel e Jornal Verdade, Portucel — mais um caso de conflitos de terra (Portucel — un autre cas de conflits fonciers), 2013, http://www.verdade.co.mz/ambiente/42243-portucel-mais-um-caso-de-conflitos-de-terra
(7) Machoco, R. ; Cabanelas, V. E ; et Overbeek, W. (2016). Portucel – O processo de acesso à terra e os direitos das comunidades locais (Portucel — Le processus d’accès à la terre et les droits des communautés locales). Maputo: Justiça Ambiental, http://wrm.org.uy/pt/outras-informacoes-relevantes/portucel-o-processo-de-acesso-a-terra-e-os-direitos-das-comunidades-locais/.
(8) Bruna, N. (2017): Plantações florestais e a instrumentalização do estado em Moçambique. Maputo : Observatório do Meio Rural, http://omrmz.org/omrweb/publicacoes/or-53-plantacoes-florestais-e-a-instrumentalizacao-do-estado-em-mocambique/
(9) Idem (8) et Machoco, R.; Cabanelas, V. E; et Overbeek, W. (2016). Portucel – O processo de acesso à terra e os direitos das comunidades locais. Maputo: Justiça Ambiental, http://wrm.org.uy/pt/outras-informacoes-relevantes/portucel-o-processo-de-acesso-a-terra-e-os-direitos-das-comunidades-locais/