Gabon : un nouveau rapport met en garde sur les conséquences de la prolifération des plantations industrielles de palmiers à huile et d’hévéas


L’ONG gabonaise Brainforest a mené, en collaboration avec FERN et WRM, une étude qui donne l’alerte sur les effets des plantations industrielles de palmiers à huile et d’hévéas au Gabon. (1) Le gouvernement a annoncé en 2012 qu’il aspire à faire du Gabon le principal producteur d’huile de palme d’Afrique. Le présent article, basé sur l’étude mentionnée, fournit des renseignements sur les entreprises concernées, sur leurs projets et sur les effets déjà constatés, et alerte sur les impacts à venir.

Le Gabon, un pays forestier

Les forêts tropicales du Gabon couvrent 85 % du territoire et possèdent une immense diversité d’espèces. C’est sur cette richesse que les communautés locales ont construit leur mode de vie. Près de 300 000 personnes y subsistent grâce à l’agriculture, la chasse, la pêche et la cueillette.

De façon générale, les hommes pratiquent la chasse, tandis que les femmes se chargent de l’agriculture de subsistance et commerciale, et de la cueillette de produits à des fins diverses, y compris médicinales. La pêche est pratiquée autant par les hommes que par les femmes.

La population du Gabon est composée d’une dizaine de groupes culturels qui représentent une quarantaine d’ethnies, chacune avec ses rites et ses coutumes. Les forêts sont très importantes pour l’identité culturelle des peuples Guisir, Apindji, Sango, Nzébi, Punu et Fang, qui comprennent la majorité de la population des régions touchées par les projets de plantation de palmiers à huile et d’hévéas.

L’expansion des plantations de palmiers à huile et d’hévéas, et les entreprises concernées
Le « Plan stratégique Gabon émergent » du Président de la République prévoit d’accroître la plantation en régime de monoculture du palmier à huile et de l’hévéa pour développer l’agriculture d’exportation. Le gouvernement souhaite encourager aussi bien les plantations faites par des entreprises que les « plantations communautaires » faites par la population. Le Plan mentionne deux entreprises qui développeront les plantations de palmiers à huile et d’hévéas : OLAM et SIAT Gabon.

OLAM International est une multinationale singapourienne présente dans 64 pays, et installée au Gabon depuis 1999. Son activité dans le pays était l’extraction de bois mais, en 2009, elle a commencé à s’occuper aussi de la production d’huile de palme par l’intermédiaire d’OLAM Palm Gabon et de celle de caoutchouc grâce à OLAM Rubber Gabon, en association avec l’État gabonais. Celui-ci participe à la production d’huile de palme avec 30 % des parts de l’entreprise et à celle de caoutchouc avec 20 % des parts.

Les rares informations publiées montrent qu’OLAM a déjà obtenu le droit d’utiliser 87 274 hectares pour une période de 50 ans qui peut être prorogée. L’accord porte sur une superficie totale de 300 000 hectares, mais les pourcentages affectés aux plantations d’hévéas et de palmiers à huile ne sont pas connus. Les régions concernées se trouvent dans les provinces de l’Estuaire (projet de palmiers à huile d’Awala), de la Ngounié (projet de palmiers à huile de Mouila) et du Woleu-Ntem (projet d’hévéas de Bitam/Minvoul). Pour ces projets de palmier à huile, l’entreprise a obtenu d’un consortium bancaire local un prêt de 228 millions USD.

OLAM déclare qu’elle prétend contribuer au développement à long terme du pays, augmenter l’entrée de devises au moyen de l’exportation, créer des emplois et prendre en compte les préoccupations des communautés. Pour ce faire, elle affirme qu’elle applique le principe du consentement, libre, informé et préalable (CLIP), et même les critères pour la certification de la RSPO, un label vert passablement critiqué auquel elle participe.

La RSPO

La RSPO est un type de « label vert » ou de « certification » né en Indonésie/Malaisie, qui vise à encourager la « production durable d’huile de palme ». L’organisation est constituée surtout par des entreprises (586) qui coordonnent cette initiative, et par une poignée d’ONG (26). La RSPO a été très critiquée pour avoir certifié de grandes entreprises responsables de déforestation et de violations des droits de l’homme, comme Wilmar. OLAM est la vice-présidente pour l’Afrique de cette organisation qui veut stimuler « le palmier à huile durable » dans le continent. (Voir les divers articles publiés par le WRM sur le thème du palmier à huile, www.wrm.org.uy).

SIAT Gabon a été créée en 2004, après la privatisation de trois entreprises d’État (AgroGabon, HévéGab et Ranch Nyanga), et elle appartient à 90 % au groupe belge SIAT. Ses activités sont la plantation et le traitement du palmier à huile et de l’hévéa.

SIAT Gabon a des plantations de palmiers à huile dans la province du Moyen-Ogooué (à Makouké, dans la région de Lambaréné), et des plantations d’hévéas dans les provinces de l’Estuaire (à Kango), du Woleu-Ntem (à Bitam et à Minvoul) et de la Nyanga (Tchibanga). SIAT espère obtenir en 2013 la certification de la RSPO. Les quatre concessions de SIAT au Gabon comprennent une superficie de 15 712 hectares, et l’entreprise vient d’entamer un processus d’expansion.

SIAT affirme avoir consulté les populations concernées ; elle s’engage à encourager les petits producteurs de palmiers à assurer leur propre production, et à prendre des mesures pour atténuer les impacts de ses plantations.

Des évaluations d’impact environnemental partielles

En vertu d’un décret présidentiel de 2005, les entreprises ont l’obligation de réaliser une évaluation d’impact environnemental. OLAM a déjà obtenu l’approbation des évaluations pour les projets d’Awala et de Mouila, et SIAT pour l’ensemble de ses projets. Or, ces approbations ont été mises en question.

Premièrement, la Direction générale de l’Environnement n’a pas encore créé les conditions suffisantes pour que le gouvernement puisse assurer le suivi de ces études et les évaluer comme il faut. Pour cette raison, l’approbation des études reste informelle.

Dans les cas d’OLAM et de SIAT, le manque d’information sur le contenu des évaluations et sur les critères appliqués pour décider de les approuver est une source d’inquiétude. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a eu la participation, par exemple de celle des fonctionnaires du gouvernement dans le rôle de consultants.

En ce qui concerne les études d’OLAM, qui devraient être rédigées et organisées de façon à en faciliter la compréhension, il faut souligner qu’elles utilisent un langage scientifique et technique qui rend la lecture difficile, et qu’elles ne fournissent pas certaines informations fondamentales, concernant, par exemple, les produits agricoles toxiques qui seront appliqués. En 2012, un groupe de représentants de la société civile de la région de Bitam/Minvoul a adressé au gouvernement une lettre où ils mettent en question l’approbation de l’étude sur le projet d’OLAM pour leur région.

Manque d’information, méfiance et avis critiques dans les régions et les communautés concernées

La population des zones d’impact ainsi que les autres parties prenantes intéressées ne connaissent pas les termes des accords passés par l’État avec OLAM. Par conséquent, elles ignorent aussi bien les bénéfices que les obligations prévues pour cette entreprise. La situation est la même dans le cas de SIAT.

En revanche, on sait qu’OLAM a choisi elle-même les terres où elle mène ses activités, ce qui est discutable car, en théorie du moins, une concession n’accorde pas ce droit à une entreprise. Or, dans le cas d’OLAM, l’État participe au projet, et même la présidence de la république. Ainsi, la population réagit avec beaucoup de précaution quand il s’agit de commenter le projet ou de s’y opposer d’une manière ou d’une autre. À plusieurs reprises, les communautés ont dit « Olam, c’est la présidence », tandis que des membres haut placés de l’administration gouvernementale affirment : « OLAM, c’est le projet du président ».

Malgré cela, dans quelques-unes des régions et des communautés visitées on entend des voix critiques, des expressions d’insatisfaction et des mises en question.

– La région de Mouila

La population de Mouila est relativement peu nombreuse et âgée, du fait d’un processus d’exode rural déjà entamé. Elle est constituée surtout par les ethnies Guisir, Apindji et Sango.
Le projet d’OLAM, qui est encore à l’étape initiale, prétend embrasser 42 500 hectares où il y aura aussi une pépinière. L’entreprise promet de créer 4 075 emplois, dont 374 existent en ce moment. OLAM affirme avoir réalisé des études socio-économiques, des consultations publiques et une cartographie sociale dans les 13 communautés les plus directement touchées. D’après ces études, au moins trois communautés subiront « de forts impacts ».

Au cours des « consultations », les communautés ont réclamé l’électrification, des emplois, des améliorations des services de santé, la protection de la terre, le respect des terres et des sols appartenant au village et l’accès à l’éducation. Certains villages ont fait aussi des demandes spécifiques : des scies à chaîne (Mighabé et Ditounga), une usine de production d’huile brute (Guidouma et Rembo), et un bateau (Saint-Martin).

Jusqu’à présent, l’entreprise a répondu en partie à la demande d’électrification en installant des panneaux solaires : « On nous dit qu’on aura droit à une ampoule et une prise par case, pour brancher des petites choses comme les portables ». Or, les ampoules installées n’éclairent que l’extérieur de la maison, qui donne sur la rue. OLAM a expliqué que l’intérieur sera l’objet d’une deuxième étape, ce qui a provoqué des doutes. Néanmoins, les communautés ont généralement donné leur accord au projet, espérant que leurs revendications seront respectées.

En revanche, à Mboukou la population s’est opposée au projet, estimant que ses conditions n’ont pas été respectées : au cours de la consultation effectuée, on leur aurait promis que 400 hectares de terres sauvages seraient réservés à l’usage de la communauté, et celle-ci aurait porté cette superficie à 550 hectares. Pourtant, l’étendue en question a été occupée par les plantations d’OLAM.

– La région de Kango

La plupart de la population de cette région appartient aux ethnies Nzébi, Fang, Punu et Sango. SIAT Gabon y possède 2 089 hectares de plantations d’hévéas. OLAM prétend occuper 7 500 hectares avec des palmiers à huile ; 2 500 hectares ont déjà été plantés et 1 370 hectares sont en préparation. OLAM affirme avoir déjà créé 915 emplois sur les 1 100 annoncés. Les plantations se concentrent dans le département de Komo-Kango qui, du fait de sa proximité de Libreville, est un grand producteur de légumes et de bananes qui approvisionne cette capitale.

Ici aussi, les communautés ont adhéré au projet, convaincues qu’il sera très difficile de freiner l’expansion du palmier à huile, mais elles essaient de s’assurer l’accès et le contrôle des zones qu’elles utilisent. Pour résoudre les conflits éventuels et garantir la production agricole, un forum a été créé, auquel participent OLAM, des organes gouvernementaux et des organisations non gouvernementales.

OLAM a réussi à attirer de la main-d’œuvre locale : des agriculteurs qui ont quitté leurs champs parce qu’ils avaient beaucoup de mal à les conserver, étant donné que, malgré quelques projets l’agriculture à petite échelle pour la production d’aliments ne bénéficie pas du même soutien gouvernemental que l’agro-industrie. En résultat, la production agricole de la région a chuté. En plus d’avoir cessé de produire des vivres pour eux et pour le marché régional, les travailleurs se plaignent de recevoir des salaires inférieurs à ceux qu’on leur avait promis.

Ici aussi, OLAM a installé de l’énergie solaire. Les communautés affirment qu’il s’agit surtout d’une initiative publicitaire : « Les lampadaires d’Olam n’éclairent que la route. [...] C’est de la publicité, ça ne nous apporte rien ! ».

Un problème spécifique qui s’est posé dernièrement est la migration des éléphants de la Remboué, ce qui a provoqué la destruction de 26 champs communautaires qui totalisent 12 hectares. Angeline Moulomba, présidente de la Fédération nationale des coopératives agricoles du Gabon (FENCOGA), et Nadia Kombi, présidente de la COOFERO (Coopérative des femmes de Rongoula) et chef du village, sont persuadées que cette migration est due aux 1 126 hectares qu’OLAM a déboisés pour installer une zone économique spéciale, ce qui a fragmenté la forêt. Cette déforestation pousserait les éléphants à migrer pour chercher de l’eau et de la nourriture. Ni OLAM ni les autorités n’ont répondu à leurs réclamations pour résoudre le problème.

– La région de Bitam/Minvoul

La population de cette région appartient surtout à l’ethnie Fang. Cela fait 20 ans que SIAT a des plantations d’hévéas sur 2 904 hectares, tandis qu’OLAM affirme avoir passé un accord pour développer la plus grande plantation d’hévéas du pays sur 28 000 hectares et pour construire une usine de traitement à Bitam et Minvoul.

Les habitants, les seuls de ceux qui ont été visités à avoir de l’expérience en matière de plantations d’hévéas à grande échelle depuis deux décennies, critiquent le projet : ils craignent qu’il y ait des conflits pour la terre et s’opposent au choix d’une espèce unique, au lieu de cultures plus traditionnelles dans la région, comme le cacao et le café, et de la production d’aliments en général. Les critiques portent aussi sur la promesse d’OLAM de créer 6 000 emplois. Leur expérience avec SIAT leur a montré que les emplois sont précaires et sans bénéfices sociaux. À l’heure actuelle, ces emplois sont assurés surtout par des travailleurs venus de l’extérieur (les « Burkinabé »), qui acceptent de telles conditions. Finalement, la population met en question les autorités, qui appuient activement OLAM pour que celle-ci commence à mettre en œuvre son projet sans que l’évaluation d’impact environnemental ait été complétée.

Les critiques de la population ont abouti à la création de comités locaux de surveillance du projet et d’une commission qui regroupe ces comités, dénommée « Collectif des populations des villages concernées par le projet Olam au Woleu-Ntem ». Ceci a déjà donné lieu à une lettre ouverte, à un mémorandum et à une lettre contraire à l’approbation de l’étude d’impact environnemental.

Un mémorandum critique de Woleu-Ntem

Dans son mémorandum de 2012, le collectif a dénoncé : « Les nombreux témoignages que nous recevons des compatriotes travaillant à Olam à Kango [...] permettent d’affirmer que cela ressemble déjà à des travaux forcés ». Quant à la proposition concernant les plantations communautaires, ils affirment que la concurrence entre ces plantations et celles de l’entreprise sera toujours « imparfaite [...] et déstabilisante » pour les populations locales. Le collectif conteste aussi la promesse de bénéfices socio-économiques pour le pays : « Olam bénéficierait de l’exonération d’impôts et de droits de douane pendant plus de 25 ans ! L’État ne gagnera donc rien sur ce projet ». En outre, ils dénoncent qu’OLAM va forcément détruire les champs communautaires, provoquer l’exode rural et avoir un effet négatif sur la culture Fang, puisque « cette forêt est un temple pour tous les villages limitrophes. C’est le lieu de prédilection de nos rites et coutumes. Ce serait un sacrilège que de donner ce site à des étrangers pour la monoculture de l’hévéa ». Le document considère la promesse d’amélioration du niveau de vie que fait OLAM comme une mauvaise plaisanterie (« C’est de l’humour de mauvais goût »), et s’indigne de la promesse de l’entreprise de leur fournir des générateurs, puisque presque tous les villages de la province en sont déjà équipés. Ils dénoncent la déforestation, la pollution que provoqueront l’usine et l’application de produits agricoles toxiques, et la plantation en régime de monoculture : toutes ces choses « sont hautement destructrices des écosystèmes forestiers et source d’un déséquilibre systémique grave ».

Le collectif rappelle aussi que les villages existaient déjà avant l’indépendance du Gabon, et il rejette la proposition d’OLAM de ne pas planter seulement sur un rayon de 5 km autour des villages, rappelant que « la loi 16/01 du 31 décembre 2001, portant code forestier, stipule dans son article 12 que le domaine forestier rural est constitué des terres et forêts dont la jouissance est réservée aux communautés villageoises, selon les modalités déterminées par voie réglementaire.

En d’autres termes, qu’elles y exercent un droit d’usage ». Et ils ajoutent : « D’après les données que nous avons actuellement, il s’avère que le domaine forestier sur lequel nous, populations du Woleu-Ntem, exerçons nos usages coutumiers, fait l’objet de convoitise et d’expropriation. Et tout usage de ce domaine forestier sans l’accord et la participation des ressortissants de cette province est considéré comme une violation de la loi 16/01 portant code forestier en République gabonaise, cause d’éventuels conflits entre populations et opérateurs économiques ».

En réponse, un conseiller du Président a « invité » la population à ne pas « s’opposer au développement » et à « soutenir le président ». Même la visite du Premier ministre, Raymond Ndong Sima, avec la présence de plus de 1 000 personnes, suivie de celle du président de la République, n’ont pas réussi à modifier la position de la population, comme le montre le témoignage suivant : « Tous ces gens qui parlent là ont profité d’HévéGab. Ils se sont enrichis, mais nous, on ne voit pas ce que cela nous a apporté ». Ces paroles font référence à l’actuel Premier ministre, ancien directeur général d’HévéGab.

L’impact sur deux éléments fondamentaux : le droit à la terre et la souveraineté alimentaire

– Le droit à la terre

De façon générale, les communautés des trois régions mentionnées sont en situation d’insécurité foncière parce que le droit d’usufruit de leurs terres, prévu par la Loi 16/01 de 2001, ne leur est pas garanti. La bureaucratie et le manque d’information sur leurs droits, même chez ceux qui habitent un territoire déterminé depuis de nombreuses générations, tendent à permettre que les plantations de palmiers à huile et d’hévéas empiètent sur leurs terres. Par exemple, toutes les communautés se plaignent que la zone tampon de 5 km entre les plantations et les villages est insuffisante, et elles proposent qu’elle soit élargie jusqu’à 7 km, ou que les entreprises cherchent d’autres régions pour leurs projets.

Dans toutes les « consultations » concernant les projets de palmiers ou d’hévéas, les communautés ont manifesté leur volonté collective que leurs droits fonciers soient garantis. Lorsque le gouvernement donne des terres en concession sans les avoir délimitées avec précision, l’insécurité augmente et des conflits éclatent.

Gabon Ma Terre Mon Droit

Une initiative importante est « Gabon Ma Terre Mon Droit » (www.gabonmaterre.com), une plateforme qui réunit une vingtaine d’ONG. Avec les communautés de certaines régions du pays, elle travaille sur le thème du droit à la terre afin de faire avancer le processus de régularisation de leur situation foncière.

– La souveraineté alimentaire

L’expansion des plantations industrielles aggravera encore davantage l’insécurité alimentaire dont souffre la majorité de la population, que ce soit en raison de la perte de terres et de la déforestation, ou du fait que les agriculteurs s’en vont travailler pour les entreprises de plantations de palmiers ou d’hévéas et peuvent difficilement s’occuper de leurs champs. « Nous allons perdre beaucoup de choses », disent les gens avec agacement. Un habitant de Doubou, région de Mouila, dit : « C’est cette brousse qui nous fait vivre et nous ne voulons pas la partager. [...] Si on ne peut plus planter, pêcher ou chasser, nous allons vivre comment ? ». La diminution de la production d’aliments met en péril la souveraineté alimentaire des habitants d’un pays qui, aujourd’hui, a besoin d’importer la plupart des aliments.

D’autre part, l’accès futur à l’eau inquiète les communautés. L’eau est en principe un bien commun, mais l’appropriation croissante des terres et des forêts par le secteur privé, la déforestation et l’expansion des plantations de palmiers à huile et d’hévéas éveillent des préoccupations à ce sujet.

Considérations finales et avertissements

Les impacts et les réactions du processus encore récent d’expansion des plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans plusieurs régions du Gabon donnent lieu aux considérations et aux avertissements suivants :

– L’importance de l’organisation populaire

Les communautés des régions concernées ne s’organisent pas habituellement en associations ou en coopératives mais, poussées par la menace que représentent les projets de plantations, la population est en train de s’organiser, considérant que cette démarche est fondamentale pour pouvoir défendre ses droits. Parmi les différentes organisations qui sont en train de se constituer, les associations d’agriculteurs se distinguent particulièrement ; quant aux coopératives, elles sont souvent constituées et dirigées par des femmes.

– L’importance de connaître ses droits

La population est de plus en plus consciente de l’importance de connaître ses droits, non seulement ses droits fonciers mais d’autres également, car c’est en les connaissant qu’on peut lutter pour les défendre ou mettre en question la légalité des actions d’OLAM et de SIAT Gabon. Cette connaissance est importante aussi lorsque les entreprises se réunissent avec les communautés, pour pouvoir, par exemple, exiger la rédaction d’un compte rendu de chaque réunion.

– Le droit d’usage du territoire

Il est indispensable que la reconnaissance des droits d’usage des terres fasse des progrès rapides, pour éviter que les communautés risquent de perdre les leurs au profit d’entreprises agro-industrielles ou autres qui sont en train de s’installer au Gabon. Pour cela, le gouvernement doit s’engager davantage à répondre à cette revendication de la population rurale et à ratifier des accords internationaux qui sont fondamentaux pour la protection des droits des populations indigènes et traditionnelles, comme par exemple la Convention 169 de l’OIT.

– Le droit à la souveraineté alimentaire et l’encouragement de la production agricole

Il est nécessaire de mieux soutenir les activités agricoles de la population, par exemple en mettant à effet la Loi 022 de 2008, qui met l’accent sur « la production de biens agricoles, alimentaires et non alimentaires de qualité et diversifiés répondant aux besoins des marchés nationaux », « l’organisation des circuits de commercialisation » et « la création de conditions favorables au financement de l’agriculture et de l’élevage et à l’accès à la propriété foncière ».

– Le droit à l’information et la réalisation correcte des évaluations d’impact

Les communautés doivent pouvoir obtenir toutes les informations pertinentes sur les projets agro-industriels prévus dans leurs régions. Les études d’impact environnemental doivent être réalisées de manière impartiale et transparente. La communauté a le droit d’assurer le suivi de ces études et d’y participer.

Et finalement, le principe du consentement libre, informé et préalable (CLIP), que SIAT Gabon et OLAM affirment appliquer en réalisant des consultations, doit être respecté avec sérieux. Cela implique non seulement d’informer clairement la population sur les projets prévus pour ses territoires et ses forêts, mais aussi de lui donner le droit de les accepter ou de les refuser, car son avenir en dépend.

(1) Franck Ndijimbi, 2013. « Étude sur l’impact des plantations agro-industrielles de palmiers à huile et d’hévéas sur les populations du Gabon », avec la collaboration de FERN et du WRM.