Durant les deux dernières années, le Laos a vu augmenter de façon spectaculaire l’investissement étranger direct dans les plantations commerciales d’arbres. D’après la Commission de la Planification et l’Investissement du pays, 21 projets pour un total de 18,3 millions USD ont été approuvés en 2005, tandis qu’en 2006 il y en a eu 39 pour un total de 458,5 millions et qu’en février 2007 il y avait 9 projets approuvés et 16 autres en attente, pour un total de 342 millions de dollars. Pour en donner un panorama rapide : des entreprises chinoises investissent dans des plantations d’hévéa dans le Nord du Laos, des entreprises de caoutchouc vietnamiennes se sont installées dans le Sud et quatre compagnies sont en train d’établir des plantations d’arbres à pâte dans la région centrale (Oji Paper, japonaise, Advance Agro, thaïlandaise, Grasim, indienne et Stora Enso, suédo-finnoise). Les raisons de cette croissance ininterrompue d’année en année sont complexes, mais un ensemble de politiques gouvernementales ont joué un rôle essentiel dans la promotion des plantations industrielles d’arbres. Il y a eu une série de plans nationaux et de stratégies forestières, depuis l’interdiction de l’exportation de bois manufacturé en 1989 et le décret interdisant la coupe commerciale en 1991.
La dernière en date est la Stratégie forestière nationale 2020, publiée en juillet 2005, après 5 ans de travaux. Cette stratégie prévoit d’augmenter le couvert « forestier », qui passerait de 40% à 70% d’ici 2020, en établissant des plantations industrielles d’arbres sur plus d’un million d’hectares. Les entreprises de plantation sont exonérées d’impôts fonciers et d’autres charges, et obtiennent des droits d’exploitation des terres pour des périodes de 30 à 50 ans, ou plus dans certaines zones économiques spéciales.
Pourtant, il n’est pas possible de connaître les racines profondes du boum des plantations sans analyser le programme de distribution de la terre et des forêts, qui a été (et qui reste) fondamental pour que les plantations commerciales disposent de terres.
Les activités de distribution de terres ont commencé au début des années 1990, et elles ont été consolidées en 1996 dans un programme national de distribution des terres boisées. Ce programme (LFA) a été conçu comme instrument principal pour démarquer les frontières coutumières des villages et donner aux villageois des droits temporaires d’exploitation des terres et des ressources forestières, avec la promesse (en général non tenue) de leur accorder des droits permanents aux dernières étapes de sa mise en oeuvre.
Le LFA est bientôt devenu l’un des principaux moyens d’atteindre l’objectif fixé en matière de plantation d’arbres. Le territoire traditionnel de chaque village a été défini et de nouvelles cartes dressées. La nouvelle carte du village était conçue de manière à contenir la population actuelle plus quelques terres en réserve pour les générations futures. Les terres agricoles ont été distribuées par unités d’exploitation, comme prévu par la loi, et les terres boisées ont été classées suivant les cinq catégories prévues par le Code foncier.
Or, si ce programme contenait de nombreux éléments progressifs, la réorganisation et la redistribution qu’il impliquait ont eu des conséquences graves pour les communautés traditionnelles, qui constituent 80% de la population du Laos, parce qu’elles ont été mises en oeuvre en association avec une politique visant à stabiliser, puis à éliminer, l’agriculture itinérante avant 2010.
Sous la pression de cet « objectif national », les jachères non exploitées n’ont plus été reconnues comme terres agricoles et elles ont été systématiquement désignées « forêts dégradées ». En fait, cela s’éloignait considérablement des termes du code forestier, qui dit que les terres forestières dégradées sont celles où la forêt ne se régénère pas naturellement. Habituellement, la jachère est exactement le contraire : une terre qui a été réservée, dans le cadre du système traditionnel de rotation des cultures, spécifiquement pour qu’elle puisse se régénérer et retourner à son état originel. Dans la plupart des cas, ces terres étaient au départ des forêts.
Les terres ainsi classées en application du LFA ont atteint un tiers de la surface totale, c’est-à-dire que de vastes étendues de jachères ont été rayées des cartes dans tout le pays et affectées à la plantation d’arbres.
Bien entendu, cela arrangeait les entreprises de plantation d’arbres, qui avaient grand intérêt à occuper les jachères au lieu d’être obligées (par la loi) à se contenter des terres dégradées les plus mauvaises et les moins fertiles, où la forêt n’allait jamais repousser. Dans certains cas, les entreprises ont utilisé leur influence pour que des terres fertiles soient classées comme dégradées. Le décret formalisant le programme de distribution de terres et de forêts a permis aux compagnies laotiennes et étrangères d’obtenir des terres boisées pour y établir des plantations d’arbres.
Une de ces entreprises était la BGA, d’origine néo-zélandaise, dont les concessions ont par la suite été reprises par la société japonaise Oji Paper. Bien que certains villages aient empêché Oji d’établir des plantations dans leur terre, dans beaucoup de cas le personnel de l’entreprise de plantation réussissait à obtenir les meilleures terres en réunissant l’équipe du programme à l’endroit voulu et en indiquant quelles terres devaient être considérées comme « dégradées » d’après les images satellite. Ensuite, les fonctionnaires gouvernementaux aidaient l’entreprise à obtenir les terres des gens du village.
L’enthousiasme du gouvernement du Laos pour les plantations d’arbres s’est souvent avéré injustifié. Dans bien des cas, les entreprises se sont contentées de profiter des règlements, d’obtenir des forêts saines, d’exploiter le bois des nombreuses essences de prix qu’elles contenaient, d’y faire une plantation d’arbres pitoyable et de plier bagage. Au début de cette année, le gouvernement a reconnu l’existence de ces problèmes et déclaré l’interdiction de nouvelles concessions de plus de 100 hectares.
En 2003, 113 000 ha de plantations avaient été établies dans le pays. Ce chiffre est monté à 146 000 ha en 2005, avec un taux de survie de 66%. La Stratégie 2020 reconnaît que la productivité est plus faible que prévu. Malheureusement, les plans pour améliorer la situation incluent l’établissement de plantations plus larges et l’adoption de nouvelles technologies forestières. Très probablement, cela apportera de nouveaux problèmes aux gens du pays, qui ont très peu de possibilités de s’opposer à ces changements.
Du côté positif, le gouvernement est maintenant en train de faire le point sur la diminution des zones boisées et l’augmentation massive des concessions accordées à des entreprises étrangères et nationales dans tout le pays. En 1982, les forêts couvraient 47% du territoire, mais ce chiffre est tombé aujourd’hui à 35%. Le nouveau service national d’aménagement du territoire a demandé la suspension des concessions pour des projets agricoles et de plantation d’arbres, dans le but de revoir la politique et de réévaluer les grands projets pour vérifier qu’ils respectent la législation. Le peuple laotien attendra avec impatience les résultats de cette analyse.
Rebeca Leonard, http://www.terraper.org