Les abus commis dans le parc national de la Salonga en RDC par les gardes du parc, qui bénéficient du soutien du financement du WWF et de nombreux donateurs internationaux, ne sont que les derniers à être documentés. Cette affaire est révélatrice d’un plus vaste problème de violations des droits et d’interventions coloniales dans les forêts tropicales.
Une enquête menée par Rainforest Foundation UK a établi que les communautés qui vivent autour du parc national de la Salonga, en République démocratique du Congo, ont été victimes de tortures, meurtres et viols collectifs perpétrés par les gardes du parc, qui bénéficient du soutien du financement du WWF et de toute une série de donateurs internationaux.
L’enquête fait état d’incidents graves, notamment de deux cas de viol collectif, de deux « exécutions extrajudiciaires » et de nombreux témoignages de tortures et d’autres formes de mauvais traitements infligés par des gardes de parc.
Le Fonds mondial pour la nature (World Wide Fund for Nature - WWF) a commencé à travailler dans le parc national de la Salonga, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 2004. Depuis 2015, le WWF est responsable de la gestion du parc.
Environ 700 communautés vivent autour du parc, notamment environ 130 000 personnes vivant dans un « couloir » entre les deux moitiés séparées du parc. Lorsque le parc a été créé en 1970, beaucoup de ces communautés ont été expulsées du parc et interdites d’accès à leurs forêts ancestrales, dont elles dépendent pour leur survie. Ces communautés dénoncent une malnutrition généralisée, qu’elles attribuent dans leur très grande majorité aux restrictions liées à la conservation sur les activités traditionnelles de chasse et de pêche.
Les mesures de conservation sont devenues de plus en plus militarisées ces dernières années. Les initiatives anti-braconnage sont gérées par l’autorité congolaise chargée des aires protégées (Institut congolais pour la conservation de la nature - ICCN), parfois en collaboration avec l’armée congolaise, qui vient s’ajouter aux quelque 300 écogardes employés dans le parc national de la Salonga.
« Les femmes qui s’aventurent dans le parc sont souvent violées et les hommes sont victimes d’extorsion et de torture », a déclaré un villageois vivant aux abords du parc à l’équipe d’enquête.
Le WWF et la Banque allemande de développement
En mai et octobre 2018, Rainforest Foundation UK a informé le WWF et la KfW, la Banque allemande de développement, l’un des bailleurs de fonds du parc national de la Salonga, des allégations de violation des droits de l’homme. En janvier 2019, le WWF a accepté de mettre en place une enquête sur les cas d’abus commis dans le parc national de la Salonga.
En février 2019, l’enquête a confirmé le meurtre de trois hommes, le viol de six femmes et la torture de trois hommes par des écogardes entre 2002 et 2016. Cependant, même si aucun accord n’a été conclu sur le fait que le rapport serait confidentiel, le WWF a déclaré à Rainforest Foundation UK qu’il ne divulguerait pas les résultats de l’enquête, sauf sous des conditions de stricte confidentialité.
Simon Counsell, directeur exécutif de Rainforest Foundation UK a précisé : « Même si ces informations sont choquantes, nous craignons que l’ampleur réelle de ces atrocités ne soit bien supérieure. Les entretiens, réalisés dans seulement deux zones proches du parc de la Salonga avec plus de 230 habitants, ont montré qu’un quart d’entre eux déclaraient avoir été victimes d’abus. Le WWF doit mettre à disposition les rapports de sa dernière enquête, reconnaître publiquement ce qui s’est passé dans le parc de la Salonga et s’engager publiquement à aider les victimes et à veiller à ce que de tels abus et préjudices vis-à-vis des communautés locales ne se reproduisent plus. »
Dans le même temps, des journalistes de BuzzFeed News, qui ont rapporté des abus généralisés autour des parcs nationaux soutenus par le WWF en Afrique et en Asie, ont engagé une procédure judiciaire pour que la KfW publie les documents concernant la correspondance liée au financement du parc national de la Salonga par la banque de développement. BuzzFeed News souhaite savoir quand la KfW et le gouvernement allemand ont été informés de graves violations des droits de l’homme et de la manière dont elles ont été traitées. Jusqu’à présent, KfW a fourni 5,4 millions d’euros (environ 6 millions de dollars) pour la gestion du parc national de la Salonga.
« C’est une question de contrôle »
En 2015, un employé du WWF a été nommé haut responsable du parc, à la tête de plusieurs centaines d’écogardes. Après avoir quitté son emploi, dans une interview avec le magazine Nomad, il a déclaré à propos des communautés vivant dans le parc national de la Salonga : «J’ai passé mes cinq premiers jours sur une pirogue à visiter les différents secteurs du parc. Plus vous vous enfoncez, plus cela devient isolé et sous-développé. Il y a une présence policière musclée. Je me suis rendu dans un village très isolé, où un contingent de policiers m’a accueilli en tenue antiémeute complète, avec des lance-roquettes. C’était très impressionnant. C’est une question de contrôle. Il y avait constamment des histoires d’extorsion, de vol, de viol et de passages à tabac. Ils font leur propre loi, tout comme l’armée congolaise affectée au parc pour contrôler le braconnage. Ils ont fait du bon travail dans la réduction du braconnage, mais de manière plutôt musclée. » (1)
Malheureusement, les abus commis dans le parc national de la Salonga ne sont que les plus récents de ceux documentés par Rainforest Foundation UK et Buzzfeed News. Ils ne représentent que la partie émergée d’un problème plus vaste de violations des droits de l’homme et d’interventions coloniales dans les forêts tropicales. Les organisations de conservation e retrouvent trop souvent au centre de ces graves violations.
(1) NOMAD, Accidents happen in Congo, août 2017
Cet article a été écrit sur la base des documents suivants :
- Rainforest Foundation UK, Widespread Human RightsAbuses in Africa’s largest Forest Park, mars 2019
- Rainforest Foundation UK, RFUK calls on WWF to immediately release details of investigation onto human rights abuses, avril 2019
- Buzzfeed News, Partie I : WWF’s Secret War; Partie II : Internal reports shows WWF was warned years ago of “frightening” abuses ; et Partie III : WWF says Indigenous People want this park but and internal report reveals fears of ranger « repression », mars 2019
- REDD-Monitor, « Torture, murder, rape » : WWF must release its report about abuses carried out by eco-guards in Salonga National Park