Le système REDD (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) et sa version élargie, REDD+, qui inclut les plantations industrielles d’arbres, font partie des options « de marché » pour faire face au changement climatique que nous considérons comme fausses, parce qu’elles ne s’attaquent pas aux véritables causes du problème. Le concept de départ de REDD est que les gouvernements, ou les propriétaires ou concessionnaires (entreprises, grandes ONG) des forêts du Sud devraient être récompensés de les maintenir sur pied au lieu de les abattre. Le système, en plus de transformer le carbone en marchandise, a des implications diverses en ce qui concerne les droits des peuples indigènes et des communautés locales et leurs possibilités d’accès aux forêts.
Néanmoins, les projets REDD+ continuent d’avancer, avec beaucoup d’argent en jeu. Une partie du processus est la disposition sur la préparation d’une proposition (Readiness Preparation Proposal – RPP) où le pays doit présenter le cadre de travail (les types d’études et leur préparation, leur mise en œuvre, les termes de référence) qui lui permettra d’être « préparé » à participer aux systèmes d’incitations financières à REDD+. Les directives concernant les documents R-PP ont été formulées par le Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF), un partenariat géré par la Banque mondiale pour faciliter les projets REDD+. La Banque mondiale joue, encore une fois, un rôle actif dans le processus de transformation de la nature, et dans ce cas du climat, en objet de spéculation, en facilitant la mobilisation de sommes d’argent considérables, les investissements financiers et les transactions boursières.
La R-PP que le gouvernement d’El Salvador a soumise au FCPF a provoqué une forte réaction des organisations sociales et académiques du pays, qui ont présenté publiquement leurs arguments contre le document en question.
Dans le rapport « Les projets REDD+ à El Salvador : profil bas, masques bienveillants et marchandisation d’écosystèmes et de territoires » [1], les chercheurs Yvette Aguilar, Maritza Erazo et Francisco Soto, qui ont assuré le suivi des démarches du gouvernement d’El Salvador concernant le système REDD, expliquent que ce système permettra « la vente et l’achat directs de crédits d’émission dans les marchés du carbone ou par le biais de fonds d’intermédiation, comme le Fonds pour le carbone forestier, pour compenser les émissions des pays développés. Cette approche vise à mercantiliser la nature au moyen de la commercialisation du carbone stocké dans les écosystèmes et dans les territoires dont dépendent pour leur survie les communautés indigènes, rurales et paysannes ».
Le rapport relève dans la proposition de graves erreurs conceptuelles et des défauts techniques et scientifiques qui sont insurmontables malgré l’élasticité des critères du FCPF, et qui rendraient le pays encore plus vulnérable aux changements climatiques.
Le 15 mai dernier plusieurs organisations sociales ont présenté au coordinateur du FCPF une lettre [2] où elles manifestaient leur inquiétude et leur refus du document en question ; elles demandaient qu’l ne soit pas approuvé et dénonçaient « le manque d’une stratégie nationale concernant le changement climatique, et l’absence d’un processus officiel ouvert, transparent et participatif ». Elles ajoutaient que la R-PP comportait de graves erreurs conceptuelles et méthodologiques et que, au cas où le FCPF l’approuverait, elle aurait de graves répercussions négatives sur la société salvadorienne, augmenterait sa vulnérabilité et la fréquence des désastres, et différerait l’accomplissement des engagements nationaux et internationaux urgents en matière de changement climatique.
Les organisations ont exigé également « que toute initiative de consultation au sujet de REDD soit organisée et mise en œuvre de façon transparente et participative, fondée sur les meilleures connaissances disponibles et sur les engagements internationaux contractés ». En effet, le processus de conception et d’élaboration de la R-PP a été fermé et non transparent ; les autorités n’ont pas consulté « les acteurs et les secteurs concernés, dont quelques-uns ont déjà fait des propositions en matière de politiques et de mesures à adopter face au changement climatique ».
Pour justifier leur rejet catégorique de la R-PP et de la façon dont elle a été conçue, les organisations sociales salvadoriennes ont affirmé que ce document « manque des fondements scientifiques et techniques et de la légitimité sociale nécessaires pour garantir sa viabilité politique, son acceptation et sa mise en œuvre réussie par les acteurs concernés et surtout par les populations les plus vulnérables au changement climatique et à la variabilité qu’il comporte, parmi lesquelles les communautés indigènes, paysannes et dépendantes des systèmes forestiers, les femmes économiquement désavantagées et les populations rurales et urbaines marginalisées jouent un rôle prépondérant ».
De leur côté, les vingt-trois organisations et communautés indigènes qui constituent le Conseil coordinateur national indigène salvadorien (CCNIS) ont envoyé une autre lettre [3] où elles appuient celle des organisations sociales et réaffirment leur opposition au contenu de la proposition en question. Dans cette lettre elles manifestent que la R-PP « ne tient pas compte des préoccupations et des besoins des peuples indigènes d’El Salvador en matière d’impact et d’adaptation au changement climatique, et qu’elle a été élaborée sans avoir consulté préalablement ces peuples pour obtenir leur consentement libre et informé, comme prévu par le droit indigène international. Bien que la R-PP présentée par le MARN comporte une section relative aux peuples indigènes d’El Salvador, le contenu de cette section ignore les progrès du droit indigène international et les obligations qui en découlent pour les gouvernements ».
Le CCNIS prévient que « les effets négatifs du changement climatique sont en train de se multiplier dans le pays et ils provoquent des dégâts et des pertes dans les communautés indigènes, qui voient leurs logements, leurs cultures et leurs moyens d’existence diminuer, se détériorer ou disparaître ; en outre, on constate déjà des effets négatifs sur leur santé, leur sécurité alimentaire et leurs revenus. Le changement climatique est en train de restreindre encore plus leurs droits à l’accès, à l’utilisation et à l’usufruit des territoires où elles habitent et réalisent leurs activités économiques, spirituelles et culturelles. La R-PP ne tient pas compte du tout de ces effets négatifs, ni des propositions que nous, en tant que peuples indigènes, pouvons faire au pays pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie, d’un plan national contre le changement climatique et d’un plan d’adaptation nationale ».
Le CCNIS dénonce aussi que « de nombreuses politiques et mesures adoptées pour l’atténuation des causes du changement climatique représentent des menaces pour les peuples indigènes et pourraient nous rendre plus vulnérables et inadaptés. Tout comme les biocombustibles, les projets REDD+ ont été sérieusement mis en question par nos peuples indigènes, en raison des effets négatifs qu’ils pourraient avoir pour nous, en particulier en renforçant les restrictions d’accès à la terre et à ses ressources, et en favorisant l’appropriation à grande échelle de nos territoires. Dans le but d’éviter ces impacts, nous avons lutté pour l’introduction de sauvegardes spécifiques dans les politiques, les programmes, les normes et les accords qui nous concernent, afin de garantir le respect des droits qui nous sont propres ».
Le gouvernement d’El Salvador n’a pas ratifié la Convention 169 de l’OIT, le seul instrument juridique international qui accorde aux peuples indigènes le droit à leur propre territoire, à leur culture et à leur langue. Malgré cela, le pays pourrait recevoir des fonds pour mettre en œuvre un projet REDD qui toucherait directement les communautés des forêts. Le manque de garanties quant au respect des droits de ces communautés dans ces transactions serait ainsi manifeste.
Pour en savoir plus veuillez visiter : http://wrm.org.uy/countries/ElSalvador.html#info
Article fondé sur :
[1] “Los esquemas de REDD-plus en El Salvador: Perfil bajo, disfraces benevolentes y mercantilización de ecosistemas y territorios”, Yvette Aguilar, adresse électronique : yvette.a@gmail.com, Maritza Erazo, adresse électronique : mlerazo@yahoo.com, Francisco Soto, adresse électronique : francisco.soto.monterrosa@gmail.com, San Salvador, El Salvador, 17 juillet 2012, envoyé par Francisco Soto.
[2] Lettre des organisations sociales envoyée au FCPF de la Banque mondiale,http://www.wrm.org.uy/paises/ElSalvador/Carta_FCPF-RPP-SLV-15May2012.pdf
[3] Lettre du Consejo Coordinador Nacional de Indígenas Salvadoreños (CCNIS) au FCPF de la Banque mondiale, http://www.wrm.org.uy/paises/ElSalvador/Carta_FCPF-RPP-SLV_CCNIS-24May2012.pdf
(Photo http://climatevoices.files.wordpress.com/2011/11/no-redd_poster-cartel.jpeg)