On parle beaucoup à l’heure actuelle de l’importance des processus de consultation des communautés locales quand apparaissent de grands projets qui auraient des répercussions sur leurs territoires, leurs moyens d’existence et leur subsistance. La consultation est présentée comme un moyen de participation des citoyens, par lequel le peuple concerné par un plan ou projet d’envergure est convoqué pour qu’il donne son avis. De plus en plus, les entreprises qui sont derrière les investissements miniers, hydroélectriques ou de plantations industrielles, mais aussi les ONG qui mettent en œuvre des projets de ‘conservation’ du type REDD, mettent l’accent sur la participation des populations locales et sur leur consultation. Or, si ce système semble juste à première vue, il finit par devenir un instrument au service de la logique d’expansion du système économique déprédateur avec l’État comme intermédiaire, et permet de prendre à l’avance la décision d’exécuter le projet. Le moment de la consultation, les participants, les points à débattre et les limites de la discussion sont définis au sommet. En plus, le droit des peuples à l’autodétermination, qui donne aux communautés le pouvoir de prendre des décisions collectives sur leur mode de vie et leur territoire, est ignoré. Il est fondamental de dénoncer ces manœuvres qui, dans la pratique, facilitent l’appropriation de territoires.
Rappelons que l’extraction à grande échelle dans les pays du Sud a des racines coloniales. La logique de l’appropriation et l’accaparement systématiques de la nature pour l’accumulation de richesses reste inchangée, et « tous les arrangements institutionnels adoptés au fil des ans finissent par s’y soumettre » (1). Ces arrangements institutionnels sont, à leur tour, encadrés dans le droit public, qui suppose que chaque partie défend son propre intérêt individuel dans une relation entre deux parties libres et égales. Cette vision suppose que chaque partie dispose en temps voulu de toute l’information nécessaire, et qu’il n’existe aucune pression d’ordre économique, politique ou autre, et, en même temps, nie toute valeur étrangère à la liberté individuelle, comme l’autodétermination (2). Le droit à l’autodétermination est le droit collectif d’un peuple de déterminer ses propres formes de gouvernement, de poursuivre sa propre organisation économique, sociale et culturelle, et de se structurer librement, sans ingérences extérieures et en accord avec le principe de l’égalité. Celui-ci est lié au droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Le chercheur péruvien Roger Merino, auteur de nombreux écrits sur les droits des peuples indigènes face au capitalisme libéral, explique que le processus de consultation est lié au principe de participation, en mettant l’accent sur le fait qu’il fait partie des processus de prise de décision de l’État. Quant au principe du consentement, il est lié au principe de l’autodétermination, qui concerne le respect des décisions collectives fondées sur des valeurs différentes de celles de l’État. Ainsi, le caractère informatif des réunions de consultation met en lumière l’hypothèse implicite que le transfert d’information doit se faire de l’État ou l’entreprise vers la communauté, et que le seul apport de cette dernière consiste à ajouter des propositions ou des améliorations à une décision qui, le plus souvent, a déjà été prise. La possibilité que les habitants discutent d’un autre type de ‘développement’ ou qu’ils rejettent carrément le projet présenté n’existe pas, car on part du principe qu’un seul type de ‘développement’ est possible (3).
Un manuel pour la résistance qui vise à aider l’organisation communautaire contre l’industrie minière prévient que « Les entreprises peuvent se servir des réunions pour obtenir des communautés l’acceptation nécessaire du projet, ‘l’autorisation sociale’. Elles peuvent ne décrire que les avantages du projet. Elles peuvent choisir de ne pas dire aux participants quel est le véritable objectif de la réunion, et se valoir ensuite de cette rencontre pour affirmer que la communauté a donné son consentement au projet » (4).
Dans ce contexte, la consultation est encouragée et vantée non seulement par l’État mais par des organismes internationaux et par des entreprises qui veulent se montrer comme socialement responsables. Comme le dit Merino, « Le véritable sale tour qui se cache derrière le droit à la ‘consultation sans consentement’ est que, en ‘incluant’ les habitants concernés, on perpétue leur exclusion » (5). À cela s’ajoutent les nombreuses communautés qui, la propriété de leurs terres n’étant pas reconnue, ne sont même pas consultées sur un projet qui va les toucher, de sorte que le système injuste d’accès à la terre, le plus souvent hérité de l’époque coloniale, se voit renforcé.
Des questions vides de sens : quand la consultation porte sur des problèmes réglés d’avance
Dans le nord de l’Amazonie péruvienne, l’entreprise française Pur Projet a créé la concession de conservation Martín Sagrado comme un projet REDD de compensation d’émissions. Pur Projet vend à d’autres entreprises, comme la multinationale énergétique GDF Suez, la possibilité de compenser leurs émissions en finançant ses ‘purs projets’. Pur Projet signale que l’inclusion des communautés est une valeur ajoutée de ses projets. Or, une enquête des Amis de la Terre France (6) a révélé que ‘l’inclusion’ en question pour la création de la concession de conservation avait été biaisée et fragmentaire.
Les séances de consultation ont été organisées à l’extérieur des villages et avec la présence de quelques personnes seulement, qui ne seraient pas de véritables représentantes de la communauté. En plus, les comptes rendus de ces réunions montrent que l’information donnée a été partielle : rien n’a été dit sur les restrictions qu’implique la création d’une concession de conservation, ni sur les moyens financiers avec lesquels elle serait financée. D’autre part, plusieurs communautés voisines de la concession n’ont pas de titres fonciers reconnus car, dans leur majorité, elles sont composées d’immigrants qui ont fui les activités minières. Comme les terres où ils se sont établis n’ont pas été reconnues, on ne les a pas consultés non plus à propos du projet de Pur Projet, qui maintenant les touche directement parce qu’il restreint leur droit d’utiliser la forêt dont ils dépendent pour leur subsistance. Ce qui est encore pire, c’est que les premières réunions avec les villages de l’intérieur de la concession ont eu lieu entre novembre et décembre 2012, alors que le projet technique de la concession avait été approuvé le 27 mars 2012, et la cession de droits le 19 avril 2012. Donc, si la décision de créer une concession et de limiter les droits des communautés avait déjà été prise, sur quoi portait la consultation ?
Le projet REDD de Mai N’dombe, en République démocratique du Congo (RDC), créé par l’entreprise canadienne ERA – Ecosystem Restoration Associates Inc. – et dirigé à l’heure actuelle par l’organisation californienne Wildlife Works Carbon (WWC), a pour but de vendre des crédits de carbone. Dans ce cas aussi, les bénéfices pour les communautés locales sont un élément fondamental du matériel de promotion du projet. Néanmoins, une étude menée par le WRM (7) a mis en évidence que les communautés n’ont été contactées que lorsque les décisions importantes avaient déjà été prises.
ERA a persuadé le gouvernement de la RDC d’autoriser la création d’une concession de conservation de la forêt dans des terres qui avaient fait partie de deux concessions d’exploitation forestière industrielle. Or, ces concessions avaient déjà été annulées. Les communautés de la zone du projet REDD n’ont pas participé aux négociations sur l’octroi à ERA de la concession pour la conservation de la forêt, gérée maintenant par WWC. Rien n’indique non plus qu’ERA ait consulté les communautés de la zone pour essayer de connaître leur avis sur le projet, avant d’entamer des négociations avec le gouvernement. Apparemment, ERA n’a contacté les communautés qu’après avoir signé avec le gouvernement l’accord concernant les droits sur le carbone et les contrats de concession pour la conservation de la forêt, en mars et août 2011 respectivement, et après avoir annoncé qu’elle essaierait de faire certifier le projet. Quand ERA a contacté les communautés, la grande décision avait déjà été prise : autoriser une concession pour la conservation de la forêt qui allait restreindre l’utilisation de cette forêt, source de subsistance pour une grande partie de la population locale.
Le court-métrage Manufacturing Consent (8) (la ‘fabrication’ du consentement) montre que les représentants de la société planteuse de palmiers PT Bornéo, filiale de la multinationale First Resources, sont arrivés en août 2011 dans le village de Muara Tae, en Indonésie, pour demander l’autorisation d’entrer dans le territoire communautaire. D’après le leader traditionnel Ignacius Igoqu, au cours d’une réunion tenue le jour même « la communauté, moi compris, et le chef du village ont refusé la présence de PT Bornéo qui voulait s’associer avec nous ». Pourtant, l’entreprise est revenue en septembre de la même année. À cette occasion, les représentants de l’entreprise ont dit qu’ils ne porteraient pas atteinte à la communauté, et ils ont affirmé que l’association avec l’entreprise serait « très rentable » pour elle. La communauté a refusé une fois de plus ; néanmoins, la filiale de First Resources a continué d’entrer dans leur territoire et de détruire des forêts, des terres et des sources d’eau.
Un an plus tard, en septembre 2012, tandis que les pelles mécaniques continuaient de détruire les forêts communautaires de Muara Tae, First Resources a publié des documents sur la page web de la Table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO d’après l’anglais), où elle disait que la période de 30 jours pour la consultation sur les nouvelles plantations de PT Bornéo venait de commencer. D’autres documents ont été publiés sur le même site, y compris l’affirmation de PT Bornéo qu’elle avait respecté le principe nº 7 de la RSPO qui dit, entre autres choses, « Aucune nouvelle culture ne sera plantée sur le sol des populations locales sans leur consentement libre, préalable et informé ». Sur la vidéo, un leader communautaire explique : « ils ne sont pas entrés avec le consentement de la communauté. Ils sont entrés de force, et ils ont détruit le territoire communautaire de force. (...) ils ont ignoré le refus des habitants de Muara Tae ». Un autre habitant ajoute que l’entreprise a fait venir la « BRIMOB [la police antiémeutes] afin d’intimider les gens pour qu’ils ne défendent pas leurs terres ».
Les demandes adressées par la communauté à la RSPO pour que l’entreprise reste à l’extérieur du territoire traditionnel ont été transformées, aussi bien par l’entreprise que par la RSPO, en demandes de « dialogue » et de « communication » avec l’envahisseur (9). La communauté avait déjà donné des réponses claires, à plusieurs reprises, aux tentatives de « dialogue » et de « communication » : elle ne voulait pas accepter la proposition de l’entreprise. Néanmoins, la RSPO a demandé à l’entreprise « d’améliorer » ses critères concernant le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause (CPLC). Mais si ce consentement implique la possibilité de dire ‘non’, pourquoi ne considère-t-on pas comme une réponse sérieuse et définitive le refus des membres de la communauté ? Une fois de plus, cet exemple montre que la décision fondamentale avait déjà été prise avant d’entreprendre le processus de consultation. La communauté a refusé l’entreprise, elle n’a pas voulu lui donner son consentement ni son approbation, mais sa position n’a pas été respectée.
Dans ce contexte, il est absurde d’affirmer que la consultation recherche « le dialogue interculturel » et « l’inclusion sociale ». Même lorsque l’État ou des entités alliées parlent d’autodétermination ou de CPLC, presque toujours on finit par faire une consultation, en l’associant au principe de participation. D’autre part, que se passe-t-il quand un peuple indigène n’a pas pu légaliser ses droits sur le territoire ? Que se passe-t-il si l’impact initial du projet concerne une communauté déterminée mais, ce projet étant de grande envergure, il risque de porter atteinte également aux communautés voisines ? Que se passe-t-il dans le cas des communautés touchées par des entreprises – qui peuvent continuer à polluer pour avoir acheté des crédits de carbone ou de biodiversité – alors qu’elles n’ont même pas été consultées ?
Et finalement, le principe du CPLC ne devrait-il pas s’appeler DNDCPLC, ce sigle désignant le droit de « donner ou ne pas donner son consentement préalable, libre et en connaissance de cause » ? La possibilité de dire ‘non’ n’étant pas explicitée, les entreprises, les États et d’autres acteurs utilisent souvent ce processus comme un piège pour obtenir le « consentement » de la communauté d’une manière ou d’une autre.
Joanna Cabello, joanna@wrm.org.uy
Membre du secrétariat international du Mouvement mondial pour les forêts tropicales
(2) Mundo: ¿Acuerdo, consulta o consentimiento? Las industrias extractivas frente a los derechos territoriales de los pueblos indígenas, Roger Merino,http://blog.pucp.edu.pe/blog/ridei/2013/04/22/mundo-acuerdo-consulta-o-consentimiento-las-industrias-extractivas-frente-a-los-derechos-territoriales-de-los-pueblos-ind-genas/.
(3) Idem.
(4) https://www.culturalsurvival.org/news/protecting-your-community-against-mining-companies-and-other-extractive-industries-guide.
(5) http://www.servindi.org/actualidad/67334.
(6) http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/brochure_perou_les_amis_de_la_terre_web.pdf.
(7) http://wrm.org.uy/fr/les-articles-du-bulletin-wrm/section2/le-projet-foret-tropicale-du-bassin-du-congo-les-communautes-se-mefient-de-la-revolution-de-conservation/.
(8) 52941829">.
(9) http://wrm.org.uy/fr/les-articles-du-bulletin-wrm/section1/indonesie-comment-la-rspo-a-traite-les-plaintes-presentees-contre-un-de-ses-membres-first-resources/