Advance Agro est l’une des principales entreprises de pâte et de papier de la Thaïlande, et produit 427 000 tonnes de pâte et 470 000 tonnes de papier par an. Elle commercialise sa marque « Double A » de papier pour photocopie en l’entourant d’une série de déclarations de type écologiste. En 2007, une société australienne dénommée Access Economics a insisté sur ce point en publiant un rapport intitulé « Avantages écologiques du papier Double A ».
Le rapport compare la fabrication de pâte et de papier dans plusieurs pays, en attribuant un prix aux effets négatifs de la production de pâte sur l’environnement, et conclut que le coût environnemental du papier Double A est inférieur à celui de toutes les autres papeteries analysées. Rien de surprenant, puisque le rapport a été commandé par Advance Agro et Mango Communications (une entreprise de public-relations embauchée par Advance Agro en novembre 2006). Néanmoins, il est intéressant de voir comment les consultants d’Access Economics sont arrivés à une telle conclusion.
Premièrement, ils ont ignoré le dossier d’Advance Agro. Le rapport affirme que « la fabrication du Double A n’endommage aucune forêt ». Or, des forêts ont été détruites pour établir les plantations qui alimentent les opérations d’Advance Agro. Cette entreprise fait partie du groupe Soon Hua Seng : en 1990, cent employés de Suan Kitti (filiale de Soon Hua Seng) ont été arrêtés pour avoir abattu illégalement les arbres sur 1 600 hectares d’une réserve naturelle de la province de Chachoengsao, pour préparer l’établissement des plantations qui allaient alimenter les usines de pâte d’Advance Agro. Suan Kitti a été accusée aussi d’avoir défriché illégalement 4 800 hectares dans la province de Prachinburi. L’usine de pâte du groupe Soon Hua Seng allait s’appeler « Usine de pâte Suan Kitti » mais, après ce scandale, l’entreprise a décidé de s’appeler Advance Agro.
« Le rapport d’Access Economics est fondé sur les politiques actuelles de production de Double A et sur les processus actuels de plantation d’arbres », a dit Thirawit Leetavorn, vice-président exécutif régional d’Advance Agro, dans un courrier électronique adressé au WRM.
Deuxièmement, Access Economics fausse les données concernant la pollution. D’après une note au pied d’une table qui figure en annexe, il n’y avait pas d’informations sur les déversements d’eau usée d’Advance Agro. Donc, Access Economics a utilisé un chiffre qui correspond à la moyenne de deux usines finnoises, « partant du principe que l’usine thaïlandaise qui produit le papier Double A applique la technologie finnoise ».
Cette information étant une partie essentielle de toute analyse d’impact environnemental concernant la production de pâte et de papier, j’ai demandé à Thirawit Leetavorn de m’expliquer pourquoi Advance Agro n’avait pas fourni les informations requises. Je n’ai obtenu qu’un « non » pour toute réponse.
Les halogénures organiques absorbables (AOX) sont un groupe de composés chimiques qui se produisent quand le chlore réagit en présence du bois au cours du processus de blanchiment de la pâte. D’après Access Economics, la décharge d’AOX du papier Double A est de deux kilogrammes par tonne de pâte séchée à l’air. Il s’agit du chiffre le plus élevé parmi toutes les usines considérées (plus du double de la moyenne aux États-Unis, par exemple), mais le rapport ne mentionne nulle part ce fait.
J’ai demandé à Thirawit Leetavorn les rapports des 12 derniers mois concernant la mesure des polluants dans l’eau résiduelle. Il a refusé de me les fournir, mais il m’a assuré que « Double A veille à ce que les éléments contenus dans l’eau résiduelle soient mesurés suivant les standards écologiques les plus élevés ».
Troisièmement, Access Economics essaie de faire disparaître les plantations d’Advance Agro. D’après le rapport, Advance Agro obtient le bois des « eucalyptus cultivés par des agriculteurs sur les bords des rizières ». L’entreprise affirme qu’elle a des contrats avec un million d’agriculteurs. Thirawit Leetavorn m’a envoyé quelques jolies photos d’eucalyptus plantés le long des rizières. « Non, nous n’avons pas de plantations industrielles d’arbres », m’a-t-il écrit en réponse à ma question sur l’étendue des plantations de l’entreprise.
Il y a quatre ans, le WRM s’est rendu en Thaïlande. Nous avons parlé avec les paysans qui habitaient près des plantations, et ils nous ont dit qu’ils avaient vendu leurs terres à l’entreprise. Nous avons appris que l’entreprise avait établi des plantations d’eucalyptus jusqu’aux bords des rizières, et nous avons vu de grandes étendues de ces plantations.
Trois autres détails montrent bien que les plantations d’Advance Agro n’ont pas disparu dans la nature : Access Economics mentionne que « l’eau résiduelle traitée [est] utilisée pour irriguer les plantations d’arbres » ; dans un article de décembre 2006 sur Advance Agro, Pulp & Paper International signale que « la fibre provient de plantations commerciales d’arbres qui ont cinq ans » ; et sur l’un des sites web d’Advance Agro on lit : « Dans la production du papier Double A, nous utilisons la matière première de nos propres plantations ».
Advance Agro prévoit maintenant de construire une nouvelle usine de pâte de 500 000 tonnes par an, et une nouvelle papeterie de 500 000 tonnes par an. L’étude de faisabilité a été faite en 2006 par la société conseil finnoise Pöyry. Advance Agro a présenté une évaluation d’impact environnemental aux autorités thaïlandaises, et elle négocie avec Mitsubishi (Japon), Voith (Allemagne) et Metso (Finlande) l’achat de l’équipement. Le rapport d’Access Economics est un outil publicitaire, dont le but est d’augmenter les ventes de Double A en Australie, en prévision de cette expansion future de la capacité de production de pâte et de papier. C’est du marketing à la sauce verte.
Chris Lang, http://chrislang.org