Pérou : le projet gazier Camisea avance aux dépens de la santé des communautés et de l’écosystème

Image
WRM default image

Le projet Camisea pour l’extraction de gaz naturel, d’un coût de 1,6 milliards de dollars, se situe dans l’une des régions les plus riches du monde en diversité biologique, sur les marges du fleuve du même nom. Il bénéficie du soutien de la Banque interaméricaine de développement (BID) en tant que principal investisseur public. Or, le projet n’a rien apporté de bon aux communautés locales. Comme dénoncé dans le bulletin nº 95 du WRM, il se fait au prix de la destruction des forêts, de la contamination des fleuves, de la pollution sonore, de l’érosion des sols et de la dégradation de la flore et de la faune dans sa zone d’influence.

Au bout de 15 mois de fonctionnement, il y avait déjà eu quatre déversements de gaz liquide. Les négociations pour décider du montant de la compensation pour les effets des déversements sur l’environnement étaient encore l’objet de plaintes du public, qui considérait qu’elles ne respectaient pas les droits des indigènes. Le document suivant en est un exemple : « Par le présent acte de donation, le bureau de coordination des rapports communautaires de la région Selva TGP, au nom du projet Camisea, remet ce qui suit : six sacs de riz, quatre sacs de sucre, 30 kilos de sel, 50 litres d’huile, 100 kilos de pâtes alimentaires, huit caisses de thon, quatre caisses de lait, 40 kilos de légumes secs, 100 kilos d’oignons et 20 kilos d’ail. Cette donation fait partie d’un geste de solidarité et de bon voisinage de l’entreprise à l’égard des familles de la communauté autochtone, en prévision des dommages découlant du déversement qui s’est produit dans le KP 50 le 24 novembre 2005. La livraison se fera dans cinq jours. » Tel est le document concernant les vivres remis aux zones affectées par le déversement, pour une population de près de cinq cents habitants.

Le souvenir de ces faits était encore frais chez le public lorsque, le 4 mars dernier, un nouveau déversement s’est produit au kilomètre 123, dans le secteur dénommé Manatarushiato, à peine cinq kilomètres au nord du village de Kepashiato, district d’Echarati, dans la province de La Convención, à Cusco.

L’entreprise internationale Transportadora de Gas del Perú (TGP), responsable du gazoduc, a confirmé le déversement d’environ 750 mètres cubes de gaz liquide, qui auraient été consumés par le feu provoqué par une faille au point de rupture. C’était le cinquième déversement du projet Camisea.

Les flammes de 20 mètres ont réduit en cendres la maison de Felipe Ticona et provoqué des brûlures du deuxième et du troisième degré à Nancy Rosalvina Ticona et Carlos et Freddy Huamán Ticona, ces derniers âgés de 11 ans et 7 ans respectivement. L’incendie a détruit aussi plusieurs hectares de terres agricoles et de forêts voisines, et provoqué la mort d’animaux. Le maire Martín Huamán a demandé à la population d’éviter de consommer l’eau et les poissons du fleuve Cumperuciato qui aurait été contaminé par des produits toxiques.

En outre, le projet Camisea est réalisé aux dépens de la vie et de la santé des peuples indigènes dont un tiers du territoire se superpose à la concession gazière, comme dénonce l’association interethnique de développement de la forêt péruvienne, AIDESEP.

Un rapport du bureau du Défenseur du Peuple du Pérou, intitulé « Le projet Camisea et ses effets sur les droits des personnes », dénonce que les droits fondamentaux des communautés autochtones établies autour du gisement de gaz de Camisea ont été affectés par les entreprises étrangères installées dans la forêt amazonienne. Il contient également des critiques démolisseuses du rôle joué par l’État péruvien dans la défense de la vie des habitants de la réserve territoriale Nahua-Kugapakori, dans le Sud du pays, envahie par le consortium Transportadora de Gas del Perú (TGP) après avoir obtenu la concession gazière de Camisea. Les autres membres du groupe TGP sont PlusPetrol et Techint (Argentine), Hunt Oil (Texas), Sonatrach (entreprise étatique algérienne), et SK Corporation (Corée du Sud).

Le projet porte atteinte aux communautés autochtones vivant en isolement volontaire qui commencent seulement à avoir des contacts avec l’extérieur : les Nahua, les Matsiguenga ou Machiguenga, les Nanti et les Yora ou Kugapakori. Le rapport mentionné prévient que ces populations « sont particulièrement vulnérables aux infections respiratoires et gastro-intestinales » ; en outre, « leur identité culturelle est soumise à des changements qui amoindrissent leur respect d’eux-mêmes ».

Le Défenseur du Peuple rapporte que 17 membres des communautés autochtones en situation de contact initial sont morts de grippe entre 2001 et 2003 ; ces communautés avaient reçu la visite de travailleurs des entreprises. Seize cas de syphilis ont été enregistrés chez les populations autochtones de Camisea et Shivacoreni. Les communautés attribuent cette situation à l’installation de maisons de prostitution près des campements de l’entreprise Techint (chargée de la construction du gazoduc), signale le rapport du Défenseur.

De son côté, AIDESEP dénonce « l’absence de consultation ou de consentement préalable et informé sur les politiques, les mesures législatives et administratives, les programmes ou les projets qui concernent nos peuples autochtones. Ces oublis, négligences et indifférence ont porté les peuples autochtones à douter de la vigueur du système démocratique et, dans bien des cas, on constate déjà des réactions directes face aux atteintes à leurs droits collectifs, telles que l’imposition sur le territoire ancestral indigène de parcelles ‘négociables’ sous la forme de concessions ». « ... l’État nous a imposé l’exploitation de nos ressources naturelles à l’intérieur de nos territoires ancestraux, dont nous sommes propriétaires depuis des temps antérieurs à la colonisation et à la formation de l’État national actuel ; ainsi, nous déclarons que nos territoires sont ce qu’ils ont toujours été : imprescriptibles, inaliénables, insaisissables et non expropriables. »

Les grands projets comme le gazoduc de Camisea annoncent une « modernisation » supposée qui, tôt ou tard, révèle son véritable visage, celui de la destruction, la maladie et la mort.

Article fondé sur des informations tirées de : “Proyecto Camisea, muestra de improvisación: atenta contra los derechos de pueblos indígenas”, déclaration de l’Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana, distribué par la liste électronique PERU & WORLD : Amig@s de l@s Ashaninka ; “Piden suspender Camisea luego de quinto derrame ocurrido ayer”, Servindi, 5 mars 2006, adresse électronique : servindi@servindi.org; www.servindi.org ; “Derechos indígenas violados por gasoducto de Camisea”, Ángel Páez, IPS, distribué par la liste [prensaamb-alc].