C’est officiel. Le ‘Projet de plantations industrielles d’arbres’ de la Banque asiatique de développement a aggravé la pauvreté au Laos. Dans un rapport de décembre 2005, le Département d’évaluation des opérations de la Banque (OED) conclut que le projet « n’a pas réussi à améliorer la situation socio-économique de ceux qu’il devait bénéficier, car ces personnes se sont davantage appauvries pour avoir dû rembourser les prêts destinés à financer les plantations perdues. »
La BAsD a qualifié d’échec ce projet de plantations industrielles d’arbres, qui s’est étendu de 1993 à 2003 ; quant à sa propre performance, elle l’a considérée comme « médiocre », d’après le Rapport de fin de projet de novembre 2005.
La réponse de la BAsD ? Encore un projet de plantations d’arbres au Laos. Le 16 janvier 2006, le conseil d’administration de la banque a approuvé un ‘Projet de développement des plantations forestières’ d’une durée de six ans. Le projet inclura la création d’un Service laotien des plantations et l’établissement d’environ 9 500 hectares de « petites plantations de subsistance ». La Banque fournira un prêt de 7 millions USD et une subvention de 3 millions USD pour les coûts du projet.
Akmal Siddiq, économiste en chef du projet de la BAsD, décrit le Service des plantations du Laos comme « un point d’accès pour l’investissement privé ». Il a dit ceci pendant un atelier de consultation du secteur privé organisé par la BAsD à Vientiane en août 2004, dans le but de « présenter des opportunités d’investissement aux multinationales de la pâte et du papier ».
À l’occasion, Siddiq a dit que l’objectif était d’atteindre 500 000 hectares de plantations industrielles d’arbres au Laos d’ici à 2015. Il a ajouté que la BAsD considère le Laos comme le producteur de pâte de la région. Parmi les entreprises présentes à l’atelier figuraient Oji Paper (Japon), APRIL (Indonésie), BGA (Laos) et Phoenix Pulp and Paper (Thaïlande).
Il est certain que Siddiq a fait du bon travail en vendant le Laos comme nouvelle cible de l’industrie internationale de la pâte. « Oji Paper Company Ltd, du Japon, à laquelle on a présenté pour la première fois les opportunités offertes par le Laos, en a été si convaincue qu’elle a acheté la BGA Plantation Company Ltd quelques mois plus tard », lit-on dans le rapport de la BAsD sur le projet.
Dans le cadre du Projet de plantations industrielles d’arbres, les plantations avaient été établies dans des « forêts dégradées ». Or, d’après le rapport d’évaluation de l’OED, « dans beaucoup de cas, les agriculteurs ont déclaré que ces terres étaient traditionnellement consacrées à l’agriculture itinérante ». Le rapport de fin de projet de la Banque affirme que « la plupart des villages ont été d’avis qu’ils n’avaient pas de forêts dégradées », et ajoute : « la plupart des agriculteurs utilisent la forêt pour récolter des bûches et du bambou, du bois de feu et des produits non ligneux. Joint à la production de riz et à l’élevage de bétail, cet usage de la forêt est l’une des trois sources principales de revenus ».
Ces informations ne semblent pas être parvenues au siège de la BAsD à Manille : dans le nouveau projet, « les plantations seront établies dans des forêts dégradées qui ont peu ou point d’autre valeur économique », dit le rapport respectif.
Dans le cadre du projet antérieur, la Banque de Promotion Agricole avait prêté un total de 7 millions USD à des agriculteurs, des individus et des entreprises pour l’établissement de plantations. Beaucoup d’entre elles ont échoué. « La plupart des plantations (d’Eucalyptus camaldulensis) établies et gérées par des agriculteurs et des particuliers ont été improductives ou ont eu de faibles rendements », signale le rapport d’évaluation de l’OED. « Des milliers d’agriculteurs et d’individus inexpérimentés ont été éblouis par la perspective de profits qui étaient en fait inaccessibles ; la plupart d’entre eux ont contracté de lourdes dettes, et se sont retrouvés dans l’impossibilité de rembourser leurs emprunts, leurs plantations ayant échoué ». Les remboursements de plus de 82 pour cent des prêts restent impayés depuis plus d’un an.
D’après le rapport d’évaluation de l’OED, « il y a eu des allégations sur des emprunteurs fantômes, des détournements de fonds, des coûts de développement gonflés et des décaissements excessifs des fonds du prêt. » Le rapport de fin de projet de la BAsD utilise le mot « fraude ». L’OED a transmis les accusations de corruption au Département de l’intégrité du bureau de l’auditeur général de la BAsD.
Si la Banque s’était davantage efforcée de superviser le projet, son personnel si bien payé aurait peut-être remarqué que quelque chose n’allait pas. Mais l’OED a trouvé que les missions de la Banque incluaient très peu de voyages à l’extérieur de Vientiane. Entre 1996 et 2003, aucun spécialiste en foresterie n’a participé aux missions d’évaluation du projet. Entre juillet 2000 et février 2002, il n’y a eu aucune mission d’évaluation de la Banque.
L’économiste en chef du nouveau projet, Akmal Siddiq, maintient que l’objectif est de réduire la pauvreté. « Le développement des plantations de subsistance est un moyen efficace de réduire la pauvreté », a-t-il dit dans une conférence de presse organisée pour annoncer le projet.
Apparemment, Siddiq ne lit pas les documents de la Banque. Un rapport effectué pendant la préparation du nouveau projet mentionne une « Évaluation participative de la pauvreté » que la BAsD a faite au Laos en 2001. Ce rapport dit : « Le message que les villageois ont transmis à l’équipe d’évaluation était le suivant : ‘S’il vous plaît, lancez le processus de développement en commençant par développer ce que nous connaissons déjà, c’est-à-dire la culture sur brûlis, le bétail et la forêt’. »
Un autre rapport a été produit pendant la préparation du projet, à partir d’un relèvement fait dans six villages où la BAsD prévoit d’établir des plantations d’arbres de croissance rapide. Les consultants de la Banque ont signalé que « ce qui découle des discussions avec les agriculteurs (hommes et femmes) des six villages est que les plantations d’arbres du type proposé par le projet ne figurent pas parmi leurs priorités pour l’amélioration de leurs moyens de vie ».
La BAsD affirme que son objectif principal est l’atténuation de la pauvreté, mais elle ment. Ses prêts pour des projets de plantations industrielles d’arbres au Laos révèlent quel est son objectif véritable : forcer l’ouverture du pays aux sociétés multinationales.
Chris Lang, adresse électronique : chrislang@t-online.de