Indonésie : un parc national, son échec et ses effets sur les moyens de subsistance

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Quand on parle du classement de la zone boisée de Mount Merapi en tant que parc national, on finit toujours par se demander pourquoi ce parc a été établi.

L’écosystème forestier du mont Merapi est situé dans la province de Yogyakarta de la République d’Indonésie, à une altitude de 600 à 2 968 mètres au-dessus du niveau de la mer. D’une étendue de 8 655 hectares, il est surtout couvert d’une forêt tropicale de montagne qui est le moyen de vie d’un million de personnes de quatre districts.

L’eau superficielle qui descend du mont Merapi se partage en trois directions : le bassin de Progo à l’ouest, le bassin d’Opak au milieu, et le bassin de Bengawan Solo à l’est. Ces bassins ont fourni l’eau nécessaire à la consommation, l’irrigation et l’industrie à plus de 5 millions de personnes des provinces de Jogjakarta et de Central Java.

L’exploitation irrationnelle du mont Merapi menace maintenant son existence même. La privatisation de l’eau par une entreprise commerciale empêche un millier d’agriculteurs de cultiver leurs terres ; l’extraction de sable atteint 3,5 millions de mètres cubes par an ; les sources se sont dégradées rapidement, et la flore et la faune sont en train de disparaître.

Pourtant, le gouvernement applique toujours le même modèle : l’exploitation des ressources pour de l’argent, sans tenir compte des conséquences à long terme et faisant passer les problèmes économiques avant l’environnement et la durabilité.

Dès le début du processus, en 2001, beaucoup de personnes de la région ont manifesté leur opposition au plan du gouvernement de transformer la région en un parc national. Mais le ministre indonésien de la foresterie n’en a tenu aucun compte et, le 4 mai 2004, il a publié un décret par lequel la forêt devenait une aire protégée, le Parc national de Mount Merapi (MMNP).

Nous contestons cette décision et dénonçons que le décret ministériel enfreint des normes juridiques, qu’il viole les principes de la transparence, de la démocratie et des droits de l’homme, et qu’il est l’expression de l’arrogance du gouvernement.

Ce décret va à l’encontre d’un décret antérieur du même ministère, qui établit la procédure à suivre avant de classer un parc national. En outre, il enfreint la loi nº 22/1999 sur l’autonomie régionale, car il ignore l’autorité des gouvernements régionaux et des conseils législatifs de la zone.

La notion de parc national est apparue dans les pays occidentaux, où elle a fortement subi l’influence de l’idée de conservation classique, qui implique de protéger étroitement une région pour que personne n’y touche. Par la suite, elle a donné naissance à un modèle de conservation éco-fasciste, qui accordait toutes les priorités à la « nature » intacte, même si cela impliquait de se débarrasser des habitants des lieux.

Le premier parc national du monde, celui de Yellowstone, fut établi aux États-Unis en 1872. Les administrateurs du parc ne permettaient à personne d’utiliser ses ressources naturelles, sans tenir aucun compte du fait qu’il était le foyer de tribus indigènes. Des conflits éclatèrent inéluctablement, et aboutirent à l’expulsion forcée des communautés autochtones de la région.

Malheureusement, beaucoup de pays, l’Indonésie comprise, se sont inspirés de ce modèle. En 1980, le gouvernement indonésien établissait les cinq premiers parcs nationaux.

Le gouvernement a mis l’idée en application sans considérer si elle s’adaptait à la situation économique et sociale du pays, préférant apparemment faire plaisir aux pays occidentaux plutôt qu’à son propre peuple. La preuve en est que quarante-deux parcs nationaux ont été établis l’un après l’autre, partout dans le pays, sans analyser au préalable tous les aspects de la gestion des parcs déjà existants.

Dans beaucoup de régions, la situation a empiré depuis qu’elles ont été désignées parcs nationaux. Au lieu de préserver la zone et de produire des retombées positives, l’établissement des parcs nationaux s’est souvent soldé par des dégâts et des effets négatifs. Les parcs nationaux de Mount Leuser, Mount Halimun, Kutai, Bukit Tiga Puluh, Tanjung Puting, Mount Palung, Ujung Kulon, Lore Lindu, Rawa Aopa, Komodo, Lorentz et Wasur montrent bien que ce modèle de conservation provoque des problèmes économiques et sociaux et aboutit à la dégradation, plutôt qu’à la préservation, de l’environnement.

En Indonésie, le principe des parcs nationaux n’a pas été adopté au plan théorique seulement, mais aussi au niveau de la politique et de la gestion. Au niveau politique, par exemple, le gouvernement distingue les droits de l’organisme de gestion des parcs nationaux des droits des gens. Ces derniers étant considérés comme subordonnés à l’organisme de gestion, ils doivent lui obéir sans poser de questions dès qu’il applique des réglementations fascistes établies pour servir les intérêts du gouvernement. La loi nº 5/1990 sur la conservation des ressources naturelles et des écosystèmes, qui ne fait aucune mention du rôle ni des droits des gens en matière de ressources naturelles, est un exemple de cette arrogance.

D’autre part, la structure de l’organisme de gestion est non seulement axée sur les intérêts du gouvernement mais, comme d’autres organisations étatiques, elle est entachée de corruption. L’organisme de gestion des parcs nationaux jouit d’une autorité presque totale, qui ne laisse aucune place aux droits des communautés environnantes. La corruption est visible dans sa coopération avec les entreprises et les militaires dans des activités de déforestation illégale, bien connues depuis longtemps. La direction de l’organisme de gestion, des hommes d’affaires et des militaires sont impliqués dans l’exploitation illicite de bois qui a lieu dans presque tous les parcs nationaux à l’extérieur de Java, y compris dans ceux de Tanjung Puting et de Mount Palung.

Cette coopération se traduit aussi par le vol généralisé de ressources biologiques, par l’expulsion des habitants autochtones et par l’établissement de nouvelles mines à l’intérieur des dénommés « parcs nationaux ».

Les parcs nationaux de l’Indonésie ne mènent pas à la conservation ; ils mènent à des atteintes supplémentaires à la nature et à l’appauvrissement des communautés locales.

Il faudrait se demander pourquoi le gouvernement a établi le parc national du mont Merapi sans effectuer au préalable des études complètes et participatives. À mon avis, les mêmes problèmes qui se sont présentés à d’autres endroits vont exister à Merapi. Pourquoi ? Parce que la population locale et l’écosystème de Merapi sont inséparables et interdépendants.

Pendant des centaines ou même des milliers d’années, les communautés des environs ont eu la sagesse de veiller sur Merapi, parce que cette région leur assure la subsistance grâce à ses eaux pures et à ses arbres verts mais aussi parce qu’elle leur fournit des aliments, des médicaments et de l’abri.

La création du parc national du mont Merapi va-t-il résoudre les problèmes causés par les carrières de sable creusées sur ses pentes, lesquelles ont à leur tour endommagé ses forêts et asséché ses sources ? La direction du parc national va-t-elle s’occuper du sort des populations expulsées après l’arrivée des nouveaux « investisseurs » ? Je ne le crois vraiment pas. Le système du parc national ne sera jamais en mesure de résoudre ces problèmes ; en revanche, il va en créer de nouveaux, qui abîmeront encore plus cette belle région.

La situation du mont Merapi ne s’arrange pas en le transformant en parc national. Nous ne résoudrons les problèmes de cette région qu’en accordant davantage de pouvoir à la population locale et en l’intégrant à la gestion, pour que toutes les parties intéressées soient impliquées dans sa conservation, sur la base de la coopération et de la confiance.

Ce qu’il faut dans cette région est un modèle de conservation fondé sur le peuple, plutôt qu’un modèle de parc national dont l’application a invariablement échoué.

Nous n’allons pas permettre que Merapi vienne s’ajouter à la longue liste des parcs nationaux qui se sont avérés désastreux, en Indonésie comme à bien d’autres endroits du monde, n’est-ce pas ?

Mimin Dwi Hartono, Wana Mandhira – Institute for Advocacy and Environment Conservation, adresse électronique : kaliurang@indo.net.id, wamatour@yahoo.com.