Beaucoup d’ONG européennes sont d’avis que les marchés publics ont le potentiel de contribuer grandement à la gestion responsable des forêts au plan mondial. D’après les chiffres présentés par la WWF, les achats de bois et de produits dérivés du bois effectués par les gouvernements représentent 18 pour cent des importations totales de bois des pays du G8 et s’élèvent à 20 milliards de dollars par an. Il s’agit donc d’une force économique formidable sur le marché international du bois.
Cette force a été pleinement reconnue lors de la réunion du G8 de 1998, où les États-Unis, l’Italie, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les autres pays du groupe ont convenu d’une série d’actions destinées à contrôler l’exploitation clandestine de bois et le commerce international du bois illégalement récolté. Ces actions devaient inclure une évaluation des mesures prises par chaque nation à cet égard, y compris leurs politiques d’achat. Sept années plus tard, les gouvernements du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et du Japon ont formulé des politiques d’achat du bois ou sont en passe de le faire. Les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique, qui n’appartiennent pas au G8, ont fait de même. Le Royaume-Uni et le Danemark sont en tête, ayant déjà adopté une politique en la matière.
Tous les pays mentionnés visent à adopter des politiques qui encouragent les organismes publics à n’acheter que du bois produit de manière durable et à exclure le bois d’origine illégale. Jusque là, tout va bien. Mais, bien entendu, tout se complique au moment de la mise en oeuvre. Comment définir « durable » et « légal » ? Comment un responsable du service des achats peut-il savoir si le bois qu’il souhaite acheter est d’origine légale et provient d’une forêt gérée de façon durable ? C’est là que les politiques des différents pays en matière de marchés publics commencent à diverger considérablement.
La politique danoise ne concerne que le bois tropical, et assume donc (à tort) que les problèmes sont moins nombreux dans les pays non tropicaux. La politique britannique affirme ne pas pouvoir inclure des « critères sociaux » dans la définition de ce qui est « durable », car cela violerait la Directive de l’UE sur les marchés publics. Néanmoins, les propositions de politique élaborées par les Pays-Bas et la Belgique (qui doivent respecter elles aussi la Directive de l’UE) concernent tous les types de bois de toutes les forêts, et comportent des critères sociaux. De toute évidence, acheter écologique n’est pas aussi simple que certains l’avaient cru.
Ce qui est clair est que toute politique publique d’achat de bois doit inclure tous les types de bois. Le gouvernement danois est d’accord, et va réexaminer la sienne. Il est clair de même que la gestion durable des forêts doit inclure les aspects sociaux, tels que les droits des travailleurs, les droits fonciers et les droits des usagers. Le gouvernement du Royaume-Uni n’est pas encore d’accord avec ceci, mais espérons qu’il changera d’avis. Une coalition d’ONG britanniques a formellement déclaré son opposition à cette politique. (Voir sur www.fern.org le texte présenté au Comité britannique d’audit environnemental).
Les ONG affirment qu’il n’existe pas de base légale dans la Directive de l’UE sur les marchés publics pour exclure les critères sociaux. Le mois dernier elles ont remporté une première victoire, lorsque le ministre Elliot Morley s’est engagé à revoir la position du Royaume-Uni et à en débattre avec les autorités de l’UE. Ce débat est maintenant en cours. FERN et d’autres ONG espèrent convaincre la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni qu’il n’est pas possible de produire du bois de façon durable sans tenir compte des aspects sociaux et, surtout, que les Directives de l’UE ne justifient absolument pas une telle exclusion. Une première analyse légale de la question semble nous donner raison.
Pour compliquer encore les choses, la Commission européenne a publié « Acheter vert » (1), un manuel sur les marchés publics écologiques. Or ce manuel, co-produit par la Direction générale de l’environnement et par la Direction du marché intérieur et des services, crée une certaine confusion lorsqu’il parle de bois produit de manière durable et légale. Il est généralement admis, et le manuel le reconnaît, que la « gestion durable des forêts » doit tenir compte des aspects environnementaux « tout en prenant également en considération les aspects sociaux [tels que] les intérêts des populations indigènes ou des communautés dépendantes des forêts ». En complète contradiction avec ceci, le manuel dit ensuite que les gouvernements ne peuvent pas inclure des spécifications relatives à « la protection des communautés dépendantes de la forêt » lorsqu’ils lancent un appel d’offres pour l’achat de bois. Non seulement le manuel se contredit lui-même, mais il contredit la Directive originelle à ce sujet (2). L’analyse de cette directive effectuée par FERN en 2004 (3) montre que les gouvernements peuvent très bien exiger la « durabilité » parmi les spécifications techniques de leurs politiques de marchés publics, et que la définition de « durabilité » inclut bien les aspects sociaux. Ce conflit ne sera résolu que si les États membres décident de promouvoir une gestion des forêts socialement responsable. Certains États membres auront besoin d’ajouter des conditions d’ordre social à leurs spécifications techniques, et de bénéficier d’une décision favorable du tribunal au cas où leur initiative serait mise en question.
(1) « Acheter vert », http://europa.eu.int/comm/environment/gpp/pdf/handbook_fr.pdf.
(2) Directive 2004/18/CE.
(3) FERN (2004), To Buy or Not to Buy, disponible sur www.fern.org
Saskia Ozinga, FERN, adresse électronique : saskia@fern.org