La santé des écosystèmes, notre santé

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La forêt est le berceau de la diversité, ce qui équivaut à dire qu’elle est source de vie. Quand la forêt est saine, l’eau en surgit, l’air devient plus pur et parfumé, elle nous fournit des possibilités d’abri et nous offre de la nourriture, l’art s’y exprime dans la myriade de couleurs et de nuances qui se déploient et se cachent d’un cycle à l’autre et, au milieu de toute cette beauté et de cette prodigalité, il est possible de ressentir en quelque sorte l’amour de la nature pour tous les êtres qui la composent.

La forêt est associée à la notion de santé intégrale lorsque l’écosystème est à son tour en bonne santé ; cette santé intégrale peut être résumée par la présence de six éléments : l’eau, l’air, l’abri, la nourriture, l’art, l’amour.

En tant qu’individus de l’espèce humaine, nous faisons partie de l’écosystème, dans la mesure où nous sommes en corrélation avec lui. Et cela ne s’applique pas seulement aux peuples autochtones qui habitent la forêt : les habitants des villes, des déserts et des montagnes dépendent eux aussi des forêts, du rôle essentiel qu’elles jouent dans la planète. Mais à un moment de l’histoire, les événements ont commencé à nous séparer d’elles, effaçant souvent de notre mémoire l’écho des systèmes. Ainsi, nous avons permis que la santé s’éloigne de nous...

Voilà pourquoi, quand nous parlons de la défense des forêts, nous parlons de la santé. Mais il convient de définir de quelle santé il s’agit.

Il est fréquent que la santé soit considérée comme l’équivalent de l’absence de maladie, et que la manière de l’obtenir passe par l’assistance médicale et/ou les médicaments. Ainsi, quand on parle du droit à la santé, on fait référence en général au droit d’accéder à la médecine (officielle et dominante) et à ses ressources. Les indicateurs enregistrent des données quantitatives pour mesurer la santé d’une population : combien de médecins et d’hôpitaux il y a par habitant, le nombre des naissances, le taux de mortalité, l’état nutritionnel, la distribution des maladies infectieuses ou chroniques.

En cette étape néolibérale du capitalisme que nous traversons maintenant, la santé a été transformée, comme tant d’autres choses, en une marchandise. Les laboratoires et l’industrie pharmaceutique croissent à l’ombre des guerres mais, agitant le drapeau de la paix et de la santé, ils prennent les forêts d’assaut et s’approprient les propriétés curatives des plantes et des arbres, mettant à profit, à titre gracieux, les connaissances accumulées par les communautés à force d’essais et d’erreurs, d’une génération à l’autre. Les vertus curatives des produits de la forêt, autrefois gratuites, ont été brevetées, emballées, étiquetées et commercialisées par les entreprises, et leur coût est devenu élevé pour les consommateurs.

La notion de santé des peuples originaires est en général dynamique et holistique. Pour les Matsigenkas amazoniens du bassin du fleuve Urubamba, au Pérou, la santé consiste non seulement à être sain mais à se sentir bien, et la santé physique n’est qu’un de ses éléments. Pour eux, la bonne santé comprend des aspects de la vie que la science occidentale pourrait distinguer comme biologiques, environnementaux, sociaux et psychologiques, et non seulement des aspects médicaux. Affectés par le projet gazier de Camisea – un groupe de consortiums pour l’exploitation et le transport de gaz dans le bassin de l’Urubamba (voir bulletin nº 62 du WRM) – les Matsigenkas attribuent la détérioration de leur santé aux anxiétés et aux conflits sociaux qui ont surgi en raison du « développement » de la région (à savoir, les nombreuses tentatives de trouver et d’exploiter les hydrocarbures qui ont eu lieu depuis le début des années 1980), aux changements sociaux dramatiques qui se sont produits et aux efforts qu’ils ont dû faire pour maintenir leurs valeurs et leur mode de vie.

Au Mexique, les Mixes de Santo Domingo de Tepuxtepec, les Zapotecos de San Juan Tabaá et les Chatinos de Napola considèrent que la santé du milieu et celle de la communauté dépendent de l’influence des énergies de la nature. De ce fait, la santé des individus en dépend aussi. Leur culture est profondément liée à la nature, celle-ci comprenant en même temps le monde naturel et le monde surnaturel. Pour eux, la montagne est leur vie, les arbres sont leurs frères, la forêt est un lieu qu’il faut respecter, les fleurs et les plantes sont la source de moyens de guérison, l’eau est le sang qui nourrit les champs, les rochers représentent la protection et la force, le soleil est le père de la vie, la terre est la mère qui nous donne ce qu’il nous faut pour vivre. Ces visions de l’environnement sont entourées de tous les éléments spirituels hérités de leurs ancêtres et appris depuis l’enfance au sein de la famille et de la communauté. Quand tout est en équilibre, la santé l’est aussi. C’est ainsi qu’ils le voient.

D’après une définition de l’Organisation mondiale de la santé, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition représente un grand progrès par rapport à l’idée que la santé équivaut à l’accès à l’assistance médicale. Néanmoins, il faut se demander quels sont les États qui l’appliquent dans leurs politiques sanitaires. Et même dans le cas de l’OMS, à quel point ses politiques et ses positions reflètent-elles une vision où l’absence de maladie est inextricablement liée à des facteurs économiques, politiques et socioculturels ?

D’autre part, la définition de l’OMS offre un cadre général de référence qui peut être acceptable pour beaucoup de cultures, mais qui ne comprend pas les coutumes spécifiques et les traditions en matière de santé des diverses civilisations de la planète. Par exemple, le concept de maladie mentale varie d’une culture à l’autre. Pour beaucoup de populations autochtones, la personne qui entend parler les esprits est traitée avec révérence et elle vit dans la communauté. Par contre, dans la culture occidentale et urbaine cette personne est qualifiée de schizophrène, traitée avec des médicaments et peut-être internée dans un hôpital psychiatrique.

Les membres de peuples autochtones de diverses origines s’étonnent, en se rencontrant pour la première fois, de voir qu’ils partagent une même culture de base, malgré les grandes différences qui peuvent exister entre eux. En outre, ils estiment que ce qui les rend différents de la société occidentale dominante est d’une part leur relation avec la nature, qui fait qu’ils ne sont pas extérieurs à elle mais en font partie intégrante, et d’autre part leur idée qu’aucun intérêt économique ne peut être supérieur au besoin de préserver l’écosystème, parce que la prospérité du présent ne doit pas être obtenue au prix de la désolation de l’avenir.

Dans les sociétés occidentales, ou dans celles qui ont été envahies et imprégnées par la vision dominante chez les premières, le « développementisme » situe l’être humain à l’extérieur de la nature et même contre elle, et les questions de santé sont abordées du point de vue d’une science fragmentée, de plus en plus favorable aux intérêts commerciaux, et qui se vante de sa suprématie.

En récupérant l’orientation écosystémique, en pensant en fonction de la santé des écosystèmes, on réussit à comprendre que la santé et la vie des personnes sont en rapport avec la santé et la vie de tous les éléments de l’écosystème : le sol, l’eau, la flore, la faune, l’air et, bien entendu, l’être humain, avec tous ses liens sociaux, politiques, économiques et environnementaux. Cette idée de corrélation produit une éthique différente de celle du système dominant, une éthique respectueuse de la vie. Elle produit aussi une logique qui force à centrer les politiques, les stratégies et les programmes sur la santé des écosystèmes.

Article rédigé par Raquel Núñez, WRM, adresse électronique : raquelnu@wrm.org.uy, à partir d’informations tirées de : ”Salud de los ecosistemas. Un pensamiento articulador”, Julio Monsalvo, http://www.altaalegremia.com.ar/ ; “La salud de los pueblos indígenas y el Proyecto de Gas de Camisea”, rapport pour l’AIDESEP, Dora Napolitano et Carolyn Stephens, http://www.lshtm.ac.uk/pehru/communities/camisea-salud.pdf ; Medicine Keepers: Issues in Indigenous Health, Lori A. Colomeda et Eberhard R. Wenzel, http://www.ldb.org/indheal.htm